Art. 392. — 275. Pour qu'une personne soit dite responsable du fait d'une autre, il faut “qu'elle ait autorité” sur celle-ci; à cet égard, l'article précédent a posé le principe d'une façon plus précise que l'article 1384 du Code français qui, par une singulière négligence, dit “qu'on est responsable du fait des personnes dont on doit répondre: c'est un cercle vicieux.” Le Code italien (art. 1153) présente la même négligence de langage.
Or, quand doit-on répondre du fait dommageable d'autrui? N'est-ce pas quand on pouvait l'empêcher; par conséquent, quand on a autorité sur la personne?
Il restait à déterminer qu'elles personnes ont sur d'autres une autorité suffisante pour prévenir les délits ou quasi-délits de celles-ci: la loi le fait ici.
En première ligne se trouvent les ascendants. Comme la matière de la puissance paternelle n'est pas encore réglée par le Projet, la loi ne détermine pas ici quel est celui des ascendants qui est responsable des faits du descendant: elle ne désigne pas, comme le Code français, “le père et, à son défaut, la mère," elle se borne à indiquer, d'une façon indéterminée, “celui des ascendants qui exerce la puissance paternelle sur ses descendants mineurs.” Indépendamment de cette autorité de droit résultant de la puissance paternelle, la loi vent encore la possibilité que cette puissance s'exerce en fait, à savoir, “la communauté d'habitation:” autrement, il serait trop dur de rendre l'ascendant responsable des actes de l'enfant habitant séparément; d'ailleurs, si l'ascendant n'est pas responsable quand son descendant habite au dehors, il y aura presque toujours une autre personne responsable: par exemple, un instituteur ou un maître d'apprentissage, comme le prévoit le 4° alinéa du présent article.
Cependant, il ne faudrait pas prendre trop à la lettre la condition d'habitation commune: si, par exemple, l'enfant qui venait d'être, depuis peu de jours, placé comme élève interne dans une maison d'éducation y conmettait quelque acte nuisible à autrui et qui ne fût pas dû au défaut de surveillance, comme un vol clandestin ou des violences contre ses condisciples, il serait impossible d'affranchir l'ascendant de la responsabilité et de la transporter sur l'instituteur: le premier a eu tort de mal élever son enfant et de le confier à un étranger sans l'avertir du danger, tandis que ce dernier ne peut être considéré comme fautif; mais s'il s'est déjà écoulé un temps assez long depuis l'entrée de l'enfant dans l'établissement, on n'est plus aussi sûr que les fautes de l'enfant soient le résultat de son éducation première, elles peuvent provenir du défaut de surveillance; en tout cas, l'instituteur, ayant pu connaître les mauvaises dispositions de l'enfant, doit s'imputer de ne pas l'avoir renvoyé à sa famille; d'ailleurs, le dernier alinéa du présent article protégera encore l'instituteur, quand il n'aura pu empêcher le dommage.
276. Le Code français n'a pas déclaré le toteur responsable des fautes de son pupille, ni le mari de celles de sa femme. On n'hésite guère, dans la pratique, à suppléer au silence de la loi, au sujet du tuteur, parce qu'il exerce à peu près les pouvoirs paternels à l'égard de l'éducation du pupille; mais on ne peut étendre l'analogie jusqu'au mari, qui n'a pas sur sa femme une autorité égale à celle du tuteur, ni les mêmes moyens de coercition que celui-ci à l'égard du pupille.
Le Projet comble cette double lacune dans le sens d'une égale responsabilité. Pour le tutenr, il 'y avait pas à hésiter; pour le mari, on a considéré que la puissance maritale est plus forte au Japon qu'en France et dans la plupart des autres pays; le mari y jouit d'ailleurs de la faculté de renvoyer sa femme pour des causes assez nombreuses, faculté que n'ont pas les ascendants à l'égard de leurs descendants et les tuteurs à l'égard de leur pupille et qui, par conséquent, motive davantage la responsabilité du mari qui a toléré les défauts de sa femme.
La loi exige la même condition d'habitation commune pour ces deux nouveaux cas de responsabilité du fait d'autrui; c'est, en effet, une condition essentielle pour la surveillance et l'influence continue. Il n'est rien dit de l'âge; la conséquence est que, pour la femme, lors même qu'elle sera devenue majeure, la responsabilité du mari continuera; quant au pupille, il doit nécessairement être mineur: la tutelle cesse avec la majorité.
277. Le Projet n'a pas encore réglé la tutelle et la garde des aliénés. Vraisemblablement, on admettra, comme en France, une distinction entre ceux dont la guérison est possible ou espérée et ceux qui peuvent être considérés comme incurables: les premiers pourront être placés temporairement dans un hospice spécial ou confiés à leur famille, les autres seront mis en tutelle. Sans faire ici une distinction qui a surtout trait à l'incapacité résultant de la démence, la loi déclare ceux qui ont la garde des aliénés responsables des dommages causés par ceux-ci, et, bien qu'elle n'exige pas qu'il y ait communauté d'habitation, le cas se rencontrera presque nécessairement, puisque la responsabilité est fondée sur la garde.
A l'égard des personnes désignées au 4 alinéa de notre article, la loi exige encore la minorité des délinquants pour qu'elles soient civilement responsables; c'est à cette condition seulement que ces personnes peuvent être considérées comme ayant reçu une délégation de l'autorité du père ou du tuteur. La loi n'exige pas l'habitation commune, mais elle s'en rapproche, en limitant la responsabilité des instituteurs et patrons aux actes commis pendant que les élèves, les apprentis ou ouvriers, sont sous leur surveillance.
278. La dernière disposition de l'article 392 est importante: elle atténue la responsabilité qui nous occupe, en la maintenant dans les limites de la raison et de l'équité. On a dit, en effet, que cette responsabilité est fondée sur une présomption de négligence des parents et des autres personnes ayant autorité sur les délinquants; or, cette présomption ne peut être absolue:, elle doit admettre la preuve contraire. Si, par exemple, l'enfant est d'un caractère insoumis et si, malgré la vi. gilance de ses parents, il sort de la maison paternelle et commet des larcins au dehors, ou s'il cause des dégâts aux propriétés voisines, il serait trop sévère de maintenir la responsabilité des parents. Il appartient aux tribunaux d'apprécier souverainement si, en fait, les parents ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour prévenir les écarts de l'enfant, et ils doivent considérer, à cet égard, non seulement la vigilance de ceux-ci days le cas particulier dont il s'agit, mais les soins qu'ils ont donnés à l'éducation générale de l'enfant.