Art. 305. — 475., Le 1er alinéa se justifie comme la disposition de l'article précédent: c'est le propriétaire du fonds dominant qui a le bénéfice de la servitude, il use d'un droit qui lui appartient; il est donc naturel que les frais résultant de l'exercice de son droit soient à sa charge; il n'est pas moins naturel que si certaines réparations sont nécessitées par la faute du propriétaire du fonds servant, celui-ci les supporte.
Le 2e alinéa permet de déroger au principe, souvent cité et rappelé plus haut, que "la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir," L'exception se justifie déjà par la considération que cette charge est un simple accessoire de la servitude. De plus, et par respect pour le princi pe, la loi permet au propriétaire de s'affraucbir de cette charge en abandonnant, son droit de propriété sur la portion du fonds grevée de la servitude.
Deux remarques sont à faire sur cet abandon.
En premier lieu, ce n'est pas un abandon par et simple qui devra être fait, lequel permettrait à l'Etat de s'emparer de la partie abandonnée, comme "immeuble vacant et sans maître" (art. 21 et 23): l'abandon devra être fait "au propriétaire du fonds dominant;" ce sera, en réalité, une cession et elle sera plutôt onéreuse que gratuite, puisqu'elle aura pour compensation l'affranchissement d'une charge.
En second lieu, l'abandon ne devra pas nécessairement porter sur tout le fonds assujetti, mais seulement sur "la portion du fonds sur laquelle porte la servitude." Le Projet tranche ainsi une question encore débattue en France, sur l'article 699, et il la tranche dans le sens le plus favorable au fonds servant, contrairement à l'opinion la plus répandue. Ainsi, s'il s'agissait d'un droit de passage et que l'entretien du chemin eût été imposé au fonds servant, il suffirait d'abandonner le chemin; de même s'il s'agissait d'un aqueduc: en pareil cas, il serait trop dur et sans raison d'exiger l'abandon du fonds tout entier.
On objectera peut-être que cet abandon qui, d'une part, décharge le propriétaire du fonds servant de l'obligation d'entretenir le chemin ou d'aqueduc, ne lui cause, d'autre part, aucun préjudice, car l'emplacement du chemin ou de l'aqueduc ne lui procurait déjà plus aucune utilité; en même temps, on dira qu'il ne procure au fonds dominant aucune com pensa,tion sérieuse; mais c'est une double erreur: le fonds dominant n'aura plus le chemin ou l'aqueduc à titre de servitude, mais à titre de propriété; le chemin pourra être transformé en aqueduc ou l'aqueduc en chemin; le terrain pourra même être affecté à un autre usage, autant que sa largeur le permettra; le droit de passage, pour les personnes ou pour l'eau, ne sera plus soumis aux conditions plus ou moins gênantes de la servitude; enfin, il ne sera plus exposé à être perdu par le non-usage dont il sera question plus loin et c'est là le côté défavorab le au propriétaire du fonds servant qui perd toute chance de recouvrer la plénitude de son droit. Il y a donc compensation suffisante, pour les deux parties, entre les avantages gagnés et ceux qui sont perdus.
Au surplus, il y aura quelquefois lieu à l'abandon entier du fonds assujetti, c'est lorsque l'assujettissement frappera lui-même le fonds tout entier. On ne peut guère citer le cas du droit de vue, ou de prospect qui pourtant assujettit le fond servant en entier, ou, tout au moins, pour la partie commandée par la vue, parce que, dans ce cas, il ne peut être raisonnablement question de la stipulation d'entretien du bâtiment dominant à la charge du fonds servant; mais on citerait le cas de la charge d'entretenir une digue destinée à préserver le fonds inférieur du débordement des eaux supérieures, ou celui de la charge d'entretenir le mur de soutènement d'une haute terrasse du fonds supérieur. Dans le premier cas, l'abandon de la digue ellemême placée sur le fonds assujetti n'aurait aucune utilité pour le fonds dominant, et dans le second cas, le mûr à entretenir appartenant, en général, au fonds dominant et supérieur, l'abandon ne pourrait lui en être fait; il faudrait bien abandonner le fonds assujetti tout entier.