441. Dans tout contrat synallagmatique, la condition résolutoire est toujours sous-entendue au profit de chacune des parties, pour le cas où l'autre partie ne remplirait pas ses obligations.
Dans ce cas, la résolution n'a pas lieu de plein droit: elle doit être demandée en justice par la partie lésée; mais le tribunal peut accorder à l'autre un délai de grâce, conformément à l'article 426.
442. Les parties peuvent, par convention expresse, exclure ladite résolution.
Elles peuvent aussi convenir qu'elle aura lieu de plein droit contre la partie constituée en demeure d'exécuter; mais celle-ci ne peut se prévaloir la première de la résolution opérée contre elle.
443. La partie lésée par l'inexécution peut renoncer à la résolution, tant qu'elle n'a pas formé sa demande en justice, dans le cas de la résolution tacite, ou déclaré se prévaloir de la résolution expresse.
444. La partie qui demande la résolution en justice ou invoque la résolution opérée de plein droit, peut, en outre, obtenir la réparation du préjudice éprouvé.
La condition résolutoire tacito est un des effets particuliers aux contrats synallagmatiques on bilatéraux et. elle donne un grand intérêt à cette division des contrats, ainsi qu'on l'a déjà annoncé sons l'article 318. Le Code français en pose le principe général dans l'article 1184, et il en fait ailleurs l'application à plusieurs contrats particuliers, spécialement à la vente (art. 1654 à 1657). Le Code italien pose le principe dans les mêmes termes (art. 1165). L'un et l'autre Code ont laissé subsister quelques lacunes que l'on comble dans le Projet.
C'est une très-grande faveur que cette résolution accordée par la loi à la partie qui se plaint de l'inexécution: si elle était réduite à son action ordinaire, elle pourrait souffrir de l'insolvabilité du débiteur, en subissant le concours avec les autres créanciers de celui-ci: elle devrait elle-même exécuter son obligation en entier et elle n'obtiendrait, à son tour, qu'une portion de ce qui lui est dû. Mais, au moyen de la résolution, elle peut recouvrer sa position première, comme si la convention n'avait pas en lieu: si elle n'a pas encore exécuté elle-même ses obligations, elle en est déliée, en même temps qu'elle en délie son débiteur; si elle a déjà exécuté, elle peut répéter ce qu'elle a donné, soit en nature, soit en équivalent. Par exemple, un vendeur d'immeuble, qui a déjà transféré la propriété par son seul consentement, a, en outre, livré l'immeuble, il a déjà mis l'acheteur en possession et lui a remis les titres; l'acheteur ne paye pas le prix à l'échéance fixée; le vendeur peut, par la résolution, recouvrer la propriété et se faire remettre en possession de la chose vendue; ce droit est une sorte de privilége non moins précieux que celui qu‘il pourrait exercer en faisant saisir et revendre la chose vendue, sans demander la résolution; mais, à cause de son avantage même, il est soumis à des conditions de publicité analogues à celle du privilége proprement dit, afin qu'il n'y ait pas de surprises à craindre pour les tiers qui contracteraient avec l'acheteur.
La position serait moins bonne pour un vendeur de meubles, de denrées ou marchandises, qui aurait livré les choses vendues: il ne pourrait, en général, recouvrer ces choses en nature, au préjudice des tiers acquéreurs ou même des autres créanciers; la résolution ne lui donnerait toujours qu'un droit personnel; seulement, an lieu de réclamer le prix de vente primitivement fixé, il pourrait réclamer la valeur actuelle des choses vendues, lesquelles peuvent avoir augmenté de valeur.
La résolution n'appartiendrait pas moins à l'acheteur qu'au vendeur, si la chose ne lui était pas livrée en temps utile ou n'était pas dans l'état où elle lui a été promise. Lorsqu'il n'a pas encore payé son prix, la résolution lui est très-utile, en le libérant; mais s'il a déjà payé, il n'aura qu'une créance, sans aucun privilége, pour le recouvrer: il n'usera donc de la résolution que si le vendeur est solvable.
La condition résolutoire n'est attachée aux contrats synallagmatiques que par une interprétation faite par la loi de l'intention probable des parties; celles-ci peuvent donc manifester une volonté contraire, car cette garantie d'exécution n'est pas d'ordre public; mais elles doivent le faire expressément pour faire tomlier la présomption légale (art. 442).
En sens inverse, les parties peuvent, au lieu de se contenter de la présomption légale, au lieu de s'en tenir à la condition résolutoire tacite, la stipuler expressément(i).
Entre la condition résolutoire tacite et la condition résolutoire expresse, il y a deux grandes différences qui ressortent clairement du rapprochement des articles 441 et 442: 1° la résolution tacite doit être demandée en justice, tandis que la résolution expresse s'opère de plein droit; 2° dans le premier cas, les tribunaux peuvent accorder un délai de grâce à la partie qui est en retard; ils ne le peuvent pas dans le second cas. Du reste, la résolution expresse ne s'opère que lorsque la partie négligente a été constituée en demeure: il ne suffirait pas que le terme stipulé pour l'exécution fût accompli, à moins que la convention ne portât expressément que la seule échéance du terme vaudrait mise en demeure (voy. art. 356).
En regard des deux différences qui précèdent on remarquera trois points de ressemblance entre la résolution tacite et la résolution expresse:
1° Ni l'une ni l'autre ne peut être invoquée par celle des parties qui est en faute: cela ne peut faire question pour la résolution tacite qui a besoin d'être demandée et obtenue en justice, car, personne no peut se faire de sa propre faute un titre et un moyen d'action; mais pour la résolution expresse qui opére de plein droit, on pourrait croire que le résultat, une fois produit sans demande, profite aux deux parties; la loi prend soin (art. 442) de repousser cette interprétation: pour que la résolution opérée de plein droit ait son effet, il faudra toujours que la partie lésée par l'inexécution préfère la résolution à l'action directe pour l'exécution.
2° Si cette partie a, une première fois, exercé son option entre la résolution et l'action directe, elle no peut plus revenir sur le choix qu'elle a fait (art. 443); or, l'option résulte de la demande faite en justice, dans le cas de résolution tacite, et d'une déclaration quelconque, mais formelle, dans le cas de résolution expresse ou opérée de plein droit. Il est cependant reçu, en général, qu'on peut se désister d'une action intentée ou renoncer à nn avantage personnel; mais cette faculté de désistement ou de renonciation ne doit jamais devenir préjudiciable à l'autre partie; or, c'est ce qui arriverait, si, après avoir manifesté la volonté de résoudre le contrat et lorsque le débiteur a commencé à prendre ses dispositions en conséquence, le créancier changeait d'avis et prétendait revenir à l'action directe pour l'exécution.
3° Bien que la résolution ait pour but de remettre les choses au point où elles étaient avant la convention, ce résultat ue sera pas toujours possible. Les choses restituées pourront avoir perdu de leur valeur par une cause imputable à celui qui les rend; la partie qui comptait sur l'exécution réelle avait pu prendre elle-même des engagements quelle ne pourra remplir; il est donc juste quelle soit “indemnisée du préjudice quelle éprouve.” C'est ce que dit l'article 444, et il met sur la même ligue, à cet égard, la résolution expresse et la résolution tacite. Mais, on remarquera que la loi n'accorde pas à la partie qui fait résoudre “la compensation des gains manqués;” aussi évite-t-elle l'expression ordinairement usitée de dommages-intérêts qui comprend “la perte éprouvée et le gain manqué”. Il serait, en effet, contraire à la raison et à l'équité que celui qui fait résoudre obtint, en même temps, son affranchissement de la convention et les bénéfices qu'il en espérait; ces bénéfices qu'il pourra trouver dans une nouvelle convention avec un tiers ne peuvent ainsi lui être acquis deux fois. Le Projet japonais, en se prononçant en ce sens, tranche une question qui pourrait faire un doute sérieux dans les Codes étrangers lesquels accordent “des dommages-intérêts”, suivant la formule ordinaire.
----------
(i) Cette stipulation porte, en Franco, le nom de “ pacte commissoire” qui vient du droit romain; mais, ce nom ne présentant pas par lui-méme un sens assez clair, il vaut mieux adopter au Japon celui de “condition résolutoire expresse.”