Art. 388 et 389. -266. Ces deux articles sont applicables, tout à la fois, aux diverses prestations dont il vient d'être parlé et aux divers payements indûs, tels qu'ils sont prévus par les articles 384, 385 et 386.
On a dit précédemment (n° 259) que la bonne foi de celui qui a reçu n'était pas un obstacle à la répétition dirigée contre lui, mais qu'elle rendait sa position meilleure. La différence entre la bonne et la mauvaise fpi est celle-ci: celui qui a reçu de bonne foi n'est tenu que de l'enrichissement qu'il a effectivement acquis et même qui a persisté jusqu'au jour de l'action en répétition; au contraire, celui qui a reçu de mauvaise foi, doit, outre cet enrichissement, les diverses indemnités déterminées par l'article 388: celles-ci sont fondées sur la faute commise; le principe de l'obligation n'est plus le même, c'est le délit civil, le dommage injuste.
267. Au surplus, ces cas ne demandent que peu d'explications.
1° Les intérêts des capitaux reçus sont dûs, de plein droit, du jour où ces capitaux ont été versés, et, en cela, il y a une rigueur particulière, car il n'y a pas besoin de demande en justice pour faire courir ces in térêts: le débiteur est constitué en demeure par sa seule mauvaise foi (v. art. 404). Ce qui prouve, au surplus, que ce n'est plus en vertu de l'enrichissement que les intérêts sont dûs, c'est que, peut-être, le débiteur n'a pas tiré profit de ces capitaux et qu'il n'en doit pas moins les intérêts.
2° Les fruits et produits de la chose indûment livrée sont dûs, lors même qu'ils n'auraient pas été effectivement perçus; c'est l'application d'un principe déjà rencontré à l'article 207.
3° Le débiteur des choses reçues, sachant qu'il devait les rendre, aurait dû apporter des soins suffisants pour leur conservation: sa faute originaire l'expose à des fautes consécutives, tandis qu'un possesseur de bonne foi, ayant cru que la chose lui appartenait, ne serait pas responsable de sa négligence (k). Bien plus, si la chose a péri ou a été détériorée par cas fortuit ou force majeure, il peut encore être tenu d'en rendre la valeur originaire, c'est lorsque la chose n'aurait pas nécessairement péri, si elle était restée aux mains de celui qui l'a indûment livrée: on a déjà rencontré cette juste sévérité au sujet de celui qui a manqué à restituer après sa mise en demeure (v art 355); or, ici, la mauvaise foi équivaut à une mise en demeure (art. 404).
268. L'article 389 suppose que la chose indûment reçue a été aliénée et il donne encore une différence entre la bonne et la mauvaise foi.
Observons d'abord que si la chose reçue est un corps certain, meuble ou immeuble, qui se retrouve dans les biens de celui qui l'a reçu, la restitution se fera en nature, avec indemnité, s'il y a lieu. Mais, si la chose a été aliénée par celui qui l'a reçue, on pourrait douter et quelques personnes doutent, en France, en présence de l'article 138 1, que la chose puisse être revendiquée contre les tiers acquéreurs, surtout s'ils sont de bonne foi. Cependant, le droit de revendication est certain: l'aliénation, étant sans cause, est radicalement nulle et celui qui a reçu la prestation indue n'a pas pu transférer des droits qu'il n'avait pas; lors même qu'il a transcrit son acte et le sous-acquéreur le sien propre, ces deux transcriptions, appliquées à des actes nuls, sont nulles elles-mêmes, et c'est le cas prévu par l'article 372, 2e al. (l). L'objection tirée de l'article 1381 du Code français perd toute sa force, si on considère que la loi a entendu régler seulement par cet article les rapports de celui qui a donné avec celui qui a reçu. Ce n'est que lorsqu'il s'agira de meubles aliénés à des sous-acquéreurs de bonne foi que la revendication en sera interdite (v. art. 2279; Proj., art. 1481).
269. Le présent article 389 tranche nettement la question à ce double point de vue, c'est-à-dire, tant iL l'égard des tiers qu'à l'égard de celui qui a reçu: la partie qui a livré l'immeuble, aliéné ensuite, a le choix entre la revendication contre le sous-acquéreur et l'action personnelle contre celui qui a reçu. Elle pourra même, quoique la loi ne le dise pas, cumuler les deux actions dans une certaine mesure, s'il y a eu mauvaise foi de celui qui a reçu et si l'action réelle ne trouve plus l'immeuble que détérioré: l'indemnité de la détérioration ne pouvant être demandée au tiers-possesseur, s'il est de bonne foi, sera obtenue de celui qui a reçu et aliéné de mauvaise foi.
Si celui qui a livré préfère intenter l'action personnelle en répétition contre celui qui a reçu et aliéné, il obtiendra la valeur estimative intégrale de l'immeuble contre le vendeur de mauvaise foi; mais contre le vendeur de bonne foi, il n'obtiendra que le prix de cession, et si ce prix n'a pas encore été payé, il pourra seulement se faire céder l'action en payement et l'action en résolution qui appartiennent au cédant.
Une difficulté subsiste, dans ce cas de cession faite de bonne foi à un sous-acquéreur: si la partie qui a livré l'immeuble exerce la revendication, l'acheteur évincé recourra en garantie contre son vendeur et celui-ci, malgré sa bonne foi, pourra être exposé à de lourdes indemnités, ce qui est incompatible avec la limite de responsabilité qui lui est accordée quand il est actionné directement par celui qui a payé l'indu (m). Pour concilier les deux droits, on doit admettre que le vendeur mettra en cause le revendiquant et fera retomber sur lui l'indemnité de garantie, de façon à ne supporter définitivement que la restitution du prix reçu. S'il a négligé cette précaution, il pourra, à son tour, exercer la répétition de ce qu'il aura, du chef de la garantie,; remboursé à son acheteur au delà du prix de vente.
Si la chose, au lieu d'être vendue, avait été donnée de bonne foi, le donateur ne serait tenu, ni envers celui qui a livré la chose indûment, puisqu'il n'est pas enrichi, ni envers le donataire évincé, puisqu'un donateur n'est pas garant de l'éviction.
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(k) Celui qui a négligé une chose qu'il croyait sienne n'est exposé à aucune réclamation:" Qui, quasi suam, rem neglexit, nullœ querelœ sub,iectus est.
(l) Chez les Romains, la tradition, avec volonté d'aliéner, même sans cause légitime, suffisait à transférer la propriété: l'absence de causedonnait seulement lieu à une action personnelle (condictio), pour obtenir la rétrocession on une indemnité; par conséquent, l'action réelle contre les tiers était impossible. Mais c'était donner à la volonté sans cause un effet que la raison ne saurait approuver.
(m) On regrette de ne pouvoir éviter, au Japon, ces périphrases si longues: " celui qui a donné ou livré, celui qui a reçu: " en France, on emploie des mots latins: le tradens ou le solvens pour le premier et l'accipiens pour le second.