Projet de code civil pour l'Empire du Japon
参考原資料
- Projet de code civil pour l'Empire du Japon. Accompagne d'un commentaire. , TOME DEUXIÈME. [国立国会図書館デジタルコレクション]
備考
- この他に,合本版も存在する.
DU BAIL, DE L'EMPHYTÉOSE ET DE LA SUPERFICIE.
DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES.
121. Le Bail ou louage d'une chose corporelle, mobilière ou immobilière, donne au preneur le droit d'user et de jouir de la chose louée, pendant un certain temps, moyennant une somme d'argent ou autre valeur qu'il s'engage à fournir périodiquement au bailleur; sans préjudice des obligations respectives dont les parties sont tenues en vertu de la convention ou par l'effet de la loi, telles qu'elles sont déterminées aux sections II et III ci-après.
La loi commence ce chapitre, comme les précédents, par une définition du Droit dont il va être traité.
Le fait seul, par la loi, d'avoir placé le droit résultant du bail dans cette 1re partie du Livre II, prouve que le Projet japonais le. classe parmi les droits réels.
En France, et dans les autres pays qui ont suivi surtout le droit romain, le droit du preneur est considéré comme un simple droit personnel comme un droit de créance contre le bailleur et qui n'affecte pas la chose louée; au moins, c'est l'opinion générale: mais il y a des divergences d'opinion et les textes ne sont pas sans laisser des doutes à cet égard. La loi française, notamment, a donné au preneur un des avantages du droit réel, le plus considérable: elle a rendu son droit opposable aux sous-acquéreurs, quoiqu'il n'ait pas traité avec ceux-ci (v. code civ. art. 1743). Plusieurs auteurs en ont conclu que le code civil avait, à cet égard, transformé l'ancienne nature du droit du preneur en un droit réel.
Cette opinion, difficile à admettre sous le code civil, n'a rien de contraire à la raison. IL est, au contraire, favorable aux intérêts économiques du pays de donner au preneur tous les avantages du droit réel.
Le Projet japonais, en fortifiant le droit du preneur, en lui donnant une plus grande stabilité encore que celle qu'il a en France et ailleurs, favorisera l'agriculture, dans le louage des terres, et le commerce et l'industrie, dans le louage dos maisons.
On indiquera, chemin faisant, les dispositions du Projet qui sont les conséquences de la réalité du droit.
On va reprendre maintenant la définition donnée par ce premier article.
D'abord la loi ne s'occupe ici que du louage des choses corporelles.
Il existe un louage de choses incorporelles, le louage d'ouvrage ou d'industrie et le louage de services.
Ces deux sortes de louage peuvent avoir et ont certainement des points de ressemblance avec le louage des choses corporelles; mais une grande différence les sépare': il est clair que le louage d'ouvrage et le louage do services ne peuvent donner au preneur un droit réel, un droit sur la chose louée: ce ne peut être qu un droit contre la personne de celui qui a promis son travail industriel ou ses services.
La loi traitera de cette autre espèce de louage, parmi ceux des contrats qui no produisent que des droits personnels.
Le preneur d'une chose corporelle a un droit très-voisin du droit d'usufruit: il peut, de même que l'usufruitier, user et jouir de la chose d'autrui, et son droit a, sauf quelques particularités, la même étendue et les mêmes limites que l'usufruit: aussi, doit-on compléter les dispositions du présent chapitre par celles du chapitre précédent. La loi, elle-même, s'y réfère plus d'une fois et ces renvois ne sont pas limitatifs.
Plusieurs différences cependant séparent le droit du preneur de celui de l'usufruitier. D'abord, quant à la durée: le droit de l'usufruitier est, en général, viager; il a pour durée, la vie de l'usufruitier; le droit du preneur n'a pas ce caractère aléatoire: il est ordinairement établi pour une durée fixée.
Le droit de l'usufruitier est généralement établi à titre gratuit (par donation ou par testament); le droit du preneur est toujours établi à titre onéreux, c'est-à-dire moyennant un sacrifice du preneur.
Lors même que l'usufruit est établi à titre onéreux, il y a encore une différence: l'usufruit établi à titre onéreux le sera moyennant un prix de vente, une fois payé, ou moyennant une chose fournie en échange; le droit du preneur sera acquis et conservé moyennant une prestation périodique en argent on en produits.
Il y a encore une différence entre les deux droits, quand à la manière dont ils s'établissent. L'usufruit est quelquefois établi par la loi; le droit de louage n'est jamais établi que par contrat.
La section suivante (art. 124) mettra cette différence en évidence, dans un cas particulier.
Voici enfin la différence la plus considérable entre les deux droits:
Le constituant d'un usufruit n'est, en général, tenu d'aucune obligation personnelle envers l'usufruitier; ce n'est qu'au cas, assez rare, de vente de l'usufruit, qu'il aurait l'obligation de tout vendeur, de garantir l'acheteur contre l'éviction.
Au contraire, le bailleur est toujours obligé envers le preneur, à le garantir non seulement de l'éviction, mais encore de tout autre trouble, provenant même d'un cas fortuit ou d'une force majeure. En d'autres termes, il doit lui garantir une jouissance continue, laquelle est considérée comme la cause de l'obligation du preneur de payer une redevance.
Sans doute, les parties peuvent, par la convention, restreindre ou supprimer cette garantie; mais, à défaut de convention, elle est due au preneur; C'est pourquoi on dit qu'elle n'est pas essentielle, mais naturelle au contrat.
Dans la constitution d'usufruit, la garantie de la jouissance contre les cas fortuits ou la force majeure n'aurait lieu que si elle avait été stipulée: on dirait alors qu'elle est accidentelle à l'usufruit.
122. Les droits et obligations qui naissent du contrat de louage d'ouvrage ou d'industrie et du louage de services sont réglés au Livre IIIe.
123. Les règles particulières aux baux des biens de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics sont portées par les lois administratives.
Dans tous les pays, il y a des règles particulières pour la location et la vente des biens de l'Etat et dos administrations publiques; sans parler des biens dits du domaine public, qui, en principe ne peuvent être vendus ni loués.
Ce sont les lois administratives qui posent partout et poseront au Japon les règles dont parle cet article.
Ce n'est pas à dire que le présent code n'y sera d'aucune application. Au contraire, il sera toujours la loi fondamentale des ventes et des baux; mais le fonctionnaire dans les attributions duquel rentrera le soin de passer le contrat et d'en régler les clauses et les conditions sera ordinairement obligé de prendre préalablement l'avis de certains conseils, et le prix de vente ou de louage, au lieu d'être débattu entre le fonctionnaire et l'acheteur ou le preneur, sera ordinairement obtenu par la mise aux enchères publiques.
Le code civil ne peut ici que faire un renvoi à des lois administratives qui ne sont pas encore toutes définitives; car, en matière administrative, les changements sont fréquents et inévitables.
On trouvera plus loin, en dehors des quatre sections formant ce chapitre, des règles particulières sur des baux d'un caractère spécial, l'Emphytéose et la Superficie.
La loi posera aussi, au livre IIP, quelques règles particulières au bail d'animaux de bétail, appelé en France bail à cheptel.
Ce contrat, encore peu usité au Japon, y prendra, sans doute, des développements, lorsque les progrès de l'agriculture auront rendu plus général l'élevage des bêtes à corne et à laine qui sont une des grandes sources do la richesse en Europe.
SECTION PREMIÈRE. DE L'ÉTABLISSEMENT DU DROIT DE BAIL.
124. Le droit de bail s'établit par le contrat de bail ou de louage.
Dans le cas où le droit de bail aurait été légué par testament, l'héritier devrait passer avec le légataire un contrat de bail aux clauses et conditions portées dans le testament.
Il en serait de même dans le cas d'une promesse de bail: le promettant devrait passer un contrat de bail au stipulant.
Cette disposition de la loi, n'indiquant qu'un mode de constitution ou d'établissement du droit do bail, n'est pas limitative, ce qui serait arbitraire: ce n'est qu'une énonciation du seul mode raisonnable d'établir ce droit. En fait, on n'en comprendrait guère d'autre que le contrat auquel le droit donne son nom: le contrat de bail ou de louage.
C'est une des différences signalées plus haut entre le droit de bail et le droit d'usufruit, lequel peut s'établir par les mêmes modes que ceux qui transfèrent la propriété.
Il ne faudrait pas croire, en effet, que parcequ'un droit est réel et peut être considéré comme un démembrement de la propriété, il s'établisse nécessairement comme celle-ci.
Quand on s'occupera de l'hypothèque, droit réel aussi, servant de garantie d'une obligation, on verra que, à part les cas où elle est établie par la loi, il n'y a qu'une seule convention qui puisse l'établir, la convention même d'hypothèque, sans qu'elle ait d'autre nom.
La loi a cru devoir indiquer comment il faudrait procéder, si quelqu'un, en mourant avait légué un droit de bail à un parent ou à un ami.
Dans ce cas, l'héritier sera obligé par le testament à passer un contrat de bail. Jusque là, il n'est pas encore bailleur, et il n'a aucun des droits du bailleur; quand il aura passé le contrat, aux clauses et conditions portées au testament, il aura les obligations assez étendues qu'on verra à la section suivante; il aura aussi les droits déterminés à la section IIIe.
Si le testament ne portait pas les conditions du bail, notamment le prix à payer périodiquement par le preneur, il serait difficile de donner effet au testament, car l'héritier pourrait toujours exiger un prix auquel le preneur ne pourrait consentir.
La loi généralise ensuite cette disposition en l'appliquant à toute promesse de bail. Cette promesse serait obligatoire si elle contenait en même temps l'indication du prix de bail.
Une fois que le stipulant aurait déclaré l'accepter, il aurait le droit d'exiger un contrat de bail en bonne forme.
Un cas qui pourra se présenter assez souvent dans la pratique au Japon, comme en France, c'est celui où un associé a promis d'apporter à la société pour sa mise, la jouissance à titre de bail d'un de ses biens; on comprendrait à la rigueur que l'acte de société déterminât les droits et devoirs respectifs du bailleur et do la société considérée comme preneur; mais il serait préférable de dresser un acte séparé conférant à la société le droit de bail.
Un des avantages de cet acte séparé serait la plus grande facilité de donner an bail la publicité que la loi exigera bientôt pour que les droits réels soient opposables aux tiers.
Il faut remarquer, sur ce cas, d'un apport social consistant dans un droit de bail, que le bailleur n aurait pas à recevoir de loyers comme dans un bail ordinaire; autrement, il ne ferait aucun apport utile à la société.
Les articles 1851 et 1867 du code civil font allusion au cas où un associé a promis de mettre en société la jouissance d'un de ses biens.
On pourrait se demander, enfin, si le droit de bail peut s'acquérir par prescription, comme le droit de propriété et le droit d'usufruit.
Il ne faut pas hésiter à répondre négativement.
D'abord, il faut bien déterminer quelle serait l'hypothèse où la question pourrait se présenter.
Ce ne serait pas le cas où quelqu'un se serait mis sans titre en possession d'un fonds appartenant à autrui et l'aurait conservé pendant 30 ans, à titre de preneur.
Il est clair qu'un individu, faisant ainsi un acte d'usurpation, prendrait plutôt la qualité de propriétaire que celle de locataire ou fermier: du moment qu'il agirait avec mauvaise foi, il la pousserait jusqu'au bout.
Mais, supposons qu'une personne ait a pris à loyer ou à ferme une maison ou une terre, traitant avec un autre que le vrai propriétaire, alors qu'elle ignorait ce défaut de qualité essentielle chez lui; admettons même qu'elle ne l'ignorât pas; supposons aussi qu'elle a pris possession de la chose louée; il semble au premier abord, que dans ce cas, le locataire étant possesseur, de bonne ou de mauvaise foi, du droit réel de bail, l'acquierra par dix ans, dans le premier cas, et par trente ans dans le second, comme il aequierrait un droit d'usufruit; mais il n'en est rien.
Le bail, une fois constitué produit, pour le preneur, le droit d'exiger du bailleur qu'il lui procure une jouissance continue de la chose. Or, un pareil droit, qui est personnel, ne peut s'acquérir par prescription: les créances n'ont que cinq causes parmi lesquelles ne figure pas et ne peut figurer la prescription.
En effet, la prescription asquisitive d'un droit en suppose la possession ou l'exercice (c. civ. art. 2228); or, on ne possède pas, à proprement parler, un droit de créance, lequel ne met pas le créancier en rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne du débiteur, et encore, ce rapport n'a-t-il jamais la continuité nécessaire à la prescription.
Il y a encore un autre effet du bail qui ne pourrait naître de la prescription: le preneur se soumet à l'obligation de fournir au bailleur des prestations périodiques, ce qui le sépare profondément de l'usufruitier qui, lorsmême que son droit n'est pas établi gratuitement, ne fournit la contre-valeur qu'une seule fois.
Or, il n'est pas possible que la prescription, qui dans une de ses applications est libératoire ou extinctive d'obligations, en devienne jamais en sens inverse, productive, pour celui qui prescrit.
Tous ces résultats se trouveraient donc contraires à la nature de la prescription. Remarquons, en terminant, que la création, par la prescription, des droits et obligations du preneur, rencontre un autre obstacle dans l'impossibilité de déterminer la personne contre laquelle il aurait ces droits et envers laquelle il serait obligé.
Serait-ce envers le bailleur, avec lequel il avait fait le contrat irrégulier à l'origine, ou envers le vrai propriétaire, contre lequel il aurait acquis le droit réel de bail? Ce ne pourrait être envers le bailleur; car il ne peut lui devoir de loyers pour la jouissance d'une chose qui est désormais reconnue appartenir à autrui; il ne peut davantage lui demander de lui garantir la jouissance continue d'une pareille chose.
Ce ne pourrait davantage être vis-à-vis du vrai propriétaire; car ce n'est pas avec celui-ci qu'il a eu pendant le temps de la prescription, les rapports de débiteur à créancier.
Concluons que l'établissement du bail par la prescription répugne à toute raison; aussi n'a-t-il jamais été soutenu par aucun jurisconsulte, et, par cela même, aucun n'en a jusqu'ici réfuté la proposition.
125. Le contrat de bail des choses est soumis aux règles générales des contrats à titre onéreux et synallagmatique, sauf les dérogations ci-après.
La loi rencontre ici, pour la première fois, un contrat dont le double caractère onéreux et synallagmatique a une grande importance juridique.
Elle n'a pas à en présenter ici les effets généraux; ils seront longuement développés au Livre IIIe. Ce que la loi doit faire ici c'est présenter les règles particulières à ce contrat. En cela même, la loi dépasse les limites du sujet; car elle ne se borne pas à exposer les particularités du droit réel de bail, elle présente aussi les droits personnels qui l'accompagnent et l'étendent.
Les lois sont souvent obligées de s'écarter d'une méthode rigoureuse, pour éviter de morceller, de diviser des théories qui se trouvent plus claires quand elles sont présentées dans leur ensemble.
On expliquera seulement ici le sens des deux expressions à titre onéreux et synallagmatique.
Un contrat est à titre onéreux (onéreux, du latin onus, charge), lorsque chaque partie y fait un sacrifice en faveur de l'autre: c'est l'opposé d'un contrat à titre gratuit où l'une dos parties reçoit un avantage, sans fournir aucun équivalent.
Le contrat est synallagmatique (mot tiré de deux mots grecs signifiant: lier ensemble) ou bilatéral (mot tiré de deux mots latins signifiant: qui a deux côtés), lorsque les deux parties s'engagent, l'une envers l'autre, à donner ou à faire quelque chose. Il en résulte que le contrat est en même temps onéreux en sorte que la qualification de synallagmatique pourrait dispenser d'employer la première.
Mais comme la réciproque n'est pas toujours vraie, comme un contrat à titre onéreux n'est pas toujours synallagmatique, ainsi qu'on le verra au Livre III, l'usage a consacré les deux mots et leur emploi tantôt réuni, tantôt séparé, pourvu qu'on ait soin d'employer d'abord le mot le moins large (à titre onéreux) et le mot synallagmatique en dernier.
126. Les administrateurs légaux ou judiciaires de la chose d'autrui peuvent la donner à bail;
Toutefois, le bail par eux consenti sans un pouvoir spécial, quant à la durée, ne peut excéder:
Deux ans, s'il s'agit d'un animal ou d'un autre objet mobilier.
Cinq ans, s'il s'agit d'un bâtiment d'habitation, d'un magasin ou d'une autre construction;
Dix ans, s'il s'agit d'une terre labourable, d'un bois, d'un étang, d'une carrière ou d'une autre partie du sol.
On doit poser en règle que le propriétaire seul peut grever sa chose d'un droit réel au profit d'autrui.
Mais, ceux qui ont reçu de la loi ou de la justice le pouvoir d'administrer des biens qui ne leur appartiennent pas peuvent consentir des baux sur ces biens.
Ce n'est pas, à proprement parler, une exception; car ces administrateurs sont assimilés à des mandataires conventionnels et ils sont considérés comme agissant selon l'intention du propriétaire, au nom duquel, d'ailleurs, ils font le contrat.
Comme exemples d'administrateurs légaux, on peut citer le père ou le tuteur d'un mineur, le tuteur ou le curateur d'un interdit, et le mari, à l'égard des biens de sa femme; il faut y ajouter les fonctionnaires publics, administrateurs des biens de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics; sauf à n'appliquer à ceux-ci les présentes règles que si les lois administratives ne statuent pas autrement.
Comme exemples d'administrateurs judiciaires, on aura les curateurs aux successions vacantes, les syndics de faillite, les séquestres de biens litigieux.
Pour que ces personnes puissent être considérées agissant selon l'intention présumée du propriétaire, il est naturel qu'elles ne grèvent pas la chose pour un trop long temps, qu'elles n'engagent pas trop l'avenir. Delà, les limites apportées par la loi à la durée des baux par elles consentis.
Il était naturel que le temps fût plus court pour les meubles que pour les immeubles et que, parmi ces derniers, il fût plus court pour les bâtiments que pour le sol, lequel demande toujours de plus longs et de plus coûteux travaux préparatoires pour donner des revenus sérieux.
127. L'administrateur ne peut renouveler les baux, pour une même durée, que trois mois, six mois, ou un an, avant l'expiration de la précédente période, suivant la distinction des choses louées, portée à l'article précédent.
Sans cette précaution de la loi, il serait facile d'éluder l'article précédent. L'administrateur après avoir passé un bail de 5 ans, par exemple, le renouvelerait au bout d'un an, pour 5 autres années, ce qui serait abusif à l'excès.
Si, au contraire, le renouvellement se fait quelque temps avant l'expiration du bail, il y a, pour les deux parties, un avantage véritable; il y a une sécurité contre le risque, pour le propriétaire, que le bien soit quelque temps sans preneur et, pour le preneur, que ses bras ou ses capitaux soient pendant un certain temps inoccupés.
Quand la relocation est régulière, le temps du nouveau bail s'ajoute à ce qui restait à courir du temps antérieur.
Une question pourrait se présenter sur cet article. Si l'administrateur avait renouvelé le bail avant le temps permis, ne pourrait-on pas déclarer le renouvellement valable dans la mesure du temps où le bail primitif a pu être fait, c'est -à-dire en ne comptant le renouvellement que pour le temps qui, joint à ce qui restait à courir du premier bail, donnerait 2, 5 ou 10 ans? Par exemple, le bail a été fait d'abord pour 5 ans; l'administrateur le renouvelle après 2 ans, il reste encore 3 ans à courir; pourrait-on dire que le restant de l'ancien bail se confond avec le nouveau et qu'il y a encore 5 ans de bail ?
Il faudrait répondre négativement, car l'administrateur pourrait ainsi, par complaisance pour le preneur, immobiliser le bail, le soustraire à l'effet du temps qui doit l'abréger chaque jour et préparer pour un avenir plus ou moins rapproché la liberté du fonds.
On pourrait seulement admette, comme la loi française (art. 1430), que si le bail a été renouvelé préma turément, mais que la nouvelle période soit commencée quand finit le pouvoir de l'administrateur, cette période pourra être achevée.
Dans ce cas, l'acte de l'administrateur s'est trouvé utile et comme il aurait pu être valablement fait au moment où l'administration finit, ou ne contestera pas sa légalité.
128. L'administrateur de la chose d'autrui ne peut louer moyennant une valeur autre que l'argent;
Toutefois, s'il s'agit d'une culture de riz ou d'autres grains, le prix du bail peut être stipulé payable pour moitié en produits du fonds, d'après la valeur locale courante; sauf au preneur à effectuer le payement total en argent, s'il le préfère.
Lorsque le propriétaire fait lui-même la location, il peut, bien entendu, consentir à recevoir toute autre prestation annuelle que de l'argent; mais un administrateur ne peut raisonnablement admettre des prestations en produits variés dont la vente et même la conservation pourraient être souvent difficiles.
La loi fait exception pour les prestations en riz et autres grains dont la conservation et la vente sont faciles en tout temps et en tout lieux; mais encore, la loi apporte-t-elle deux limites à cette faculté de stipuler des prestations en grains:
1° Il faut que ces grains soient tirés du fonds lui-même; c'est le seul cas où le preneur ait un intérêt légitime à user de ce mode de payement;
2° Il faut que ces prestations n'excèdent pas la moitié du prix total, lequel aura toujours dû être préalablement fixé en argent; ces prestations seront comptées d'après la valeur courante locale, au temps fixé pour le payement.
De cette façon, le preneur n'aura ni chance de gain ni risque de perte; ce n'est qu'un mode plus simple pour lui de se libérer.
Le propriétaire également n'est pas exposé à perdre et n'a pas chance de gagner.
La loi réserve au preneur le droit de se libérer du tout en argent; mais il ne pourrait y être contraint.
On pourrait se demander d'après quel lieu sera fixée la valeur courante: sera-ce d'après le lieu même où les produits sont récoltés, ou d'après la ville où se tient le marché public le plus proche, qui est, en même temps, le lieu où il y a un cours constaté pour le prix des grains ?
Ce dernier lieu doit évidemment être adopté comme régulateur; seulement le bailleur aurait le droit de déduire de ce prix le montant des frais de transport du lieu de production au lieu du marché. car ces frais entrent toujours pour une certaine part dans la détermination des prix courants.
129. Les règles posées aux trois articles précédents s'appliquent aux mandataires ou administrateurs conventionnels, soit généraux, soit spéciaux; à moins que le mandat n'ait étendu ou restreint leurs pouvoirs par écrit.
La loi aurait pu. sans doute, réunir tons les mandataires dans une même disposition, en ajoutant, dans l'article 126, les mandataires conventionnels; mais c'eût été en compliquer la rédaction. D'ailleurs, l'extension ou la restriction des pouvoirs, que la loi suppose ici, ne se pratiquera guère dans le cas de mandat légal ou judiciaire.
130. Les mineurs émancipés et les femmes mariées ayant l'administration de leurs biens ne peuvent les donner à bail qu'aux mêmes conditions que les administrateurs de la chose d'autrui.
Les personnes dont il s'agit ici n'ont qu'une capacité limitée: elles ont l'administration de leurs biens; mais elles n'en ont pas la disposition.
Si la loi leur avait permis de faire dos baux à long ternie, elles auraient pu, par faiblesse ou inexpérience, engager l'avenir pour un temps trop long et à des conditions peu avantageuses.
L'incapacité partielle est encore une protection.
131. Le preneur ne pourra demander la nullité ou la réduction des baux ou des renouvellements de baux contraires aux articles précédents, si le propriétaire étant maître de ses droits, déclare les ratifier.
Il pourra seulement, à toute époque, requérir le propriétaire de déclarer sa volonté à cet égard dans un délai de 8, 15 ou 30 jours, suivant la nature de l'objet loué, telle qu'elle est distinguée à l'art. 126. Si le propriétaire refuse de se prononcer, le preneur pourra déclarer qu'il maintient la durée du bail telle qu'elle a été fixée antérieurement.
C'est un principe qui sera posé à l'occasion des incapacités, en général, et dont la loi fait ici l'application anticipée, que ceux qui ont traité avec les incapables ne peuvent se prévaloir d'une nullité qui n'est pas établie en leur faveur, mais contre eux.
Or, lors qu'un administrateur a excédé ses pouvoirs, quant à la durée du bail, il ressemble à celui qui. dans l'administration de sa propre chose, a excédé les bornes de sa capacité, et le propriétaire, en faveur duquel les pouvoirs de l'administrateur sont limités n'est pas tenu par les actes illégaux; mais comme celui qui a traité avec l'administrateur avait une pleine capacité (on le suppose ici), il ne peut se soustraire à son propre engagement. si le propriétaire, ayant repris l'administration de ses droits, veut le ratifier, l'approuver.
D'un autre côté, il ne serait pas juste que le propriétaire put laisser l'autre partie dans une incertitude indéfinie: celle-ci peut donc le sommer d'avoir à se prononcer dans un délai déterminé, faute de quoi, elle pourra considérer le contrat comme maintenu.
Les formes de cette sommation et de la déclaration qui ensuite maintiendra le contrat ne sont pas déterminées ici: elles seront établies d'une manière générale au Code de Procédure civile.
Pour que le preneur ne puisse fixer au propriétaire un délai d'une brièveté dérisoire qui obligerait, plus tard, à renouveler la sommation, avec un délai fixé par le tribunal, la loi fixe elle-même le délai: à 8 jours, pour les meubles, à 15 jours pour les bâtiments et à 1 mois pour les terres; ce délai serait augmenté du délai des distances entre les domiciles respectifs des parties
Tout ce qu'on vient de dire d'un propriétaire dont l'administrateur ou le mandataire aurait excédé ses pouvoirs s'applique à un incapable ou à une personne d'une capacité limitée qui aurait excédé les bornes de sa capacité. Mais bien entendu, il faut supposer qu'au moment où cette personne est sommée d'avoir à se prononcer sur le bail, elle est devenue pleinement capable, de même qu'on supposait que le propriétaire avait recouvré l'administration de ses biens.
Si les pouvoirs de l'administrateur légal ou judiciaire n'avaient pas cessé ou si le propriétaire n'avait pas acquis une pleine capacité, le preneur, en cas de bail d'une durée illégale, pourrait lui faire pareille sommation, lorsque l'on serait arrivé à l'époque où le bail pourrait être valablement renouvelé.
132. Lorsque les baux d'immeubles faits par le propriétaire excèdent trente années, ils deviennent des baux emphytéotiques et sont soumis aux règles particulières établies ci-après pour ces sortes de baux.
SECTION II. DES DROITS DU PRENEUR À BAIL.
La loi ne peut guère limiter les droits d'un propriétaire capable, quant à la durée et aux conditions des baux qu'il consent lui-même.
Toutefois, elle peut toujours assigner à ces baux des effets particuliers, lorsqu'ils ont une durée considérable.
On verra dans un Appendice, les règles particulières aux baux emphytéotiques; on y verra aussi que l'emphytéose elle-même a des limites dans sa durée, pour ne pas se confondre avec le droit de propriété.
C'est à la suite des règles du bail emphytéotique qu'on trouvera celles du droit de superficie.
SECTION II.
DES DROITS DU PRETEUR À BAIL.
133. Le preneur peut tirer de la chose louée les mêmes profits et avantages qu'un usufruitier, sauf les restrictions ou extensions qui peuvent avoir été apportées à ses droits par l'acte constitutif du bail et celles qui résultent des dispositions de la loi.
La définition du droit do bail donnée par l'article premier disait déjà que le preneur a le droit d'user et de jouir de la chose d'autrui; mais l'usage et la jouissance peuvent être exercés avec plus ou moins d'étendue.
La loi a évité des redites, en posant on principe que les droits du preneur sont semblables à ceux d'un usufruitier. Mais ces deux droits, pour être analogues, ne sont pas identiques; celui du preneur est moins étendu à certains égards; notamment, quant à la durée, qui n'est pas colle de la vie du preneur, mais qui peut aussi la dépasser, et il est plus étendu à d'autres égards, car le preneur peut exiger que le bailleur lui procure la jouissance par tous les moyens qui sont en son pouvoir.
Le contrat contiendra souvent des clauses particulières qui étendront ou restreindront les effets légaux du bail.
Il n'est évidemment question ici que de ces effets légaux. A l'égard des effets conventionnels, ils seront observés suivant la teneur du contrat, lequel, lorsqu'il est valablement formé, “tient lieu de loi entre les parties.”
134. Le preneur peut se faire mettre par le bailleur en possession de la chose louée, à l'époque fixée pour l'entrée en jouissance, sans être tenu de faire un inventaire ou un état des biens, ni de donner caution, à moins que le contrat ne l'y oblige.
Ceci est une différence favorable au preneur comparé à l'usufruitier: elle est fondée sur ce que le droit du preneur étant acquis à titre onéreux, il n'est pas juste de lui imposer exclusivement la charge d'une série de mesures qui profiteraient surtout au bailleur.
Mais si le contrat avait imposé ces obligations au preneur, elles seraient naturellement exigibles.
Dans tons les cas, chacune des parties pourra faire procéder à l'inventaire ou à l'état des biens, à ses frais, en appelant l'autre partie à y être présente.
Le plus souvent, les parties conviendront de faire, à frais communs, un état des lieux pour se mettre à l'abri de contestations ultérieures.
135. Il peut exiger que le bailleur, avant la délivrance, mette la chose en bon état de réparations de toute nature, suivant sa destination.
Le bailleur est tenu, en outre, pendant la durée du bail, de faire toutes les réparations, grosses et d'entretien, autres que celles qui sont rendues nécessaires par la faute ou la négligence du preneur et de ses serviteurs, lesquelles restent à la charge du preneur.
Le bailleur n'est pas tenu, pendant la durée du bail, de supporter l'entretien des tatamis, des karakamis, des chojis, ni des papiers de tenture.
Il n'est pas tenu, non plus, du curage des puits ni des conduites d'eaux pluviales ou ménagères.
Cette section, par cela même qu'elle est consacrée aux droits du preneur, correspond aux obligations du bailleur, comme la section suivante, consacrée aux obligations du preneur, correspond aux droits du bailleur; ce double objet de chaque section est la conséquence de ce que le contrat de louage est synallagmatique ou bilatéral.
On a vu que l'usufruitier, au moment do son entrée en jouissance, prend les choses dans l'état où elles sont, sans pouvoir exiger aucune réparation.
Il en est autrement du preneur qui peut exiger, au début, que la chose soit mise en bon état de réparations, même de celles qu'il aura à supporter, lorsqu'elles deviendront nécessaires pendant sa jouissance. Cette obligation du bailleur, corrélative au droit du preneur, est une conséquence de son obligation, plus générale, de procurer et garantir au preneur la jouissance de la chose louée, pendant toute la durée du bail.
Mais les réparations rendues nécessaires par la faute du preneur sont évidemment à sa charge.
A l'égard de l'entretien des objets mentionnés aux 3e et 4e alinéas, il ne faut pas conclure de ce que le bailleur en est dispensé que le preneur en soit tenu. C'est pour lui une dépense facultative.
Si, au moment où finit le bail, ces objets sont usés, salis ou gâtés, le bailleur ne pourra en demander au preneur la réparation que si l'altération ou la dégradation n'est pas justifiée par le seul fait de leur service, eu égard à sa durée.
136. Le bailleur peut faire aux bâtiments les grosses réparations devenues nécessaires, lors même que le preneur ne les exigerait pas et qu'il en devrait résulter pour lui quelque inconvénient.
Toutefois, si les réparations durent plus d'un mois, le preneur devra être indemnisé, s'il y a lieu; il pourra même faire résilier le bail, si les réparations le privent, pendant un temps quelconque, de toute la partie habitable de la chose louée ou de celle qui lui est absolument nécessaire pour son commerce ou son industrie.
D'après l'article précédent, le preneur a le droit d'exiger les réparations nécessaires à sa jouissance; mais il pourrait se rencontrer des cas où le preneur, approchant de la fin de son bail, voudrait s'épargner les embarras d'un travail souvent long et incommode.
D'un autre côté, si certaines réparations ne sont pas faites, les bâtiments, murs, digues, peuvent se dégrader gravement ou même se détruire. La loi impose donc au preneur l'obligation de subir les réparations devenues nécessaires.
Mais il ne fallait pas complètement abandonner le principe qu'il a droit à la garantie de sa jouissance; la loi veut donc:
1° Qu'il soit indemnisé, si les travaux ont duré plus d'un mois et lui ont causé un dommage appréciable;
2° Qu'il puisse faire résoudre ou résilier le bail, s'il est privé par les travaux, même pendant un jour, de toute la partie habitable de la maison, ce qui l'obligerait à aller habiter au dehors, ou de la partie des bâtiments qui lui est nécessaire pour sa profession, ce qui peut lui causer des pertes sérieuses.
On n'a pas à craindre que le preneur abuse de ce droit de résiliation, quand la privation des bâtiments nécessaires sera très-courte, car la résiliation causerait elle-même au preneur les embarras d'un déplacement; en outre, le bailleur, s'il craint la résiliation, pourra, ou demander au preneur un plein consentement aux travaux, ou les ajourner à la fin du bail, si le danger n'est pas imminent.
Cet article pourrait sembler appartenir à la section suivante, aux obligations du preneur, mais, outre qu'on y trouve aussi, pour lui, un double droit, il a paru convenable de ne pas diviser ce qui concerne les réparations de la chose louée.
137. Si le preneur éprouve, par le fait d'un tiers, quelque trouble ou contestation de droit à sa jouissance, pour une cause qui ne lui soit pas imputable, le bailleur, dûment averti par lui, doit intervenir et en garantir le preneur.
Le preneur, ayant un droit réel, pourrait défendre lui-même son droit en justice, à la différence de ce qui a lieu en France, où le droit du preneur, n'étant pas réel, ne peut être défendu que par le bailleur (c. civ. art. 1727).
Mais il fera sagement do ne pas prendre sur lui la responsabilité du procès; il pourrait s'imputer de l'avoir perdu faute des preuves que le bailleur, au contraire, pourrait fournir contre le tiers. Il rentre dans l'obligation générale de garantie du bailleur de défendre le preneur contre les troubles de droit.
La loi suppose que le trouble apporté par un tiers a une cause de droit, une cause prétendue légitime; comme serait un droit de propriété, d'usufruit, ou de bail antérieur sur la chose louée; mais si le tiers commettait des dégradations, des vols de fruits ou des abus do voisinage, sans alléguer un droit sur la chose, le preneur ne pourrait pas appeler le bailleur en garantie, il devrait se défendre lui-même.
Il ne pourrait non plus se faire indemniser du trouble, s'il provenait d'une cause à lui imputable, comme d'une prétendue cession ou sous-location qu'un tiers prétendrait lui avoir été faite par le preneur.
138. Si le trouble provient d'une force majeure, telle que guerre, inondation, incendie, ou d'une mesure légitime de l'autorité publique, et que le preneur en éprouve une perte du tiers de la jouissance ou des profits annuels, ou au delà, il peut obtenir une réduction proportionnelle du prix du bail.
Le preneur peut même faire résilier le bail, si ledit trouble a duré trois années consécutives, et même, au cas d'incendie ou d'autre destruction des bâtiments, si le propriétaire ne les a pas rétablis dans l'année de la destruction.
Bien que le preneur soit garant, d'une manière générale, do la jouissance du preneur, la loi a dû apporter quelque tempérament à la règle, quand la perte de jouissance provient d'une force majeure extraordinaire et grave, comme elle est déterminée par cet article.
La loi a pris une sorte de moyen terme entre deux solutions extrêmes dont l'une aurait mis la perte exclusivement à la charge du preneur et l'autre à la charge du bailleur.
Si la perte est inférieure à un tiers des profits annuels (ce qui comprend le bénéfice de l'habitation autant que les produits du sol), elle restera à la charge du preneur.
Si elle est d'un tiers ou davantage, elle retombera sur le bailleur qui subira une diminution du prix du bail, proportionnellement à cette perte.
Cette indemnité au profit du preneur n'aurait pas lieu, si le prix du bail consistait en une quote-part des fruits du fonds; parceque, la perte, si minime qu'elle fût, retomberait sur le bailleur eu proportion de ses droits.
Dans tous les cas, la perte des fruits survenue après qu'ils sont séparés du sol est à la charge du preneur, à mois que le bailleur ne fût en demeure de recevoir sa part.
La loi prévoit ensuite que le trouble apporté ainsi à la jouissance, par une force majeure, a duré trois années consécutives, alors le preneur, bien qu'il ait été indemnisé chaque année, au moyen d'une diminution du prix do bail, se trouvant privé d'une partie des bénéfices ou avantages espérés, peut faire résilier le bail pour l'avenir.
On pourrait s'étonner qu'il ait le droit de résiliation quand il a été indemnisé pour trois portes successives d'un tiers, et qu'il n'ait pas le même droit, quand il n'a pas eu d'indemnité, à raison de ce que, les pertes étaient inférieures à un tiers. Mais, du moment que la perte est assez minime pour ne pas donner lieu à indemnité, (et aux yeux de la loi, un tiers est une perte minime) la conséquence nécessaire est qu'il y a encore moins lieu à résiliation.
Enfin, la loi suppose que des bâtiments ont été incendiés ou détruits par force majeure, et ces bâtiments représentaient le tiers de la jouissance annuelle; alors, il n'est pas nécessaire que la privation de jouissance ait duré trois ans; comme il dépend du bailleur de les relever plus ou moins promptement, la loi permet la résiliation au profit du preneur, si la reconstruction n'a pas eu lieu dans l'année.
139. Si dans un bail ayant pour objet principal un sol, il se trouve une contenance moindre que celle annoncée au contrat, le preneur peut faire résilier le bail aux mêmes conditions que l'acheteur d'un terrain peut en faire résilier la vente pour défaut de contenance.
Il arrive souvent que les parties ne font pas procéder au mesurage des terrains avant de traiter: le preneur s'en rapporte à la déclaration du bailleur; mais celui-ci peut se tromper, et cette erreur peut être quelquefois assez grave pour constituer une perte considérable pour le preneur. La loi n'entre ici dans aucune des distinctions que comporte celte question, elle renvoie au titre de la Vente, où la même difficulté se présentera et où les distinctions nécessaires seront établies.
140. Si le bail d'un bâtiment a été fait pour l'exercice d'un commerce de détail et que le bailleur ait conservé une partie de bâtiments contigüs ou situés dans la même enceinte, il ne peut la louer à un autre ou l'occuper lui-même pour l'exercice du même commerce.
C'est encore ici une conséquence de la garantie de jouissance que le bailleur doit au preneur. Il est clair que si, après avoir loué des bâtiments, sachant qu'ils devaient servir à un commerce de détail, le bailleur expose le preneur à une concurrence venant soit de lui-même soit d'un autre preneur, dans les mêmes locaux, il manque à son obligation.
Il en serait autrement, si le bailleur exerçait déjà le même commerce antérieurement au louage; et, si ledit commerce était déjà exercé par un premier preneur dans les mêmes lieux, c'est celui-ci et non le second preneur qui pourrait se plaindre.
La loi ne statue ici que pour le commerce de détail et non pour le commerce en gros ou demi-gros (gros et détail); car, pour le commerce on gros ou demi-gros, le voisinage des mêmes marchands, loin d'étre un inconvénient est un avantage; dans les grandes villes, chaque genre de commerce en gros a son quartier principal; la clientèle du grand commerce n'étant pas dans le voisinage, mais dans toute la ville et même au dehors, il n'y a aucun inconvénient à ce que les marchands soient rapprochés les uns les autres; au contraire, ils y trouveront l'avantage de mieux connaître les cours de leur marchandises et de pouvoir s'entendre au sujet do leurs intérêts communs.
141. Le preneur peut faire sur le fonds loué des constructions ou plantations à sa convenance, pourvu qu'il n'apporte aucun changement aux constructions ou plantations existantes, sans le consentement formel du bailleur.
A la fin du bail, il peut enlever lesdites constructions et plantations qu'il a faites, si les choses peuvent être rétablies dans l'état antérieur; sauf la faculté accordée au bailleur par l'article 156.
Bien que le preneur n'ait qu'un droit temporaire sur la chose, il ne peut lui être interdit d‘y faire dos constructions ou dos plantations, du moment qu'il respecte celles qui existent ou qu'il obtient du bailleur l'autorisation de les modifier.
Il doit de même pouvoir enlever lesdites constructions ou plantations, en remettant les choses dans l'état primitif.
Mais si d'anciennes constructions ou plantations ont été supprimées pour faire place aux nouvelles, avec le consentement du bailleur, on peut se demander si le preneur conserve le même droit, quoiqu'il no puisse évidemment rétablir les anciens ouvrages.
Il faudra, en général, maintenir son droit car si le bailleur n'a pas fait à ce sujet de réserves à son profit, c'est qu'il a reconnu que ses anciennes constructions ne dureraient pas au delà du bail
Le bailleur est enfin autorisé à garder les plantations et constructions nouvelles, d'après leur valeur actuelle, estimée par des experts. La loi a inscrit ce droit du bailleur à la fin de la section des obligations du preneur, où on le retrouvera (art. 156).
142. Le preneur peut, s'il n'y a stipulation contraire, céder son bail, à, titre gratuit ou onéreux, ou sous-louer la chose, pour le temps du bail qui reste à courir.
Dans le premier cas, il a les droits d'un donateur ou d'un vendeur et, dans le second cas, ceux d'un bailleur.
Dans l'un et l'autre cas, il reste tenu de ses obligations envers son bailleur, si celui-ci n'a pas fait novation avec le nouveau preneur.
Si le prix du bail consiste en une part de fruits ou produits non convertible en argent, la cession du bail ou la sous-location ne peuvent avoir lieu sans le consentement du bailleur.
Les droits réels ou personnels sont, en général, cessibles. Parmi les droits réels, il n'y a guère que les droits d'usage et d'habitation qui soient exclusivement attachés à la personne et comme tels incessibles (v. art. 116).
Il n'y avait pas de raison d'interdire par la loi, la cession du bail ou la sous-location. Mais le bailleur peut avoir interdit cette faculté au preneur; c'est ce qui pourra arriver dans le cas où il craint des dégradations pour une chose de luxe ou délicate.
La loi prend soin d'indiquer la différence essentielle entre la cession de bail et la sous-location; ce que n'a pas fait le code français (art. 1717) au grand détriment de l'application pratique, sur laquelle on est divisé.
Il est naturel que le preneur ne puisse, par la cession ou la sous-location, se soustraire à ses obligations envers le bailleur: le nouveau preneur peut être embarrassé dans ses affaires; le bailleur n'en doit pas souffrir, à moins qu'il n'ait consenti à l'accepter pour débiteur au lieu et place de l'ancien preneur; c'est ce que la loi appelle novation.
La théorie de la novation appartient à la matière des Obligations et elle y sera développée.
Lorsque le bailleur a droit à une part de fruits, comme prix de bail, le contrat a quelque chose de la société, il est fait en considération de la personne du preneur, do son intelligence et de sa probité; dès lors, la cession ou sous-location est interdite en principe; elle ne peut avoir lieu que. si le bailleur y consent.
143. Le preneur d'un immeuble peut hypothéquer son droit, si la cession ou la sous-location ne lui est pas interdite.
L'hypothèque étant un droit réel sur les immeubles et servant à la garantie d'une créance, il n'y a pas do raison d'interdire au preneur la faculté d'hypothéquer son droit réel de bail.
Si le preneur n'acquitte pas la dette pour laquelle il a hypothéqué son bail, le droit au bail sera vendu à la requête du créancier hypothécaire, ce qui ne causera pas plus de dommage au bailleur qu'une cession directe par le preneur.
Mais dans les cas où la cession du bail est interdite, soit en vertu du contrat, soit par la loi, dans le cas du dernier alinéa de l'article précédent, l'hypothèque se trouve par la même interdite.
144. Le preneur peut exercer contre les tiers, pour la conservation de son droit et pour la jouissance des servitudes attachées au fonds, les actions énoncées aux articles 69 et 70 du chapitre de l'Usufruit.
Déjà on a eu occasion de dire, sous l'article 137 que le preneur peut plaider, en son nom, contre les tiers. La loi en pose ici le principe général, à cause de l'importance de la règle.
Du reste, cette application au louage d'une des règles de l'usufruit pourrait être sous-entendue, à la rigueur, à raison de la règle générale posée à l'article 124, et on peut, sans hésiter, reconnaître au preneur les droits accordés à l'usufruitier par les articles 60 à 68 du chapitre précédent.
SECTION III. DES OBLIGATIONS DU PRENEUR.
145. Le preneur est tenu, au moment de son entrée en jouissance, ou à toute autre époque, d'admettre le bailleur à procéder, contradictoirement avec lui, à l'inventaire des meubles et à l'état des lieux loués, si le bailleur le désire, pour la conservation de ses droits; mais il ne contribue pas aux frais de ces actes.
Le preneur peut aussi faire procéder lui-même auxdits état ou inventaire et à ses frais, après y avoir appelé le bailleur.
S'il n'a été fait aucun état des lieux, le preneur est présumé, jusqu'à preuve contraire, avoir reçu les choses en bon état de réparation.
Déjà, sous l'article 134, on a eu occasion de dire que le preneur, à la différence de l'usufruitier, n'est pas tenu de faire inventaire ni de donner caution.
Mais il a, au moins, l'obligation de laisser le bailleur procéder à cette formalité qui est une garantie pour lui-même; par conséquent, il doit donner au bailleur un libre accès aux choses et aux lieux loués; et cola, aussi bien au cours du bail qu'à son début. Le preneur n'aura pas à être convoqué à une opération qui se fait chez lui; il y assistera s'il le veut, et l'opération sera considérée comme contradictoire à son égard.
En sens inverse, si le bailleur ne fait pas d'inventaire ou d'état des lieux, le preneur peut y faire procéder; mais alors, il doit convoquer le bailleur pour que l'acte lui soit opposable.
Les frais de l'acte restent à la charge de la partie qui en a pris l'initiative, s'il n'a pas été convenu qu'il y serait procédé dans l'intérêt commun.
Si l'inventaire ou l'état des lieux n'ont pas été faits, le preneur est exposé à se voir responsable des réparations, parceque les choses sont réputées lui avoir été remises en bon état.
Mais le bailleur n'a pas moins d'intérêt que le preneur à cette, formalité, au moins pour l'inventaire des meubles; à défaut de cette précaution, le bailleur n'aurait pas de titre pour réclamer les objets manquant tout-à-fait, ou qui auraient été remplacés par d'autres de moindre valeur.
146. Le preneur est tenu de payer aux époques convenues et, à défaut de convention, à la fin de chaque mois, le prix du bail stipulé en argent.
A l'égard des portions de fruits dues au même titre, elles ne sont exigibles qu'après la récolte, mais en entier.
Le payement du prix de bail est la principale obligation du preneur; c'est l'équivalent périodique de sa jouissance continue.
Généralement, on conviendra de l'époque de chaque payement.
La loi en prescrivant des payements mensuels, consacre un usage assez général au Japon.
Mais lorsque le preneur doit donner une part de fruits, il est clair qu'il ne peut la donner avant la récolte: mais alors, par cela même que le bailleur a attendu une partie de l'année, cette part lui est donnée tout à la ibis.
147. Le preneur est tenu d'exécuter les autres clauses et conditions particulières du bail, faute de quoi, le bailleur peut l'y contraindre directement, par voie d'action, ou faire résilier le bail, avec dommages intérêts, s'il y a lieu.
Il peut arriver que le preneur, à raison du commerce ou de l'industrie qu'il se proposait d'exercer dans les lieux loués, se soit soumis à quelques obligations particulières de faire ou de ne pas faire, dans l'intérêt de la conservation des choses louées.
S'il manquait à les remplir, le bailleur aurait le choix entre deux voies: soit une action tendant à obtenir l'exécution des faits promis ou à empêcher les actes interdits, soit une action en résolution du bail.
Ces deux voies sont l'application du droit commun des contrats synallagmatiques. Le choix doit nécessairement appartenir au bailleur. La résolution, notamment, est un moyen extrême dont il est et doit être seul maître: si le preneur pouvait y réduire le bailleur, ce serait, de sa part, un moyen fort injuste de se soustraire aux obligations du contrat en y contrevenant. L'exercice du droit de résolution du bailleur ne le prive pas de demander des dommages intérêts pour le préjudice éprouvé: par exemple, s'il y a des dégradations à la chose même, et pour celui résultant de la résolution ellemême, lorsqu'elle peut entraîner une perte de revenus pendant le temps où le fonds resterait vacant.
148. Jusqu'à la vente des produits du fonds, le preneur est tenu, pour la garantie du bailleur, de les engranger dans les lieux loués, s'ils sont disposés à cet effet; à moins qu'il ne préfère payer l'année courante par anticipation.
Les fruits du fonds loué, une fois séparés du sol, appartiennent au preneur; mais ils sont la garantie première du bailleur, puisque c'est sur son sol qu'ils ont été produits.
Il est vraisemblable que la loi lui accordera plus loin un privilége sur le prix de vente de ces produits (voir Livre IV). Dans tous les cas, le bailleur a intérêt à ce que ces fruits soient engrangés sur le fonds loué, parce-que la saisie en sera plus facile. Mais, bien entendu, c'est sous la condition que les lieux soient aménagés à cet effet.
Si le preneur préfère engranger les produits dans un autre lieu, il no le peut qu'en payant d'avance l'année courante, ou tout au moins, quoique la loi ne le dise pas, le montant de la valeur de ces produits.
L'obligation qui précède n'empêche pas le preneur de vendre ses produits quand il en trouve le moment favorable. La loi n'a pas même voulu imposer au preneur l'obligation de prévenir le bailleur de la vente. Ce qu'elle ne permet pas, c'est qu'il soustraye à la garantie du bailleur les fruits non vendus.
149. Le preneur n'est tenu d'aucun des impôts ordinaires ou extraordinaires qui peuvent peser directement sur la chose louée: ceux qui pourraient être exigés de lui, en vertu des lois de finances, entreraient en déduction de son prix de bail ou lui seraient remboursés par le bailleur; sauf toute convention contraire.
Mais les impôts et charges mis sur les bâtiments élevés par le preneur et sur le commerce ou l'industrie qu'il exerce sur le fonds loué sont à sa charge.
Il y a là une différence notable avec les obligations de l'usufruitier. Celui-ci paye les impôts ordinaires et contribue, dans une certaine mesure, au payement des impôts extraordinaires. Le motif est qu'il a tout le profit annuel de. la chose et que le nu-propriétaire n'en reçoit pas de compensation.
Au contraire, le bailleur tire de la chose louée un profit qui consiste dans le prix de bail. Il est donc juste qu'il supporte les impôts, comme s'il exploitait directement la chose.
Mais il pourra arriver que les lois de finances qui ne sont pas toujours conçues dans le même esprit que les lois civiles et qui s'en écartent quelquefois, pour assurer la facilité du recouvrement des impôts, mettent certaines taxes à la charge du preneur.
Ainsi, par exemple, en France, la contribution foncière est garantie à l'Etat par un privilége sur les récoltes. Il en est, sans doute, de même au Japon, ou, si cela n'est pas encore, cela pourra être.
Or, la récolte appartient au preneur.
Il se trouvera donc tenu de subir l'action de l'Etat pour le payement de la contribution foncière, si le bailleur ne la paye pas auparavant et dès qu'elle est exigible.
En pareil cas, le preneur aura recours contre le bailleur. par voie, de déduction sur son prix de bail. Le tout, sauf convention contraire des parties.
Il était naturel que la loi mît à la charge du preneur les impôts sur les bâtiments qu'il a élevés lui-même; comme il ne paye pas de loyer pour ces bâtiments, le motif donné plus haut ne se présente plus.
Il en est de même, pour les impôts frappant son industrie ou son commerce, tel est l'impôt dit, en France, impôt des patentes.
Nous déciderons de même pour l'impôt dit mobilier, qui tend à atteindre le revenu de la fortune mobilière et qui est basé sur la valeur locative de l'habitation.
150. Le preneur ou son cessionnaire ne peut user de la chose louée que suivant la destination qui lui a été donnée par la convention, ou, à défaut de stipulation, à cet égard, suivant la destination qu'elle avait au moment du contrat, ou que sa nature comporte sans détérioration.
Ceci est plutôt une ressemblance qu'une différence avec l'usufruit.
La loi s'en explique, à cause de l'importance pratique et de la grande variété des baux.
On remarque que la loi qui, ordinairement, parle du preneur sans mentionner son cessionnaire, mentionne ici ce dernier.
C'est parcequ'on aurait pu croire que, n'ayant pas participé au premier bail, il n'était pas assujetti aux mêmes conditions, quant au mode de jouissance.
Mais il y a un principe général d'après lequel personne ne peut conférer sur une chose plus de droits qu'il n'en a lui-même.
Si le cessionnaire a ignoré les conditions ou limites particulières mises à la jouissance de la chose, il est en faute de ne pas s'être fait représenter le contrat de bail primitif.
151. Le preneur est tenu, quant à la garde et à la conservation des choses louées, des mêmes obligations que l'usufruitier.
Si un tiers commet une usurpation ou autre entreprise sur la chose louée, le preneur doit en avertir le bailleur, comme il est dit à l'article 97 du chapitre II, au sujet de l'usufruitier et sous la même sanction.
Bien que le preneur ait le droit de plaider, lui-même et en son nom, contre les tiers auteurs de troubles ou d'usurpation, il manquerait à son devoir et nuirait à ses intérêts s'il n'avertissait pas le bailleur.
Sans doute, les jugements intervenus entre le preneur et les tiers ne pourraient être opposés au bailleur pour lui faire respecter des droits qu'il n'aurait pas été appelé à contredire; mais si, à la suite de ces jugements, le tiers avait fait sur la chose des changements devenus irréparables, ou s'il étail parvenu à quelque prescription totale ou partielle, le preneur aurait été ainsi, par son silence, la cause d'un préjudice grave pour le bailleur et il en serait responsable.
En outre, son intérêt est d'appeler le bailleur; car celui-ci doit lui procurer la jouissance entière, paisible et continue de la chose; or, il peut avoir des titres ou autres moyens de repousser les prétentions du tiers et il serait bien téméraire au preneur de se priver de ces secours.
152. S'il y a plusieurs locataires d'un même bâtiment ou de plusieurs bâtiments situés dans la même enceinte et appartenant au même propriétaire, ils sont solidairement responsables de l'incendie envers celui-ci; à moins qu'il ne soit prouvé que tous ou quelques uns sont exempts de faute.
Cet article présente, à la fois, une ressemblance et une différence avec les règles de l'usufruit.
L'article 86 du chapitre de l'usufruit déclare que l'incendie des choses soumises à l'usufruit n'est pas considéré a priori (tout d'abord) comme un cas fortuit, mais comme le résultat de la faute ou du défaut de prévoyance de l'usufruitier; sauf à l'usufruitier à prouver le cas fortuit ou la force majeure.
Cette disposition n'est pas une exception, une rigueur contre l'usufruitier, elle est fondée sur la raison et l'expérience des faits; elle a été justifiée sous cet article 86.
La loi la reproduit, en ce qui concerne le preneur, à la fin du présent article.
Mais ce qui peut être considéré comme une exception rigoureuse contre le preneur c'est la solidarité de chacun, lorsqu'ils sont plusieurs.
Ce n'est pas ici le lieu de développer les effets et les caractères de la solidarité entre débiteurs: ce sera l'objet de dispositions de la matière des obligations.
Il suffit, pour l'intelligence de cet article, de rappeler que le principal effet de la solidarité est d'obliger chacun des débiteurs à payer la totalité de la dette, au lieu d'être tenu seulement d'une part virile (calculée par tête, pro numéro virorum); chacun se trouve, en quelque sorte, caution des autres.
Lorsqu'il y a, comme le prévoit le présent article, plusieurs locataires dans le même bâtiment ou dans la même enceinte, il est, le plus souvent, impossible de savoir dans quelle partie de la chose louée le feu a commencé et par conséquent la présomption de faute est la même contre tous. Le propriétaire peut donc de mander à tous et à chacun, en entier, la réparation du dommage.
Celte rigueur n'est pas arbitraire; elle est logique, raisonnable, fondée sur la nature des choses; on ne peut donc la trouver injuste.
Mais il est clair qu'elle doit cesser, et la loi le dit formellement, lorsqu'il est prouvé que tous ou quelques uns sont exempts de faute.
Si l'incendie provient du feu du ciel ou a été communiqué par une maison voisine, tous sont déchargés, à la fois, et de leur part virile et de la solidarité.
S'il est seulement prouvé que le feu a commencé chez un des locataires, sans qu'on en connaisse la cause, celui-là reste sous la présomption de faute, mais les autres sont entièrement déchargés.
Il en est de même si, sans qu'on sache où et comment le feu a pris, il est prouvé par sa marche qu'il n'a pu commencer chez, tel ou tel locataire.
Remarquons, avec le texte, que lorsqu'il s'agit de différents bâtiments situés dans la même enceinte, la solidarité n'existe entre les locataires qu'autant que les bâtiments appartiennent au même propriétaire. S'ils n'ont pas le même bailleur il n'y a aucun lien entre eux et chaque propriétaire ne peut poursuivre solidairement que ses propres locataires. Il n'est pas nécessaire, bien entendu, que les divers locataires aient contracté ensemble, ni qu'il y ait entre eux une communauté quelconque d'intérêts; mais il faut qu'ils soient locataires d'un même bailleur. On ne comprendrait pas qu'un propriétaire invoquât une présomption de faute, à l'égard de ses bâtiments, contre une personne qui, n'étant pas son locataire, n'a, vis-à-vis de lui, aucune obligation de soin et de vigilance.
Mais tout propriétaire dont les bâtiments ont brûlé par un incendie est toujours en droit de faire la preuve directe de la faute d'un étranger, voisin immédiat ou éloigné.
Lorsqu'un quartier entier de Tokio brûle par l'imprudence d'un habitant, celui-ci est, en droit pur, responsable de toutes les maisons incendiées; mais, en fait, un pareil droit n'est guère invoqué, par deux raisons: la première, c'est que, le plus souvent, l'imprudent est lui-même ruiné par l'incendie; la seconde, c'est que la distribution de son actif aux nombreuses victimes de son imprudence donnerait si peu à chacune d'elles que la demande n'a pas d'intérêt.
153. Le recours de celui qui aura payé les dommages sera réparti par le tribunal entre tous les preneurs, en tenant compte tant de l'étendue des divers locaux que des dangers plus ou moins considérables que chaque location présentait, d'après la profession du locataire et ses habitudes.
Lorsqu'il ne s'agit plus des droits du bailleur contre chacun des preneurs, mais du recours de celui qui a payé contre les autres, la solidarité ne peut plus exister: on applique ici la règle générale des dettes solidaires qui se divisent entre les débiteurs, lors du règlement définitif entre eux.
En principe, la division se fera par tête ou par portion virile; mais, par exception, si le tribunal reconnait que les causes d'incendie ont été plus considérables d'un côté ou d'un autre, à cause de l'étendue des lieux occupés, de la nature de l'industrie ou profession qui y était exercée et pour laquelle il y avait emploi de machines à, feu. à cause de la nature et du nombre des foyers de l'habitation ou des moyens employés pour l'éclairage, dans ces divers cas, le tribunal peut et, raisonnablement, doit répartir la parte proportionnellement aux risques imputables à chacun.
154. Si le propriétaire habitait lui-même une partie des bâtiments incendiés dans la même enceinte, il ne pourra agir en indemnité contre les locataires qu'en prouvant que l'incendie n'a pas commencé chez lui, et dans ce cas même, la responsabilité solidaire des locataires est limitée à la valeur des locaux à eux loués.
La circonstance que le propriétaire est resté lui-même en possession d'une partie des locaux de la même enceinte modifie et diminue ses droits à deux points de vue:
1° Il est alors présumé en faute aussi bien que ses locataires et la conséquence est qu'il ne peut réclamer d'indemnité qu'en prouvant qu'il n'est pas on faute, c'est-à-dire que le feu n'a pas commencé chez lui; sa position est la même que celle d'un locataire ou d'un propriétaire qui voudrait se faire indemniser par un de ses voisins.
2° Lors même qu'il a prouvé l'absence de faute de sa part, ce qui fait reparaître la présomption de faute de ses locataires, il ne peut faire entrer dans le montant do la dette solidaire que la valeur des locaux à eux loués; il doit en retrancher la valeur des locaux qu'il occupait, car la solidarité a été établie pour garantir, non toutes les propriétés du bailleur mais seulement celles qu'il avait louées. Il ne serait donc remboursé de la valeur des locaux qu'il occupait que par celui des locataires dont il prouverait directement la faute; or, comme cette preuve est supposée manquer quand il y a lieu à la solidarité, le bailleur ne sera pas remboursé de cette partie des bâtiments incendiés.
155. Si, à la fin du bail, le preneur ne restitue pas les choses louées, il peut être poursuivi, à cet effet, par action personnelle ou réelle, au choix du preneur.
Bien que le droit du preneur soit déclaré réel par la loi, aussi bien pour les meubles que pour les immeubles, la propriété ne cesse pas d'en appartenir au bailleur; elle peut être considérée comme démembrée tant que dure le bail; mais quand le droit du preneur a pris fin, celui du bailleur se retrouve plein et entier.
Il peut donc agir en revendication, c'est-à-dire par action réelle, pour recouvrer sa chose.
Il peut aussi agir par action personnelle; car le preneur est obligé, par le contrat, à conserver la chose et à la rendre.
Deux considérations différentes pourront déterminer le choix du bailleur par rapport à l'action à intenter.
Si le preneur est insolvable, l'action réelle aura l'avantage de faire recouvrer la chose au bailleur par préférence aux autres créanciers, tandis que l'action personnelle l'obligerait à concourir avec eux.
Si le preneur est solvable et que le bailleur ait quelque difficulté à établir son droit de propriété, tandisqu'il lui est facile de prouver le contrat de bail, il intentera l'action personnelle.
156. Le bailleur peut exiger, à la fin du bail, que le preneur lui cède, pour leur valeur actuelle, à dire d'experts, les constructions et plantations que celui-ci a le droit d'enlever d'après l'article 141.
C'est un principe d'économie politique qu'il faut éviter, autant que possible, de détruire les constructions et les plantations; autrement, il y a deux valeurs perdues, deux mains-d'œuvre inutiles: celle de la construction et celle de la démolition; de plus, les matériaux perdent considérablement de leur prix.
Si le bailleur consent à payer au preneur, non ce que les plantations et constructions lui ont couté, mais ce qu'elles valent à la fin du bail, le preneur n'a pas d'intérêt légitime à s'y opposer.
SECTION IV. DE LA CESSATION DU BAIL.
157. Le bail finit de plein droit:
1° Par la perte totale de la chose louée, sauf l'indemnité due par la partie à la faute de laquelle la perte est imputable;
2° Par l'expropriation totale de la chose, pour cause d'utilité publique;
3° Par l'éviction du bailleur, ou par la nullité de son droit sur la chose louée, lorsqu'elles sont prononcées en justice et pour des causes antérieures au contrat;
4° Par l'expiration du terme fixé expressément ou tacitement;
Le bail finit aussi par la résolution prononcée en justice, à la demande de l'une des parties, pour inobservation des conditions ou pour les autres causes que la loi autorise.
On ne retrouve pas ici toutes les causes d'extinction de l'usufruit; cela tient comme la plupart des autres différences déjà signalées, non à la différence de nature des deux droits, lesquels sont, au contraire, très-voisine l'un de l'autre, mais à la différence de la cause des droits: le bail est constitué pour une cause onéreuse, c'est-à-dire à raison du sacrifice que fait le preneur, à raison de la prestation périodique qu'il s'engage à fournir, ce qui exclut ordinairement toute considération de sa personne; l'usufruit, au contraire, est constitué, ordinairement, à titre gratuit, et dans tous les cas, en considération d'une personne déterminée.
De là, la conséquence que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier.
Sans doute, dans le louage, les parties pourraient convenir que le droit du preneur finira par sa mort; mais il faudrait, à cet égard, une stipulation expresse; il ne suffirait pas que les circonstances permissent de croire que le droit a été établi en considération de la personne.
Le non-usage pendant 30 ans n'est pas non plus une cause d'extinction du bail: il n'y a, d'ailleurs, aucune vraisemblance que le cas se présente jamais, car la prestation périodique que le preneur aura à payer le préservera de l'oubli de son droit.
La renonciation du preneur à son droit ne mettrait pas non plus fin au bail, car il ne peut, par sa seule volonté, s'affranchir des obligations qui y sont corrélatives. Ce qui serait possible, à cet égard, serait une résiliation volontaire des deux côtés; mais alors ce ne serait plus une cessation do plein droit.
Quant à l'abus de jouissance, il rentre dans la généralité du dernier alinéa du présent article, dans la résolution prononcée en justice pour inexécution des obligations du preneur.
On reprend maintenant, pour quelques développements sommaires, les quatre cas d'extinction du bail, de plein droit et sans qu'il soit besoin do la faire prononcer en justice.
On remarquera d'abord que l'extinction dont il s'agit ne s'applique pas seulement au droit du preneur, mais en même temps à celui du bailleur et, par conséquent, au contrat tout entier.
1°. La perte de la chose louée est ici supposée totale. Si elle n'était que partielle, elle pourrait donner lieu, soit à diminution du prix de bail, soit même à résiliation; mais ce ne serait que par l'effet d'une décision judiciaire ou d'une convention amiable; ce ne serait pas de plein droit.
Si la perte de la chose était le résultat de la faute de l'une des parties, du preneur vraisemblablement, le bail n'en prendrait pas moins fin; mais il y aurait lieu à une indemnité contre la partie qui serait en faute.
2° L'expropriation totale a de l'analogie avec la perte de la chose louée: dans ce cas, la jouissance du preneur devient impossible légalement, au lieu de le devenir naturellement.
3° L'éviction(a) du bailleur est le cas où il est jugé que la propriété de la chose ne lui appartenait pas au moment du contrat; la nullité est le cas où il tenait son droit de propriété d'un acte entaché de quelque vice soit de consentement, soit d'incapacité du cédant.
Dans les deux cas, il faut qu'une décision judiciaire soit intervenue contre le bailleur, pour que, par voie de conséquence, le bail finisse de plein droit.
Enfin, il faut que la cause d'éviction soit antérieure au bail; autrement, elle ne serait pas opposable au preneur qui ne doit pas souffrir des actes du bailleur. Et, lors même que la cause alléguée serait antérieure au bail, il faudrait encore que le preneur ait été mis en cause, de manière à y pouvoir contredire pour que le jugement lui soit opposable.
4°. Il est conforme aux principes généraux qu'un droit qui n'a été établi que pour un temps déterminé s'éteigne par l'arrivée du terme fixé. Le temps peut être fixé expressément ou sous-entendu tacitement. La fixation expresse n'implique pas nécessairement un nombre d'années, de mois ou de jours déterminés, bien que ce soit ce qui arrivera le plus souvent; ce pourrait être l'indication d'un événement précis dont l'arrivée est sujette à être plus ou moins hative ou tardive. Par exemple, le preneur a loué une maison pour tout le temps où il exercerait une fonction publique dans la ville; ses fonctions cessent ou il change do résidence, le bail cesse. De même le preneur a loué une maison pour le temps pendant lequel il construirait sa propre maison; quoique l'époque à la quelle la maison sera terminée soit variable, ce n'est pas moins un terme expressément stipulé.
Au contraire, le bail a été fait avec une destination particulière des lieux loués et les deux parties ont connu cette destination; il est tacitement entendu qu'une fois la destination remplie le bail cessera.
Par exemple, un entrepreneur de travaux publics, chargé déjà construction d'un édifice, a loué un terrain voisin dos travaux, pour la taille des matériaux et l'assemblage provisoire des charpentes; le bailleur a connu la destination spéciale des lieux loués; il est dès lors, présumé avoir consenti à ce que le bail prît fin avec l'achèvement des travaux, comme aussi s'être réservé le droit de reprendre les lieux loués à la même époque.
Dans l'article 160 ci-après, la loi donne elle-même un exemple, par présomption, de terme tacitement fixé.
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(a) Eviction, du latin: e, ex hors vincere, victus, (vaincre, vaincu): le bailleur est vaincu et expulsé.
158. Dans le cas de perte partielle de la chose louée, le preneur peut demander la résolution du bail, ou son maintien avec diminution du prix, sous les conditions portées à l'article 138.
Au cas d'expropriation partielle pour cause d'utilité publique, le preneur a toujours droit à une diminution de prix.
La disposition de cet article se trouve déjà annoncée par ce qui a été dit au sujet du premier alinéa de l'article précédent.
Quoique la perte de la chose louée soit fortuite ou résulte d'une force majeure, elle ne doit pas nécessairement retomber sur le preneur, sous prétexte qu'il a un droit réel; car le bailleur est obligé de lui faire avoir une jouissance continue. Il ne faudrait pas non plus que la moindre perte lui donnât le droit de faire résilier le bail ni même l'autorisât toujours à obtenir une diminution du prix de bail. A cet égard, la loi se réfère aux distinctions portées, ci-dessus, à l'article 138.
Si la perte est de moins d'un tiers, le preneur n'obtiendra ni la résiliation ni une diminution du prix. Si elle est d'un tiers ou au delà, le preneur obtiendra une diminution d'un tiers du prix, et comme la perte partielle de la chose entraîne nécessairement pour toujours la perte proportionnelle de la jouissance, le preneur pourra demander la résiliation, sans attendre le laps de trois ans prescrit par l'article 138.
Quant à l'expropriation partielle, elle présente deux particularités: 1° le preneur obtiendra une diminution du prix dé bail, quelle que soit la partie expropriée, parceque cette expropriation procure au bailleur une indemnité du trésor public; 2° le preneur recevra lui-même une indemnité du trésor à cause du trouble que l'expropriation lui cause.
Quant au droit de résolution, il sera toujours subordonné à la perte du tiers de la jouissance première.
159. Si à l'expiration du bail ayant une durée fixée, le preneur reste en jouissance, au su et sans opposition du bailleur, il s'opère tacitement un nouveau bail, aux mêmes charges et conditions que le précédent.
Toutefois, les cautions qui garantissaient le premier bail sont libérées et les hypothèques fournies au même titre sont éteintes.
Le nouveau bail cessera par le congé, comme il est dit aux articles suivants.
Le bail ainsi renouvelé tacitement, par le consentement présumé des parties, se nomme, en France, tacite réconduction. Pour les effets du nouveau contrat entre les parties, ils seront les mêmes que ceux du contrat primitif, sauf la durée qui, ainsi que le dit le dernier alinéa de l'article, est désormais indéterminée et cesse par un congé ou avertissement donné par une partie à l'autre un certain temps avant la sortie.
Mais ce nouveau contrat ne peut être opposé aux tiers.
Ainsi ceux qui s'étaient portés garants ou caution de l'exécution du premier bail ne sont pas garants du second: ils ont considéré, sans doute, la durée de leur engagement éventuel et n'ont pas entendu se trouver engagés, par un nouveau contrat, sans leur consentement.
Par la même raison, et par une autre aussi, les hypothèques données pour le premier bail sont inapplicables au second: d'abord, s'il y a des créanciers hypothécaires postérieurs au bailleur, ils ont considéré que leur hypothèque s'améliorerait, quant au rang, par l'extinction de celle qui les précédait et cette attente légitime ne doit pas être trompée par une prolongation ou extension de l'hypothèque qui prime la leur.
Ensuite, lors même qu'il n'y aurait pas d'autres créanciers hypothécaires postérieurs, l'hypothèque, une fois éteinte ou limitée par la lin du premier bail, ne peut renaître ou s'étendre à une nouvelle créance, au préjudice des créanciers chirographaires, sans que les parties remplissent les formalités requises pour la constitution do l'hypothèque ou pour son extension.
160. Le bail fait sans durée expressément fixée, d'une maison, d'un corps de logis, ou d'un appartement meublé, est censé fait pour un an, pour un mois ou pour un jour, si le prix en a été déterminé par année, par mois ou par jour; sans préjudice de la tacite réconduction, comme il est dit à l'article précédent.
La loi donne ici une interprétation de la volonté probable des parties; c'est une présomption légale de leur intention, quant à la durée, lorsqu'elles n'en ont pas exprimé une autre.
Cette fixation de la durée du bail, par présomption légale, n'a lieu que pour les locaux meublés ou garnis: le bail durera alors la période pour laquelle le prix a été fixé. A l'expiration de cette période, il pourra se former un nouveau bail, par tacite réconduction, mais alors sans durée fixée et finissant par un congé, conformément à l'article précédent.
La raison pour laquelle la loi interprète elle-même l'intention des parties est celle-ci: généralement, la location des maisons ou appartements meublés se fait pour un temps assez court: les personnes qui n'ont pas de meubles à elles appartenant sont des résidents accidentels dans une ville, des voyageurs ou des malades; lorsqu'ils fixent un prix par jour, ou par semaine, ou par mois, c'est qu'ils se proposent de rester un ou plusieurs jours, ou une semaine ou un mois; lorsqu'ils fixent un prix par trimestre, par semestre ou par année, c'est qu'ils se proposent de rester dans les lieux loués, un trimestre, un semestre ou une année.
On ne peut pas faire la même supposition pour les lieux non meublés, où le séjour est, en général, assez long, et semblerait pouvoir se prolonger indéfiniment; dès lors, l'indication du prix pour une période de mois ou pour une année, n'est plus qu'une manière de fixer le prix courant; tout au plus, pourrait-on y voir l'indication des échéances ou époques de payement; mais même, s'il n'y a pas de fixation précise des échéances, la loi les fixe à chaque mois, comme on l'a vu à l'article 146.
161. S'il n'a pas été fixé de durée pour un bail de bâtiments non meublés, le bail finira par un congé donné par l'une des parties à l'autre, à toute époque de l'année.
L'intervalle entre le congé et la sortie sera:
De trois mois, pour une maison entière;
De deux mois, pour un corps de bâtiments (logis) ou pour un local moins étendu où le preneur exerce un commerce ou une industrie;
D'un mois, pour tous autres locaux non meublés.
Pour les locaux meublés, à l'égard desquels il y aura eu tacite réconduction, l'intervalle entre le congé et la sortie sera de quinze jours, sans distinction.
Lorsque le bail n'a pas de durée fixée par le contrat, soit expresse, soit tacite, comme il a été expliqué plus haut, il ne finit que par un avertissement que l'une des parties donne à l'autre, un certain temps à l'avance, et que l'on nomme congé.
Il faut bien remarquer que jusqu'à cc que le congé soit donné, c'est le même bail qui dure et qu'il n'y a pas une succession de tacites reconductions; par conséquent les sûretés fournies pour l'exécution du bail restent les mêmes, tant que les parties ne les modifient pas.
Le présent article s'applique aux baux de bâtiments non meublés.
Le congé peut être donné à toute époque de l'année. La loi s'en explique, parceque dans beaucoup de pays, comme en France, le congé ne peut être donne qu'à certaines époques de l'année, ordinairement 4 fois par an, au commencement do chaque saison. Il en résulte un inconvénient assez grave, c'est que si une des parties oublie do donner congé au temps voulu, elle est obligée d'attendre la saison suivante; il peut arriver aussi que le besoin de quitter ne survienne que peu de jours après ladite époque et elle est encore obligée d'attendre la prochaine saison.
An Japon, il ne parait pas que les congés se donnent à une époque déterminée.
Si cet usage n'existe pas, il faut se garder de l'établir; s'il existe, ce doit être avec toutes les variétés des coutumes locales et il parait préférable de ne pas plier la loi à cet usage.
Ce qui importe, au contraire, c'est qu'il s'écoule entre lé congé signifié et la sortie un intervalle assez long pour que preneur ait le temps de trouver une nouvelle habitation et le bailleur un nouveau preneur.
Il est naturel aussi que l'intervalle soit d'autant plus long que la location a plus d'étendue; il est toujours plus difficile do trouver à louer une grande habitation qu'une moyenne ou une petite.
Il fallait aussi que la loi trouvât une mesure pour déterminer ce qui serait une grande, une moyenne ou une petite habitation. Il ne fallait pas songer à s'attacher au prix du bail, parceque le prix varie avec les localités et avec l'état des bâtiments; il a paru préférable de considérer l'étendue des bâtiments, non par mesure de tsubos, mais par leur nature et leur destination.
Une maison entière est considérée comme une grande habitation. Il est vrai qu'il y a souvent de bien petites maisons; mais par cela seul qu'elles sont entières, ce qui aussi implique, presque toujours, des dépendances, elles sont plus difficiles à trouver pour le preneur qui, quittant une maison de ce genre, en cherchera sans doute une antre de même genre; elles sont aussi plus difficile à relouer, pour le bailleur, parceque leur prix étant toujours plus élevé relativement à leur étendue, il on trouvera moins facilement un preneur.
La 2e sorte d'habitation est un corps de bâtiments, qui tient le milieu entre une maison entière et un appartement ou logement composé de quelques chambres. La loi met sur la même ligne toute habitation, même moindre qu'un corps de logis, si le preneur y exerce une commerce ou une industrie.
Il n'y a guère de difficulté à prévoir au sujet de l'exercice d'un commerce; si minime que soient les actes do ce commerce, et lors même qu'il ne s'agirait que du commerce en détail de menues denrées, ce serait un commerce dans le sens de la loi.
Il y aurait plus de difficulté pour une industrie. Il s'exerce souvent dans les habitations de petits métiers qui emploient peu de matières et peu d'outils, sans aucun agencement particulier des locaux, et l'on pourrait douter s'il faut les placer dans les habitations de la 2e catégorie; par exemple, le métier de tailleur (couturier), de barbier, de dentiste. Les tribunaux, en cas do contestation, décideront d'après les faits; dans le doute, ils devront décider dans le sens qui donne à l'habitation le caractère de la 2e classe.
S'i ls'agit d'un art libéral, comme le dessin, la médecine, l'enseignement des sciences ou des lettres, comme il n'y a ni matières, ni outillage on ne pourrait pas y voir une industrie. Il en serait de même d'une industrie ou d'un métier qui s'exercerait au dehors, comme le métier de traineur de kourouma, à moins que le preneur n'eût un grand nombre de voitures en magasins.
La 3e classe d'habitation comprend tous les autres locaux.
L'intervalle entre le congé et la sortie a été? réduit autant que possible: il est de 3 mois, 2 mois et 1 mois.
Bien entendu, les parties pourraient convenir d'un intervalle plus long ou plus court. Dans toutes ces règles de par intérêt privé, la loi ne statue qu'à défaut de conventions.
Lorsqu'il s'agit d'un appartement ou d'un corps de logis meublé, la loi fait une distinction qui est déjà indiquée sous l'article précédent: Si le bail est fait pour un temps déterminé et qu'il y ait eu tacite réconduction, à l'expiration de ce temps, là où le bail no finit que. par un congé, l'intervalle entre le congé et la sortie sera de 15 jours seulement, sans distinguer l'importance des locaux.
On comprend que cet intervalle soit court, parceque les locataires qui n'ont pas de meubles font partie de ce qu'on nomme population flottante, ils ne comptent pas faire un long séjour au même Heu et le bailleur ne compte pas non plus les conserver long-temps; en outre, le preneur qui reçoit le congé trouve aisément à se loger dans une autre maison meublée; réciproquement, le bailleur qui reçoit le congé trouve aussi aisément un autre locataire de passage.
162. Pour le bail de meubles, fait sans durée fixée, le congé doit être donné 15 jours à l'avance.
Toutefois, s'il s'agit de meubles garnissant des bâtiments loués, ou de meubles réputés immeubles par destination, la location n'en cesse qu'avec celle des bâtiments.
La durée du bail d'animaux donnés à cheptel est réglée au Livre III.
Il eut été difficile de distinguer dans la loi l'importance des meubles loués, pour fixer l'intervalle entre le congé et la fin du bail. C'est aux parties, suivant leur intérêt à pourvoir à cette fixation.
Mais comme elles n'auront pas toujours cette prévoyance, il est nécessaire que la loi y supplée.
D'abord, bien que le texte ne s'en explique pas, on peut décider que si la prix de bail a été fixé par jour, par mois ou par année (ce qui sera le plus fréquent), le bail sera censé fait pour la période qui a servi de base au prix(1).
Le présent article ne s'appliquerait donc qu'au cas où le bail ayant été fait pour un temps fixe (un certain nombre de jours ou de mois) il y aurait eu tacite réconduction.
Lorsque les meubles font partie d'un appartement meublé, ils en sont alors l'accessoire et la durée des deux locations est la même.
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(1) Il sera bon d'ajouter à l'article 160 après les mots “appartement meublé” les mots “ou d'un ou plusieurs meubles seulement.”
163. A l'égard du bail d'un bien rural, fait sans durée fixée, le congé doit être donné un an avant l'époque de la principale récolte annuelle.
Il y a ici une double dérogation aux règles qui précèdent: 1" un intervalle beaucoup plus long entre le congé et la sortie; 2° une époque précise à laquelle le congé doit être donné.
Il est facile de justifier cette disposition particulière par les considérations suivantes;
L'intention des parties est, naturellement, que le preneur puisse faire la récolte pour laquelle il a fait les semences, labours et cultures, au moins quand il s'agit d'une récolte annuelle; le preneur ne doit pas être obligé de quitter les lieux loués avant d'avoir eu le temps de trouver un autre fonds de nature plus ou moins semblable: réciproquement, le bailleur ne doit pas être exposé à se trouver sans un autre preneur, pendant une partie de l'année.
Le premier de ces motifs explique que la sortie ne. devra pas précéder la récolte principale de l'année; les deux autres motifs expliquent que l'intervalle entre le congé et la sortie soit d'un an.
164. Dans tous les cas, si le bail se trouve expiré avant que le preneur ait pu détacher ou enlever toutes les récoltes auxquelles il a droit, le bailleur ou le nouveau preneur doit lui en laisser la facilité.
Réciproquement, le preneur doit permettre au bailleur ou au nouveau preneur de faire, avant l'expiration du bail, les travaux urgents sur les portions de terrain dépouillées de récoltes, lorsqu'il ne doit en éprouver aucun trouble sérieux.
Quand le bail de biens ruraux a une durée fixée, la fin du bail peut arriver avant que la récolte soit enlevée, soit parceque la saison a été tardive soit parceque les parties avaient mal calculé le temps. En pareil cas, il serait inique que le bailleur mît obstacle à l'enlèvement de la récolte par le preneur.
Il serait tout aussi injuste que, si la récolte a été hâtive, le preneur dont le bail est sur le point d'expirer s'opposât aux travaux préliminaires de l'année suivante, soit do la part du bailleur, soit de la part d'un nouveau preneur.
La loi réserve le cas où le preneur en éprouverait un préjudice sérieux pour les autres récoltes pondantes.
Il y a une autre réciprocité do droits respectifs dont la loi ne parle pas, parcequ'elle va do soi et pareeque, d'ailleurs, elle concerne plutôt le commencement du bail que sa fin.
Si, au moment de l'entrée en jouissance du preneur, la récolte pour laquelle le bailleur a fait les travaux n'est pas encore enlevée, le preneur ne doit pas mettre obstacle à l'enlèvement.
Réciproquement, si la récolte du bailleur a été hative, il no doit pas s'opposer à ce que le preneur, même avant l'époque de son entrée en jouissance, fasse les premiers travaux de labour ou autres analogues.
165. Si le bailleur s'est réservé la faculté de résilier le bail avant l'expiration du temps fixé, soit au cas d'aliénation de la chose louée, soit au cas où il reprendrait la jouissance pour lui-même, ou pour toute autre cause particulière; de même, si le preneur s'est réservé ladite faculté en vue de certaines éventualités où la location lui deviendrait inutile, ils doivent se donner respectivement congé à l'avance au temps fixé par les articles précédents, à moins que le temps restant à courir d'après la convention ne se trouve plus court.
Par innovation contre un ancien usage contraire aux intérêts économiques du pays, le bailleur ne pourra plus mettre tin au bail, en vendant la chose louée. En France, la loi s'en est formellement expliquée, dans l'article 1743, non-seulement parcequ'elle innovait sur l'ancien droit, mais aussi parcequ'elle laissait d'ailleurs au bail les caractères d'un droit personnel.
Dans le présent Projet, la loi n'a pas cru devoir proclamer expressément la persistance du bail en présence d'une vente, parcequ'elle donnait au bail la nature du droit réel et cette conséquence en était la plus simple et la plus considérable en même temps.
Mais rien n'empêche les parties de convenir qu'au cas de vente, le preneur pourra être expulsé; c'est une réserve que fera souvent le bailleur quand il fait un bail à prix réduit et pour une longue durée, circonstances qui pourraient détourner un acheteur.
Le bailleur pourrait aussi se réserver la faculté de résilier le bail pour occuper les lieux par lui-même: cette stipulation était même sous-entendue chez les Romains et dans l'ancien droit français, dans l'intérêt du bailleur; l'article 1761 l'a abolie, en tant que tacite, et il veut qu'elle soit expresse, comme le veut l'article 1743 pour la résiliation au cas de vente.
Le. présent article réserve do même ce droit du bailleur de résilier le bail à sa convenance, pour des cas déterminés. Le preneur peut aussi faire de. pareilles stipulations dans son intérêt ou dans celui de ses héritiers.
Ainsi, le preneur a une fonction qui l'oblige à résider au lieu où il l'exerce; il peut stipuler qu'en cas de changement de fonction ou de résidence, le bail sera résilié, pour éviter les embarras et les difficultés d'une sous-location.
De même, il prévoit le cas où il viendrait à mourir avant la fin du bail; sa mort, en principe, ne dissoudrait pas le bail; mais comme la location pourrait être inutile et, par suite, gênante pour ses héritiers, il stipule la résiliation en leur faveur.
Dans tous ces cas et autres semblables, il faudra, au moins, que la partie qui veut mettre lin au bail en vertu de la clause, prévienne l'autre partie par un congé, en observant les délais ci-dessus établis suivant la distinction des choses louées.
Il va sans dire, et cependant la loi l'exprime, que si le temps restant à courir du bail est plus court que l'intervalle à observer entre le congé et la sortie, le congé est inutile; le bail alors prendra fin par la convention originaire et. non par l'exercice de la faculté de résiliation.
Un congé même, envoyé par erreur, ne prolongerait pas le temps restant à courir.
APPENDICE. DES RÈGLES PARTICULIÈRES À CERTAINS BAUX.
I. DE L'EMPHYTÉOSE.
166. L'emphytéose est un bail d'immeuble à long terme ou de plus de trente années.
Elle ne peut excéder cinquante ans.
Si elle a été faite pour une plus longue durée, elle est réduite à ce terme.
Elle peut toujours être renouvelée.
On trouve dans plusieurs pays d'Europe une espèce particulière de bail, dont le nom et l'origine sont grecs; les Romains l'ont adoptée, en lui conservant son nom grec, et en Europe, le nom est resté avec l'institution plus ou moins modifiée.
Le mot exprime l'idée d'ensemencement; en effet, le bail dont il s'agit a été, à l'origine, un bail de terres incultes, généralement conquises par la guerre, et que le preneur devait défricher et mettre en culture.
Ce qui caractérisait surtout ce bail, c'est que le preneur pouvait conserver le fonds indéfiniment, pourvu qu'il continuât à payer exactement la redevance annuelle.
Son droit avait, dès lors, une grande analogie avec la propriété; aussi le preneur pouvait-il faire sur la chose toutes les transformations utiles.
D'un autre côté, les pertes de jouissance étaient à sa charge: le bailleur n'en était pas garant.
Dans tous les pays féodaux, en Europe, au moyen-âge, ce genre de bail prit une grande extension; c'était la condition générale des terres: les seigneurs ne pouvant faire aisément cultiver leurs terres par des ouvriers agricoles qu'il aurait fallu surveiller, les donnaient à emphytéose aux paysans. On disait que ces derniers avaient la propriété utile et que les seigneurs gardaient la propriété directe.
En France, la Dévolution abolit les redevances perpétuelles en fixant un mode de rachat pour en affranchir les terres; une loi de 1790 limita la plus longue durée des baux à 99 ans (trois existences moyennes d'homme). Le code civil n'a pas parlé de l'emphytéose, ce qui a fait douter à quelques auteurs que cette convention fût encore permise; la jurisprudence l'admet comme bail, en vertu de la liberté des conventions, mais dans les limites de la loi de 1790, c'est-à-dire pour une durée do 99 ans.
En Belgique, en Hollande et dans plusieurs autres pays du Nord de l'Europe, l'emphytéose est admise d'une façon assez analogue à celle du droit romain.
Au Japon, sous l'influence du régime féodal, l'emphytéose parait avoir été aussi la condition des terres mises en culture.
Les seigneurs étaient considérés comme propriétaires directs dos terres cultivées par les paysans et ceux-ci, en payant annuellement une large portion des fruits, paraissaient acquitter, à la fois, un impôt foncier et une redevance, à raison de leur propriété utile.
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les différences que l'emphyteose (sous le nom de tchau-ki-tyn-chiakou) a pu présenter au Japon, dans chaque province, comparativement aux autres provinces ou aux pays d'Europe.
Cette étude ne pourrait être faite que par un légiste japonais ayant parcouru les principaux hans japonais et en s'y livrant à de sérieuses investigations.
Les auteurs du Projet actuel ne se proposent pas de reproduire les pîus usitées des anciennes coutumes, en cette matière: ce qui conviendrait à certaines provinces pourrait ne pas convenir aux autres. On a seulement voulu régler, en l'absence de stipulations particulières des parties, les baux à longue durée qui seront surtout utiles pour mettre en culture les terres encore en friches (incultes).
Le plus souvent, ces terres étant propriété de l'Etat seront données par lui à long bail et les présentes règles s'y appliqueront.
Il est clair qu'en pareil cas les fermiers ont besoin d'être encouragés par la perspective d'un long bail; autrement, ils n'auraient pas la récompense de leurs peines du défrichement.
D'un autre côté, le bail ne doit pas avoir une trop longue durée, parcequ'il priverait le propriétaire ou ses héritiers de la libre disposition de la chose au préjudice de l'intérêt général qui demande la facile circulation des biens; en sens inverse le preneur ou ses héritiers souffriraient d'une trop longue durée du bail.
On verra aussi que, à raison de la longue durée du bail, le bailleur n'a pas l'obligation continue de procurer au preneur la jouissance du fonds, il n'est pas garant de cette jouissance, laquelle est aux risques du preneur.
C'est un sage emprunt à l'ancienne emphytéose grecque et romaine.
Du moment que l'emphytéose est une sorte particulière de bail, il se présentera une première question, peut-être fréquente, dans la pratique, à savoir: à quel signe reconnaîtra-t-on que les parties ont entendu faire un contrat d'emphytéose plutôt qu'un bail ordinaire.
D'abord, si les parties ont donné au contrat son nom légal, il n'y aura pas de difficulté, et elles auront toujours cette faculté. Mais si elles ont négligé cette précaution, les tribunaux ne pourront décider la question que par les circonstances.
La durée du bail sera une indication importante; si le bail est fait pour 30 années ou au delà, il y aura présomption que les parties ont voulu établir une empbytéose, plutôt qu'un bail ordinaire; s'il s'agit de ferres en friches ou incomplètement mises en culture, la présomption sera encore fortifiée. Dans le doute, on pourra décider que les parties ont fait un bail ordinaire: car l'emphytéose restera une exception et les exceptions ne se présument pas, elles doivent être prouvées par la partie intéressée.
Le texte même de l'article premier ne demande pas une longne explication. Le délai de trente ans est assez long pour permettre au preneur do tirer un profit sérieux des terres qu'il aura défrichées; le délai de 50 ans est un maximun que la loi ne permet de dépasser qu'au moyen d'un renouvellement, lequel, fait en connaissance de cause par les parties, n'a plus les inconvénients d'un engagement fait trop long-temps à l'avance.
Du reste, il est juste que, si les parties ont stipulé un plus long délai, le contrat ne soit pas nul, mais seulement réduit au terme permis par la loi.
Il était nécessaire de le dire, car dans les contrats onéreux, les clauses prohibées ont souvent pour effet de vicier le contrat. Ici cela eût été d'une rigueur exagérée.
167. Les droits et obligations respectifs des parties sont réglés par le titre constitutif de l'emphytéose.
A défaut de conventions particulières, les règles du bail ordinaire, ci-dessus établies, s'appliqueront à l'emphytéose, sous les modifications ci-après.
Le seul but de cet Appendice est de déterminer les règles particulières à certains baux; dès lors, tous les points sur lesquels il n'est pas introduit ici de dérogations au droit commun continuent à y être soumis.
168. L'emphytéote [ou preneur à emphytéose] d'un terrain peut en charger la nature, pourvû qu'il n'y apporte pas de détérioration permanente.
Le but principal de l'emphytéose étant de favoriser la mise en culture de terrains jusque-là en friches, il est naturel que le preneur ait un pouvoir plus étendu sur la chose louée que dans le louage ordinaire; l'article suivant donnera des applications de ce pouvoir.
La loi indique ici une première limite à la liberté du preneur; mais cette limite n'est ni étroite ni gênante; il suffit que le preneur ne diminue pas la valeur du fonds d'une manière permanente; ce qui veut dire que lors même que les premières transformations du fonds en diminueraient temporairement la valeur ou le produit, le preneur ne serait pas inquiété; du moment que des améliorations en devraient être la conséquence ultérieure.
Ainsi, si le preneur défriche des buissons de peu de valeur, pour les remplacer par des cultures de riz ou autres produits alimentaires ou industriels, il y aura un moment où le fonds ne donnera même plus le minime revenu antérieur et ne donnera pas encore de nouveaux produits; mais cet état transitoire est une nécessité pour laquelle le preneur ne peut être critiqué.
Il en est de même, s'il dessèche un marais: le terrain sera d'abord boulversé par les terrassements et il no produira même plus de roseaux; mais plus tard, il pourra devenir très-fertile.
Au contraire, la suppression de grands arbres ou de bâtiments pourrait être considérée comme une détérioration permanente; elle serait même irréparable pour les arbres; les articles 169 et 170 y mettent obstacle.
169. L'emphytéote peut défricher les landes, buissons et bambous; mais il ne peut, sans le consentement du propriétaire, arracher les bois taillis, ni les arbres qui, n'étant pas destinés à être coupés périodiquement, ont déjà plus de 20 ans et dont la croissance peut se prolonger au delà du temps que doit durer le bail.
Il peut toujours dessécher les marais et modifier les cours d'eau qui traversent le fonds.
On a dit que cet article était l'application du droit accordé au preneur par l'article précédent; il on pose aussi les limites.
Les bois taillis, dont il a déjà été question au chapitre de l'usufruit, sont dos bois qui se coupent périodiquement au ras (au niveau) du sol et qui repoussent continuellement. Les coupes servent au chauffage et à la confection du charbon.
Le revenu de ces bois est encore assez utile, parcequ'il n'exige pas de frais de culture ou d'entretien; il nécessite, tout au plus, une certaine surveillance contre les vols ou le pâturage illégal des bestiaux étrangers.
Le preneur ne pourra donc pas défricher de tels bois, sans le consentement du propriétaire.
Mais on ne considérerait pas comme bois taillis, devant être respectés par le preneur, quelques bouquets d'arbres disséminés sur le fonds: il y a là une question de fait, qui, en cas do contestation, serait tranchée par les tribunaux.
A l'égard des arbres dits à haute tige, la loi fait une distinction qui est facile à justifier: s'ils n'ont pas 20 ans et ne sont pas de nature à être coupés périodiquement (comme par exemple, les arbres résineux), le preneur pourra les arracher; s'ils ont plus de 20 ans. il ne le pourra pas; à moins encore qu'ils ne soient déjà assez âgés pour que leur croissance doive cesser avant la fin du bail, auquel cas, il peut les arracher quand il veut, le propriétaire n'ayant pas un grand intérêt à leur conservation.
Le dessèchement des marais ne doit pas rencontrer d'obstacles, parcequ'ils sont toujours inutiles et souvent nuisibles.
A l'égard des cours d'eaux, il peut les modifier; car ce ne peut être que pour le bien de la propriété qu'il fera cette dépense. Il ne pourrait les supprimer; par exemple, en les détournant sur les voisins, même avec leur consentement: un cours d'eau, à la différence d'un marais, a toujours une grande utilité pour l'irrigation ou l'industrie,
La loi ne parle que des cours d'eau traversant le fonds; car pour ceux qui ne font que le border, les limites au droit du preneur tiennent au droit de l'autre riverain.
170. Si l'emphytéose porte sur des carrières de pierre, de chaux, de sable ou d'autres matériaux tirés de l'intérieur du sol ou pris sur la surface, le preneur peut en continuer à son profit, l'exploitation déjà commencée.
Si lesdites carrières ne sont pas encore ouvertes et en exploitation, il peut seulement y prendre des pierres ou d'autres matériaux pour l'amélioration du fonds.
Le droit de l'emphytéote sur les carrières ne diffère de celui d'un preneur ordinaire que lorsque les carrières no sont pas encore en exploitation, conformement au 2e alinéa. Dans le cas contraire, un preneur ordinaire aurait le même droit.
171. L'emphytéote ne peut, sans le consentement du propriétaire, supprimer les bâtiments principaux, ni ceux des bâtiments accessoires dont la durée peut excéder la durée du bail.
Cette disposition a de l'analogie avec celle de l'article 169 concernant les arbres. Le preneur ne peut jamais supprimer les bâtiments principaux, à moins qu'il ne fasse reconnaître et accepter par le propriétaire l'avantage de la suppression ou du remplacement.
A l'égard des bâtiments accessoires qui n'ont pas la même importance et qui varient nécessairement avec le genre d'exploitation du fonds, le preneur doit avoir une plus grande facilité de les changer. Il suffit, pour qu'il ait ce droit, que leur durée ne puisse dépasser celle du bail; alors, comme le propriétaire n'aurait pas pu compter les retrouver un jour en état de servir, il lui importe peu qu'ils soient détruits plus tôt.
Dans le cas contraire, son consentement est nécessaire pour leur suppression.
172. Dans tous les cas où, d'après l'article précédent et d'après l'article 169, l'emphytéote est autorisé à supprimer des constructions ou des arbres, les matériaux et les bois en provenant appartiennent au propriétaire.
Cette disposition, outre qu'elle est conforme au principe du droit de propriété, a encore l'avantage d'ôter tout intérêt au preneur à détruire sans nécessité les constructions ou plantations établies déjà sur le fonds.
173. Le bailleur livre la chose en l'état où elle se trouve au moment du contrat d'emphytéose.
Il n'est tenu à aucune réparation, grosse ou d'entretien.
Les détériorations survenues par cas fortuit ou force majeure, pendant la durée de l'emphytéose, ne donnent pas lieu à diminution du prix du bail; sans préjudice du droit de résolution réservé au preneur par l'article 178.
C'est là une des grandes différences entre l'emphytéose et le bail ordinaire.
La destination de ce bail à long terme qui est surtout, de mettre en culture des terres jusque-là incultes est incompatible avec l'obligation pour le bailleur de pro curer et garantir une jouissance normale et régulière de la chose.
On a dit aussi, sous l'article 166, que ce serait engager pour un temps trop long la responsabilité du bailleur et de ses héritiers.
Le bas prix du bail sera, ordinairement, une compensation suffisante pour le preneur des accidents ou obstacles à la jouissance qu'il pourrait rencontrer.
174. Le preneur paye tous les impôts fonciers ordinaires et extraordinaires, quand la loi qui établit ces derniers n'en a pas décidé autrement.
Cette disposition sépare encore l'emphytéote du preneur ordinaire, lequel ne paye aucun des impôts fonciers; elle le rapproche de l'usufruitier (v. art. 90); mais avec une aggravation, car ce dernier ne fait que contribuer aux impôts extraordinaires, sans les supporter en entier.
La raison de cette double différence est encore le bas prix probable du bail et, en outre, la considération suivante: les terres données à emphytéose, prenant avec le temps une plus grande valeur, seront taxées à un chiffre progressivement plus élevé qu'à l'origine; or, le bailleur ne voyant pas s'élever progressivement la redevance annuelle, il serait injuste qu'il acquittât ces impôts.
175. Si un fonds a été donné en emphytéose à plusieurs personnes par un seul contrat, l'obligation de payer la rente annuelle est solidaire et indivisible de la part de chaque contractant ou de leurs héritiers.
Cette disposition est encore propre à l'empbytéose et se fonde sur la longue durée du bail, en même temps que sur la probabilité qu'il y aura souvent plusieurs preneurs associés.
Si l'obligation de payer la rente n' était pas solidaire et indivisible, le bailleur serait exposé à de grands embarras pour recouvrer la rente; il arriverait souvent que des décès substitueraient plusieurs héritiers à leur auteur; la rente se morcellerait à l'infini et, en cas d'insolvabilité d'un ou plusieurs d'entre eux, la résolution du contrat ne pourrait être obtenue que partiellement, ce qni serait un grand inconvénient pour le bailleur.
Au moyen de la solidarité et de l'indivisibilité, dont les effets généraux seront réglés au titre des Obligations, tous ces inconvénients disparaissent: il suffira qu'un seul des preneurs originaires ou un seul des héritiers soit solvable, pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir la résolution et, si tous sont insolvables, la résolution aura lieu en entier.
La loi ne réserve pas le cas de convention contraire; mais c'est un principe général que les conventions privées peuvent toujours diminuer les effets légaux d'un contrat, comme elles peuvent les étendre, lorsqu'il n'y a rien dans la convention de contraire à l'ordre public.
C'est ainsi que la disposition du présent article, qui n'existe pas dans le bail ordinaire, pourrait y être suppléée par convention expresse.
176. En cas de cession ou de sous-location du bail emphytéotique, lesdites obligations passent au cessionnaire ou sous-locataire, et le cédant en reste garant, comme caution, si le bailleur ne l'a pas expressément affranchi ou n'est pas intervenu à l'acte de cession en l'acceptant, sans réserver ses droits.
Cette disposition rapproche plutôt l'emphytéose du bail ordinaire qu'elle ne l'en sépare: elle est analogue à celle de l'article 142.
Si la loi a crû devoir s'exprimer sur ce point, c'est pour qu'on ne soit pas porté à soutenir au Japon deux théories romaines conservées dans quelques pays européens: l'une qui donnerait au propriétaire un droit do préférence pour le rachat, de l'emphytéose (droit de préemption) lorsque le preneur veut céder son droit: l'autre, qui lui accorderait une fraction du prix [ordinairement un cinquantième (1/50°)] lorsqu'il n'exerce pas le droit de préemption. Si le bailleur intervient à la cession et l'accepte sans réserver ses droits de garantie contre le cédant, il y a novation, suivant l'expression de l'art. 142.
La loi ne s'explique pas ici sur le droit pour le -preneur d'hypothéquer l'emphytéose; mais il n'est pas douteux qu'ayant un droit réel, il puisse l'hypothéquer.
177. Le bailleur peut demander la résolution du bail emphytéotique pour défaut de payement de la redevance pendant trois ans consécutifs.
Il peut même demander la résolution pour tout défaut de payement, si le preneur est déclaré en faillite ou insolvable, sur la poursuite d'autres créanciers; à moins que ceux-ci n'assurent le payement régulier de la redevance.
Il y a ici une nouvelle différence entre les baux emphytéotiques et les baux ordinaires: dans le bail ordinaire, il suffit que le preneur manque à payer l'un des termes exigibles pour que le bailleur puisse faire résoudre le contrat; ici, la loi est moins rigoureuse pour le preneur, à cause des difficultés souvent imprévues de l'entreprise.
En outre, comme les pertes de récoltes et autres privations de jouissance n'autorisent pas le preneur à demander une diminution du prix de bail, il est juste de lui accorder quelques délais, en cas d'embarras dans ses affaires.
Mais si le preneur avait d'autres créanciers qui le missent en faillite et poursuivissent la vente de ses biens, alors il serait impossible de refuser au bailleur le moyen de sauvegarder ses droits.
178. Le preneur peut demander la résolution du bail, si, par force majeure, la jouissance du fonds est devenue impossible pour le tout, pendant trois années consécutives, ou si la détérioration partielle ne doit pas laisser dans l'avenir de profits supérieurs à la rente annuelle à payer.
Cette disposition avait été réservée par l'article 173. comme un correctif du manque de garantie de la jouissance par le bailleur. La loi prévoit deux cas où le preneur peut lui même faire résoudre le contrat.
On peut supposer, pour le premier cas, une guerre ou une inondation qui aurait tellement dévasté le fonds qu'il ne donnerait aucun revenu pendant trois années.
Dans le second cas, la perte n'est pas totale, mais elle est telle que, désormais, les profits ne pourront dépasser la rente à payer; ce serait la ruine du preneur à courte échéance.
On peut supposer, pour l'application de ce second cas. la destruction de plantations, de travaux d'irrigation ou de dessèchement qui ont coûté des sommes plus ou moins considérables et que le preneur ne peut ou ne veut recommencer; s'il en résulte que les profits soient diminués au point de ne pas lui laisser d'excédant après avoir payé la rente, il peut faire résilier le bail.
179. A l'expiration du bail ou à sa résolution, le preneur laisse, sans indemnité, les plantations et améliorations qu'il a faites sur le fonds.
Pour les constructions, les dispositions du bail ordinaire lui sont applicables.
Le principal but de l'emphytéose étant, comme ou l'a dit plusieurs fois, l'amélioration des terres, et le prix du bail étant ordinairement faible, il est naturel que l'amélioration du fonds profite au bailleur, lorsque le contrat a pris fin et que le preneur a pu en tirer un profit légitime.
D'ailleurs, à part l'enlèvement des arbres, que la loi refuse, parce qu'ils ont peu coûté au moment de la plantation, les autres améliorations seraient difficiles à évaluer et deviendraient une source de contestations.
Au contraire, les constructions peuvent avoir coûté beaucoup à établir, il serait dur pour le preneur de les laisser sans indemnité.
Il pourra donc les enlever, si le bailleur ne préfère lui en payer la valeur.
II. DE LA SUPERFICIE.
180. La superficie est le droit de posséder en propriété des constructions ou des plantations d'arbres forestiers, sur un sol appartenant à un autre propriétaire.
Le droit de superficie peut aussi porter sur la surface arable(a) d'un sol non bati ni planté dont le tréfonds appartient à un autre propriétaire.
Dans les pays où le prix du sol est relativement (proportionnellement) élevé, il s'est établi une modification du droit de propriété dont le présent article donne le caractère principal: le sol même, le tréfonds (très-fonds) appartient à une personne et les édifiais ou superfices à une autre.
On trouve le droit de superficie dans le droit romain; il était peu usité dans l'ancien droit français; aussi n'en est-il pas fait mention dans le code civil français; mais il commence à s'introduire en France et on le trouve en Belgique, en Hollande et dans d'autres pays d'Europe.
Au Japon, cette modification de la propriété parait avoir pris plus d'extension qu'ailleurs, à cause de l'élévation du loyer des maisons, laquelle élévation tient, elle-même, à la fréquence des incendies. Les habitants préfèrent avoir une maison à eux appartenant qui ne leur coûte annuellement que l'intérêt du capital engagé et la rente du sol, en courant le risque du feu, plutôt que de payer, chaque mois, un loyer très-lourd.
Le 2e alinéa présente aussi une modification de la propriété du sol arable, laquelle parait propre au Japon; elle ne peut plus s'expliquer par le danger des incendies, mais par la pauvreté des paysans qui ne pourraient que très-difficilement arriver à la possession entière du sol et qui peuvent plus aisément en acquérir la surface labourable.
Lorsque la propriété du sol se trouve ainsi divisée en deux parties, superficie et tréfonds, le propriétaire du tréfonds (le tréfoncier) n'a pas un droit illusoire, comme on serait porté à le croire, au premier abord; ainsi, il a seul le profit des mines et carrières; il bénéficie des causes qui enlèveraient à la superficie le caractère arable, comme un envahissement permanent des eaux; enfin, il reçoit une rente annuelle, s'il n'a pas cédé la superficie pour un capital une fois payé.(a)
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(a), arable, du latin: arare, labourer; delà: instruments aratoires.
(a). Il serait utile de faire faire quelques recherches sur les caractères particuliers et les variétés de ce droit do superficie, dans les diverses provinces de l'Empire.
181. Lorsque les constructions ont été faites par le propriétaire du fonds, l'acte constitutif du droit de superficie est soumis aux règles générales des aliénations d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, suivant les cas.
Il arrivera, le plus souvent, que les constructions et plantations existeront déjà au moment de l'établissement du droit de superficie; autrement, le droit serait d'abord un droit de bail ordinaire ou d'emphytéose.
Dans le cas prévu par cet article, il est évident que le superficiaire devient un acquéreur d'immeubles, soit par vente, soit par donation; dès lors, on applique à la constitution du droit de superficie les règles des cessions d'immeubles, tant pour la capacité d'aliéner que poulies formes à observer dans l'acte et pour les formalités à remplir dans l'intérêt de la publicité, telles qu'elles seront établies au Livre IIIe.
182. Si le titre constitutif soumet le superficiaire au payement d'une redevance annuelle envers le propriétaire du sol, à raison de l'espace occupé par les constructions ou plantations cédées, ses droits et obligations sont régis, à cet égard, par les règles ci-dessus établies pour le bail emphytéotique.
Il en est de même, sous tous les autres rapports, si le terrain a été loué pour bâtir ou pour établir des plantations forestières.
Le cas où le superficiaire payera une redevance annuelle sera sans doute le plus fréquent, parceque les constructions et plantations ne lui auront été cédées généralement que pour leur valeur actuelle et intrinsèque; la redevance compensera alors la jouissance temporaire du sol.
Incontestablement, il y aura toujours une redevance à payer, lorsque, en l'absence de constructions, le superficiaire aura acheté seulement le droit de bâtir.
Il est naturel, en pareil cas, d'appliquer les règles du bail emphytéotique et non celles du bail ordinaire, spécialement en ce qui concerne la durée du droit du preneur.
183. Si, lors de l'établissement du droit de superficie sur des constructions et plantations déjà faites, il n'a pas été fait mention de la portion du sol environnant qui en dépendrait comme accessoire, le superficiaire a droit, de chaque côté des constructions, à une portion de sol égale à la moitié de la superficie des bâtiments; s'il s'agit de plantations d'arbres forestiers, il a droit à l'espace que pourraient couvrir les branches arrivées à leur plus grand développement.
Il arrivera le plus souvent, sans doute, que les parties détermineront l'étendue du terrain accessoire des bâtiments; mais la loi doit toujours suppléer à l'imprévoyance des parties en s'attachant à leur intention probable. Or, il est évident que l'acheteur de la superficie n'a pas entendu n'avoir que les bâtiments, sans aucun terrain à l'entour, autrement, l'usage en serait presque impossible.
La loi fait une chose juste et raisonnable en accordant au superficiaire une portion de terrain égale à la moitié de la profondeur des bâtiments, de tous les côtés. Si le terrain manquait d'un ou plusieurs côtés, le superficiaire ne pourrait prétendre à une compensation des autres côtes, parcequ'il n'a pu compter sur un espace que la nature des lieux ne présentait pas.
La détermination de cet espace environnant les constructions sera faite par experts quand elle ne le sera pas d'un commun accord par les parties.
Pour ce qui concerne l'espace environnant les arbres, il fallait aussi que la loi suppléât au silence des parties, car il est clair qu'elles n'ont pas entendu que le superficiaire n'eût que l'espace occupé par le tronc des arbres.
Il était impossible de s'attacher à l'espace occupé par les racines; car, outre que cet espace est variable et progressif, la vérification en est difficile et nuisible aux arbres. La loi a adopté la solution la plus favorable au superficiaire. Si le cédant la trouve excessive, il la réduira par le contrat.
184. Si le titre constitutif ne fixe pas la durée du droit de superficie à l'égard des constructions déjà faites, le droit est présumé établi pour un temps égal à la durée desdites constructions, lesquelles ne pourront recevoir de grosses réparations que du consentement du propriétaire du sol.
Si le sol est déjà planté d'arbres forestiers, le droit de superficie est censé établi pour durer jusqu'à l'époque où les arbres seront abattus, ou auront atteint leur plus grand développement utile.
La loi no pouvait soumettre le droit de superficie à la même durée que l'emphytéose; cette durée aurait pu être excessive dans certains cas et insuffisante, dans d'autres.
Il eût pu paraître raisonnable de s'attacher à la nature des constructions (pierres, briques ou bois); mais dans chacun de ces genres de constructions il y a bien des variétés possibles; en outre, au moment où la superficie est cédée, il est possible que les bâtiments aient déjà une plus ou moins grande ancienneté.
Le système auquel la loi s'est arrêtée répond à l'intention probable des parties: le droit durera autant que les bâtiments.
Mais le superficiaire pourrait abuser de sa position, en remettant les bâtiments à neuf, périodiquement et à mesure qu'ils seraient menacés de tomber de vétusté.
La loi prévient cette fraude en adoptant un système déjà usité en France pour assurer l'alignement des rues et leur redressement, sans recourir à l'expropriation: c'est d'empêcher les grosses réparations ou réconfortation. Le superficiaire ne pourra faire ces travaux que si le propriétaire l'y autorise et il est clair que celui-ci pourra mettre à cette autorisation les conditions qu'il jugera à propos; comme, par exemple, l'élévation de la rente annuelle.
Pour ce qui concerne les plantations, le système de la loi est également facile à justifier: quand les arbres ont atteint leur plus grand développement utile, c'est-à-dire quand ils ne gagneraient pas a être conservés, le droit cesse: le superficiaire les abattra et le droit cessera, faute d'objet.
185. Le droit de superficie s'éteint par les mêmes causes que le droit d'emphytéose et de bail.
Cet article ne demande pas de développements. Les causes d'extinction du droit de bail, soit ordinaire, soit emphytéotique, sont suffisamment connues par les dispositions antérieures. Il suffit de rappeler: la porte de la chose soumise au droit de superficie, la résolution pour inexécution des conditions, l'accord des volontés.
186. Les constructions et plantations forestières, tant celles établies antérieurement au contrat que celles faites par le superficiaire ne pourront être enlevées par celui-ci que si le propriétaire du sol n'en requiert pas la cession à dire d'experts.
A partir de l'année qui précède la fin du droit de superficie, le superficiaire ne pourra enlever lesdites plantations ou constructions qu'après avoir sommé le propriétaire du fonds d'avoir à déclarer s'il entend user du droit de préemption.
Dans certains pays, à l'expiration du droit de superficie, les constructions et plantations sont acquises au propriétaire du fonds sans indemnité.
On ne peut pas dire que ce soit injuste puisque les parties sont considérées comme ayant accepté d'avance cette condition rigoureuse: mais il y a là un grand inconvénient économique: le superficiaire n'entretient pas les bâtiments, et quand c'est lui qui les a construits, il les a faits de nature à ne durer que pendant la durée de son contrat; après quoi, il n'ont plus aucune valeur.
La loi donne ail propriétaire le droit de préférence, pour l'achat, sous le nom connu de préemption(a); à défaut d'accord entre lés parties, le prix sera réglé à dire d'experts.
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(a) Préemption de deux mots latins: prœ, avant, emere, acheter: acheter avant tout autre.
CHAPITRE IV. DE LA POSSESSION.(a)
Dans le sens le plus simple et, en même temps, le plus usité du mot, la Possession est le fait d'avoir une chose à sa libre et entière disposition (b).
Mais cette définition a été adoptée surtout pour la possession des choses corporelles que le possesseur détient à titre de propriétaire, c'est-à-dire en se prétendant propriétaire. Lorsqu' il s'agit de choses incorporelles ou de droits, comme un usufruit, une servitude foncière, on emploie ordinairement l'expression de quasi-possession.
Cette distinction n'est pas nécessaire ni même exacte; car celui qui possède à titre d'usufruitier, ou comme ayant droit à une servitude, a aussi à sa disposition une chose corporelle sur laquelle s'exerce son droit et. du moment qu'il agit sur cette chose dans toute la mesure du droit qu'il prétend avoir, on peut dire aussi qu'il en a la libre disposition; en sens inverse, celui qui possède en qualité (à titre) de propriétaire, possède aussi une chose incorporelle, un droit, le droit de propriété auquel il prétend.
On peut donc n'avoir qu'une seule définition de la possession et on l'appliquera, non plus aux choses corporelles, mais aux droits dont ces choses sont l'objet. La possession sera alors définie: “l'exercice d'un droit. que l'on a ou que l'on prétend avoir sur une chose.”
Cette formule, à cause des derniers mots, parait limiter la possession aux droits réels seuls: cependant, on verra plus loin que, dans une certaine mesure, elle peut être étendue aux droits personnels ou de créance; en sens inverse, on verra qu'il y a des droits réels dont la possession est. pour ainsi dire, sans effets.
La possession consiste dans des actes ou des faits plus ou moins répétés tels que les accomplit ordinairement celui auquel appartient réellement le droit dont il s'agit.
De là l'axiôme venu des Romains, encore admis aujourd'hui. mais sur lequel nous aurons à revenir: “la possession consiste plutôt dans un fait que dans un droit.”(c)
Quand ce fait est réuni au droit, ce qui est le cas normal et le plus fréquent, la loi n'a guère à s'en occuper: les garanties qu'elle accorde au droit lui-même s'appliquent, en même temps, au fait de la possession.
Mais quand celui qui possède n'a pas, en réalité, le droit qu'il exerce, ou quand il n'est pas en mesure de prouver qu'il a ce droit, la loi ne laisse pas de lui accorder encore certains avantages, à commencer par la garantie de sa possession elle-même, laquelle lui sera maintenue ou rendue, s'il est troublé ou dépossédé par un tiers moins favorable que lui.
Or, une situation ainsi reconnue par la loi et garantie par des actions en justice n'est pas seulement un fait; elle a bien tons les caractères d'un droit et on peut l'appeler droit de possession.
Dans l'opinion générale, qui n'admet de possession proprement dite que pour les choses corporelles, la possession, pour devenir, en elle-même, un droit, doit présenter deux caractères, deux éléments distincts: un élément matériel ou corporel, à savoir, la détention physique de la chose possédée et un élément moral ou intellectuel, l'intention, chez le possesseur, de se comporter en maître de la chose, en propriétaire.(d)
Ainsi, celui qui n'aurait que l'intention de se comporter en propriétaire, sans faire d'acte extérieur de maître sur la chose, ne posséderait pas: cette intention, restant dans le domaine des faits purement internes, ne se révélerait pas assez aux tiers pour devenir le fondement d'un droit qui leur soit opposable; autrement, on pourrait se dire possesseur de tout ce que l'on désire avoir, ce qui serait dérisoire. En sens inverse, celui qui ferait des actes de maître sur la chose, sans intention de se comporter comme tel, n'obtiendrait pas les avantages légaux de la possession; au moins, il ne les obtiendrait pas pour lui; mais il pourrait les faire obtenir à autrui, s'il faisait ces actes pour le compte d'un autre dont il serait le représentant légal pu conventionnel, et pourvu encore que l'élément intentionnel se rencontrât chez celui-ci.
En effet, on a toujours admis que celui chez lequel existe l'intention de posséder pût se faire représenter pour les actes physiques de détention: le mandat est naturel et souvent nécessaire quand il s'agit d'actes que nous ne pourrions faire par nous-mêmes sans plus ou moins de difficultés; de là, l'axiome Romain que “nous pouvons détenir par le corps d'autrui, pourvu que nous possédions par notre propre intention.”(e)
Par exception, on admet la représentation, même pour l'intention de posséder, lorsqu'il s'agit de personnes incapables d'avoir une volonté ou intention raisonnable, comme les fous et les mineurs; c'est alors l'intention de leur tuteur ou autre représentant légal qui est nécessaire. Il en est de même, par un autre motif de nécessité, pour les corporations, publiques ou privées, ayant le caractère de personnes juridiques: c'est leur chef, leur gérant ou administrateur, qui doit avoir l'intention de posséder; mais toujours pour le compte de la corporation représentée.
Ceux qui possèdent ainsi pour le compte d'autrui, soit physiquement, soit même intentionnellement et par exception, sont dits possesseurs précaires ou à titre précaire, par opposition à ceux qui possèdent pour eux-mêmes et à titre de propriétaire.
Cette expression de possession précaire a été tirée du droit romain, mais est aujourd hui sortie du sens propre et limité qu'elle y avait(f): on l'a généralisée, pour exprimer toute possession qui s'exerce pour le compte d'autrui.
Il y a d'ailleurs des cas où la possession est précaire, lors même que le possesseur joint à sa détention et aux actes de maître l'intention d'avoir la chose pour lui même; c'est lorsque la nature du titre en vertu duquel il possède s'oppose à la légitimité de cette prétention.
Ainsi un dépositaire, un emprunteur à usage, un usufruitier, un locataire, un créancier gagiste, n'étant entrés en possession qu'en reconnaissant lo droit de propriété d'autrui et sous condition de rendre la chose an propriétaire, sont toujours possesseurs précaires, comme reconnaissant, ou devant reconnaître, un autre maître qu'eux-mêmes; de là la règle célèbre que "l'on ne peut se changer à soi-même la cause et le principe de sa possession.”
Seulement, dans toutes les opinions, on est bien obligé de reconnaître que celui qui possède comme usufruitier, comme locataire, comme gagiste, n'a une possession précaire que par rapport au droit de propriété auquel il ne peut en effet prétendre, mais qu'il possède pour lui-même, et non pour autrui, le droit réel plus limité que lui donne son titre. On peut dire qu'il n'a qu'une quasi-possession, mais elle n'est pas à titre précaire. Pour arriver à trouver une quasi-possession précaire, par rapport au droit ainsi possédé, il faudrait supposer que le droit d'usufruit, de gage ou autre, fût exercé pour le compte d'autrui, par un mandataire.
Mais, dès qu'on s'affranchit de la théorie traditionnelle qui distingue, sans motifs suffisants, la possession proprement dite appliquée aux choses corporelles et la quasi-possession appliquée aux droits, dès qu'on n'admet plus qu'une seule possession qui est l'exercice d'un droit, avec l'intention de l'avoir à soi(g) les idées se simplifient en se généralisant: toute personne qui exerce un droit, soit par elle-même, soit par un représentant, et qui a l'intention d'avoir ce droit, au fond, qui prétend l'avoir pour elle-même, cette personne est possesseur de ce droit. Elle n'est peut-être pas réellement investie de ce droit, elle peut n'en être pas légitime titulaire; ou bien, ce sont peut-être les preuves de son droit qui lui manquent; peu importe, cet état de fait est lui-même un avantage que la loi garantit et dont les conséquences ultérieures peuvent devenir de nouveaux avantages, ainsi qu'on le verra bientôt, en même temps qu'on en donnera la justification.
La possession ainsi protégée et garantie par la loi est généralement appelée possession civile, par opposition à la possession que la loi ne garantit pas, qui reste un par fait, et qu'on appelle possession naturelle; par exemple, dans le cas où quelqu'un posséderait une chose du domaine public, sur laquelle un particulier ne peut jamais acquérir aucun droit réel.
Ainsi donc, voici déjà trois qualifications de la possession dont on pourra désormais user, sans avoir besoin d'en rappeler le sens: possession civile, possession naturelle, possession précaire.
Voici enfin deux autres aspects de la possession formant des sous-distinctions de la possession civile. Ils ont une grande influence sur ses avantages et l'on doit toujours s'en préoccuper quand on veut déterminer les effets légaux de la possession. La possession peut être à juste titre (à juste cause) ou sans titre; elle peut aussi être de bonne foi ou de mauvaise foi.
La possession est dite à juste titre, lorsque la détention de la chose ou l'exercice du droit prétendu provient d'un acte licite et de nature à transférer un pareil droit, comme une vente, un échange, une donation; c'est dans le même sens qu'on dit que la possession a une juste cause.(h)
Si ce titre et cette cause sont appelés justes, c'est pour dire qu'ils ont un caractère légal, par opposition au cas où le possesseur détiendrait par suite d'un acte illicite, comme par soustraction frauduleuse ou violente, ou même détiendrait sans cause ou sans titre. par exemple, lorsqu'il se serait emparé d'une chose d'autrui, croyant qu'elle lui appartenait.
Mais le juste titre peut cependant avoir un vice; il peut émaner d'une personne qui n'était pas propriétaire, ou n'avait pas qualité pour conférer le droit prétendu. Dans le cas contraire, le titre ne serait pas seulement juste, il serait un titre parfait et la possession qui on résulterait serait cumulée avec le droit même. Dans cette situation où le juste titre a un vice, il faut encore distinguer si le possesseur, au moment où il a traité, a ignoré ou connu le défaut de droit chez le cédant; dans le premier cas, le possesseur est de bonne foi; dans le second cas, il est de mauvaise foi.(i)
Au surplus, si les avantages légaux ne sont pas les mêmes pour le possesseur sans titre (usurpateur) que pour celui qui a un juste titre et s'ils sont moindres aussi pour celui qui connaît le vice de son titre que pour celui qui l'ignore, ceux-ci n'en sont pas moins, tous deux, possesseurs civils, dès qu'ils réunissent la détention physique de la chose, ou l'exercice effectif du droit par eux prétendu, à l'intention d'agir en titulaires do ce droit, c'est-à-dire, d'avoir et de conserver ce droit pour eux-mêmes.
On doit maintenant déterminer les avantages légaux, déjà plusieurs fois annoncés, de la possession civile. Il faut aussi les justifier en raison et en équité.
I. Le premier avantage de la possession civile est que celui qui possède une chose, qui exerce un droit, comme lui appartenant, est présumé avoir le droit par lui prétendu.
Cette présomption est conforme à la raison, car elle se trouve, dans la grande majorité des cas, d'accord avec la réalité des faits; (j) il est rare, en effet, que celui qui a un droit de propriété ou un autre droit réel n'ait pas la chose à sa disposition, ne la possède pas; il est plus rare encore que cette chose soit à la disposition d'une personne qui n'y a pas droit.
La présomption légale est donc que le droit est d'accord avec le fait.
Mais ce n'est pas une de ces rares présomptions dites absolues contre lesquelles la loi n'admet pas la preuve contraire; loin de là, celui qui se croira fondé à contester le droit du possesseur pourra toujours le faire et prouver contre lui son propre droit, tant par titres que par témoins et, généralement, par tous les moyens de preuve admis en matière civile.
Mais la condition du possesseur est toujours la meilleure; car, on vertu de la présomption légale, il est défendeur à l'action en revendication et, comme tel, il n'a pas tant à prouver son droit qu'à réfuter les preuves de celui qui l'attaque.
Pour jouir de l'avantage de la présomption légale de propriété ou d'un autre droit réel, il n'est pas nécessaire que le possesseur ait juste titre et bonne foi; il lui suffit de posséder pour lui-même et non pas précairement.
A ce sujet, on rencontre encore une présomption favorable au possesseur: la raison veut que foute personne qui détient une chose ou exerce un droit sur une chose soit présumée posséder pour elle-même et non pour autrui; c'est encore, en effet, ce qui arrive le plus souvent; sauf toujours la prouve contraire, par tous les moyens ordinaires.
II. Le deuxième avantage de la possession civile est l'acquisition des fruits et revenus périodiques produits par la chose possédée ou par le droit exercé.
Ainsi, si l'on suppose que celui auquel appartient réellement la propriété ou autre droit sur la chose possédée en a exercé la revendication et a évincé le possesseur, celui-ci conserve au moins les profits périodiques qu'il a réalisés.
Cette faveur considérable n'est accordée qu'au possesseur qui a juste titre et bonne foi.
Elle est fondée en équité et en raison. En effet, deux intérêts sont en présence, celui du propriétaire ou du titulaire légitime d'un droit et celui d'un possesseur.
Lorsqu'il s'agit de déterminer quel est celui des deux intéressés qui est le plus digne de protection de la part de la loi, il faut considérer quel est celui qui souffrirait le plus d'être privé des produits et quel est celui qui a la moins grande négligence à s'imputer.
Si le possesseur était obligé de rendre les fruits et produits qu'il a perçus, ce serait presque toujours pour lui la ruine; car, le plus souvent, il ne les a pas gardés, il les a consommés, il en a vécu; ces fruits d'ailleurs ne sont, en général, que la compensation des intérêts d'un capital qu'il a déboursé comme acheteur, car il a un juste titre, et ce sera bien plus souvent un titre onéreux (achat ou échange) qu'un titre gratuit (donation ou legs).
Le titulaire du droit, au contraire, le vrai propriétaire, par exemple, n'ayant pas possédé sa chose pendant le même temps, ayant ignoré son droit, vraisemblablement, n'a pas compté sur les fruits antérieurs à sa réclamation; il souffrira peu de ne les pas recouvrer; ces fruits seraient pour lui comme un gain inespéré.
Si, en outre, on examine de quel côté est la faute la plus considérable, on la trouve plutôt chez le propriétaire qui, le plus souvent, a manqué de vigilance, qui avait des preuves de son droit et ne les a pas reconnues en temps utile; tandis que le possesseur a été induit, en erreur par le tiers avec lequel il a traité. Sans doute, il aurait pu, avec plus de vigilance encore, s'assurer de la réalité des droits de son cédant; mais le fait même qu'il a traité, en déboursant un prix ou une autre valeur, donne lieu de croire qu'il n'a pas agi sans quelque précaution; le concours d'un tiers a l'acte, soit qu'il ait commis un dol, soit, qu'il ait lui-même été dans l'erreur sur ses droits, diminue encore la faute du possesseur, en la rendant plus plausible; au contraire, le légitime propriétaire ne peut imputer son erreur qu'à lui-même et il est juste qu'elle lui cause quelque préjudice.
Le possesseur de bonne foi n'acquiert les fruits naturels qu' au moment où il les perçoit, par lui-même ou par un mandataire. On ne doit pas admettre, comme pour l'usufruitier, qu'il en soit propriétaire dès qu'ils sont séparés du sol, même à son insû: l'usufruitier, en effet, acquiert les fruits en vertu d'un droit certain, d'un titre parfait, tandis que le possesseur ne les acquiert qu'en vertu d'un bienfait de la loi: il faut donc qu'il ait fait acte de possession sur les fruits eux-mêmes, en tant que distincts do la chose qui les a produits.
A l'égard des fruits civils, tels que les loyers des maisons ou des terres, l'opinion générale est, en Franco, que, faute d'un texte semblable à celui qui existe pour l'usufruiter, le possesseur ne les acquiert également que par la perception effective aux échéances; mais la raison parait commander la même solution que pour l'usufruitier, et par conséquent, l'acquisition jour par jour.
On la propose pour le Japon.
Il ne suffit pas, pour l'acquisition des fruits, que le possesseur ait été de Lonne foi au moment où il a fait le contrat constituant son juste titre, ni même au momont où il a pris possession; il faut encore qu'il ait été de bonne foi au moment de chaque acquisition des fruits; s'il avait découvert son erreur auparavant, il ne mériterait plus au même degré la protection de la loi; il ne pourrait plus alléguer qu'il a considéré les fruits comme légitimement acquis; il a dû, sinon les rendre spontanément, au moins ne pas les consommer et les réserver, en nature ou en valeur, pour être rendus à première demande.
Il va sans dire que la bonne foi est toujours considérée comme cessant quand le vrai propriétaire a intenté une action en justice pour recouvrer son droit.
Le possesseur de mauvaise foi est tenu do rendre non seulement les fruits qu'il a perçus, mais encore ceux qu'il a négligé de percevoir.
Mais quand le possesseur ne gagne pas les fruits perçus, faute de bonne foi, il est autorisé à se faire rembourser les frais de culture faits pour les obtenir; autrement, le proprietaire s'enrichirait à ses dépens sans cause légitime, ce qui n'est pas permis, même vis-à-vis d'un usurpateur.
III. Le troisième avantage de la possession civile est qu'elle peut, après un temps plus ou moins considérable, conduire le possesseur à la propriété ou à l'acquisition du droit qu'il a exercé comme lui appartenant.
Pour arriver ainsi à l'acquisition du droit par lui exercé il n'est pas nécessaire que le possesseur ail un juste titre et ait été de bonne foi; mais, s'il remplit ces conditions, le temps requis pour acquérir sera moins long pour les immeubles, et, pour les meubles, il pourra être considérablement réduit, comme dans plusieurs législations qui se contentent d'une année de possession, ou même entièrement supprimé et ramené à une possession instantanée, comme dans la loi française, (art. 2279).
Ce bénéfice du possesseur, supérieur à tous les autres, est connu en Europe, sous le nom assez singulier de prescription, tiré do la procédure romaine; ou peut l'appeler aussi, et préférablement, usucapion, d'un mot. latin qui veut dire acquisition par l'usage, c'est-à-dire par la possession.
Pour justifier ce dernier avantage de la possession, on doit revenir aux deux considérations qui ont déjà servi à la justification des doux premiers avantages: 1" la présomption de légitimité du droit so fortifie avec la durée do la possesssion; elle devient alors une présomption absolue ou invincible; 2° la faute du précédent titulaire s'aggrave en se prolongeant, en même temps que celle du possesseur s'atténue; car la tranquillité dont celui-ci a joui a pu transformer sa croyance en une véritable certitude.
On pourrait objecter que le possesseur ne mérite pas la protection de la loi, lorsqu'il n'a pas juste titre et bonne foi; mais il faut admettre que, dans la théorie rationnelle do la prescription, lo possesseur est seulement dispensé de prouver son titre et sa bonne foi, qu'il est présumé avoir rempli ces conditions au moment où sa possession a commencé, et que cette présomption, fortifiée par le temps, ne peut plus être combattue par la preuve contraire.
Au surplus, la prescription acquisitive on usucapion étant un des moyens d'acquérir la propriété et d'autres droits réels n'a pas sa place ici, mais au Livre III et c'est là qu'on en donnera une justification complète. Il suffit d'indiquer ici ce troisième avantage do la possession.
Pour achever de démontrer que la possession n'est pas seulement un fait mais un droit, il reste à dire quelque chose des actions judiciaires qui la garantissent.
Ces actions sont appelées possessoires, par opposition aux actions pétitoires qui font juger le fond du droit.
Déjà on les a rencontrées au sujet do l'usufruit (art.70).
Comme elles appartiennent surtout à la procédure civile, il n'y a lien d'en indiquer ici que les principaux caractères.
Il y a deux actions possessoires: l'une qui tend à conserver la possession, en faisant cesser le trouble défait apportée par un tiers, c'est l'action en complainte, ainsi appelée parceque le possesseur se plaint'; il ne réclame rien encore que la tranquillité, que le maintien du statu quo (de l'état actuel); l'autre action est l'action en réintégrande, par laquelle le possesseur, ayant perdu la possession par le fait d'un tiers, prétend la recouvrer, se faire remettre en possession.(k)
Dans l'un et l'autre cas, le fond du droit n'est pas en question, mais la possession seule avec les avantages qui y sont attachés.
Celui qui triomphera au possessoire pourra être plus tard défendeur au petitoire, ce qui est une position bien supérieure à celle de demandeur; il pourra aussi gagner les fruits et arriver à l'usucapion ou prescription acquisitive.
Pour avoir les actions possessoires, soit en complainte, soit en réintégrande, il n'y a pas a distinguer si le possesseur a, ou non, juste titre et bonne foi; il suffit qu'il ait la possession de fait et l'intention d'avoir la chose ou le droit pour lui-même.
On peut même admettre que la réintégrande serait exercée par un possesseur précaire, car il a intérêt à recouvrer la détention d'une chose à l'égard do laquelle il a une responsabilité envers autrui.
L'action en réintégrande a encore un autre avantage sur l'action en complainte, c'est quelle n'exige pas que le possesseur ait possédé pondant un temps déterminé avant la dépossession, tandis que l'action en complainte n'est donnée, en général, qu'à celui dont la possession a déjà duré un an.
Il faut maintenant déterminer qu'elles choses ou quels droits sont susceptibles de possession.
En première ligne, dans toutes les opinions, sont les choses corporelles, meubles ou immeubles, et, pour être plus exact, avec l'opinion exposée plus haut, le droit de propriété exercé sur les choses corporelles.
Viennent en seconde ligne les droits réels moins importants, les démenbrements de la propriété, l'usufruit, l'usage, l'habitation, les servitudes foncières, à l'égard desquels l'opinion générale n n'admet qu'une quasi-possession; mais la différence n'est que dans le nom et l'on peut, sans hésiter, employer à cet égard le nom de possession.
Les droits dont il s'agit peuvent être pessédés as avec les trois avantages énoncés plus haut: 1° présomption de droit légitime, jusqu'à prouve contraire, 2° acquisition intérimaire des fruits, 3° acquisition finale (usucapion) du droit après un certain temps. (l)
Mais il y a d'autres droits réels à l'égard desquels la possession ne produira pas les mêmes avantages; ce sont les droits de bail, d'emphytéose, et de superficie.
On a déjà eu occasion de dire, sous l'article 124,que le droit de bail ne peut s'acquérir par prescription, ce qui enlève à la possession ou exercice d'un pareil droit le principal avantage de la possession ordinaire: mais si quelqu'un avait pris une chose à bail, en traitant avec un autre que le propriétaire, et s'il avait possédé ce droit, en l'exerçant pendant un certain temps, il n'y aurait pas de raison do lui refuser le bénéfice de la présomption de droit légitime au bail et le rôle de défendeur à la revendication du vrai propriétaire. On devrait également lui laisser le bénéfice des fruits intérimaires, s'il était de bonne foi, car il aurait aussi un juste litre, quant aux fruits, dans le. contrat do bail.
Au surplus, la possession du preneur, qui serait impuissante à lui faire acquérir le droit réel de bail, pourrait profiter au bailleur à l'effet de lui faire acquérir la propriété; car ce dernier pourrait avoir l'animus domini, c'est-à-dire la prétention à la propriété et possédant par le fait du preneur, quant à la détention corporelle de la chose, il serait dans les conditions légales de la prescription ou usucapion.
La même solution parait nécessaire pour les droits d'emphytéose et de superficie qui ne s'acquierront pas par prescription, mais dont la possession procurera les deux premiers avantages déjà signalés.
En ce qui concerne les droits réels accessoires dos créances et qui leur servent de garantie, (v. art. 2), la décision ne peut être la même pour chacun d'eux, parcequ'ils sont de nature très-différente.
Celui de ces droits dont la possession produirait tous les effets qu'elle peut avoir est l'antichrèse, laquelle, par sa nature et lorsqu'elle est valablement constituée, permet au créancier de posséder et détenir un immeuble de son débiteur et d'en percevoir les fruits avec imputation sur les intérêts de la créance.
Si l'on suppose que l'antichrèse a été constituée par un débiteur sur un bien qui ne lui appartient pas, le créancier antichrésiste, une fois en possession du droit, sera présumé, jusqu'à preuve contraire, l'avoir légitimement acquis et sera par conséquent défendeur à l'action en revendication du vrai propriétaire; s'il est de bonne foi, il gagnera les fruits perçus avant la demande, mais à charge de les imputer sur sa créance; enfin, si la possession s'est prolongée pendant le temps voulu pour la prescription dos immeubles, le créancier aura acquis un véritable droit d'antichrèse sur une chose qui n'appartenait pas à son débiteur.
La solution serait un peu différente pour le gage constitué également sur une chose n'appartenant pas au débiteur.
Le créancier gagiste n'ayant pas droit aux fruits, en vertu du contrat de gage, n'y pourrait prétendre en son nom; mais il acquierrait le droit légitime de gage par prescription, conformément aux conditions faciles à remplir de la proscription des meubles.
A l'égard de l'hypothèque constituée sur un bien n'appartenant pas au débiteur, les effets de la possession on seront encore moindres que pour le gage: non-seulement elle ne donnera pas au créancier le bénéfice des fruits, puisque cet effet n'est pas attaché à l'hypothèque même légitimement acquise; mais le créancier n'ae-quierra pas non plus, avec le temps, le bénéfice d'une prescription acquisitive de l'hypothèque. En effet, la possession de l'hypothèque ne se révèle pas suffisamment par des actes extérieurs constituant une sorte d'exercice du droit, lequel ne pouvant être continu de sa nature ne peut non plus se fortifier par le temps. Comme le créancier hypothécaire, à la différence du créancier antichrésiste et du créancier gagiste, ne possède pas la chose hypothéquée', son droit ne s'exerce, jusqu'à la vente de l'immeuble, que par une inscription sur des registres publics, suivant le système français, ou par la détention du titre de propriété. suivant le système japonais.
C'est là une possession très-imparfaite du droit d'hypothèque.
Le seul effet qu'il faille reconnaître à cette possession, c'est la présomption de droit légitime chez le possesseur de l'hypothèque et le rôle de défendeur à l'égard de ceux qui prétendrait contester l'hypothèque.
Il reste à savoir si la possession peut s'appliquer aux créances ou droits personnels et produire à leur égard quelques uns des effets connus.
Il faut supposer, pour que la question se conçoive, que quelqu'un a acheté, on reçu à un titre analogue, une créance déjà constituée mais qui n'appartenait pas au cédant, et qu'ensuite le cessionnaire a fait des actes de possession, c'est-à-dire a exercé le droit, par exemple, en touchant les intérêts.
Si la créance ne portait pas d'intérêts. les actes de possession n'auraient pas la continuité nécessaire pour produire les effets ordinaires attachés à la possession des choses corporelles. On pourrait comprendre seulement que le cessionnaire se fût fait connaître comme tel au débiteur, ou même qu'il eût commencé des poursuites à tin.de payement: cette possession imparfaite; jointe sans doute, à la détention du titre originaire de la créance, pourrait produire une présomption de droit au profit du cessionnaire: mais c'est tout ce que l'analogie incomplète des situations permet d'emprunter à- la possession des droits réels.
Au contraire, s'il y avait eu perception répétée des intérêts, on pourrait admettre que ces intérêts fussent acquis au possesseur de bonne foi de la créance.
On pourrait aller plus loin et admettre que le possesseur de la créance en devint le titulaire légitime après le temps de la prescription qui, dans ce cas, devrait être de trente ans, dans l'impossibilité où l'on est d'appliquer la prescription instantanée, évidemment limitée aux meubles corporels.
Ces solutions n'ont jamais été formellement admises on Franco, ni dans la loi, ni dans l'interprétation; on ne les a pas non plus combattues, faute d'avoir nettement prévu le cas. Mais on peut dire que la loi française a reconnu dans deux articles qu'une créance peut être possédée (art. 1240 et 1337).
Il y a, au surplus, une nature de créances à laquelle s'appliquera tout à fait la théorie de la possession des choses corporelles mobilières, ce sont les créances payables au porteur: le droit est alors attaché au titre plus qu'à la personne du créancier: il se eède avec le titre et celui qui le recevrait en vertu d'une convention et de bonne foi, c'est-à-dire croyant traiter avec le véritable titulaire, acquierrait les mêmes droits que le cessionnaire d'un meuble corporel dans les mêmes circonstances.
Il reste encore à examiner un point de cette théorie générale de la possession, c'est, ce qu'on appelle la jonction des possessions.
Dans les divers cas, où la durée de la possession a do l'intérêt, spécialement, quand elle peut mener à la prescription, on peut se demander si la possession est interrompue par la mort du possesseur et si son héritier doit recommencer une nouvelle possession. Même question, si le possesseur cède la chose ou le droit qu'il possède: le cessionnaire doit-il recommencer une nouvelle possession ?
Pour le cas de décès du possesseur, il n'y a pas de difficulté: son héritier continuant sa personne au point de vue des droits civils, succède à sa possession, la continue, et, par cela seul que c'est, juridiquement, la même possession, elle a les mêmes vices ou les mêmes qualités: elle sera précaire ou non, à juste titre ou sans titre, de bonne foi ou de mauvaise foi, suivant ce qu'elle était pour le défunt. Au contraire, s'il y a cession volontaire, le cessionnaire ne succédant pas au cédant à titre universel, mais seulement à titre particulier, ne le représente pas et ne continue pas sa personne; il doit donc, en principe, commencer une nouvelle possession, laquelle pourra être exempte des vices que pouvait avoir celle du cédant, mais pourra aussi avoir ses vices propres.
Toutefois, l'utilité pratique, d'accord avec la raison, a fait admettre que si les deux possessions étaient à juste titre et de bonne foi elles pussent être ré-unies au profit du cessionnaire; il n'y a. en effet, aucune raison de retarder le bénéfice de la prescription au profit de l'ancien titulaire du droit qui, lui-même, n'a fait aucun acte de diligence pour conserver son droit.
On peut maintenant aborder le texte qui tend à résumer ces idées théoriques, avec une portée pratique,ainsi qu'il convient aux dispositions d'une loi.
On y présente, comme pour les droits réglés aux chapitres précédents, après une définition caractérisant le droit dont il s'agit, les moyens ou conditions de sou établissement, ses effets et les causes qui y mettent lin.
On sait, d'ailleurs, que l'un des effets de la possession, à savoir la prescription acquisitive ou usucapion, ne prendra pas place ici, mais sera renvoyé au Livre III, avec les autres moyens d'acquérir les droits.
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(a) La difficulté de cette matière est célèbre et, pour ainsi dire, proverbiale. Aucune législation, soit ancienne, soit moderne, ne l'a réglée d'une manière satisfaisante. En France, les articles 548, 549, 550 et 2228 à 2235 sont insuffisants: la doctrine et la jurisprudence sont constamment obligées de recourir à la législation romaine qui, avec bien des obscurités, est encore la source la plus riche et la plus sûre à consulter sur la Possession.
Pour ces motifs, avant de présenter ici le texte, 011 a cru devoir exposer l'ensemble de la théorie de la Possession. Les articles qui suivront, et qui en consacreront les principales règles, se trouveront, en quelque sorte, commentés par avance; il ne restera plus qu'à les accompagner de quelques développements et observations de détail.
(b) On est généralement porté à faire venir le mot possession du verbe latin posse, pouvoir, parceque le possesseur a le pouvoir d'agir sur la chose possédée: mais il parait plus exact de le faire dériver de sedere, s'asseoir, pour exprimer que le possesseur se fixe, s'établit sur la chose (rei insistit).
(c) Possessio potius in facto quàm injure consistit.
(d) Les Romains disaient que la possession a lieu corpore et animo, par le corps et par l'esprit: par le corps qui agit sur la chose et par l'esprit qui prétend l'avoir en maitre.
(e) Animo quidem nostro possidemus, corpore autem alieno.
(f) La possession précaire, de prex, prière, se disait de celle qu'on avait demandée et obtenue comme -une faveur et sujette à restitution, à première demande.
(g) Animo sibi habendi.
(h) Les Romains dont nous avons emprunté ces expressions, en France, disaient, indistinctement, justa causa, justus titulus.
(i) Ce sont encore des expressions du droit romain, consacrées dans toute l'Europe: bonœ fidei possessor, malœ fidei possessor.
(j) La plupart des présomptions de la loi sont fondées “ sur ce qui arrive le plus souvent," de co quod plerumque fit.
(k) Certaines législations admettent une 3e action possessoire, très-voisine de l'action en complainte, sous le nom de dénonciation de nouvel œuvre, pour faire cesser des travaux qui peuvent nuire dans un temps plus ou moins proche. La loi française (25 mai 1838. art. G) a admis cette action qu' on trouvait déjà dans le droit romain. Elle est proposée pour le Japon et sera expliquée, plus loin, sous le texte qui y est consacré.
(l) L'acquisition des servitudes par la prescription ou usucapion est soumise à quelques distinctions particulières qu'on verra au chapitre suivant.
SECTION PREMIÈRE. DES DIVERSES ESPÈCES DE POSSESSION ET DES CHOSES QUI EN SONT SUSCEPTIBLES.
191. La possession est naturelle ou civile [légale].
Il n'est pas rare de rencontrer dans les matières de droit une semblable division qui rattache les institutions à deux principes, à deux causes: la nature et la loi. C'est ainsi qu'on a déjà reconnu que les biens sont meubles ou immeubles par leur nature ou par la détermination de la loi; ce qui revient à dire qu'il y a des meubles et des immeubles naturels et qu'il y en a aussi de civils; on a vu aussi qu'il y a des fruits naturels et des fruits civils.
Ici cependant, il y a une légère différence dans le sens de ces deux mots: la nature et la loi civile ne sont pas considérées comme causes mais seulement comme garanties de la possession, ainsi qu'on le comprendra par les dispositions ci-après.
192. La possession naturelle est la détention d'une chose corporelle, sans que le détenteur ait aucune prétention à un droit sur cette chose.
Les biens du domaine public ne sont susceptibles que d'une possession naturelle de la part des particuliers.
La possession naturelle est un par fait, tout physique et matériel, sans rien de juridique. La loi peut le constater, lo tolérer; mais elle no le protège, pas, elle ne lui accorde aucune des garanties et ne lui reconnaît aucun des effets avantageux qui caractériseront la possession civile et en font un droit.
Les cas de possession naturelle ne sont pas rares: il arrive souvent qu'à la faveur du voisinage, de la parenté ou de l'amitié', on se sert du bien d'autrui, d'un meuble ou d'un immeuble, sans autorisation du vrai propriétaire, quelquefois à son insû, mais sans intention de se l'approprier, ni sans prétendre avoir aucun droit sur cette chose. C'est une possession naturelle.
Si l'on faisait usage de la chose d'autrui avec la permission du propriétaire, comme on vertu d'un prêt à usage, du si on la détenait en vertu d'un dépôt, la possession serait toujours naturelle: mais elle prendrait spécialement le nom de précaire, comme il est dit à l'article 197.
Le présent article, en nous disant que les biens du domaine public no sont susceptibles que do possession naturelle, de la part des particuliers, consacre ce qui a été dit sous l'article 23, à savoir que ces biens no sont pas susceptibles d'appartenir à des personnes privées ni d'être pour elles l'objet d'un droit.
Il en résulte que, lors même qu'un particulier détiendrait une portion du domaine publie, en s'en prétendant propriétaire, sa position ne serait pas meilleure que s'il n'avait aucune prétention de ce genre.
Il ne faudrait pas on conclure la réciproque. Ainsi, l'Etat pourrait très-bien posséder civilement, comme faisant partie du domaine public, des biens appartenant à des particuliers, justement parceque la nature de ces biens ne s'oppose pas à leur changement de destination.
On remarquera que la loi n'étend pas à toutes les choses qui sont hors du commerce, d'après l'article 26, la disposition prohibitive qui concerne les choses du domaine publie. On no pourrait donc pas dire que celui qui remplit un emploi public, qui porte un titre ou une dignité honorifique ou bénéficie d'une pension civile ou militaire, même sans droit, no possède pas ces avantages, au moins naturellement; il serait même permis do dire qu'il les possède civilement. En effet, puisque ces titres et avantages peuvent être l'objet d'un droit véritable pour les particuliers, ils peuvent, à défaut du droit, au fond, être exercés et possédés temporairement, et les possesseurs de ces titres doivent obtenir la -protection, la garantie provisoire ou intérimaire de, la loi, jusqu'à ce que la vérité soit reconnue.
193. La possession civile est la détention d'une chose corporelle ou l'exercice d'un droit avec l'intention de l'avoir pour soi.
Tous les droits, tant réels que personnels, sont susceptibles de possession civile, avec des effets différents, suivant les cas, tels qu'ils sont déterminés ci-après.
La possession appliquée à l'état civil des personnes est réglée au Livre Ier.
La différence entre la possession naturelle et la possession civile est toute, entière dans l'intention du possesseur, comme cela résulte de la comparaison des deux articles.
Cette intention a été suffisamment développée dans l'Exposé qui précède. Rappelons seulement qu'elle no suppose pas nécessairement la bonne foi ou la croyance, chez le possesseur, à l'existence de son droit; la mauvaise foi, il est vrai, diminue ses avantages, mais n'empêche pas que sa possession soit civile.
On sait aussi que la possession peut se cumuler avec le droit véritable et qu'elle, est encore d'une grande utilité à celui qui, ayant le droit, au fond, no pourrait pas on fournir la preuve.
Le présent article nous montre que la possession no consiste pas seulement dans la détention physique d'une chose corporelle, mais aussi et surtout dans l'exercice d'un droit.
On a vu. dans l'Exposé, que la détention physique d'une chose corporelle est le caractère propre do la possession à titre de propriétaire, accompagnée des actes qui révèlent la prétention au fond du droit (animas domini); mais comme il y a d'autres droits réels auxquels le possesseur peut prétendre, sans que ces droits le mettent en rapport aussi étroit ou aussi complet avec la chose, c'est surtout à l'exercice du droit qu'il faut s'attacher pour l'élément de fait, pour le signe extérieur de la possession; enfin, s'il s'agit d'un droit purement personnel ou do créance, ou même d'un droit de famille ou d'un état civil, il est clair qu'il no peut plus être question do détention d'une chose, mais toujours de faits extérieurs constituant l'exercice du droit auquel on prétend.
Le présent, article pose à cette occasion un principe que l'on ne trouve avec la même netteté ni la même hardiesse dans aucune législation, à savoir que tous les droits sont susceptibles de possession civile. Il le dit non-seulement des droits réels, mais des droits personnels, ce qui est incontestable quand la question est placée sur son véritable terrain, ainsi qu'on l'a fait dans l'Exposé.
Mais, comme la possession de ces divers droits no produit pas toujours les mêmes effets, la loi doit l'indiquor, en forme de réserve et avec renvoi aux dispositions qui suivront.
La loi rappelle aussi que l'état des personnes est susceptible de possession. C'est an Livre Ier qu'on aura vu les caractères et les avantages de la possession d'état, appliquée à la nationalité, à la filiation, à la qualité d'époux.
Observons, on passant, qu'il y a, là encore, une preuve que les choses qui ne sont pas dans le commerce sont pourtant susceptibles de possession.
194. La possession civile est dite à juste titre, ou à juste cause, lorsqu'elle est fondée sur un acte juridique destiné par sa nature à conférer le droit possédé, encore que, faute de qualité chez le cédant, elle n'ait, pu produire cet effet.
Si la possession a été usurpée, elle est dite sans titre ou sans cause.
On va retrouver ici, consacrées législativement, les principales distinctions relatives à la possession cl qui avaient été présentées théoriquement dans l'Exposé.
Il ne faut pas s'étonner que toute cette partie de la loi ait un caractère plus doctrinal que les autres: on ne doit pas oublier que la possession est restée dans toutes les législations une des parties les plus difficiles du. droit, justement parceque le législateur a semblé lui-même reculer devant la difficulté de poser des principes en cette matière.
Dans le projet japonais, on s'efforce de présenter les divers caractères de la possession d'une façon aussi pratique que possible; les expressions adoptées en Europe, par l'effet d'un longusage datant des Romains, sont législativement consacrées et définies, afin de pouvoir être ensuite employées sans difficulté, dans les dispositions ultérieures de la loi.
La loi française a tenté quelques définitions en cette matière mais elle n'y a pas été heureuse.
Ainsi, dans l'article 550, elle veut définir la possession de bonne foi et elle y môle celle du Juste titre, deux choses qu'il convient pourtant de séparer. Il est vrai que l'on ne peut guère être possesseur de bonne foi si l'on n'a pas d'abord un juste titre pour fondement de sa possession; mais on peut très-bien avoir un juste titre sans être de bonne foi. Le code français le reconnaît (art. 2265), on exigeant la réunion de ces deux qualités chez le possesseur, pour prescrire un immeuble par 10 ans.
On peut reprocher, en outre, au code français d'avoir mal défini le juste titre, en le qualifiant d'acte translatif de propriété; si l'acte dont il s'agit avait transféré la propriété, il serait plus qu'un juste titre, il serait un titre parfait; il n'aurait pas seulement procuré la possession du droit, mais le droit lui-même; c'est donc avec plus d'exactitude que le présent article 194 parle d'un acte " destiné, par sa nature, à conférer le droit possédé, mais n'ayant pas produit cet effet par un défaut do qualité chez le cédant;" ce qui suppose que le cédant n'avait pas lui-même le droit qu'il a prétendu céder; or. c'est un axiome de droit devenu banal, à force d'évidence, que “personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en a lui-même, ni d'autres droits que ceux qui lui appartiennent."(a) Les actes juridiques ayant, de leur nature, le caractère de justes titres sont, ou onéreux, comme la vente, l'échange, la société, ou gratuits, comme la donation, le legs ou testament.
Un autre tort de la définition française est de n'avoir parlé que de titres translatifs de propriété; or, il y a des titres translatifs d'autres droits réels que la propriété auxquels il faut reconnaître le caractère de justes titres, comme la constitution d'un usufruit, d'une servitude foncière, d'un gage, le transport d'une créance ou droit personnel.
La définition proposée ici n'en courra pas le même reproche.
L'opposé du juste titre n'est pas le titre injuste, ce qui n'aurait pas de sens; ce n'est pas non plus le titre précaire déjà expliqué dans l'Exposé et que l'on retrouvera à l'article 197; assurément, le titre précaire n'est pas de nature à conférer la propriété, et s'il conférait un droit réel de moindre importance, comme un usufruit, une servitude ou un gage. il ne serait pas précaire quant à ce droit; si l'opposé du juste titre doit être cherché hors du titre précaire, c'est parceque celui qui possède une chose ou exerce un droit en vertu d'un titre précaire n'a qu'une possession naturelle et non une possession civile; c'est parcequ'il possède pour autrui et non pour lui-même: il lui manque l'intention d'avoir pour lui la chose ou le droit, il n'a pas l'animus sibi habendi; on dit souvent qu'il ne possède pas.
L'opposé du juste titre c'est l'absence de titre; la possession injuste, c'est la possession usurpée; on l'appelle aussi possession sans cause, c'est-à-dire sans base, sans fondement légitime.
L'usurpation ne suppose pas nécessairement la fraude ou la violence; ce seraient là, il est vrai, des vices de la possession, de nature à en diminuer beaucoup les avantages; mais on comprendrait que quelqu'un se mit en possession d'un bien abandonné, d'une succession vacante; il pourrait même s'y croire des droits, ce qui le rapprocherait, à certains égards d'un possesseur de bonne foi, comme on le verra plus loin.
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(a) L'axiome est souvent cité en latin: nemo in alium plus juris transferre potest guàm ipse habet (personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu'il n'en n lui-même); ou, plus brièvement: nomo dat quod non habet (personne ne donne ce qu'il n'a pas).
195. La possession à juste titre est dite de bonne foi, lorsque le possesseur a ignoré les vices de son titre;
Elle est dite de mauvaise foi, dans le cas contraire.
L'erreur de droit n'est pas admise pour constituer la bonne foi.
La bonne foi cesse lorsque les vices du titre sont découverts.
D'après cotte disposition, il n'y a pas de bonne foi sans un juste titre: la loi ne se contente pas d'un titre putatif, c'est-à-dire de la croyance du possesseur à l'existence d'un titre qui n'existerait pas réellement.
Le droit romain admettait, dans certains cas favorables, que le titre putatif remplaçât le titre véritable; par exemple, lorsque quelqu'un avait donné mandat d'acheter un fonds et en avait pris possession, comme lui appartenant, alors que le mandataire ne l'avait que loué ou usurpé.
En droit français, on considère le titre putatif comme insuffisant pour conduire à la prescription acquisitive par 10 ans; mais on s'en contente pour admettre le possesseur à gagner les fruits.
Ces distinctions, un peu subtiles, n'ayant pas encore de précédents au Japon, il ne paraît pas bien nécessaire de les y introduire. Il en résultera un peu moins de faveur pour le possesseur honnête; mais il paraît sage de réserver les bienfaits de la loi au possesseur qui a le moins de négligence à se reprocher.
C'est dans le même esprit que la loi ne tient compte, comme élément de la bonne foi, que de l'erreur de fait: une erreur sur le droit, causant l'ignorance des vices du titre, laisserait assurément l'honnêteté intacte, mais elle ne suffirait pas pour assurer au possesseur les bénéfices de la bonne foi. La loi se condamnerait elle-même, elle semblerait avouer son obscurité, si elle déclarait excusable celui qui a ignoré ou mal compris ses dispositions.
Ainsi, ne serait pas considéré comme de bonne foi, celui qui, par ignorance du droit et de la loi, croirait qu'un titre est de nature à conférer le droit possédé, lorsqu'il est impuissant à produire cet effet; de même, celui qui n'aurait pas rempli les formalités complémentaires requises pour la transmission du droit; de même encore, celui qui, ayant traité sciemment avec un mineur, ignorerait l'incapacité qui résulte de l'âge.
Au contraire, il y aurait bonne foi dans une erreur de fait, comme celle qui consisterait à croire majeur celui qui est encore mineur, à croire propriétaire celui qui ne l'est pas. Et encore, dans ce dernier cas, faudrait-il que cette erreur ne portât que sur l'identité du propriétaire; car si l'erreur a consisté à croire que le cédant était propriétaire en vertu d'actes qui, de leur nature, ne pouvaient produire cet effet, le possesseur né serait pas plus intéressant que s'il s'était trompé sur la nature de l'acte même qui servait de base à sa possession; ce serait encore une erreur de droit.
Par exemple, le possesseur a acheté de quelqu'un qu'il savait originairement locataire ou fermier; mais il a cru que, par l'effet d'une longue possession, sans payement de loyers ou fermages, le fermier était devenu propriétaire par prescription et pouvait lui céder valablement: il n'aurait pas la bonne foi telle que la loi la requiert, parceque son honnêteté implique une erreur de droit.
Cette disposition du présent article est encore une sévérité à laquelle résiste la jurisprudence française; mais, pour ne pas tomber dans une indulgence déraisonnable, elle est entraînée à dos distinctions nombreuses qui peuvent dégénérer en arbitraire.
Au Japon, tous les bénéfices qui vont être accordés au possesseur de bonne foi sont des innovations; il est donc raisonnable de les enfermer dans dos limites assez étroites et de ne pas affranchir les possesseurs des conditions de la vigilance. Ceux qui douteront sur le droit et sur les effets juridiques des actes pourront consulter des hommes expérimentés ou même s'abstenir d'actes dont la régularité et la légalité ne leur seront pas parfaitement démontrées.
La mauvaise foi se trouve expliquée, comme étant la négation des conditions requises pour la bonne foi.
La cessation de la bonne foi ne rétroagit pas. Or, on verra, au Livre III, que le temps exigé pour acquérir par prescription est moins long pour celui qui était do bonne foi au moment où est intervenu le juste titre; il conservera donc le bénéfice de sa bonne foi originaire quant à la prescription, malgré la survenance de la mauvaise foi; mais il cessera de gagner les fruits et produits perçus avant la revendication.
La loi n'a pas eu à prévoir le cas inverse, celui où le possesseur qui aurait été de mauvaise foi à l'origine deviendrait de bonne foi plus tard: d'abord, le cas est difficile à concevoir, en fait; mais s'il se présentait, les deux solutions inverses des précédentes auraient lieu naturellement: la prescription resterait soumise au temps plus long, parcequ' elle a été de mauvaise foi à l'origine; en sens inverse, les fruits nouvellement perçus appartiendraient au possesseur.
Quant au juste titre, il ne peut comporter aucun changement, soit qu'il ait existé, soit qu'il ait fait défaut à l'origine.
196. La possession est dite vicieuse, lorsqu'elle est violente ou clandestine.
Elle est violente, quand elle a été obtenue ou conservée par la force ou la menace.
Elle est clandestine, quand elle ne se révèle pas suffisamment aux intéressés par des actes extérieurs et publics.
La possession cesse d'être vicieuse, lorsqu'elle est devenue paisible, ou lorsqu'elle est devenue publique et notoire.
L'existence dos doux vices de la possession ici prévus n'exclut pas nécessairement le juste titre et la bonne foi.
Sans doute, une possession obtenue par la violence sera rarement fondée sur un juste titre; cependant si quelqu'un avait été contraint à vendre un bien qu'il possédait, le nouveau possesseur aurait dans la vente un juste titre et il serait de bonne foi, s'il avait crû aux droits de son cédant; mais sa possession serait vicieuse. De même, si, ayant acheté sans violence d'un autre que le vrai propriétaire, le possesseur ne s'était maintenu on possession que par dos menaces contre le vrai propriétaire désirant recouvrer sa chose. Dans ce dernier cas, il pourrait aussi y avoir bonne foi; car on peut mettre d'autant plus d'âpreté à défendre sa possession qu'on la croit plus légitime.
La clandestinité est encore mieux compatible avec la juste cause et avec la bonne foi. Ainsi quelqu'un ayant acheté une chose qu'il croyait appartenir à son cédant, a, depuis, découvert son erreur; craignant la revendication du vrai propriétaire, il a dissimulé sa possession, de manière à ne pas attirer l'attention de celui-ci: sa possession est devenue vicieuse, après avoir été régulière et utile.
Lors même que, dans beaucoup de cas, le vice de violence ou celui de clandestinité se rencontrerait avec le défaut de titre ou avec la mauvaise foi, il ne serait pas moins très-important de séparer ces qualités défavorables de la possession; en effet, le défaut de titre ou de juste cause et la mauvaise foi retardent le bénéfice de la prescription acquisitive, mais ne le suppriment pas; il en est autrement de la violence et de la clandestinité.
On verra plus loin quelle est l'influence de la violence et de la clandestinité sur l'acquisition dos fruits.
La loi indique clairement comment le vice de la possession peut cesser, ou, suivant l'expression consacrée, être purgé. Il va sans dire que le changement de qualité de la possession n'est que pour l'avenir et sans rétroactivité, comme dans l'article précédent.
Remarquons en terminant que les deux vices de la possession dont il s'agit sont relatifs et non absolus; ainsi, la possession acquise ou conservée par menaces contre une personne n'empêcherait pas de prescrire ou d'acquérir les fruits contre une autre personne qui se trouverait être le vrai propriétaire.
Il en est. de même d'une possession qui aurait été dissimulée à l'égard d'une personne que le possesseur croyait par erreur le vrai propriétaire, et qui aurait été, au contraire, connue de celui-ci.
En sens inverse, le défaut de juste titre et la mauvaise foi sont des qualités défavorables de la possession qui peuvent être opposées au possesseur par tout intéressé: leur effet nuisible est absolu et non pas relatif.
197. La possession naturelle est dite précaire, lorsque le possesseur détient une chose ou exerce un droit au nom et pour le compte d'autrui.
La possession cesse d'être précaire et devient civile, lorsque le possesseur a commencé à posséder pour lui-même.
Toutefois, lorsque la précarité résulte de la nature du titre sur lequel la possession est fondée, le vice de précarité ne cesse que par une des deux causes ci-après:
1° Par un acte judiciaire ou extrajudiciaire signifié à celui pour le compte duquel la possession avait lieu et contenant une contradiction formelle à ses droits;
2° Par l'interversion du titre provenant d'un tiers et donnant une nouvelle cause à la possession.
La précarité est quelquefois qualifiée de vice de la possession et mise, comme telle, sur la même ligne que la violence et la clandestinité.
Cette assimilation, qui remonte aux Romains, est fondée sur ce que la précarité met obstacle à la prescription et même un obstacle plus considérable, car elle est une qualité absolue et non pas relative comme les deux autres.
Mais il vaut mieux éviter de dire que la précarité est un vice de la possession, puisqu'elle ne contient en elle-même ni faute, ni dissimulation.
Le texte la présente comme une variété de la possession naturelle: en effet, le possesseur no prétend pas avoir pour lui la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce; mais, do plus, il détient la chose ou exerce le droit pour une autre personne, soit en vertu d'un mandat ou d'une gestion d'affaires spontanée, soit en vertu d'un dépôt, d'un prêt à usage, d'une constitution de dot ou d'un autre contrat l'obligeant à conserver la chose avec soin et à la restituer un jour à l'autre contractant.
Il faut considérer également comme possesseurs précaires ceux qui détiennent à titre de gage, d'antichrèse, d'usufruit, de servitude ou de louage.
Cependant, ces personnes ont un droit réel qu'elles exercent en leur nom, pour leur compte et non pour le compte et dans l'intérêt d'autrui.
Quand on dit que ce sont des possesseurs précaires, c'est par rapport au droit de propriété qu'on l'entend. En effet, quoique ces personnes détiennent la chose et puissent abusivement faire dos actes de propriétaire, ces actes no les conduiront pas à la prescription; mais pour ce qui est du droit même que leur confère leur titre, ils ne sont pas possesseurs précaires, ils possèdent pour eux-mêmes; bien plus, ils seront, le plus souvent, titulaires légitimes du droit qu'ils possèdent; car, dans ce cas, il n'y a pas de raison particulière de supposer qu'ils ont traité avec quelqu'un qui n'avait pas qualité pour céder le droit dont il s'agit.
On a dit, dans l'Exposé, que pour trouver des possesseurs précaires à l'égard de l'usufruit et des autres droits réels formant des démembrements de la propriété, il faudrait supposer des possesseurs exerçant ces droits au nom et pour le compte d'autrui, comme un tuteur, un administrateur.
La précarité, à la différence de la violence et de la clandestinité, est, comme on l'a dit, plus haut, une qualité absolue de la possession et non pas relative; en conséquence, le possesseur précaire ne pourra se prévaloir de sa possession, non-seulement à l'encontre de celui au nom et pour le compte duquel il possède, mais même à l'encontre de personne autre; la raison en est que le possesseur précaire n'a qu'une possession naturelle; il lui manque, pour avoir la possession civile, l'intention d'avoir à lui ou pour lui la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce.
La précarité cesse, en principe, comme les vices de la possession, par la survenance de la qualité qui manquait à la possession; ainsi, quand le possesseur, par changement d'intention, commence à posséder pour lui-même.
Mais le principe reçoit exception et devient d'une application plus difficile lorsque le possesseur précaire détenait la chose en vertu d'un titre qui constituait formellement sa précarité, comme un dépôt, un prêt, un louage. En pareil cas, il ne peut pas dépendre de la volonté ou de la seule intention du possesseur de transformer sa possession au mépris d'un titre auquel le titulaire légitime du droit a participé et sur lequel il a fondé sa sécurité. Dans ce cas, il faut l'un ou l'autre des deux actes formels prévus par notre article, pour que la possession de précaire qu'elle était devienne civile.
Ces deux actes sont exigés aussi par le code français (art. 2238) qui lui-même les a empruntés à l'ancienne législation romaine.
Ils ne demandent que peu d'explications: 1° Si le possesseur précaire prétend exercer à l'avenir, en son nom et pour son compte, le droit dont il s'agit, il signifiera à celui pour le compte duquel il possédait en vertu d'un titre, que, désormais, il se considère comme titulaire du droit. La signification sera dite judiciaire, quand elle aura le caractère d'une demande en justice et extra-judiciaire, quand elle ne constituera pas une demande en justice, mais, au moins, sera faite en bonne et due forme par un officier public, suivant les règles de la procédure extra-judiciaire.
Dans cette signification, le possesseur donnera naturellement ses motifs; s'il ne les donne pas ou s'ils ne sont pas trouvés suffisants par son adversaire, ce dernier les contestera et le procès s'engagera, de toute manière, la précarité cesse, au moins jusqu'à la décision finale, et elle cesse vis-à-vis de tout le monde.
Bien que cette disposition du projet paraisse empruntée au code français, elle en diffère cependant, si on rapproche les deux textes: le code français paraît exiger que la contradiction soit signifiée au vrai propriétaire, tandis que le projet japonais veut quelle soit faite à celui pour le compte duquel la possession précaire avait lieu.
Il n'est pas douteux que la pensée de la loi française a été la même: les rédacteurs se sont p'acés dans l'hypothèse la plus fréquente, celle où le possesseur précaire avait un titre émané du vrai propriétaire; mais il pourrait arriver qu'une chose ail été déposée, prêtée ou louée par un autre que le vrai propriétaire; la possession résultant d'un pareil acte serait précaire d'abord vis-à-vis de tout le monde; mais si le possesseur voulait transformer sa possession en possession civile, ce n'est pas au véritable propriétaire qu'il devrait signifier la contradiction, mais à celui qui lui a fait le dépôt, le prêt ou le louage; et, en pareil cas, il aura les avantages attachés à la possession non-seulement vis-à-vis de celui avec lequel il avait traité, ce qui n'a pas d'intérêt, mais surtout vis-à-vis du vrai propriétaire.
198. Le possesseur est toujours présumé posséder pour son propre compte, si le contraire [la précarité] n'est prouvé, soit par son titre, soit par les circonstances du fait.
Cet article et les deux suivants se rapportent à la preuve des qualités de la possession.
C'est un principe général que celui qui invoque un droit doit prouver qu'il lui appartient, et, si ce droit est soumis à des conditions particulières, l'existence de ces conditions doit, elle-même être prouvée.
Mais, quelquefois, la preuve directe serait difficile, et si, en même temps, il existe des vraisemblances, des probabilités fondées sur les faits ordinaires de la vio, alors, la loi présume, suppose, l'existence de tout on partie des conditions dont la preuve se trouve ainsi fournie; mais la preuve contraire est, en général, permise et elle peut se faire par tous les moyens ordinaires de preuve.
Ainsi la condition essentielle de la possession civile ou légale est que le possesseur exerce pour lui-même le droit dont il s'agit; or, comme il est bien plus fréquent qu'une personne possède pour elle-même que pour autrui, la loi présume cette condition remplie par le possesseur.
Mais le contraire aussi est possible; c'est donc à celui qui conteste la possession civile à prouver directement que la possession est précaire. Cette preuve se fera, soit par le titre même en vertu duquel la possession a été prise, par exemple, si c'est un dépôt, un prêt, un louage, un mandat, soit par les circonstances du fait, desquelles il résulte que le possesseur a reconnu le droit d'autrui; ces circonstances elles-mêmes se prouveront par témoins ou par dos écrits privés.
Rappelons que la preuve de la précarité résultant du titre serait détruite si le possesseur se trouvait dans l'un des deux cas prévus à l'article précédent.
199. Celui qui prouve posséder en vertu d'un juste titre est présumé posséder de bonne foi, si le contraire n'est prouvé.
Cet article contient deux dispositions différentes, au sujet de deux qualités très-importantes de la possession civile.
D'après la première, le juste titre ne se présume pas, il doit être prouvé. On pourrait dite cependant qu'ici encore la généralité des cas paraîtrait motiver une présomption légale favorable au possesseur; mais, d'un autre côté, le juste titre, s'il existe, doit être si facile à prouver par les moyens ordinaires que la faveur d'une présomption n'a plus la même raison d'être.
Au contraire, une fois le juste titre prouvé directement, la bonne foi est présumée par la loi, et cela devait être, non-seulement parceque l'honnêteté est plus fréquente que la fraude, mais encore parceque la bonne foi serait difficile à prouver directement: elle consiste, en effet, dans l'ignorance des droits du véritable titulaire, elle a un caractère plutôt négatif que positif et la preuve d'une négation est toujours difficile; tandis que, si la possession est de mauvaise foi, l'adversaire du possesseur pourra facilement le prouver.
200. La possession est présumée paisible, si la violence n'est pas prouvée.
La publicité ne se présume pas, elle doit être prouvée.
Voici encore deux solutions différentes pour deux autres qualités de la possession.
La loi ne pouvait évidemment présumer la violence qui est un délit: en outre, il serait difficile au possesseur de prouver qu'il n'a pas commis de violence à l'origine, et qu'il ne s'est pas maintenu en possession par une violence continue; ce sont encore là des négations fort difficiles à prouver. En même temps, il sera très-facile à l'adversaire du possesseur de prouver directement, par témoins, qu'il a commis des actes de violence.
Au contraire, la publicité est un fait positif et continu, dont la preuve directe par le possesseur est d'autant plus facile qu'il a dû avoir pour témoins tout le monde, au moins toutes les personnes de. la locarité; il n'y a donc aucune raison de présumer la publicité.
SECTION II. DE L'ACQUISITION DE LA POSSESSION.
201. La possession civile s'acquiert par le fait de l'appréhension d'une chose ou par l'exercice effectif d'un droit, avec l'intention d'avoir à soi la propriété de la chose ou le droit exercé.
Cet article consacre une règle développée dans l'Exposé et déjà impliquée dans la définition donnée par l'article 193, à savoir que la possession civile a deux éléments essentiels: l'un de fait et pour ainsi dire matériel ou corporel, l'autre d'intention et purement intellectuel. Il n'y a pas besoin d'y insister davantage: la loi devait présenter cette double condition comme nécessaire à l'acquisition de la possession.
202. La détention de la chose ou l'exercice du droit peut avoir lieu par le fait d'un tiers; l'intention de posséder doit se rencontrer en la personne de celui qui prétend bénéficier de la possession.
Toutefois, les personnes incapables et les personnes juridiques peuvent bénéficier de la possession, par le fait et l'intention de leur représentant.
La différence établie ici entre le fait et l'intention a été annoncée et justifiée d'avance dans l'Exposé, ainsi que l'exception qui les rapproche dans deux cas particuliers.
Il suffit de rappeler que les éléments de fait qui constituent la possession ne pourraient raisonnablement être exigés de celui qui doit bénéficier de la possession: les moyens d'action d'un seul individu sont forcément très-limités; chacun a besoin de confier à autrui une partie de ses intérêts, pour la surveillance, la conservation et même l'amélioration do ses biens.
Mais il y a un élément de la possession qu'il est inutile et par conséquent défendu de déléguer, c'est l'intention, la volonté d'avoir le droit; car cette volonté, cette intention n'est pas plus difficile à avoir pour une chose que pour un autre; elle peut embrasser un nombre indéfini d'objets; il est donc inutile de la déléguer à autrui; l'exception à cette deuxième règle ne commence qu'avec la nécessité et cette nécessité la loi ne la voit que dans deux cas, celui dos personnes incapables et celui des personnes juridiques, lesquelles ne peuvent avoir de volonté que par l'organe de leurs représentants légaux.
Il ne faut pourtant pas exagérer le sens restrictif de la seconde règle, à savoir que l'intention de posséder ne peut se déléguer et doit toujours se trouver chez le bénéficiaire. Ainsi, on peut valablement donner mandat à un serviteur, à un préposé ou à un ami de se rendre acquéreur et de prendre possession d'une ou plusieurs choses incomplètement déterminées, à l'égard desquelles on lui laisse une plus ou moins grande liberté de choix; mais on ne doit pas hésiter à dire qu'en pareil cas l'intention de posséder se trouve suffisamment chez le mandant: il a voulu posséder ce qui serait choisi et acheté par son mandataire; il n'est pas nécessaire non plus que le mandant connaisse le moment précis auquel son mandat a été exécuté: son intention existe dès que le mandat est donné, l'effet seul en est retardé. Il en serait autrement, si la possession avait été prise pour autrui, sans mandat, mais par le bon office spontané d'un gérant d'affaires; dans ce cas, celui dont les affaires ont été gérées n'acquierrait la possession que lorsqu'il aurait connu et ratifié la prise de possession et cela sans rétroactivité.
203. La prise de possession matérielle peut être remplacée par la tradition de brève main et par le constitut possessoire.
Il y a tradition de brève main, lorsqu'une chose possédée précédemment à titre précaire est laissée au possesseur en vertu d'un nouveau titre qui lui permet de la considérer désormais comme sienne.
Il y a constitut possessoire, lorsque celui qui possédait précédemment une chose comme sienne déclare en conserver désormais la possession au nom et pour le compte d'autrui.
Le projet consacre ici une double règle qui remonte au droit romain et qui est admise encore aujourd'hui en France et ailleurs. Dans les deux cas prévus au texte, la possession matérielle ne change pas de mains, en fait, et elle est considérée comme on ayant changé en droit.
Les deux cas sont l'inverse l'un de l'autre. Au premier cas, par exemple, un dépositaire, un emprunteur à usage, un locataire, n'avait qu'une possession naturelle et précaire, il détenait la chose pour le compte du propriétaire, ou tout au moins, pour le compte de celui qui lui en avait fait le dépôt, le prêt ou le bail; ensuite, il désire acquérir la propriété de cette même chose, il passe avec celui qui lui avait, remis la chose un contrat d'achat.
Dans une législation formaliste comme la législation romaine à ses origines, alors que la tradition matérielle était exigée pour la translation de la propriété, il eût été nécessaire que le dépositaire ou le locataire devenu acheteur restituât d'abord la chose à celui de qui il l'avait précédemment reçue à titre précaire, puis la reçût du même contractant, au nouveau titre de vente; mais on n'a pas lardé à admettre, par un besoin naturel de célérité et de simplicité, que cette double tradition serait censée faite par un changement d'intention: le possesseur précaire devenait possesseur civil par une tradition abrégée, de là l'expression consacrée de tradition de brève main.
Au second cas, les faits sont inverses, un propriétaire vend sa chose, ou un possesseur vend la chose qu'il détient comme sienne: s'il en fait la tradition immédiate à l'acheteur, celui-ci aura la possession matérielle jointe à l'intention; mais si. pour une raison de convenance personnelle, le vendeur désire conserver l'usage temporaire de la chose, il peut l'obtenir: mais en déclarant que désormais il possède précairement, au nom et pour le compte de l'acheteur. Celui-ci possède par le fait d'autrui.
204. La possession se transmet aux héritiers et successeurs universels à l'égard desquels elle continue, avec les qualités et les vices qu'elle pouvait avoir en la personne de leur auteur.
Les acquéreurs à titre particulier d'une chose ou d'un droit peuvent, suivant leur intérêt, ou invoquer seulement leur propre possession, ou se prévaloir de celle de leur cédant, en la joignant à la leur.
Cette double disposition se trouve déjà expliquée sommairement à la fin de l'Exposé.
Dans le premier cas, il y a continuation de la possession, et jonction dans le second.(a) L'héritier légitime, ou tout autre successeur universel, est le continuateur légal de son auteur, il succède à ses droits et avantages comme à ses charges et obligations; s'il y a des exceptions à cette règle, elles ne concernent pas la possession, au moins pour les choses et les droits composant le patrimoine.
Il y a donc, légalement parlant, identité et continuation de possession entre l'auteur et son héritier.
En conséquence, si la possession do l'auteur était précaire, elle restera telle chez l'héritier, tant qu'il n'en aura pas changé la cause et la nature, conformément à l'article 197 et comme aurait pu d'ailleurs le faire son auteur lui-même.
Si la possession de l'auteur était civile mais sans titre, elle resterait sans titre pour l'héritier: le fait do succéder à titre d'héritier n'est une juste cause d'acquérir que pour les choses et les droits qui déjà appartenaient à l'auteur.
Les vîtes de violence et de clandestinité ne continueraient pas nécessairement chez l'héritier, mais par la même raison que pour la précarité, à savoir, parceque, chez l'auteur même, ces vices pouvaient cesser. Si donc l'héritier n'a pas eu à prolonger la violence pour continuer de posséder, de même, s'il a donné une publicité suffisante à sa possession, il en a purgé le vice, comme son auteur aurait pu le faire, conformément à l'article 196.
Si la possession de l'auteur avait pour fondement un juste titre, elle pouvait être accompagnée de bonne foi ou de mauvaise foi; elle aura pour l'héritier la même qualité bonne ou mauvaise. Cependant, en fait, l'héritier pourrait avoir reconnu que son auteur n'avait pas vraiment le droit qu'il possédait do bonne foi. Réciproquement, il pourrait croire à la réalité du droit de son auteur, alors que celui-ci n'y croyait pas lui-même; mais ces différences d'opinions et de croyances entre l'héritier et l'auteur n'auraient pas d'autre effet que si elles s'étaient rencontrées chez l'auteur lui-même. Or, si l'auteur était primitivement de bonne foi et découvrait plus tard les vices de son titre, sa mauvaise foi survenue après coup ne lui enlèverait pas le droit à une prescription acquisitive abrégée (par 10 ans), parceque, pour cette prescription, on n'exige la bonne foi qu'au début de la possession; mais il perdrait le bénéfice des fruits perçus depuis la survenance de la mauvaise foi, parceque la bonne fui est exigée au moment de chaque acquisition des fruits.
Pour ce qui est du cas inverse, c'est-à-dire de la bonne foi succédant à-la mauvaise foi, ii serait difficile à concevoir, en fait, chez l'auteur même, mais très-facile chez l'héritier qui souvent croira que son auteur avait la plénitude du droit quand il n'en avait que la possession. Cette bonne foi no lui donnera pas le bénéfice de la prescription abrégée, mais celui des fruits perçus avant la prescription ou avant la revendication exercée par le véritable titulaire.
Voyons maintenant, comment les choses se passent pour le cessionnaire à titre particulier.
Comme il ne continue pas la personne do son cédant (laquelle, existant encore n'a pas à être continuée), il n'en continue pas non plus la possession: il commence une nouvelle possession, en son nom, laquelle aura ses qualités ou ses vices propres.
D'abord, elle pourra être civile quoique celle du cédant fût peut-être précaire. Ainsi un dépositaire ou un locataire vend et livre la chose à lui déposée ou louée, la possession précaire du cédant cesse, elle ne se transmet pas an cessionnaire: celui-ci commence une nouvelle possession: elle est civile, car il a l'intention d'avoir la chose à lui; elle est à juste titre, car l'achat est un juste titre ou une juste cause do posséder; en outre, elle peut être de bonne foi, si le cessionnaire a ignoré le défaut de droit chez son cédant.
On ne s'arrêtera pas au cas inverse, à celui où le possesseur primitif, ayant juste cause, donnerait la chose en dépôt ou en louage à un autre; dans ce cas, le dépositaire ou le locataire n'aurait assurément qu'une possession naturelle et précaire, mais la possession civile resterait au déposant ou au bailleur: il n'y aurait ni cessation ni translation de la possession.
Supposons maintenant que le cédant, au lieu d'une possession précaire avait une possession civile, niais qui était sans titre: le cessionnaire, certainement, commencera une nouvelle possession qui sera à juste titre.
La possession du cédant était elle-même à juste titre, mais elle était de mauvaise foi; celle du cessionnaire sera de bonne foi, s'il ignorait le défaut de droit chez son cédant.
En sens inverse, la possession était de bonne foi chez le cédant, elle pourra être de mauvaise foi chez le cessionnaire.
On conçoit donc que la position du cessionnaire on successeur à titre particulier soit, lorsqu'on s'attache à sa propre possession, tantôt moins bonne, tantôt meilleure que celle du successeur à titre universel.
Mais on a admis, depuis les Romains, qu'il pût se prévaloir de la possession de son auteur, quand il y a intérêt. On a considéré que la possession civile n'est pas seulement un fait mais un droit, par les avantages qui y sont attachés et par les actions qui la garantissent; or. ce droit, faisant partie du patrimoine d'un particulier, est dans le commerce; il est cessible comme les antres droits, en général. Celui donc qui achète une chose ou un droit dont le cédant n'avait que la possession a, au moins, acquis cette possession, et il est naturel qu'il s'en prévaille, qu'il en tire avantage, dans la mesure de son intérêt, en joignant l'ancienne possession de son auteur à la sienne propre.
Ainsi, le cédant avait juste cause et bonne foi et le cessionnaire a une possession de cette même nature doublement favorable, il pourra joindre les deux possessions, ce qui le mènera à la prescription abrégée, laquelle est un bénéfice do la bonne foi.
Ainsi encore, le cédant possédait sans titre, ou. avec juste titre, mais de mauvaise foi. et la possession avait déjà duré plus de 20 ans, en sorte qu'il aurait fallu moins de 10 ans pour que la prescription acquisitive s'accomplît; dans ce cas, le cessionnaire, de bonne ou do mauvaise foi. joindra à sa possession celle do son cédant, car il l'a acquise comme étant la seule chose que le cédant pût lui transférer. Cela no cause aucun préjudice au légitime propriétaire, puisque, si le reste du temps s'était écoulé sans cession et avant qu'il eût revendiqué, son droit eût été également perdu.
Enfin, on peut encore admettre la jonction de possession d'un cédant de bonne foi à un cessionnaire de mauvaise foi; ainsi le cédant avait déjà possédé 9 ans et un an do plus l'aurait conduit à la prescription; il cède à un acheteur de mauvaise foi; celui-ci ne prescrira pas assurément au bout d'une année, puisqu'il ne continue pas la même possession; mais il lui suffira de 21 ans de possession de mauvaise foi qui, joints aux 9 ans de possession de bonne foi de son auteur, feront les 30 ans exigés.
Cette dernière solution n'a peut-être pas toujours été admise, mais elle est tout à fait conforme aux principes et elle ne nuit pas au véritable propriétaire, par la même raison que la précédante.
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(a) C'est par inadvertance qu'à la page 113 on n'a donné à cette théorie qu'un nom, celui de jonction des possessions.
SECTION III. DES EFFETS DE LA POSSESSION.
205. Celui qui possède civilement est présumé, jusqu'à preuve contraire, avoir légalement le droit qu'il exerce; en conséquence, il est toujours défendeur aux actions pétitoires ou en revendication relatives à ce droit.
La loi détermine dans cette section les trois avantages attachés à la possession, tels qu'on les a présentés et déjà justifiés dans l'Exposé.
La présomption d'existence légale du droit, au fond, on faveur de celui qui l'exerce, on fait, est limitée à la possession civile. Il est clair que celui qui ne possède que naturellement, c'est-à-dire n'a pas la prétention au droit, ne peut être présumé avoir ce droit.
Cela est encore plus évident pour le. possesseur précaire. puisqu'il possède au nom et pour le compte d'un autre, et puisque c'est en laveur de ce dernier qu'il y aura présomption du droit.
La loi aurait pu laisser à l'interprétation le soin de tirer la conséquence naturelle et nécessaire de la présomption légale, mais, pour que la disposition ait un caractère moins dogmatique ou plus pratique, elle a formulé elle-même cette conséquence. Au Japon, d'ailleurs, les présomptions légales sont une innovation, au moins on la forme; l'usage no paraît pas avoir été jusqu'ici de les exprimer dans la loi; il est bon, dès lors, d'en faire ressortir immédiatement les conséquences utiles.
Quant à l'avantage, pour le possesseur, d'être défendeur aux actions qui tendraient à le priver de la possession, il est considérable: le défendeur a moins à prouver son droit, au fond, qu'à contester et combattre les preuves fournies par le demandeur, et si ni l'un ni l'autre des plaideurs n'est en mesure de prouver son droit, la possession restera définitivement au défendeur.
Le texte ne parle que des actions pétitoires ou en revendication, comme étant celles auxquelles le possesseur sera défendeur; quant aux actions possessoires, on verra plus loin que le possesseur y est tantôt demandeur tantôt défendeur, suivant les circonstances.
Remarquons enfin, avec le texte, que la présomption légale établie au profit du possesseur n'est pas absolue et invincible, c'est une présomption simple, contre laquelle toute preuve contraire est admise, soit par titre, soit par témoins ou autrement. C'est, d'ailleurs, à raison de cette faculté de preuve contraire que le procès est possible; autrement, le possesseur serait inattaquable, ce qui serait contraire à toute raison et à toute justice.
206. Le possesseur qui a juste titre et bonne foi acquiert les fruits et produits naturels et industriels au moment où ils sont séparés du sol, par lui ou en son nom.
Il acquiert les fruits civils jour par jour, comme il est dit pour l'usufruitier.
Le présent avantage cesse pour l'avenir, dès que le possesseur a découvert que la chose ou le droit possédé ne lui appartient pas; il cesse, dans tous les cas, à partir de la demande en justice, si elle triomphe définitivement.
Ce-bénéfice du possesseur remonte au droit romain; mais alors on n'en donnait pas une raison suffisante.
Certains jurisconsultes disaient que le gain des fruits était une indemnité de la culture et dos soins donnés à la chose (pro cultura et extra); mais cette raison était doublement mauvaise; 1° il y a des fruits qui naissent sans culture et sans soins, comme les coupes de bois, les foins et herbes des prairies, ce sont ceux qu'on appelle souvent fruits naturels, par opposition aux fruits industriels qui sont surtout le résultat des efforts et du travail do l'homme; or. on n'a pas tardé à admettre que. le possesseur de bonne foi acquierrait les deux sortes de fruits, même ceux qui ne lui avaient demandé aucune culture; 2° si l'acquisition des fruits était la récompense des soins et de la culture, il n'y avait pas de raison do la refuser au possesseur de mauvaise foi, car il a pu donner les mêmes soins à la chose et faire les mêmes travaux agricoles qu'un possesseur de bonne foi.
D'autres jurisconsultes disaient que “le possesseur de bonne foi est. quant aux fruits, presque comme un propriétaire."(b) Cette raison ne justifiait rien, parce-qu'elle avait elle-même besoin d'une justification; elle donnait pour preuve du droit du possesseur son assimilation au propriétaire, laquelle était justement en question; c'est ce qu'on appelle une pétition de principe.
La véritable raison pour laquelle la décision du droit romain était bonne et doit être encore maintenue aujourd'hui, on l'a donnée dans l'Exposé, c'est que le possesseur de bonne foi, ayant cru à la réalité do son droit, a, le plus souvent, disposé des fruits perçus, ou, s'il les a conservés, il a pu contracter des engagements auxquels il compte faire face avec ces fruits; “il a vécu plus largement” (lautins vixit), disaient aussi les jurisconsultes romains, dans des circonstances analogues, et lu restitution de ces fruits serait souvent sa ruine. Or. s'il a commis quelque négligence au moment où il a contracté et acquis la possession, le titulaire légitime du droit, on ne se faisant pas connaître, a commis une négligence plus grave encore, car elle est continue.
Cette raison n'est pas sujette aux objections précédentes: elle autorise à ne pas distinguer les fruits naturels des fruits industriels, elle no s'applique pas au possesseur do mauvaise foi, et elle no, résout pas la question par l'affirmation même de ce qui en question.
Le présent article ne fait pas acquérir les fruits naturels (et industriels) au possesseur par le seul fait qu'ils sont séparés du sol, comme pour l'usufruiter; il veut que ces fruits aient été perçus par le possesseur ou par un tiers en son nom. Le motif de cette différence est que l'usufruitier acquiert les fruits en vertu d'un titre parfait, en vertu d'un droit proprement dit; il suffit que les fruits, aient une existence distincte du fonds ou de la chose usufructuaire pour que son droit commence: il n'y a pas de raison sérieuse d'exiger de sa part un acte d'appréhension.(c) Au contraire, le possesseur de bonne foi. n'ayant pas traité avec celui qui pouvait lui conférer le droit même, n'a pas un titre légal aux fruits, par droit et par contrat, il ne peut les obtenir que par un bienfait do la loi, laquelle agit raisonnablement en le subordonnant à une prise de possession qui rend le possesseur plus digne d'intérêt, puisque c'est alors aussi que le danger do ruine commencerait pour lui, s'il lui fallait restituer.
Cependant, en ce qui concerne les fruits civils, la loi assimile le possesseur de bonne foi à l'usufruitier: il acquiert ces fruits, jour par jour, par conséquent, avant la perception. C'est une innovation par rapport au droit français: elle est facile à justifier.
Si le possesseur de bonne foi n'acquérait les fruits civils que par la perception, son droit ne dépendrait ni des lois de la nature, ni de sa propre diligence, mais de l'exactitude ou de l'honnêteté d'un tiers: il suffirait que le débiteur dos fruits civils refusât ou tardât de les payer pour empêcher ou retarder l'acquisition du possesseur de bonne foi; des poursuites, même un jugement obtenu, ne suffiraient pas à assurer son droit, si la revendication du légitime propriétaire survenait avant le payement. Cette solution est évidemment inadmissible, en raison et en équité, et il est surprenant qu'elle ait été admise en France sans sérieuse contestation.
Le dernier alinéa du présent article suppose que la bonne foi a cessé, par une cause quelconque, an cours de la possession. Le bénéfice de la bonne foi cesse pour l'avenir, c'est-à-dire quant aux fruits à percevoir ou à échoir; mais les fruits déjà perçus ou échus restent acquis au possesseur, quand même la revendication du légitime propriétaire ne serait exercée que depuis la cessation de la bonne foi.
La loi a dû s'exprimer nettement à cet égard, pour bien fixer la différence entre la bonne foi requise pour l'acquisition des fruits et celle requise pour la prescription acquisitive de la chose ou du droit; pour cette dernière, la mauvaise foi survenue au cours de la possession ne nuit pas au possesseur, comme on le justifiera au sujet de la prescription.
On dit généralement que la demande en justice faite contre le possesseur a l'effet de le constituer de mauvaise foi; cette formule n'est pas bonne et le projet a soin do l'éviter.
En effet, souvent le possesseur de bonne foi est tellement convaincu de l'existence de son droit que la demande ne change pas l'opinion qu'il en a; cependant, il ne serait pas juste que, malgré la demande et la diligence du vrai propriétaire ou autre titulaire légitime du droit, le possesseur continuât à gagner les fruits perçus pendant le procès, lequel peut durer long-temps. La loi satisfait à ces deux idées en privant le possesseur des avantages de la bonne foi, sans lui donner la qualification de possesseur de mauvaise foi, et encore, elle y ajoute la condition qui. de toute façon, aurait été sous-entendue, que la demande ait été définitivement admise: car si la demande est finalement rejetée, la bonne foi du possesseur recouvre toute sa force, même pour le temps où le procès a été pendant.
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(b) Quod ad fruetus attinet, possessor bonœ fidei loco domini penè est.
(c) Les lois modernes s'écartent ici tout à fait du droit romain, lequel exigeait, au contraire, un acte d'appréhension de lu part de l'usufruitier et sc contentait de la séparation des fruits, même par accident, pour le possesseur. On voit que si le droit romain est souvent suivi encore aujourd'hui, ce u'est pas aveuglément.
207. Le possesseur de mauvaise foi est tenu de rendre, avec la chose ou le droit revendiqué, les fruits et produits qu'il possède encore en nature et la valeur tant de ceux qu'il a consommés ou laissés se détériorer par sa faute que de ceux qu'il a négligé de percevoir.
Le revendiquant, de son côté, doit lui rembourser les frais et impenses qui sont la charge ordinaire des fruits.
Le possesseur de mauvaise foi aurait dû, en stricte c'quit'. rendre spontanément la chose qu'il savait ne pas lui appartenir: mais, s'il ne l'a pas fait, soit par incertitude sur la personne du véritable propriétaire, soit par malhonnêteté, au moins ne doit-il pas s'enrichir au préjudice, de celui-ci. On ne peut dire, en sa faveur, comme en celle du possesseur de bonne foi, que la restitution des fruits le ruinerait, car il n'a pas dû consommer ou aliéner les fruits et produits qu'il savait devoir restituer un jour; il est en faute, s'il a vécu plus largement: il est également responsable, s'il a négligé de percevoir tout ou partie des fruits et produits, ou si, les ayant perçus, il les a laissés périr, ou se détériorer.
Mais il ne faut pas non plus que le légitime propriétaire s'enrichisse au préjudice du possesseur de mauvaise foi, en recouvrant les fruits sans subir les charges qui s'y rapportent et que le possesseur de mauvaise foi a supportées, tels que frais de culture et de récolte, frais de conservation, impôts et autres charges ordinaires des revenus.
C'est ce qu'exprime le dernier alinéa de notre article, imité de l'article 548 du code français.
208. Tout possesseur, de bonne ou de mauvaise foi, doit être remboursé, par le revendiquant, des dépenses nécessaires ou faites pour la conservation de la chose et des dépenses utiles ou qui en ont augmenté la valeur; aucun d'eux n'a droit au remboursement des dépenses voluptuaires ou de par agrément.
Cette disposition, comme celle qui termine l'article précédent, consacre le principe fondamental de droit naturel que “nul ne doit s'enrichir, sans droit, au détriment d'autrui.”
Quand on recherche la cause do cette obligation du vrai propriétaire ou autre revendiquant, on ne doit pas l'attribuer à la loi, car elle existe indépendamment de toute disposition du droit positif; et comme il est impossible de la faire découler d'un délit ou d'un contrat, on a adopté l'expression de quasi-contrat pour désigner cette cause. On pourrait dire plus clairement et l'on dit souvent que la cause de cette obligation est un enrichissement indû.
Les dépenses que quelqu'un peut avoir faites pour la chose d'autrui sont de trois sortes: nécessaires, utiles ou voluptuaires. La loi n'accorde pas le remboursement des dernières au possesseur, parceque, comme le nom l'indique, elles sont de par agrément et ne procurent aucun profit au revendiquant.
Au contraire, les dépenses utiles ont donné une plus-value à la chose et le revendiquant en recueille le bénéfice; les dépenses nécessaires, si elles n'ont pas augmenté la valeur de la chose, l'ont conservée, ce qui est an moins aussi avantageux.
Cette triple distinction des dépenses remonte au droit romain et sa conformité évidente avec la raison et l'équité l'a fait admettre dans toutes les législations modernes.
Le code français en fait plusieurs fois l'application, notamment, dans les articles 861, 862, 1375 et 1634.
209. Dans le cas des deux articles précédents, le possesseur jouit du droit de rétention de la chose, jusqu'à l'entier remboursement des dépenses auxquelles le revendiquant est condammé.
Le droit de rétention a été mentionné à l'article 2, comme un des droits réels servant de garantie des droits personnels; il a de l'analogie avec le gage et l'antichrèse, sans se confondre avec eux: il permet au créancier de retenir en sa possession la chose soumise au droit de rétention jusqu'au payement des sommes dues à raison de cette chose.
Cette rétention même est sa ressemblance avec le gage et avec l'antichrèse; mais elle ne donne pas, comme le gage, le droit de faire vendre la chose pour être payé sur le prix par préférence aux autres créanciers, ni, comme l'antichrèse, le droit d'imputer les fruits et produits de la chose sur les intérêts et le capital do la créance: le droit de rétention ne mènera au payement que par l'intérêt que le légitime propriétaire ou ses créanciers auront à recouvrer la libre disposition de la chose; cet intérêt les conduira, tôt ou fard, à désintéresser le rétenteur.
La possession du rétenteur n'a donc plus le caractère de son ancienne possession: la première était civile, celle-ci n'est plus que naturelle et précaire.
C'est au Livre IV que le droit de rétention sera expliqué dans son ensemble.
210. A l'égard des dégradations faites à la chose, le possesseur de mauvaise foi est tenu d'en indemniser le propriétaire, dans tous les cas, et le possesseur de bonne foi, seulement s'il en est enrichi.
Il a pu arriver que le possesseur ait détruit des bâtiments, coupé des bois qui n'étaient pas aménagés en coupe réglée, ouvert des carrières qui n'étaient pas en exploitation auparavant et dont, par conséquent, les produits n'avaient pas le caractère de fruits; il est juste que le propriétaire en soit indemnisé; mais ici on voit reparaître la différence entre la bonne et la mauvaise foi du possesseur.
Le possesseur de mauvaise foi a encore une obligation résultant de sa faute, de son délit civil, peut-être même de son délit pénal; le possesseur de bonne foi n'est toujours tenu qu'en vertu de son enrichissement indû; de là l'étendue différente de l'une et l'autre obligation, comme la détermine le texte.
211. Les conditions sous lesquelles le possesseur peut arriver à la prescription acquisitive ou usucapion de la propriété, tant des meubles que des immeubles, sont réglées au Livre III.
On a déjà annoncé, dans l'Exposé, que l'acquisition de la propriété est le principal effet de la possession, si non par sa fréquence, au moins par son importance. Mais comme c'est au Livre IIIe qu'il sera traité des moyens d'acquérir la propriété, il n'y a pas de raison suffisante de traiter ici de l'usucapion ou acquisition par l'usage de la chose, c'est-à-dire, par la possession.
Pour le même motif, on s'est également borné, au chapitre IIe, à mentionner l'acquisition de l'usufruit par la prescription (art. 47). Au contraire, au chapitre suivant, il sera parlé de la prescription des servitudes, au moins pour les particularités qu'elle présente.
212. Le possesseur a, pour retenir ou recouvrer la possession, les actions possessoires dites en complainte, en dénonciation de nouvel œuvre et en réintégrande, sous les distinctions ci-après.
Les effets attachés à la possession ont suffisamment démontré qu'elle n'est pas seulement un fait, comme on l'a quelquefois soutenu, mais qu'elle est un droit, un droit sur une chose, un droit réel; la preuve en est complétée par l'existence d'actions judiciaires accordées et organisées en faveur du possesseur.
Le projet japonais, d'accord avec la loi française, admet trois actions possessoires dont les deux premières tendent à faire conserver ou retenir la possession troublée et la troisième à recouvrer la possession perdue.
C'est au Code de procédure civile (art. 23 à 27) que la loi française a traité des actions possessoires, au sujet de la compétence des juges de paix, dans les attributions duquel rentre la connaissance des actions possessoires, en première instance, avec appel au tribunal d'arrondissement. La loi n'est pas, à cet égard, à l'abri du reproche, parceque le Code de procédure ne devrait contenir que les dispositions de compétence, do formes et de délais relatives aux actions, mais non pas ce qui concerne le fond du. droit. Or, la théorie de la possession n'est complète que si elle contient les règles générales d'après lesquelles elle est sanctionnée par des actions.
Dans le Code de procédure français il n'est fait mention des actions possessoires que d'une manière générale et sans détermination d'aucune en particulier; il y est seulement question du trouble qu'elles tendent à faire cesser, ce qui ne paraît guère s'appliquer qu'à l'action en complainte. Mais déjà le code civil (art. 2060-2°) mentionnait incidemment la réintégrande.(d) Enfin, une loi du 25 mai 1838, sur la compétence des juges de paix, mentionne formellement (art. 6°-1°) la complainte et la réintégrande et y ajoute la dénonciation de nouvel œuvre admise déjà dans le droit romain et dans l'ancien droit français et dont la persistance avait toujours été soutenue par la cour do cassation. La loi de 1838 fait même allusion à “d'autres actions possessoires", sans les déterminer, ce qui ne se comprend guère, à moins de supposer que la loi ait fait allusion aux actions possessoires relatives à l'usufruit et aux servitudes, lesquelles ne seraient que des actions quasi-possessoires, conformément à la théorie, écartée dans l'Exposé, qui ne reconnaît pour l'usufruit et les servitudes qu'une quasi-possession.
Le projet japonais admet formellement les trois actions possessoires du droit français; le présent article a pour but de les énoncer et d'indiquer leur double but: conserver ou retenir la possession troublée, recouvrer celle qui a été perdue.
Les trois actions possessoires ont quelques règles communes, surtout les deux premières; mais elles ont aussi d'assez grandes différences. Les articles suivants feront ressortir ces ressemblances et ces différences.
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(d) Le mot réintégrande, vient du lutin: in integrum, en entier, et la particule re indique un retour: on rétablit en entier la possession usurpée.
213. L'action en complainte appartient au possesseur qui éprouve de la part d'un tiers un trouble de fait ou de droit impliquant une prétention contraire à sa possession.
Elle tend à faire cesser le trouble et à le réparer.
Elle appartient au possesseur tant d'un immeuble que d'une universalité de meubles ou d'un meuble particulier.
Ce que la loi appelle trouble de fait est facile à concevoir: ce sont des actes matériels exercés par un tiers sur la chose possédée par un autre et tendant à gêner, à diminuer, peut-être même à supprimer sa possession; comme serait l'occupation de tout ou partie d'un terrain ou d'une maison, un passage répété à travers un terrain ou une cour, le fait de puiser de l'eau à un puits ou à un réservoir, d'appuyer un bâtiment, ou de faire sur le fonds possédé quelque entreprise qui ne pourrait se faire qu'en vertu d'une servitude.
Le trouble de droit consisterait dans des réclamations judiciaires ou extrajudiciaires contre les locataires du fonds qui ont traité avec le possesseur, ou dans le fait de renouveler leur bail; il consisterait aussi dans des réclamations contre le possesseur lui-même et tendant à lui faire abandonner tout ou partie de la chose qu'il détient ou du droit qu'il exerce; dans ce cas, si l'auteur du trouble ne va pas jusqu'à une demande en justice, le possesseur troublé peut intenter l'action possessoire pour le faire cesser.
On verra même, à l'article 221, que l'action, soit pétitoire, soit possessoire, intentée contre le possesseur, peut être considérée par lui comme un trouble et qu'il peut y répondre par une action possessoire dite reconventionnelle.
La loi veut que le trouble implique, de la part de celui qui le cause, une prétention contraire à celle du possesseur, par conséquent, une prétention, soit à la propriété même ou au fond du droit, soit à la possession; autrement, le trouble ne serait plus apporté à la possession même, mais à la tranquillité privée; il pourrait donner lieu à une action personnelle en dommages-intérêts, mais non à une action réelle, comme sont les actions possessoires.
Ce caractère réel des actions possessoires demande qu'on s'y arrête un instant et qu'on y apporte quelques distinctions. Le 2e alinéa de notre article nous y amène d'ailleurs tout naturellement.
L'action en complainte a deux objets: faire cesser le trouble et en obtenir la réparation, c'est-à-dire l'indemnité. Or, l'action est bien réelle pour le premier objet, car elle tend à faire maintenir la chose dans un certain état, même à l'y faire rétablir, si cet état avait, déjà été modifié; mais, pour ce qui est de l'indemnité à obtenir pour le dommage déjà éprouvé par le possesseur, l'action ne peut être que personnelle, car elle fait valoir un droit de créance né de la faute de celui qui a causé le trouble.
On doit donc reconnaître que l'action est mixte, ce qui veut dire, suivant le sens consacré, qu'elle a, tout à la fois, le caractère réel et le caractère personnel. La question n'est pas sans intérêt; car si l'auteur du trouble changeait, si, par exemple, le trouble avait été causé par le propriétaire d'un fonds voisin et qu'il cédât son fonds, après le trouble causé par quelque entreprise exécutée sur le fonds du possesseur, l'action possessoire en complainte pourrait bien être exercée contre le nouveau propriétaire, pour faire cesser le trouble et détruire ce qui aurait été fait; mais l'indemnité de la faute commise ne pourrait pas lui être demandée, elle ne pourrait être demandée qu'au précédent propriétaire, et par une action purement personnelle; l'action en complainte serait réduite à son caractère réel et ce qu'elle a de personnel deviendrait l'objet d'une autre action née du quasi-délit.
On verra plus loin que l'action en dénonciation de nouvel œuvre est purement réelle, et que l'action en réintégrande, fondée sur un fait toujours illicite, est aussi toujours personnelle.
Le dernier alinéa de notre article nous dit qu'elles choses possédées peuvent donner lieu à l'action possessoire en complainte. La question est fort débattue en France, nu moins pour les meubles. D'abord, pour ce qui est des immeubles, il n'y a pas de doute que la possession en est garantie par l'action en complainte, et, par immeubles, il faut entendre surtout les droits immobiliers que quelqu'un posséderait, c'est-à-dire exercerait comme siens: droits de propriété, d'usufruit, de bail, do servitude, d'emphytéose, d'antichrèse.
Le doute n'a lieu que pour les meubles, à l'égard desquels on a prétendu établir une différence entre les universalités (v. art. 16) et les meubles particuliers. Pour les universalités de meubles, l'action possessoire était admise dans l'ancien droit français (ordonnance de 1667, sur la procédure) et certains auteurs pensent qu'il faut l'admettre encore aujourd'hui; par exemple, au profit d'un possesseur de tout ou partie d'une succession mobilière qui serait troublé par les actes d'un tiers se prétendant lui-même héritier ou légataire. On propose d'adopter ce système au Japon. Il devient d'ailleurs nécessaire, à cause de la solution proposée pour les meubles particuliers.
C'est à ce sujet qu'il y a le plus de difficulté. Elle vient de la célèbre maxime “En fait de meubles, la possession vaut titre” (c. civ., art. 2279), d'après laquelle le possesseur d'un meuble en devient aussitôt propriétaire, par une sorte de prescription ou usucapion instantanée. D'où il résulterait doux obstacles à l'action possessoire au sujet d'un meuble: 1° le possesseur troublé, si courte qu'ait été sa possession, n'aurait pas seulement une action possessoire, mais bien une action pétitoire ou en revendication; 2° l'auteur du trouble étant, le plus souvent, devenu lui-même possesseur du meuble litigieux, pourrait aussi invoquer cette prescription, sinon pour se défendre au possessoire (voy. art. 218), au moins pour triompher au pétitoire, ce qui ôterait tout intérêt à l'action possessoire.
Cependant, cette double objection ne paraît pas suffisante pour refuser l'action possessoire à celui qui est troublé dans la possession d'un meuble.
D'abord, c'est un principe de raison que “ celui qui peut le plus peut aussi le moins”; or, l'on a vu déjà, dans l'Exposé, que le vrai propriétaire d'une chose, ou le titulaire légitime d'un droit, qui, en même temps, a la possession de la chose ou l'exercice du droit, peut s'abstenir de soulever la question du fond du droit et ne se prévaloir que de sa possession.
En outre, il n'est pas exact que le possesseur d'un meuble en soit toujours et, par cela même, propriétaire, en vertu de la prescription dite instantanée: non-seulement, en effet, il faut que la possession soit civile et non précaire, mais il faut encore qu'elle soit de bonne foi (v. code civ., art. 1141), et il est raisonnable d'exiger, en outre, qu'elle soit fondée sur un juste titre(e); or, ces deux dernières conditions ne sont pas exigées pour l'action possessoire en complainte; voilà donc déjà deux cas où le possesseur, même civil, d'un meuble, n'aurait pas l'action pétitoire et où l'action possessoire lui serait utile.
Supposons, d'un autre côté, que l'auteur du trouble soit devenu lui-même possesseur du meuble ligitieux, il peut ne le posséder que naturellement ou précairement ce qui est un obstacle absolu à ce qu'il puisse invoquer la maxime "en fait do meubles la possession vaut titre”; si même il avait la possession civile, il pourrait n'avoir pas juste titre ou n'être pas de bonne foi; il ne pourrait triompher au pétitoire, il est donc juste qu'il soit soumis à l'action possessoire.
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(e) Les auteurs sont très-divisés, en France, sur le point de savoir si la prescription instantanée des meubles exige juste titre et bonne foi. On proposera d'exiger au Japon ces deux conditions et ce sera encore une grande faveur pour les possesseurs de meubles.
214. La dénonciation de nouvel œuvre appartient au possesseur d'un immeuble, pour faire cesser des travaux commencés sur un fonds voisin et dont l'achèvement constituerait un trouble à la possession.
Cette deuxième action possessoire est d'une application beaucoup plus limitée que la précédente. D'abord, elle n'appartient qu'au possesseur d'un immeuble ou à celui qui exerce, comme lui appartenant, un droit réel sur une chose immobilière; en effet, on ne comprendrait pas que des travaux commencés on même achevés sur un fonds pussent nuire à la possession d'un meuble.
En outre, il faut supposer que les travaux sont faits sur un fonds autre que celui qui est possédé par le demandeur; autrement, celui-ci éprouverait un trouble actuel par ces travaux et ce serait le cas de l'action en complainte. Il en résulte que l'action possessoire est donnée ici avant le trouble et, par conséquent, en vue seulement de prévenir un trouble éventuel.
C'est un avantage pour les deux parties, car il vaut mieux prévenir le mal que le réparer.
Il va sans dire que cette action appartient tout aussi bien à un vrai propriétaire qu'à un simple possesseur; mais, quand le propriétaire en use, ce n'est pas comme tel, c'est comme possesseur.
La loi suppose que les travaux contestés sont faits sur un fonds voisin; cette circonstance du voisinage n'est pas une condition rigoureusement nécessaire; mais la nature des choses ne laisserait guère concevoir que quelqu'un craignît un trouble à provenir de travaux faits sur un fonds éloigné.
Remarquons, en terminant, que la dénonciation de nouvel œuvre est exercée plus souvent par un propriétaire véritable que par un simple possesseur. Si elle est considérée comme action possessoire, c'est parceque le demandeur n'a pas besoin, pour y triompher, de justifier qu'il est propriétaire du fonds auquel les travaux commencés pourraient nuire: il lui suffît de prouver qu'il en est possesseur civil.
Au surplus, on retrouvera la dénonciation de nouvel œuvre au chapitre des Servitudes, comme moyen de préserver un fonds, prétendu libre, d'une servitude que le voisin tenterait d'établir sans droit.
215. L'action en complainte et celle en dénonciation de nouvel œuvre n'appartiennent qu'à celui qui a une possession civile, paisible et publique; en outre, pour le possesseur d'immeuble, elle doit avoir duré depuis une année entière.
Les trois premières conditions exigées ici de la possession sont déjà connues. Il résulte de ces conditions que celui qui possède naturellement ou précairement n'a pas les deux actions possessoires qui précèdent; de même, celui dont la possession serait fondée sur la violence ou serait restée clandestine.
Quant à la dernière condition, l'annalité de la possession, elle apparaît ici pour la première fois. La loi ne l'a pas exigée pour les deux premiers avantages de la possession, à savoir, la présomption de propriété et l'acquisition des fruits.
Elle ne suffirait pas pour la proscription acquisitive des immeubles; mais la loi la déclare, ici, tout à la fois, nécessaire et. suffisante pour l'exercice des actions en complainte et en dénonciation de nouvel œuvre relatives au trouble dont se plaint un possesseur d'immeuble.
Ce délai d'un an, emprunté à la loi française (c. pr. civ., art. 23), est raisonnable; on pourrait, sans inconvénient, le réduire ou l'augmenter; mais il faut toujours exiger un certain temps de possession; autrement, il pourrait arriver que le défendeur à l'action possessoire invoquât lui-même une possession de la même chose ou du même droit, et l'on serait alors obligé de rechercher, avec beaucoup de difficultés, lequel des deux a la possession la plus ancienne.
Cette condition d'une possession annale, rapprochée de l'article 217, qui exigera que l'action soit intentée dans l'année du trouble, assure facilement la préférence au plus ancien possesseur.
Ce n'est que pour les actions possessoires relatives aux immeubles que la loi exige une possession annale. A l'égard des meubles, la loi n'exige pas une durée déterminée de possession, parceque si la prescription des meubles, elle-même, ne doit être soumise à aucun délai, il est encore plus impossible d'y soumettre l'action possessoire.
216. L'action en réintégrande appartient au possesseur qui a été dépossédé, par voies de fait, par menaces ou par ruse, de tout ou partie d'un immeuble, d'une universalité de meubles ou d'un meuble particulier, pourvû que sa possession ne fût pas elle-même entachée d'un des mêmes vices, à l'égard du défendeur.
Elle ne peut être exercée contre ceux qui ont succédé à titre particulier à la possession usurpée que s'ils ont participé aux actes illicites constituant l'usurpation.
Elle appartient tant au possesseur précaire qu'au possesseur civil et à celui dont la possession ne serait pas encore annale.
Ce qui caractérise le cas où il y a lieu à la réinté-grande, ce n'est pas seulement la dépossession totale ou partielle, car, en pareil cas, la dépossession étant un trouble, et le plus considérable possible, l'action en complainte serait également recevable; c'est le moyen employé pour la dépossession, à savoir, la violence, la menace ou la surprise; le caractère délictueux de ces faits motive une action possessoire particulière et ces particularités sont mises en relief par le présent article.
La loi française est restée muette sur les applications de l'action en réintégrande, aussi y a-t-il, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, un désaccord complet sur ses conditions. On proposé ici d'adopter les solutions de la cour de cassation française, laquelle paraît avoir le mieux compris le but de cette action.
Le 1er alinéa nous dit que l'action en réintégrande suppose une dépossession, totale ou partielle, opérée au moyen des trois actes délictueux déjà signalés. Il nous dit encore que l'action appartient au possesseur des trois sortes de biens déjà énoncées à l'article 213: immeubles, universalité de meubles, meubles particuliers.
Au sujet de ces derniers objets, il y a encore moins à hésiter que pour l'action eu complainte; l'objection tirée de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre” est encore moins admissible, puisque la réintégrande est donnée an possesseur précaire (3e alinéa), lequel ne peut jamais invoquer cette maxime.
Enfin le 1er alinéa exige que le demandeur on réintégrande n'ait pas lui-même obtenu la possession par un des moyens qu'il impute au défendeur; autrement, il n'y aurait pas de raison pour qu'il lui fût préféré. C'est le cas d'appliquer un axiome célèbre: “dans deux situations semblables, on préfère celle du possesseur actuel ” (in pari causa melior est possidentis). Mais, pour que les faits délictueux du demandeur le privent de l'action en réintégrande, il faut qu'ils aient été commis contre le défendeur; autrement, celui-ci n'aurait pas le droit de les opposer au demandeur: ce sont des vices relatifs, non absolus, comme on l'a déjà vu sous l'article 196.
Le 2e alinéa établit encore une différence profonde entre l'action en réintégrande et les deux premières actions possessoires. On a vu, plus haut, que ces deux actions sont vraiment réelles, en ce qu'elles se donnent contre tout possesseur, lors même qu'il ne serait pas l'auteur même du trouble ou des travaux contestés: il suffit qu'il ait succédé à la possession et qu'il n'ait pas fait cesser le trouble ou les travaux; la réparation seule, l'indemnité du dommage, est demandée à l'auteur direct du trouble. Dans la réintégrande, au contraire, l'action toute entière, aussi bien pour la restitution que pour l'indemnité, a un caractère personnel; comme telle, elle peut bien être exercée contre les successeurs universels, parcequ'ils continuent la personne de leur auteur et succèdent à leurs obligations civiles, même nées de faits délictueux; mais, elle ne s'exercerait pas contre un successeur à titre particulier, comme tel, (acheteur, donataire), puisqu'il ne succède pas à la personne; toutefois s'il était lui-même complice des actes d'usurpation, il serait sujet à l'action pour ses faits personnels.
Le 3e alinéa est celui où le projet adopte les deux théories de la cour de cassation française: 1° l'action en réintégrande appartient au possesseur précaire, aussi bien qu'au possesseur civil; 2° elle n'exige pas, même pour les immeubles, une possession annale. C'est l'application d'un axiôme, célèbre aussi, et d'une évidente équité: spoliatus antè omnia restituendus, “le spolié doit être, avant tout, rétabli dans sa situation première.”
217. Les actions en complainte et en réintégrande ne sont recevables que dans l'année du trouble ou de la dépossession.
La dénonciation de nouvel œuvre est recevable tant que les travaux contestés ne sont pas terminés, à moins qu'il ne se soit écoulé un an depuis que les travaux, même inachevés, ont causé un trouble au possesseur.
On a déjà fait remarquer, sous l'article 215, que le défendeur aux actions possessoires pouvant être lui-même, le plus souvent, considéré comme possesseur, le délai de l'exercice des actions possessoires devait, dès lors, être calculé de façon à donner la préférence au plus ancien possesseur. Or, le demandeur en complainte doit avoir possédé un an, au moins, avant le trouble; il devra donc agir aussi dans l'année du trouble; autrement le défendeur lui serait préférable par la durée do sa possession.
Pour l'action en réintégrande, le principe n'èst pas tout à fait observé: il faut toujours, il est vrai, que l'action soit intentée dans l'année; mais, comme il n'est pas nécessaire que la possession du spolié ait duré un an (art. 216), ce n'est pas toujours le plus ancien possesseur qui aura la priorité; cette exception s'explique par la défaveur qui s'attache à l'auteur de la spoliation.
A l'égard de la dénonciation de nouvel oeuvre, le principe est suffisamment observé: le demandeur doit avoir la possession annale, et si l'action peut être intentée même après un an depuis les travaux commencés, c'est à la condition qu'il n'ont pas encore causé de trouble; en outre, elle devient non recevable, même avant l'année, si les travaux sont terminés auparavant.
218. Les actions possessoires ne peuvent être cumulées avec l'action pétitoire.
Le juge de l'action possessoire ne peut fonder sa décision sur des motifs tirés du fond du droit des parties et de nature à le préjuger.
Il ne peut non plus surseoir à statuer sur le possessoire jusqu'à ce que les parties aient fait juger le pétitoire.
Le principe posé et appliqué dans cet article se trouve, en forme d'axiome, dans le code de procédure civile français (art. 25), en ces termes: “le possessoire et le pétitoire ne seront jamais cumulés.”
Le projet japonais en fait ici l'application au juge; les articles suivants la font aux parties.
Il semble, au premier abord, que rien ne serait plus naturel, pour le juge, que de rechercher, dans les titres et autres preuves du fond du droit des parties, la solution demandée sur la préférence respectivement prétendue par les parties au sujet de la possession; mais la loi le lui défend, avec raison et pour deux motifs principaux: 1° dans les actions possessoires, il n'est pas question de savoir si, du coté du demandeur, la possession est juste et légitime, mais si elle existe, avec les caractères et la durée requis; ni, du coté du défendeur, si le trouble qu'il a causé ou l'usurpation qu'il a commise sont fondés ou non sur un droit, mais seulement s'il y a eu véritablement trouble ou dépossession et, dans le cas de travaux contestés, s'ils peuvent éventuellement causer un trouble; ce serait donc, de la part du juge, statuer sur choses non demandées que d'examiner le fond du droit respectif des parties et d'y puiser les éléments de sa décision; 2° la compétence en matière d'actions possessoires est donnée à un juge inférieur et très-rapproché des parties, le juge de paix(f), tant à cause de la simplicité de la question qu'à raison delà célérité qu'en réclame la solution; il ne serait donc pas admissible que le juge excédât sa compétence en se livrant à l'examen du fond, si non pour le juger, au moins pour le préjuger.
La défense faite au juge par le 3e alinéa, se justifie autrement: si le juge, pour sortir d'embarras, prononçait un sursis et renvoyait les parties se pourvoir au pétitoire, il commettrait un déni de justice, ce que la loi réprouve plus encore qu'un mauvais jugement.
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(f) Au Japon, on adoptera, sans doute, comme en France, la compétence du juge de paix pour les actions possessoires.
219. Si l'action pétitoire est intentée par l'une ou l'autre des parties après que l'action possessoire a été portée soit devant le même tribunal soit devant un tribunal différent, il doit être sursis à statuer sur le pétitoire jusqu'au jugement définitif sur le possessoire.
Il en est de même, si le défendeur à l'action pétitoire se porte, au cours du procès, demandeur au possessoire.
Ici, les prohibitions ne sont plus à l'adresse du juge, mais à celle des parties. Les motifs ne sont plus les mêmes; car, tandis que le juge ne peut statuer sur choses non demandées, les parties peuvent, en général, à leurs risques, demander ce qu'elles croient leur appartenir. La principale raison pour laquelle la loi veut qu'il soit sursis à statuer sur le pétitoire, jusqu'après le jugement définitif sur le possessoire, c'est que le possessoire a toujours un caractère d'urgence: il arrive souvent, en effet, que les contestations sur la possession amènent des injures, des violences ou des rixes; c'est une des matières où les particuliers ont une fâcheuse disposition à se faire justice à eux-mêmes; en outre, les preuves, tant de la possession que des atteintes qu'elle peut recevoir, sont de nature à disparaître avec le temps, plus facilement que celles du fond du droit; il y a donc urgence à examiner et juger le possessoire.
La loi suppose que les deux actions peuvent être portées devant le même tribunal; il semble, d'après ce qui a été dit plus haut, que l'un d'eux devrait toujours être incompétent; mais cela n'est pas constant: d'abord, si l'action possessoire est déjà portée en appel au tribunal d'arrondissement, au moment où l'action pétitoire est portée en première instance à ce tribunal, il n'y a aucune incompétence; de même, s'il s'agit de meubles et que l'action pétitoire soit portée devant le juge de paix, dans les limites de sa compétence, alors que l'action possessoire y est déjà pendante(g); enfin, lors même que le cumul des deux actions devant le même tribunal constituerait un cas d'incompétence, ce n'est pas l'exception d'incompétence qui devrait être opposée la première, mais celle tirée de notre article et tendant au sursis.
Le 2e alinéa autorise le défendeur au pétitoire à se porter demandeur au possessoire. Cela est très-juste: il ne fallait pas que l'auteur du trouble ou de la spoliation pût, en intentant l'action pétitoire, se soustraire à une prompte réparation et priver le possesseur de l'action possessoire.
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(g) Il est vraisemblable que clans les cas où la revendication des meubles ne sera pas empêchée par la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre”, elle sera de la compétence des juges de paix, sauf appel.
220. Celui qui a formé une demande au pétitoire ne peut plus agir au possessoire à raison de faits antérieurs à la première demande, même en s'en désistant; mais, il peut suivre, comme demandeur ou défendeur, sur une demande au possessoire déjà formée.
Dans tous les cas, celui qui a succombé au pétitoire est déchu du droit d'agir au possessoire.
La disposition du 1er alinéa est empruntée à l'article 26 du code de procédure français. Elle paraît un peu sévère. On en donne généralement le motif que celui qui paraissant pouvoir agir au possessoire, à raison d'un trouble ou d'une spoliation, ne l'a pas fait, a reconnu que sa possession n'avait pas les qualités voulues ou que les faits n'étaient pas assez graves pour agir au possessoire et qu'il a ainsi renoncé tacitement à cette voie judiciaire.
Quelques autours vont jusqu'à décider que la renonciation tacite s'appliquerait même à une action possessoire déjà intentée par la même partie. Le projet japonais ne va pas jusques-là: il permet, formellement à celle partie, de continuer à procéder (suivre), autant comme demandeur que comme défendeur, sur une action possessoire déjà intentée; et cette disposition concorde parfaitement avec celle de l'article précédent qui veut qu'au cas où les deux actions sont simultanément pendantes, il soit seulement sursis au jugement du pétitoire.
Bien entendu, la demande au pétitoire ne ferait pas perdre le droit d'agir au possessoire pour des faits de trouble ou de spoliation commis contre le demandeur après sa demande: le texte et la raison ne font présumer la renonciation qu'à l'égard de faits antérieurs.
Si l'action pétitoire a été seule intentée d'abord, celui qui y a succombé définitivement, soit comme demandeur, soit comme défendeur, ne peut plus agir au possessoire. Cette décision du 2e alinéa de notre article est facile à comprendre: les droits et actions accordés au possesseur sont fondés sur une présomption de propriété ou de droit au fond, laquelle est démentie par le jugement définitif sur l'action pétitoire.
221. Le défendeur, soit à l'action pétitoire, soit à une action possessoire, peut, pendant la même instance, se porter lui-même demandeur au possessoire, reconventionnellement, soit par une action possessoire semblable, soit par une autre.
Il est fréquent, que les plaideurs aient à se reprocher, respectivement, les mêmes torts ou des torts semblables, et il est. naturel, en pareil cas, que chacun puisse prendre lu rôle do demandeur, pour en obtenir la réparation. Lorsque celui qui a été actionné le premier se porte à son tour demandeur, sa demande est dite reconventionnelle; (h) c'est surtout en matière de possession qu'il est facile de concevoir que les deux adversaires s'imputent réciproquement des torts, des troubles ou des voies de fait. Si notre article proclame le droit du défendeur à la demande reconventionnelle, c'est pour compléter le jeu assez compliqué de ces diverses actions et aussi de peur qu'on n'exagère la règle que “le peti-toire et le possessoire ne peuvent être cumulés.”
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(h) Il ne faut pas voir, dans ce mot, l'idée d'une nouvelle convention, mais celle d'une nouvelle action: le défendeur actionné, réactionne le demandeur: conventus reus reconvenit actorem.
222. Si l'action possessoire est justifiée, le juge ordonnera, suivant les cas, la cessation du trouble, la discontinuation des travaux dénoncés ou la restitution de la chose usurpée et condamnera en même temps le défendeur aux dommages-intérêts.
Cet article ne présenta pas de difficulté: il consacre ce qui a déjà été annoncé comme étant l'objet des diverses actions possessoires.
On rappelle seulement ici que, dans l'action en réintégrande, la restitution de la chose usurpée ne peut être exigée que de l'auteur même de la spoliation, parcequ'elle a pour cause une faute; il en est de même dans les autres actions, pour les dommages-intérêts: sur ces deux chefs, les actions possessoires ont le caractère d'actions personnelles.
223. Le défendeur qui a succombé au possessoire peut agir au pétitoire, mais seulement après avoir satisfait aux condamnations portées contre lui.
Si elles ne sont pas liquidées, il consignera somme suffisante pour y satisfaire.
La disposition du 1er alinéa ne pouvait faire doute: la question de propriété ou du fond du droit n'a pas été soulevée, elle est entière; il a été jugé que le demandeur était possesseur avec les qualités requises pour agir au possessoire et qu'il avait été troublé ou spolié; le défendeur n'a pas été admis à se justifier par des moyens tirés du fond, parceque “le possessoire et le pétitoire ne peuvent être cumulés;” mais il peut maintenant introduire l'action pétitoire: il y sera demandeur, avec toute la charge de la preuve, et, s'il triomphe, son adversaire sera obligé de lui rendre la possession et les fruits perçus depuis la demande, au moins; enfin, le débat ne pourra plus être soulevé entre les mêmes parties: il y aura définitivement chose jugée.
Mais, il y avait à craindre que celui qui a succombé comme défendeur au possessoire ne cherchât à se soustraire, pendant un certain temps, à l'effet des condamnations portées contre lui et qu'il n'intentât une action pétitoire, témérairement ou de mauvaise foi. La loi prévient ce danger, en exigeant que l'exécution des condamnations ait lieu préalablement.
224. Le demandeur qui a succombé au possessoire, faute de justification des faits allégués, ou dont la demande a été déclarée non recevable, comme tardive, ou parce que sa possession ne remplissait pas les conditions requises, peut encore agir au pétitoire.
Cet article est la contre-partie de l'article 220, 2e alinéa.
Il est clair que le fait, par le demandeur au possessoire, d'avoir manqué aux justifications exigées de lui n'empêche pas qu'il puisse avoir la propriété ou tout autre droit qu'il exerçait comme lui appartenant. De même que le défendeur, il n'a pu se prévaloir, dans l'action possessoire, des titres et autres moyens de prouver son droit au fond, lequel reste encore à juger, s'il le requiert. Et comme son procès, ne peut être présumé téméraire, comme celui du défendeur prévu à l'article précédent, il n'est même pas obligé d'acquitter préalablement les frais du premier procès auxquels il a pu être condamné.
225. La compétence et les autres règles relatives aux actions possessoires sont déterminées au Code de procédure civile.
Il est vraisemblable qu'on admettra au Japon la compétence des juges de paix pour les actions possessoires, par les mêmes raisons qu'en France: 1° parceque le jugement de ces actions requiert célérité; 2° parcequ'il y a souvent lieu de faire des visites de lieux, lesquelles seraient coûteuses, s'il fallait les faire faire par les juges du Ken; 3° parceque ces actions n'ont, en quelque sorte, qu'un caractère provisoire, pouvant toujours être suivies d'une demande au pétitoire sur laquelle les droits respectifs des parties pourront être jugées, au fond, tout différemment.
Quoiqu'il en soit, la question est réservée: ce n'est pas au Code civil qu'elle doit être tranchée.
Les autres règles de procédure, également réservées, sont celles relatives aux enquêtes, aux visites de lieux, aux expertises, etc.
SECTION IV. DE LA PERTE DE LA POSSESSION.
226. La possession se perd:
1° Par la cessation de l'intention de posséder pour soi-même ou pour autrui;
2° Par l'abandon volontaire ou légalement forcé de la détention de la chose ou de l'exercice du droit;
3° Par la prise de possession, même illégale, d'un tiers, lorsqu'elle a duré plus d'une année sans que l'action en complainte ou en réintégrande ait été exercée;
4° Par la destruction totale ou par la perte de la chose ou du droit qui fait l'objet de la possession.
Il semblerait qu'on dût retrouver ici tout ou la plus grande partie des sept causes qui font perdre le droit de propriété (v. art. 44). Cependant il n'y a guère que les 2e et 4e cas qui soient communs aux deux droits. Cela tient à la grande influence, dans la possession, du fait de la détention, lequel est indifférent dans la propriété qui est un par droit.
On reprendra séparément chacune des causes qui font perdre la possession; mais elles ne présentent guère de difficultés, après les développements qui précèdent.
1er al. L'intention do posséder étant un des deux éléments du droit de possession, il est naturel que le droit cesse avec cette intention.
Comme il y a deux sortes de, possession, l'une civile, l'autre naturelle, comme la différence entre elles tient à ce que, dans la première, on possède pour soi, et, dans l'autre, pour autrui, ou sans aucune affectation déterminée, dès lors, le texte, pour embrasser les deux sortes de possession, suppose que, dans chacun de ces deux cas, le possesseur a cessé d'avoir l'intention qui constituait et caractérisait sa possession.
Ainsi, celui qui possédait pour lui-même et avait la possession civile a commencé à posséder pour autrui: il a perdu la possession civile et n'a plus qu'une possession précaire; ainsi encore, celui qui possédait pour autrui et avait la possession précaire a cessé-d'avoir l'intention de posséder pour aucune personne: il n'a plus la possession précaire; il serait même difficile de dire qu'il conserve une possession purement naturelle; car il ne se rencontrerait plus en sa personne qu'un par fait matériel, la détention de la chose, que la loi ne protège aucunement et ne reconnaît pas.
On n'a pas à revenir ici sur le cas inverse du premier, celui où le possesseur précaire aurait désormais l'intention de posséder pour. lui-même: en pareil cas, son changement d'intention serait rarement valable; il resterait légalement possesseur précaire, et si, par exception, le changement d'intention était admis, il y aurait moins perte de la possession précaire qu'acquisition de la possession civile (v. art. 197).
2e al. Si le possesseur, sans cesser d'avoir l'intention de posséder, cesse de détenir la chose ou d'exercer le droit, c'est le deuxième élément de la possession, l'élément de fait, qui lui manque; son intention est insuffisante pour lui faire retenir la possession.
Toutefois, la loi exige, pour cela, que la cessation du fait soit volontaire, ou, si elle est forcée, qu'elle le soit légalement; comme serait l'exécution d'un jugement rendu au possessoire, sur une action en réintégrande, ou au pétitoire, sur une action en revendication ou en résolution de contrat; telle serait encore l'exécution d'un jugement de confiscation.
Ces cas correspondent à quelques uns de ceux où, d'après l'article 44, la propriété elle-même se perd; mais, il y a cette différence que la propriété étant un par droit, se perd par le jugement même qui prononce la résolution ou la confiscation; tandis que la possession, à cause de son dément de fait, ne se perd que par l'exécution effective du jugement.
Si la cessation de la détention n était ni volontaire, ni légalement forcée, mais résultait d'une force majeure, comme d'une inondation prolongée, la possession ne serait pas perdue; il en serait de même s'il s'agissait de terrains inaccessibles pendant une partie de l'année; on peut encore ajouter le cas où un objet mobilier est égaré dans une maison et où l'on ne peut pas dire qu'il est encore possédé en fait.
Dans tous ces cas, on dit que “la possession se conserve par la seule intention.”
3” al. Le texte du précédent alinéa, en exigeant que la cessation forcée de la détention soit légale, a pour but d'exclure le cas de dépossession illégale, par violence ou par ruse, cas auquel le spolié a la réintégrande et n'a pas perdu la possession, tant qu'il n'a pas perdu cette action par le laps d'un an.
C'est à cette occassion que s'est introduit l'axiome de droit que “celui qui a une action pour recouvrer une chose est considéré comme ayant encore la chose elle-même.”
Dans le cas où le possesseur spolié ou privé de la possession par le fait d'un tiers même de bonne foi, néglige d'intenter, dans l'année, l'action en réintégrande ou l'action en complainte, on pourrait dire que, le plus souvent, il y a abandon volontaire de la possession; mais il est préférable de séparer ce cas du précédent; en effet, lors même que l'inaction du possesseur dépouillé tiendrait à son absence ou à son ignorance de la dépossession illégale, il n'en perdrait pas moins son droit, comme il arrive d'ailleurs dans les autres cas où les droits se perdent par prescription.
4e al. Il va de soi que la possession ne peut survivre, ni comme fait, ni comme droit, à la destruction totale de la chose: l'intention de la posséder n'aurait plus d'objet. La loi prévoit aussi la perte qui ne se confond pas toujours avec la destruction de la chose: ainsi, si une chose privée passe dans le domaine public, la possession cesse, au moins la possession civile (art. 192); ainsi encore, si un animal sauvage s'échappe et n a pu être resaisi avant d'être occupé par un tiers de bonne foi, la possession est perdue.
CHAPITRE V. DES SERVITUDES FONCIÈRES.
227. Les servitudes foncières sont des charges établies sur un fonds, pour l'utilité d'un fonds appartenant à un autre propriétaire.
Elles sont établies par la loi ou par le fait de l'homme.
Le nom de servitudes, employé pour désigner certains démembrements de la propriété, remonte au droit romain(a); il exprime l'idée qu'une chose est affectée, d'une façon dépendante, à l'usage et au service d'un autre que le propriétaire de cette chose. Le droit de propriété lui-même assujettit pleinement la chose au propriétaire; mais, le nom même de propriété l'indiquant suffisamment, le nom de servitude ne s'emploie pour aucun des services que le propriétaire tire de sa proche chose.(b)
Les servitudes dont il va être parlé, sont appelées foncières et souvent réelles, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation qu'on appelle quelquefois servitudes personnelles.
Ces noms demandent quelque attention, car ils pourraient causer de la confusion, et si on les conserve ici, c'est parcequ'ils sont consacrés, en Europe, par un long usage.
La qualification de réelles n'a pas pour but de dire que les servitudes sont des droits réels; car l'usufruit, l'usage et l'habitation sont aussi des droits réels. La qualification de foncières n'est pas employée pour exprimer que ces servitudes portent toujours sur des fonds; car l'habitation porte toujours sur un bâtiment, et si l'usufruit et l'usage ne portent pas toujours sur un fonds, ils peuvent aussi porter et, en fait, ils portent, le plus souvent, sur cette nature de biens.
Ici, les qualifications de réelles ou foncières, appliquées aux servitudes, expriment l'idée qu'elles appartiennent à une chose, à un fonds, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation, qui appartiennent toujours à une personne déterminée et s'éloignent avec elle, sans se transmettre à son héritier, même au plus proche.(c)
Il y a, au premier abord, quelque chose de bizarre à dire qu'un droit “appartient à une chose”: les choses sont les objets du droit et n'en peuvent être les sujets; elles subissent un droit, mais ne peuvent l'exercer; leur rôle est toujours passif, jamais actif; et en réalité, les servitudes foncières appartiennent au propriétaire du fonds en faveur duquel la servitude est établie; mais, comme ce propriétaire peut changer, par cession ou héritage, et comme le droit de servitude n'en subit aucune atteinte et passe intact au nouveau propriétaire, en cette qualité, on est amené à dire, par figure de langage, que le droit de servitude appartient plutôt au fonds qu'à la personne du propriétaire. En outre, si l'on considère, que les servitudes ont pour but l'amélioration des fonds, leur utilité, leur plus value, et non le seul agrément des personnes, il n'y a rien d'exagéré à dire que les servitudes foncières appartiennent aux fonds, et même, en suivant jusqu'au bout la figure de langage, on appelle fonds dominant celui en faveur duquel la servitude est établie et fonds servant celui qui la subit, celui sur lequel elle s'exerce.
Ces observations préliminaires servent d'explication au 1er alinéa de notre article 227 qui donne la définition des servitudes foncières.
Il suffit maintenant d'en faire ressortir les deux caractères distinctifs.
1° La servitude doit avoir pour but de donner plus d'utilité au fonds dominant. Par utilité, on doit entendre tout ce qui en favorise l'usage, en facilite l'exploitation et, d'une manière générale, en augmente la valeur; ce qui comprend même certains agréments, lorsqu'étant de nature à convenir à toute personne et non au seul propriétaire actuel, ils donneront plus de valeur au fonds.
On aura à revenir, plus loin, sur les distinctions à faire au sujet des agréments purement personnels qui ne pourraient, être établis à titre de servitude foncière.
Le présent article exige que la servitude procure de Vutilité au fonds dominant; c'est le principe essentiel.
L'établissement des servitudes a un grand avantage économique généralement, le profit qu'elles procurent au fonds dominant est bien supérieur au préjudice qu'elles causent au fonds servant; cependant, s'il en était autrement, la servitude n'en serait pas moins valable, car les propriétaires auraient usé de leur liberté respective et, d'ailleurs, il serait, sans doute, intervenu quelque compensation, en argent ou autrement.
2° Il est nécessaire que les deux fonds, servant et dominant, appartiennent à différents propriétaires: si le propriétaire de deux fonds tirait de l'un des avantages dans l'intérêt de l'autre, ce serait l'exercice du droit de propriété, il n'y aurait pas servitudefd>; cet état de chose d'pendrait uniquement delà volonté du propriétaire, quant à son étendue et quant à sa durée; la loi n'aurait pas à s'en occuper. Ce principe a des conséquences variées que l'on rencontrera ultérieurement. Généralement, les servitudes bout établies entre fonds contigus ou, tout ou moins, voisins; mais, cette condition n'étant pas absolument nécessaire, en raison, la loi ne l'exige pas; ainsi, rien n'empêcherait qu'une prise d'eau ou un droit de passage fussent établis à la charge d'un fonds, au profit d'un fonds éloigné, lorsque la communication entre les deux fonds ne pourrait se faire que par la voie publique ou par un cours d'eau.
La loi n'exige pas non plus que les servitudes aient un caractère perpétuel, pour les fonds de terre, ni même, s'il s'agit de bâtiments, qu'elles soient aussi durables que ceux-ci; cette condition de perpétuité était, exigée dans le droit romain, sans qu'on en ait donné une raison bien satisfaisante; elle a été abandonnée dans les législations modernes et il n'y a aucune raison de l'exiger au Japon.
Le 2e alinéa de notre premier article indique les causes d'établissement des servitudes; il n'en reconnaît que deux: la loi et le fait ou la volonté de l'homme.
En cela, le projet s'écarte du Code français qui admet, en outre, des servitudes naturelles ou résultant de la situation des lieux (C. civ.. art. 640 et suiv.).
Mais, sous ce titre de servitudes naturelles, le Code place à tort (et par inadvertance sans doute) des servitudes légales et des servitudes provenant du fait de l'homme; en réalité, il ne contient qu'une seule servitude qui paraisse due à la nature, avant d'être reconnue par la loi.
Ce ne serait pas, cependant, une raison pour négliger un droit qui viendrait de la nature avant d'être consacré par la loi; mais, si l'on veut examiner les choses de plus haut, on reconnaîtra que tous les droits sont naturels avant d'être consacrés par la loi. surtout dans les pays où la loi se garde d'être arbitraire et tyrannique; toutes les servitudes dites légales seraient donc avant tout naturelles; mais, il est préférable de nommer légales toutes celles que la loi consacre. D'ailleurs, même dans les servitudes que la nature semble imposer davantage au législateur, il y a toujours lieu de régler l'exercice du droit, d'en déterminer l'étendue et les limites; or, si les intéressés n'y pourvoient pas eux-mêmes, la loi seule le peut, si elle ne veut pas laisser aux tribunaux un trop grand pouvoir, lorsque les contestations se présenteront.
En n'admettant que deux causes d'établissement des servitudes, la loi et le fait de l'homme, le Projet japonais se trouve d'accord avec le nouveau Code civil italien (art. 532).
Ce n'est pas, cependant, sans avoir beaucoup hésité que les auteurs du Projet se sont décidés à reconnaître des servitudes légales, bien qu'on trouve cette idée dans la plupart des législations modernes.
Depuis long-temps, il est admis, en doctrine, que les dispositions classées, sous le nom de servitudes légales, ne sont pas de véritables servitudes, qu'elles constituent plutôt le droit commun de la propriété, tandis que les servitudes proprement dites ne peuvent être que des charges exceptionnelles.
En effet, parmi les servitudes dites légales, on trouve des limites à l'exercice du droit de propriété qui n'est pas et ne peut être absolu, des restrictions à la liberté du propriétaire, établies dans le but de l'empêcher de nuire à ses voisins; comme la défense d'envoyer ses eaux ménagères ou industrielles sur le fonds voisin, ou même d'y faire tomber l'égoût de ses toits; comme aussi celle de faire certains actes abusifs à l'égard du mur ou du fossé mitoyen. Or, il est difficile de considérer ces défenses comme des “charges établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre fonds;” on ne peut non plus, dans ces cas, parler de fonds dominant ni de fonds sériant; car, chacun des fonds a les deux qualités, tout à la fois, vis-à-vis de l'autre.
D'autres dispositions légales ont davantage le caractère de charges, comme celle de fournir au voisin enclavé un passage qui lui donne accès à la voie publique; comme aussi l'obligation, pour les voisins, do contribuer également aux frais du bornage de leurs propriétés contiguës et même de la clôture, en certains cas.
Mais, on peut dire que la première seule de ces charges est établie pour l'utilité de l'un des fonds, car, les deux dernières le sont dans l'intérêt réciproque des voisins.
Ces considérations, cependant, si sérieuses qu'elles soient, n'ont pas suffi pour déterminer les auteurs du Projet à s'écarter de la classification ordinaire-.
Plusieurs motifs s'y opposaient.
D'abord, il est toujours gênant de s'écarter des traditions universellement reçues; car, on prive la jurisprudence du bénéfice des travaux antérieurs.
Ensuite, il y a, entre voisins, des obligations légales qu'il est bien difficile de ne pas qualifier de servitudes; telle est celle de fournir le passage dos personnes en cas d'enclave, celle de subir le passage des eaux pour l'irrigation, ou leur écoulement pour le drainage(e), et plusieurs autres relatives aux eaux; sans compter les nombreuses charges imposées aux propriétaires, dans l'intérêt général, par les lois administratives.
Enfin, si l'on voulait suivie une classification théorique rigoureusement exacte, on serait amené, comme l'ont été certains auteurs français et allemands, à répartir, dans trois ou quatre différentes places, des matières que tout le monde est accoutumé à chercher et à trouver sous la rubrique consacrée des Servitudes. Ainsi, on aurait:
1° Des modifications au droit de propriété, comprenant la mitoyenneté, comme variété de la co-propriété;
2° Des restrictions au droit de propriété, comprenant des défenses relatives aux actes nuisibles entre voisins;
3° Des obligations entre voisins, comme celles relatives au bornage et à la clôture;
4° De véritables servitudes légales (car on ne peut les exclure entièrement), et. sous ce titre, on trouverait, outre les servitudes d'utilité publique, celles relatives au passage en cas d'enclave et à l'écoulement des eaux, tant naturelles qu'artificielles.
Il faut souvent, en matière de législation, sacrifier la théorie pure à l'utilité pratique. Il y a long-temps qu'un législateur romain, l'empereur Justinien, a proclamé que “la simplicité est amie des lois.” C'est une vérité encore aujourd'hui et au Japon comme partout ailleurs. On aura donc, dans cette matière, deux sections: l'une, pour les diverses modifications de la propriété nommées, improprement, Servitudes légales, l'autre, pour celles qui, créées par la volonté de l'homme, constituent un asservissement exceptionnel d'un fonds à un autre, pour les véritables Servitudes.
Les deux sections ne pourront être subdivisées de la même manière; tandis que la seconde présentera nos subdivisions habituelles: 1° les diverses espèces du même droit, 2° les causes ou moyens d'établissement du droit, 3° les effets du droit, 4° les causes d'extinction du droit, la première section ne présentera d'autre subdivision que celle tirée des cas particuliers constituant les diverses espèces de servitudes dites légales. En effet, il no peut être question de tirer une subdivision des causes, puisque ces servitudes ont toutes la même cause, à savoir, la loi; quant aux effets et à l'extinction de chacune de ces servitudes, ils varient, plus ou moins, avec chaque espèce de servitude et ils constituent la matière principale de chaque paragraphe.
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(a) Servîtes, servitude, du latin servire “être asservi, assujetti, dépendant.”
(b) Les Romains exprimaient ainsi cette idée: nemini res sua servit, “personne n'a un droit de servitude sur sa propre chose.”
(c) Les expressions du droit Romain rendaient la même idée, sans la même équivoque: servitutes prœdiorum. servitutes personarum, "servitudes de fonds, servitudes de personnes."
(d) Nemini res sua servit. v. note b.
(e) Le drainage est le contraire de l'irrigation: il consiste à faire écouler les eaux surabondantes des terrains marécageux.
SECTION PREMIÈRE. DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LA LOI.
§ I. DU DROIT D'ACCÈS ET DE PASSAGE SUR LE FONDS VOISIN.
228. Tout propriétaire peut obtenir l'accès sur le fonds voisin, pour la construction et la réparation de ses murs ou bâtiments placés sur la limite des fonds ou à une distance trop rapprochée pour qu'il puisse faire les travaux sur son propre fonds.
C'est assurément un des droits les plus certains du propriétaire que celui de refuser à autrui l'accès ou l'entrée chez lui; cependant, ce droit même doit céder devant un autre droit plus respectable encore: celui qui refuse l'entrée chez lui ne cherche qu'une satisfaction de pure convenance personnelle; celui qui la demande pour des travaux de construction ou de réparation, sur la limite ou à proximité de la limite des fonds, est mu par un intérêt pécuniaire légitime et souvent considérable.
Il ne faudrait même pas croire qu'il n'y a ici que deux intérêts privés en présence. Si cela était, il ne serait pas facile de faire prévaloir l'intérêt de l'un sur les convenances de l'autre. Mais, il faut voir ici un intérêt général, un intérêt économique.
Si la loi n'autorisait pas l'accès sur la propriété d'autrui pour la réparation des bâtiments, chaque propriétaire serait obligé de construire ses bâtiments et même ses murs en deçà de la ligne séparative, ce qui produirait une perte de terrain. Autrefois, en France, au lieu de la servitude ici établie par la loi, il en existait une inverse: le constructeur d'un bâtiment devait ménager entre sa construction et la ligne séparative un espace libre dit tour d'échelle. On en a reconnu les graves inconvénients, surtout dans les villes où le terrain a toujours une grande valeur. Cette obligation a d abord été supprimée dans les villes où elle a été remplacée par les droits et obligations relatifs à la mitoyenneté, et le Code civil français ne l'a même pas maintenue pour les campagnes.
Il y a aussi un intérêt économique à la conservation de bâtiments déjà faits et même à la possibilité d'en construire de nouveaux.
On ne trouve pas, cependant, dans le Code français, de dispositions formelles sur le droit d'accès ici réglé; mais, le principe n'en est pas contesté. C'est un de ces cas, encore nombreux, où l'insuffisance de la loi positive est suppléée par les tribunaux en vertu du droit naturel.
Le Code italien consacre le droit d'accès (art. 592).
229. Sauf le cas d'urgence ou de nécessité absolue, les travaux de construction ou de réparation ne devront pas être faits à l'époque où ils pourraient nuire aux récoltes, ni en cas d'absence momentanée du propriétaire voisin.
Ils ne pourront, en aucun cas, motiver l'accès dans la maison d'habitation du voisin, même contiguë aux bâtiments demandant réparation.
Bien qu'il s'agisse ici d'un double intérêt économique, l'épargne des terrains et la conservation des bâtiments, il ne faudrait pas non plus sacrifier un autre intérêt économique, la conservation des récoltes. La loi pose donc, en principe, que les travaux ne pourront se faire à l'époque où les récoltes, déjà plus ou moins proches de la maturité, pourraient en être compromises.
Mais, la prohibition fléchit devant l'urgence ou la nécessité absolue, justement parceque l'intérêt des bâtiments est, en général, plus grand que celui des récoltes: les bâtiments réparés en temps utile peuvent durer long-temps; leur perte, au contraire, est irrémédiable et peut être considérable; tandis qu'une récolte perdue ne l'est que pour une année et souvent pour une valeur minime. La loi interdit encore les travaux, sauf toujours le cas de nécessité, lorsque le propriétaire voisin est absent. Il est juste qu'une atteinte à ses immunités, même autorisée par la loi, n'ait lieu que sous son contrôle et sa surveillance. Los parents ou les serviteurs pourraient être mauvais gardiens de ses intérêts. Mais encore faut-il, pour retarder les travaux, que le voisin ne soit que momentanément absent; car, si son absence était déjà ancienne ou devait durer encore long temps, le propriétaire n'en devrait pas souffrir indéfiniment; d'ailleurs, l'absent a pu et presque dû laisser un mandataire pour surveiller sa propriété.
La loi revient, dans le 2e alinéa, au respect des convenances du voisin, en interdisant que les travaux puissent motiver l'accès ou l'entrée dans les bâtiments consacrés à l'habitation; ce qui doit s'entendre même de l'habitation de la famille et des serviteurs et des accessoires immédiats et nécessaires desdits bâtiments.
Il ne paraît pas nécessaire de justifier cette sage disposition.
Si les travaux ne demandaient l'accès qu'à des bâtiments consacrés à l'industrie ou au commerce, ou à des magasins, la prohibition cesserait.
230. Dans tous les cas, le voisin qui donne l'accès pourra obtenir une indemnité mesurée sur le trouble à lui causé, eu égard à la nature et à la durée des travaux exécutés.
Bien que l'obligation de fournir l'accès soit imposée au voisin par la loi et soit tout à fait conforme au droit naturel, ce n'est pas une raison pour lui refuser une indemnité: il n'en est pas moins vrai qu'il éprouve un dommage du fait d'autrui, en même temps que ce fait est avantageux à celui qui l'accomplit.
Lorsque, le dommage n'aura été qu'un trouble dans les convenances personnelles, résultant des allées et venues des ouvriers et de la nécessité d'une certaine surveillance, l'indemnité sera naturellement légère et, le plus souvent, elle ne sera même pas demandée, par l'effet dos bons rapports de voisinage; il en serait autrement, s'il y a eu dégradation des jardins, ou si les travaux ont été très-longs, comme ceux de la construction d'un Koura (godown).
Du reste, le payement d'une indemnité ne dispenserait pas l'auteur des travaux d'enlever les débris de matériaux et d'approprier les lieux, en les rétablissant, autant que possible, dans l'état où ils étaient auparavant.
Les contestations sur le droit d'accès seront de la compétence des tribunaux civils et, probablement, des juges de paix.
231. Si un fonds se trouve enclavé dans un ou plusieurs autres fonds, de telle sorte qu'il ne puisse communiquer avec la voie publique, il devra lui être fourni un passage sur ces fonds, jusqu'à la voie publique, moyennant une juste indemnité.
Un fonds est considéré comme enclavé, quand il n'a de communication qu'avec un canal, même public, avec une rivière ou avec la mer.
Cette servitude connue sous le nom de “droit de passage, en cas d'enclave”(f) est, plus encore que la précédente, fondée sur un grand intérêt économique.
Si un fonds n'avait pas d'accès à la voie publique, il ne pourrait être, ni habité par les personnes, ni exploité en culture ou autrement; ce serait une propriété perdue pour tout le monde. Il faut donc faire fléchir l'intérêt des voisins devant l'intérêt général, en même temps que devant l'intérêt particulier du propriétaire enclavé.
Il ne faudrait pas, cependant, considérer cette servitude comme “dérivant de la situation naturelle des lieux”; car, si elle est devenue nécessaire, ce n'est que par l'imprévoyance, des propriétaires antérieurs, dans des opérations de partage ou de cession. Aussi, les législations qui, comme celle de France, admettent des servitudes naturelles, n'y font-elles pas rentrer celle qui va nous occuper: elle figure comme ici, parmi les servitudes légales; la loi, en. effet, intervient pour corriger la faute de l'homme.
Par cela même que la cause de la servitude n'est pas purement naturelle, le passage ne pourra être obtenu que moyennant une indemnité, sur laquelle revient l'article 234 et sauf une exception portée par l'article 236.
La loi tranche, au 2e alinéa, une question qui pourrait. faire difficulté et qui reste indécise dans le Code français, à savoir, si un fonds est considéré comme enclavé quand il n'a de communication qu'avec un cours d'eau, même publie; sans doute, dans le langage du droit, un canal public, une rivière, un fleuve sont des voies publiques et ces “ voies mobiles” communiquent, de distances en distances, à des voies terrestres; mais, on ne peut méconnaître qu'elles sont d'un accès souvent difficile et même quelquefois dangereux; un fonds de quelque importance qui n'aurait pas d'autre communication avec le dehors, serait, presque toujours, difficile à exploiter et d'une habitation très-incommode. Cela est encore plus évident, si le fonds ne communique qu'avec la mer qui n'est pas accessible à toute heure, par le mouvement du flux et du reflux, et qui souvent est bouleversée pendant plusieurs jours.
Au surplus, comme le passage sur les fonds voisins sera toujours plus ou moins onéreux pour celui qui le requiert, il n'y a guère à craindre qu'il le réclame sans nécessité, lorsqu'il a déjà une communication avec un cours d'eau ou avec la mer.
La loi n'a pas cru devoir s'occuper du cas où les communications directes d'un fonds avec la voie publique se trouveraient momentanément interrompues par quelque accident, comme un éboulement, une inondation, ou des travaux publies. En pareil cas, si les communications ne pouvaient se faire qu'à travers des fonds voisins, les propriétaires de ces fonds devraient s'y prêter, et sans indemnité. C'est à la police locale qu'il appartiendrait de résoudre les difficultés nées de ces circonstances.
Il peut enfin se produire une enclave véritable et permanente par la suppression d'une voie publique, ou plutôt par son déplacement par redressement ou autre opération de voirie. Dans ce cas, si l'administration n'a pu fournir aux fonds précédemment riverains de la voie publique une communication avec la nouvelle voie, elle sera demand'e aux fonds voisins; généralement, ce sera l'administration qui fera la demande et fera reconnaître et exécuter la servitude légale; dans tous les cas, l'indemnité sera à sa charge.
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(f) Enclare, lient du latin in, dans, sous. et claris. clef: le fonds enclavé est, en quelque sorte. sous clef.
232. Le passage fourni devra être assez large pour l'emploi de voitures, si les besoins des habitants ou l'exploitation des fonds le requièrent.
Les travaux d'établissement et d'entretien du passage sont à la charge du fonds enclavé.
Le but de la loi ne serait pas complètement atteint et même ne le serait que très-imparfaitement si le passage n'était accordé qu'aux personnes. Lors même que le fonds enclavé ne serait qu'une maison d'habitation, il faudrait, presque toujours, accorder le passage des véhicules, soit pour les personnes, soit pour les provisions. Il en est ainsi, à plus forte raison, pour un fonds qui serait l'objet d'une exploitation agricole, industrielle ou commerciale.
Il n'y aurait même pas à distinguer, comme on a prétendu le faire, en France, entre le cas où, soit les bâtiments d'habitation, soit l'exploitation, seraient antérieurs à l'enclave et celui où ils y seraient postérieurs: il y a toujours le même intérêt économique.
Si le fonds enclavé n'a pas d'habitation et que les travaux d'exploitation n'aient lieu qu'à certaines époques de l'année, comme la plupart des travaux des champs, ou comme ceux relatifs à un bois, le passage ne devrait, en règle, être exercé qu'à ces époques; toutefois, le droit de surveillance appartenant au propriétaire du fonds enclavé devrait être respecté, pourvû qu'il n'y eût pas abus et vexation.
Quoique le passage ne soit accordé, en principe, que contre une indemnité à payer par le propriétaire qui se prévaut de la servitude, cela ne le dispense pas de faire les frais de premier établissement du passage, tels que nivellement, terrassement, empierrements, et, plus tard, de supporter les frais d'entretien. Le propriétaire du fonds enclavé fera d'ailleurs autant ou aussi peu de travaux qu'il jugera à propos; de cette façon, on évite des contestations qui pourraient gâter tout à fait les rapports de bon voisinage.
233. En cas de désaccord des intéressés sur la fixation du passage, elle sera faite par le tribunal qui conciliera, autant que possible, la commodité de la voie avec le moindre dommage aux fonds traversés.
Il arrivera le plus souvent, sans doute, que les parties se mettront d'accord sur la fixation du passage et sur le montant de l'indemnité; leur intérêt, bien entendu, sera toujours d'éviter les lenteurs et les frais d'une expertise judiciaire. Mais, la loi a dû prévoir le cas de désaccord. Elle indique alors, au tribunal, le double but qu'il doit poursuivre: la plus grande commodité-possible pour le fonds enclavé et le moindre dommage pour le fonds traversé.
La loi ne dit pas, comme le Code français (art. 683), que le passage sera pris par la voie la plus directe, c'est-à-dire la plus courte, car, elle pourrait être aussi la plus incommode par l'effet d'une pente trop rapide, ou par un terrain inondé ou encombré de roches; la voie la plus courte pourrait aussi être la plus dommageable au fonds servant, car, il pourrait être nécessaire de supprimer des plantations ou de détruire des cultures importantes.
Il faudra chercher la meilleure conciliation de ces deux intérêts, et si les parties n'ont pu tomber d'accord, ce sera, le plus souvent, par l'effet du mauvais vouloir du propriétaire du fonds servant. Il sera facile au tribut nal, au moyen d'une visite dos lieux, ou par la nomination d'un expert, de répondre au vœu de la loi.
234. L'indemnité sera fixée en capital, à moins que les parties ou le tribunal n'estiment que, dans un temps plus ou moins prochain, il sera établi une voie publique ou qu'il surviendra tel autre événement qui fera cesser l'enclave; auquel cas, l'indemnité sera réglée en annuités.
Dans ce dernier cas, le passage et l'indemnité cesseront d'être dus, respectivement, dès que l'enclave aura cessé.
Si l'indemnité a été fixée en capital et que l'enclave vienne à cesser, le propriétaire du fonds servant pourra s'affranchir du passage en restituant l'indemnité qu'il a reçue.
Les servitudes sont perpétuelles, en principe, comme les fonds auxquels elles sont attachées activement et passivement. Cependant, cette perpétuité n'est pas de leur essence, c'est-à-dire, n'en est pas inséparable, elle n'est que de leur nature, c'est-à-dire qu'elle a lieu de droit, s'il n'y est pas dérogé, soit par la loi, soit par le fait de l'homme. On a déjà fait remarquer, sous l'article 227, que la perpétuité ne figure pas dans la définition des servitudes.
L'enclave qui est la cause de la servitude légale do passage se présentera ordinairement comme devant avoir une durée indéfinie; l'indemnité devra donc, en principe, être fixée en capital une fois payé. Mais, l'enclave peut aussi cesser par des causes diverses, notamment, par la création d'une nouvelle voie publique avec laquelle communiquerait le fonds enclavé'; elle peut cesser aussi si le propriétaire du fonds enclavé acquiert un des fonds voisins communiquant avec la voie publique, autre que celui sur lequel il exerçait la servitude; on peut supposer aussi que le fonds servant se trouve réuni au fonds dominant dans les mêmes mains.
Chacun de ces cas présente des particularités.
La création d'une nouvelle voie publique est le cas qui donne l'application naturelle à l'exception portée au 1er alinéa de notre article. Il est possible que la nouvelle voie soit projetée depuis plus ou moins long-temps par l'administration et que le tribunal en ait connaissance: dans ce cas, le tribunal fera sagement, surtout s'il en est requis par l'une des parties, de fixer une indemnité annuelle à payer par le propriétaire du fonds dominant, laquelle cessera lorsque le passage, n'étant plus nécessaire, cessera lui-même.
Les choses pourraient se passer de la même manière si, au moment du règlement judiciaire de l'indemnité, le tribunal avait été informé du projet d'acquisition d'un fonds contigu à la voie publique par le propriétaire enclavé.
Il va sans dire que, dans ce cas, le passage cesserait, lors même que la communication nouvelle avec la voie publique se trouverait moins directe ou plus difficile que par celle qui résultait de la servitude.
Remarquons, sur ces deux premiers cas, que lorsque le tribunal a fixé une indemnité annuelle, la servitude cesse par la volonté de l'une ou de l'autre des parties, sans aucune restitution des annuités; au contraire, quand le tribunal, n'ayant pas admis la probabilité de cessation future de l'enclave, a fixé l'indemnité en capital, la cessation du passage ne peut avoir lieu, malgré' l'événement, que par la volonté du propriétaire du fonds servant; mais alors, il rend l'indemnité qu'il a reçue. Il ne faut pas s'étonner, en pareil cas, que l'indemnité soit restituée en entier. même lorsque le passage a été exercé plus ou moins long-temps: le propriétaire du fonds servant a eu la jouissance du capital, en compensation du trouble que lui a causé le passage.
Quant au troisième cas qui ferait cesser l'enclave, à savoir, la réunion du fonds servant et du fonds dominant dans les mêmes mains, ou confusion, il présente cette particularité qu'il ne donnera pas application au 3 alinéa de notre article: l'indemnité qui aurait été fixée en capital ne sera pas restituée par le propriétaire du fonds servant vendeur de sa propriété. On ne peut pas dire, en effet, qu'il “ s'affranchit du passage” puisqu'il n'a plus de fonds. D'ailleurs, le règlement du prix de vente entre les parties met fin à tous leur rapports pécuniaires au sujet des fonds.
235. Lorsque l'indemnité a été réglée à une somme annuelle, soit par les parties, soit par le tribunal, le propriétaire qui en est chargé peut s'en affranchir après 5 ans, en payant un capital représentant vingt fois l'annuité.
Le propriétaire du fonds servant peut aussi demander le même capital, si le débiteur de l'annuité a laissé passer deux années sans la payer, après en avoir été dûment sommé.
Il est toujours gênant d'avoir à payer des annuités, pour quelque cause que ce soit; c'est aussi une cause fréquente de procès. Lorsque ces annuités n'ont pas de durée fixe et peuvent se prolonger indéfiniment, la loi doit en favoriser l'extinction par le payement d'un capital. Il y a de nombreux exemples, dans la loi française, de cette faculté dite de, rachat. Une loi célèbre, du 29 décembre 1790, a permis le rachat de presque toutes les redevances admises dans l'ancien droit et. le code civil lui-même (art. 530 et 1911) a permis le rachat des rentes perpétuelles.
Le Projet japonais fait donc sagement de permettre au débiteur de l'annuité de s'en libérer, après un certain temps, en payant un capital.
Ce capital est fixé à 20 fois la valeur de l'annuité, ce qui correspond à 100 de capital pour 5 de revenu. C'est comme si, l'indemnité ayant été fixée d'abord, en capital, à 100, il avait été stipulé que le débiteur, en attendant le payement dudit capital payerait 5 d'intérêts annuels. Cet intérêt est un peu faible pour le Japon; mais, il faut régler avec ménagements les rapports entre voisins.
Il n'y a pas mêmes motifs d'autoriser le créancier de l'annuité à la convertir en capital à sa volonté; mais, ce droit ne peut lui être refusé lorsque le débiteur a manqué à ses engagements pendant deux ans (voy. c. civ. fr., art. 1912).
236. Si l'enclave résulte de la cession partielle d'un fonds ou d'un partage entre co-propriétaires, le passage est dû sans indemnité par le cédant ou le copartageant et il cesse de même avec la création d'une voie publique faisant cesser l'enclave.
Dans ce cas particulier, la négligence qui a donné naissance à l'enclave est imputable autant au propriétaire qui a cédé la parcelle enclavée qu'à celui qui l'a acquise, il est donc juste qu'il n'ait pas droit à une indemnité; d'ailleurs, quand on cède un droit à autrui, on est toujours obligé de lui garantir les moyens d'user du droit cédé.
Cette disposition pourrait, dans le silence de la loi, y être suppléée en vertu du principe de la garantie de la vente et du partage; c'est peut-être pour cela qu'on ne la trouve pas dans le Code français; mais, elle se trouve dans le Code italien (art. 595) et on ne doit avoir aucun scrupule à l'insérer dans le Code japonais.
Il est naturel aussi qu'en pareil cas la servitude cesse de plein droit avec l'enclave, et sans aucune restitution. Mais, la loi n'admet cette cessation que s'il y a création d'une nouvelle voie publique; ce qui est un avantage gratuit et commun; si donc l'enclave cessait parceque le propriétaire enclavé aurait acquis un fonds voisin ou obtenu par convention un autre droit de passage, le premier passage subsisterait, parcequ'il est dû en vertu d'une autre convention.
§ II. DE L'ÉCOULEMENT DE L'USAGE ET DE LA CONDUITE DES EAUX.
Le Projet réunit sous cette rubrique toutes les charges relatives aux eaux, moins, bien entendu, celles établies par le fait de l'homme. Ainsi, d'abord, on y trouve celle relative à l'écoulement naturel des eaux par le seul effet de la déclivité des terrains; vient ensuite l'obligation pour chaque propriétaire de préserver ses voisins de l'égoût de ses toits et do ses eaux ménagères ou industrielles; puis, les limites au droit d'usage des eaux de source ou des eaux courantes; enfin, le droit d'aqueduc,(g) permettant aux propriétaires d'obtenir un passage à travers le fonds voisin pour faire venir les eaux nécessaires à l'irrigation ou, pour faire sortir celles provenant du drainage ou d'autre opération de dessèchement.
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(g) Aqueduc: conduite d'eau; de deux mots latins: aqua, eau, et ducere. conduire.
237. Les propriétaires des fonds inférieurs sont assujettis à recevoir les eaux pluviales ou de source qui découlent naturellement des fonds supérieurs, sans que la main de l'homme y ait contribué.
Si même l'écoulement des eaux a été créé ou modifié par des travaux de main d'homme remontant à plus de trente ans ou à une époque inconnue, la servitude ne peut être contestée.
C'est cette servitude que le Code français fait dériver “de la situation des lieux,” et que, pour cela, on nomme servitude naturelle; étant observé d'ailleurs qu'il ne s'agit, comme le dit ici le texte, que des eaux pluviales ou des eaux de source, et non des eaux ménagères ou industrielles, dites aussi eaux artificielles.
On a déjà justifié la qualification de légale qui est donnée ici à la servitude.
L'eau suit si impérieusement la déclivité des terrains qu'il n'y a pas de force humaine qui puisse la retenir: le plus faible ruisseau, s'il est contenu plus ou moins long-temps, devient un torrent dévastateur.
La loi respecte et consacre la puissance de la nature et ce serait en vain qu'elle prétendrait dispenser les fonds inférieurs de l'obligation de recevoir les eaux naturelles des fonds plus élevés: la loi ne peut décréter que les rivières remonteront à leur source. Mais, l'obligation légale n'existe plus si la déclivité a été porduite par des travaux exécutés sur le fonds supérieur.
Toutefois, le Projet japonais introduit, à cet égard, une sage innovation: il est souvent très-difficile de savoir si la disposition respective des lieux a toujours été la même; dans les villes et antres localités où la population est agglomérée, les terrains ont presque toujours subi des modifications plus ou moins considérables: des terrains bas ont été comblés et relevés, les pentes ont été modifiées; mais le souvenir en est perdu, ou l'origine en est oubliée. Si les propriétaires des fonds inférieurs étaient admis à refuser de recevoir les eaux après un temps immémorial, en prouvant qu'il y a eu dos travaux de main d'homme, il en résulterait un dommage énorme pour les fonds supérieurs, et même, le plus souvent, il serait impossible de remettre les choses dans l'état primitif.
La loi va plus loin, elle assimile les travaux remontant à plus de 30 ans à ceux qui ont une ancienneté immémoriale.
Au surplus, on a cru inutile d'insérer dans le Projet deux dispositions qui se trouvent dans le Code français (art. 640) et dans le Code italien (art. 536), à savoir, que “ le propriétaire du fonds inférieur ne peut point élever de digue qui empêche l'écoulement,” et que, réciproquement, “ le propriétaire du fonds supérieur ne peut rien faire qui aggrave cet écoulement.”
Ces dispositions sont évidemment surabondantes: si le propriétaire inférieur pouvait élever une digue contre les eaux, c'est qu'il ne serait pas tenu de les recevoir; si le propriétaire supérieur pouvait aggraver l'écoulement, on ne pourrait plus dire que celui-ci est naturel, qu'il a lieu sans que la main de l'homme y ait contribué.
Ainsi, le propriétaire supérieur ne pourrait pas réunir ses eaux en un ou plusieurs ruisseaux qui, en faisant une irruption plus ou moins violente chez le voisin, pourraient lui causer dommage. Assurément, il pourrait diriger les eaux à son gré dans l'intérieur de son fonds; mais, il devrait, pour la sortie, leur rendre l'écoulement naturel déterminé par le terrain.
Un cas plus délicat est celui de savoir si le fonds inférieur serait tenu de recevoir les eaux d'un puits jaillissant creusé par le propriétaire supérieur, ou d'une source qui aurait été amenée par lui à la surface du sol. Il y aurait là, évidemment, un travail de l'homme, lequel semblerait exclure l'idée de servitude légale; d'un autre côté, l'eau étant amenée à la surface du sol, la pente peut la conduire naturellement chez le voisin. Faudrait-il obliger le propriétaire supérieur à supprimer le puits jaillissant ou la source ? Il y a des cas où ce serait impossible et où il n'y aurait d'autre remède que celui d'une indemnité au propriétaire inférieur. On pourrait dire qu'il y a là des eaux enclavées requérant un passage, comme les personnes dans le cas de l'article 231.
Même question pour les eaux de source amenées d'une propriété voisine et que le cédant ne voudrait pas reprendre.
La question devra, le plus souvent, être résolue par les tribunaux au moyen d'une indemnité: on assimilera les eaux jaillissantes ou provenant de travaux de l'homme aux eaux amenées pour l'irrigation et qui se trouveraient excéder les besoins du fonds qui les a obtenues. On verra, plus loin, que l'excédant des eaux d'irrigation peut être évacué sur les fonds inférieurs, moyennant indemnité.
On a quelquefois vu, en France, des voisins malveillants ou inintelligents, alléguant que des monticules élèves sur le fonds supérieur aggravaient la servitude, comme donnant au fonds une plus grande surface recevant l'eau pluviale: l'idée était aussi fausse que s'ils eussent fait le même reproche à des toits inclinés: il est clair qu'il ne tombe pas plus d'eau pluviale sur un plan incliné que sur un plan horizontal. Ce qui peut induire en cette erreur les esprits peu ouverts, c'est qu'en effet, s'il s'agit de couvrir de gazon un monticule, il en faudra une plus grande quantité que sur une surface plane; de même, il tient plus de tuiles sur un toit très-incliné que sur un toit presque horizontal.
La prétention qu'il en est de même pour l'eau pluviale égayerait certainement un tribunal si elle était portée jusque devant lui.
Le propriétaire inférieur, de son coté, peut recueillir les eaux à l'entrée de son fonds, soit pour les diriger au lieu où elles sont le moins dommageable, soit pour s'en servir.
La loi n'a pas cru devoir exprimer que le propriétaire inférieur doit recevoir avec les eaux, les terres, sables ou pierres qui seraient entrainés par les eaux: mais, l'obligation est la même, si c'est toujours l'œuvre de la nature. Dans les pays de montagnes, les eaux entraînent souvent des masses énormes de terres et de graviers: les fonds inférieurs se trouvent ensablés et dévastés; les récoltes sont perdues, et il faut souvent plusieurs années pour reconstituer les cultures.
Une question inverse pourrait se présenter, à savoir, si le propriétaire supérieur aurait le droit de reprendre les terres, sables ou pierres que les eaux ont entraînés. Il paraît difficile de lui refuser ce droit, pourvû qu'il ne cause pas de nouveaux dégats et qu'il n'ait pas attendu que le propriétaire inférieur ait rétabli ses cultures sur les terres descendues chez lui.
238. Si, par la rupture de berges, digues ou autres ouvrages destinés à contenir les eaux, ou par des encombrements de ruisseaux ou canaux, il se produit sur le fonds supérieur des débordements qui aggravent l'écoulement ou en modifient la direction, les propriétaires inférieurs peuvent être autorisés à faire les réparations à leurs frais.
Réciproquement, si le cours des eaux se trouve obstrué par accident sur les fonds inférieurs, le propriétaire supérieur peut faire à ses frais les travaux nécessaires pour rétablir l'écoulement normal.
La présente disposition ne se trouve pas dans le Code français; elle se trouve, au contraire, dans le Code italien (art. 537 et 538). Elle est facile, du reste, à justifier.
Bien que les modifications des cours d'eaux, ici prévues, ne proviennent pas de faits de l'homme, mais d'accidents naturels, elles ne doivent pas aggraver la situation respective des fonds: les propriétaires pourront toujours rétablir le cours normal des eaux.
Le cas le plus saillant est celui où un cours d'eau traversait un fonds supérieur dans une direction plus ou moins horizontale et ne laissait écouler aucune partie de ses eaux sur un fonds latéral inférieur; mais, par la rupture d'une digue, l'eau s'échappe latéralement et inonde ce fonds. Il est juste, en pareil cas, que le propriétaire inondé puisse faire rétablir, à ses frais, le cours naturel de l'eau.
Si plusieurs propriétaires inférieurs se trouvaient profiter de ces travaux de réparation, il serait juste aussi de les faire contribuer à la dépense, proportionnellement à leur profit.
La servitude relative à l'écoulement des eaux pourrait être modifiée dans son exercice par des conventions particulières; mais, il est impossible d'admettre quelle puisse être entièrement supprimée par convention, parcequ'il est d'ordre public et économique que les fonds supérieurs ne soient pas rendus improductifs par la surabondance des eaux.
Par la même raison, le propriétaire inférieur ne pourrait se dire affranchi de l'obligation de recevoir les eaux, sous le prétexte que le propriétaire supérieur les a retenues et absorbées pendant 30 ans, temps ordinaire de la prescription extinctive des servitudes.
C'est une des différences que présentent, avec les servitudes établies par le fait de l'homme, celles des servitudes légales qui sont fondées sur un intérêt d'ordre publie essentiel.
Il est d'autant moins possible de soutenir que la servitude qui nous occupe pourrait être éteinte par une convention particulière que le propriétaire supérieur peut même exiger le passage des eaux provenant de drainage ou d'irrigation, et, cependant, ce ne sont pas là des eaux purement naturelles. La seule conséquence qu'il faille attacher à une convention qui exclurait la servitude d'écoulement des eaux naturelles, c'est qu'elle ne pourrait être rétablie que moyennant indemnité, comme cela a lieu pour les eaux de drainage ou d'irrigation: l'indemnité est ici d'autant plus juste qu'il est probable que le propriétaire supérieur qui avait consenti antérieurement à conserver ses eaux naturelles avait lui-même reçu une compensation ou indemnité pour ce sacrifice de son droit; il ne doit donc pas le recouvrer gratuitement.
239. Les propriétaires ne peuvent faire ni laisser écouler sur les fonds voisins leurs eaux ménagères, ni des eaux naturelles altérées par l'industrie ou par l'irrigation; sauf ce qui est dit de la servitude d'aqueduc, par l'article 252.
Ils ne peuvent non plus disposer leurs toits ou terrasses de telle façon que l'eau pluviale tombe directement sur le fonds voisin.
L'explication des deux articles précédents a déjà amené à distinguer les eaux naturelles des eaux ménagères et des eaux industrielles.
Lors même que ces dernières eaux proviendraient d'une source ou du ciel, du moment qu'elles ont été employées à un usage domestique ou à une industrie, elles sont plus ou moins altérées, elles pourraient être nuisibles ou incommodes aux voisins; le propriétaire doit donc les diriger sur la voie publique ou les retenir chez lui et les y absorber au moyen de puisards, et ceux-ci doivent être suffisamment profonds pour que les infiltrations ne puissent corrompre les puits des voisins ou pénétrer sous leurs bâtiments.
On a dit que l'usage industriel des eaux les altère, en général; c'est ce qui a lieu pour la teinture, pour les bassines à dévider les cocons de vers à soie, pour la fabrication de produits chimiques et pour une foule d'autres industries; mais, si une eau naturelle était seulement employée comme force matrice, cet usage industriel ne lui faisant subir aucune altération, elle pourrait être rendue à son écoulement naturel.
A l'égard de l'égoût des toits, la loi ne permet pas de le faire tomber directement sur la propriété voisine; il faut donc, si les bâtiments sont élevés sur la limite même, que la pente des toits soit dirigée vers le terrain où se trouvent les bâtiments, ou, si la disposition des toits est inverse, que les eaux soient ramenées par des gouttières sur le dit terrain.
240. Le propriétaire d'une source peut en user à son gré et même priver le voisin de l'excédant d'eaux qui s'écoulait naturellement chez celui-ci; sauf ce qui est dit, à la section suivante, de l'acquisition de ces eaux par prescription.
L'écoulement naturel des eaux de source est une charge pour le propriétaire inférieur; mais, il n'est pas un droit pour lui: le propriétaire auquel appartient la source peut donc, en principe, détourner les eaux ou en disposer au profit d'un tiers; mais, on verra dans la section suivante, que parmi les servitudes établies par le fait de l'homme se trouve la prescription acquisitive qui reçoit une application dans le cas présent.
A plus forte raison, le propriétaire de la source ne pourrait priver le voisin de l'écoulement s'il lui avait concédé les eaux par un titre.
241. Si les eaux de la source sont nécessaires aux usages domestiques des habitants d'une commune ou hameau, le propriétaire est tenu de laisser s'écouler la portion de ces eaux qui ne lui est pas utile.
La commune pourra même faire exécuter sur le fonds les travaux nécessaires à la réunion et à la conduite des eaux, pourvû qu'ils ne causent pas de dommage permanent au fonds et moyennant indemnité.
La commune devra, en outre, une indemnité pour l'usage des eaux, s'il n'a pas été déjà exercé gratuitement pendant trente ans.
La présente disposition se trouve dans le Code français (art. 643) et y a été empruntée par plusieurs Codes étrangers.
Elle repose sur le principe que l'intérêt général ou collectif doit primer, dans certains cas, l'intérêt individuel.
L'usage de l'eau est un des besoins les plus impérieux de l'homme, et il est passé en axiome de morale que ce que l'on peut le moins refuser à son semblable c'est l'eau nécessaire à éteindre sa soif. La loi apporte ici, d'ailleurs, un grand soin à concilier les intérêts opposés; elle est aussi plus précise que la loi française et on le reconnaîtra en comparant les deux textes. D'abord, pour que le propriétaire de la source soit privé de la plénitude de son droit, il faut que les réclamants constituent une agglomération d'habitants, reconnue par l'administration, au moins un hameau(h); il ne suffirait pas d'une réunion de quelques maisons particulières n'ayant aucun lien entre elles, ni de quelque grande manufacture, même employant beaucoup d'ouvriers: il faut que l'agglomération représente un intérêt général, si limité qu'il soit.
Sous ce rapport, le Projet est conforme au Code français.
De même, les deux textes veulent que l'eau de la source soit nécessaire aux habitants; il ne suffirait pas qu'elle fût simplement utile.
Le Projet précise davantage le genre de nécessité: ce n'est pas la nécessité agricole ou industrielle, laquelle pourtant se comprendrait, mais, n'a pas paru aussi impérieuse que les nécessités domestiques(i); c'est-à-dire ce qui est nécessaire à l'usage direct de l'homme et des animaux, même des bestiaux logés dans le bâtiment.
Le Code français, dans le cas qui nous occupe, défend au propriétaire de la source d'en changer le cours; mais, lui défend-il d'épuiser l'eau de la source par des travaux d'irrigation ou même par des usages d'agréments, comme de la recueillir dans un étang, où elle se perdrait, ou bien dont elle ne sortirait qu'après un long séjour à l'air qui la corrompt ?
Cette question est fort difficile à résoudre avec le texte français. Elle ne le sera pas avec le Projet japonais: le propriétaire devra laisser écouler l'excédant d'eau qui ne lui est pas utile; son droit n'est pas, comme celui des habitants inférions, limité à la nécessité, il va jusqu' à l'utilité; mais, l'utilité no comprend pas l'agrément. Le propriétaire pourra faire des irrigations, il ne pourra pas faire un étang: le plaisir d'une personne ne doit pas être respecté au prix de la vie ou de la santé des autres hommes.
Le Projet va encore plus loin que la loi française, en permettant à la commune ou aux habitants du hameau de faire exécuter quelques travaux sur le fonds où naît la source, pour recueillir les eaux et pour en favoriser la sortie. La seule limite que la loi mette à ce droit, c'est que le dommage no doit pas être permanent, mais seulement temporaire, et, de ce chef, il y aura lieu à une indemnité, si le propriétaire l'exige.
Il y aura lieu à une autre indemnité, pour la privation que le propriétaire éprouve par la perte d'une partie des avantages de la source. Mais, cette indemnité serait prescrite libératoirement (cesserait d'être due, par la prescription libératoire) si la commune avait joui de la source pondant trente ans sans rien payer.
On remarquera seulement qu'en pareil cas, il ne faut pas dire que la servitude est acquise par prescription; elle est acquise par la loi et indépendamment d'aucun délai, et même avant que l'usage en ait commencé(j): la prescription n'est ici qu'extinctive de l'obligation d'indemniser le propriétaire.
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(h) En France un hameau est une petite agglomération d'habitants, un peu isolée, n'ayant pas de maire, ni d'école, ni d'église: le hameau dépend d'une commune, mais, porte un nom particulier, comme le quartier d'une ville.
(i) De domus, maison.
(j) Le Projet japonais s'écarte encore ici du Code français, lequel ne reconnait le droit de la commune que quand elle use déjà de l'eau, en fait; il se place dans le cas où la source fournit l'eau nécessaire. Dans le nouveau texte, il suffira que la source puisse fournir; la question aura de l'intérêt pour une source nouvelle: le droit des habitants naîtra avec la source.
242. Dans les autres cas, si l'excédant des eaux d'une source privée se perd au dehors, sans profiter à personne, le plus proche voisin de sortie desdites eaux peut réclamer la faculté de les amener chez lui, précairement, en faisant les travaux nécessaires, comme il est dit à l'article précédent.
Cette disposition n'est pas dans le Code français et et elle pourrait étonner, au premier abord; mais elle se trouve, avec quelque différence, dans le Code italien (art. 545)(k). Dans les pays de montagnes où les eaux sont abondantes, mais s'échappent avec une trop grande rapidité, on doit éviter de les perdre, tant qu'elles peuvent être utiles.
Ici, la loi ne dépouille pas le propriétaire au profit d'un particulier, elle permet seulement à ce dernier “de recueillir les miettes qui tombent de la table du riche,” suivant l'image d'un précepte de morale bien souvent cité en Europe.
Au surplus, cette disposition n'est pas seulement conformne à la morale sociale, elle est aussi conforme à
la théorie économique, laquelle veut que toutes les richesses naturelles soient utilisées pour la production.
Ce cas diffère d'ailleurs beaucoup du précédent:
1° Le propriétaire de la source ne sera privé d'aucun de ses avantages, car, on se trouve dans le cas où les eaux se perdent au dehors; par conséquent, le propriétaire a tiré de la source tous les avantages et agréments qui lui convenaient, puisqu'il rejette l'excédant de ses eaux;
2° L'usage que pourra réclamer le voisin sera précaire, c'est-à-dire pourra lui être retiré au gré du propriétaire (v. p. 97), dès que celui-ci voudra utiliser l'excédant d'eaux;
3° A raison de cette précarité même, le propriétaire ne recevra aucune indemnité pour l'usage de l'eau par le voisin; il sera seulement indemnisé du dommage temporaire que pourraient lui causer les travaux autorisés par la loi.
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(k) Le Code italien, fait pour un pays de montagnes et d'irrigations, est très-développé au sujet des eaux.
243. Celui dont la propriété est contiguë à une eau courante ne faisant pas partie du domaine public, d'après l'article 24, et n'appartenant pas non plus à un particulier, peut en user à son passage, pour les usages domestiques, pour l'irrigation de ses terres ou pour son industrie; mais sans en modifier le cours.
Si, au contraire, un fonds est traversé par une eau de la même nature, le propriétaire peut en dériver le cours dans l'intérieur de son fonds, pour les mêmes besoins; mais, à la charge de la rendre à son cours naturel, à la sortie de son fonds.
Dans l'un et l'autre cas, les riverains ont le droit de pêche, en se conformant aux règlements locaux.
Cet article correspond à l'article 644 du Code français et à l'article 543 du Code italien, avec quelques additions.
On a emprunté à ce dernier Code une condition qui manque au Code français: à savoir, que le cours d'eau n'appartienne pas non plus à un tiers; on lui a emprunté également le droit d'user de l'eau pour l'industrie.
On a ajouté aux deux Codes: 1° le droit de se servir de l'eau pour les usages domestiques, lesquels sont encore plus nécessaires que l'irrigation et l'exploitation industrielle, 2" le droit de pêche qui mérite d'être mentionné. Ainsi que le dit le Projet, avec les deux Code étrangers précités, il ne s'agit pas ici des eaux faisant partie du domaine public; or, d'après l'article 24, les eaux qui ont ce caractère sont les fleuves, les rivières navigables ou flottables et les canaux de navigation(l).
On sait que les fleuves sont les cours d'eau navigables qui se jettent directement dans la mer. Les rivières se jettent elles-mêmes dans les fleuves ou dans les grands lacs; on les appelle navigables, quand elles peuvent porter des bateaux de dimension quelconque,et flottables, lorsqu' elles ne peuvent porter que des trains de bois, à cause de leur peu de profondeur.
Quant aux canaux, ils ne sont du domaine public que s'ils peuvent porter des bateaux; il n'y en a pas qui ne puissent porter que des trains de bois; car, étant le résultat d'un travail de l'homme, ils ne seraient pas creusés pour une si faible utilité; les canaux qui no sont pas de navigation ne sont plus que des aqueducs; c'est à eux surtout que fait allusion le 1er alinéa de. notre article, lorsqu'il suppose “qu'ils n'appartiennent pas à des particuliers,” c'est-à-dire à des tiers.
En présence de cette double condition: à savoir, que les cours d'eau dont il s'agit ici n'appartiennent ni au domaine public ni aux particuliers, on se demandera à qui ils peuvent appartenir.
En France, il a régné jusqu' ici une grande incertitude sur le point de savoir à qui appartiennent les cours d'eau qui no font pas partie du domaine publie. Les uns les attribuent au domaine privé de l'Etat; les autres, aux riverains; d'autres disent qu' ils n'ont pas de maître et sont choses communes; d'autres distinguent entre le lit et l'eau courante, et c'est l'opinion qui semble la plus raisonnable: le lit serait la propriété des riverains et l'eau courante appartiendrait à l'Etat. Cette solution, proposée pour le Japon, paraît devoir être adoptée dans le nouveau Code rural français actuellement soumis aux Chambres et déjà voté par le Sénat: elle concilierait les divers intérêts et concorderait le mieux avec d'autres dispositions de la loi, notamment: d'une part, avec le droit pour les riverains de profiter des îles et ilots qui se forment dans ces cours d'eau, ainsi que du lit abandonné par un changement de direction (v. Livre III, accession); d'autre, part, avec le droit de police et de réglementation de l'usage des eaux et de la pêche (v. ci-après).
Tel est le caractère des cours d'eaux auxquels s'appliquent le présent article et les cinq articles suivants: les riverains ont la propriété du lit et ils ont seulement l'usage de l'eau courante.
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(l) L'article 24 devra être complété par l'addition des mots navigables ou flottables et leur lit pour les rivières, et des mots de navigation, pour les canaux. Par contre, il faudra ajouter à l'article 25, 2e al., après les lais et relais de la mer, les cours d'eau non flottables.
244. Dans les deux cas prévus à l'article précédent, s'il y a contestation de la part des propriétaires inférieurs auxquels ces eaux peuvent être utiles, les tribunaux civils statueront, en tenant compte des usages locaux et en conciliant les besoins de l'hygiène domestique avec les intérêts de l'agriculture et de l'industrie.
La même disposition se trouve dans les deux Codes précités, avec deux différences de rédaction: on a dû parler ici de l'hygiène ou de la santé, laquelle correspond aux usages domestiques de l'eau dont ne font pas mention les deux Codes étrangers; on a supprimé, dans les intérêts à concilier, ceux de la propriété, puisqu'il ne s'agit pas de l'usage du lit, mais, do celui de l'eau courante, laquelle n'est pas la propriété des riverains.
La loi n'a pas à déterminer ici la compétence spéciale, pour le jugement de ces contestations; il suffit de la donner aux tribunaux civils.
En France, jusqu'ici, ces contestations étaient jugées par les tribunaux d'arrondissement, avec appel à la cour, comme en matière ordinaire; le Projet de Code rural eu attribue la connaissance aux juges de paix, avec appel au tribunal d'arrondissement: on a pensé que ces contestations demandaient un juge rapproché des plaideurs et une justice simple, rapide et peu coûteuse.
245. Au surplus, la police générale des eaux de la nature qui précède appartient à l'autorité préfectorale, laquelle peut prescrire les mesures nécessaires, tant pour leur libre écoulement que pour leur conservation ou pour celle du poisson.
Les eaux dont il s'agit faisant partie du domaine privé de l'Etat ou des départements, c'est, naturellement, au préfet qu'il appartient d'en assurer la conservation; lors même qu'elles appartiennent à l'Etat, il n'est pas nécessaire, à cause de leur peu d'importance, de recourir à l'autorité centrale ou supérieure, si ce n'est en cas de réclamation contre le règlement même du préfet. On appelle police des eaux ce pouvoir réglementaire du préfet; on lui donne ici deux objets principaux qui sont 1 oppose 1 un de l'autre: le libre écoulement des eaux, tant pour préserver les fonds supérieurs des inondations que les fonds inférieurs de la sécheresse, et la conservation, contre les déperditions inutiles des eaux qui pourraient s'échapper et s'absorber dans des sables arides ou dans des excavations du sol.
Le préfet réglementera aussi la pêche, tant pour les époques où elles sera permise que pour les instruments qui pourront être employés. Il ne faudrait pas notamment que les propriétaires supérieurs pussent, au moyen de larges filets, recueillir tous les poissons, au préjudice des fonds inférieurs.
Mais, le pouvoir du préfet s'arrête et fait place à celui des tribunaux dès que la mesure à prendre n'est plus générale pour tout le cours d'eau, mais, est seulement relative à deux ou plusieurs riverains en contestation les uns vis-à-vis des autres.
246. Le curage desdits cours d'eau est à la charge des riverains qui peuvent se concerter et même s'associer à cet effet.
A défaut par eux de procéder au curage, aux époques déterminées par l'autorité locale, il y sera procédé, par celle-ci, à leurs frais.
Le recouvrement de la part contributoire de chacun se fera de la même manière que pour les autres contributions locales.
Le curage des cours d'eau a doux utilités: il entretient le libre écoulement de l'eau par l'enlèvement des boues, des sables et des herbes, et il préserve le voisinage des émanations fébrifères (portant, la fièvre) résultant des eaux devenues stagnantes. Comme ce sont les riverains qui retirent la plus grande utilité des cours d'eau, il est naturel que le curage soit à leur charge, chacun dans la mesure de son droit d'usage, c'est-à-dire d'après la longueur de son terrain contigu au cours d'eau, quelle que soit d'ailleurs sa largeur.
Celui dont la propriété est traversée par le cours d'eau fera donc le curage du lit tout entier, dans sa propriété; celui qui n'est riverain que d'un côté no curera que la moitié du lit. Il est clair que de, pareils travaux, pour être bien exécutés et avec le moins de frais possibles, doivent l'être simultanément dans toute la largeur du lit et autant que possible sur une assez grande longueur à la fois.
Pour cela, il est désirable que les riverains sur un certain parcours de l'eau s'entendent, se concertent, pour procéder simultanément au curage. En France, l'usage se répand de plus en plus, de la part des propriétaires. de former des associations spéciales à cet effet (association dites syndical es); les unes sont libres, les autres sont approuvées par les préfets, avec certains avantages légaux. Le nouveau Code rural français contiendra, à cet égard, des développements très-minutieux qu'il serait prématuré d'introduire au Japon en ce moment.
S'il se forme des associations libres entre les riverains pour le curage ou pour les travaux d'endiguement dont il est parlé ci-après, elles suivront le droit commun des conventions privées. Lorsque le curage sera devenu nécessaire, l'autorité locale (le maire sans doute) fixera l'époque à laquelle il devra être commencé et fini. L'arrêté devra être publié assez long-temps à l'avance pour que les riverains aient le temps de se concerter, s'il y a lieu.
S'ils ne se sont pas entendus pour procéder au curage, à frais commun, en proportion de leur étendue de contiguïté, l'autorité locale (communale ou départementale) y fera procéder à leurs frais et le remboursement se fera comme celui des autres contributions locales.
247. Un riverain ne peut élever de digues de son côté, s'il en doit résulter un dommage pour le riverain opposé.
Si un endiguement reconnu nécessaire intéresse plusieurs riverains et s'ils ne se concertent pas pour l'exécuter, il pourra y être procédé par l'autorité locale, aux frais des intéressés, comme il est dit ci-dessus.
L'endiguement qui serait exécuté d'un seul côté du cours d'eau aurait pour effet, le plus souvent, de rejeter les eaux du côté opposé, surtout, s'il s'agissait d'un lieu où le cours d'eau forme un coude ou angle plus ou moins court.
Il est donc désirable que de pareils travaux soient précédés d'un accord des intéressés. Dans le cas contraire, l'autorité locale fera faire, a leurs frais, le travail jugé par elle nécessaire.
Il y aura lieu de faire à cet égard une enquête et un rapport d'expert, par un dos agents des ponts et chaussées. Ces mesures no peuvent être prescrites que par les lois administratives.
248. Les dispositions des cinq articles précédents sont applicables aux lacs ou étangs se trouvant dans les mêmes conditions.
Quoique les articles 243 à 247 soient faits surtout pour les eaux courantes, il y a lieu de les étendre aux eaux agglomérées qui pourraient se trouver contiguës à plusieurs propriétés distinctes. Il pourrait même arriver qu'un lac ou étang se trouvât dans l'intérieur d'une propriété et que le propriétaire du fonds n'eût pas la propriété de l'eau, parcequ'elle aurait une entrée et une sortie sur son fonds: ces deux communications avec le dehors la feraient assimiler à une eau courante.
249. L'usage et la police des eaux faisant partie du domaine public général ou local sont réglés par l'autorité supérieure ou préfectorale, conformément aux lois administratives.
En cette matière, la loi civile est inapplicable: l'intérêt général domine; c'est donc le domaine du droit administratif.
250. Tout propriétaire qui a le droit d'user d'eaux naturelles ou artificielles situées en dehors de son fonds, peut en exiger, moyennant indemnité, le passage à travers les fonds intermédiaires supérieurs, soit pour l'irrigation, soit pour les usages industriels ou domestiques.
Cette disposition et les suivantes, connues sous le nom de Servitudes d'aqueduc, manquaient dans le Code civil français: elles y ont. été ajoutées par des lois spéciales (29 avril 1845,11 juillet 1847,10 juin 1854) et le Projet français de Code rural les y reprend on les complétant, pour les abroger ensuite.
Elles se trouvent aussi dans le Code italien (art. 598 et suivants).
On y trouve de nouveaux sacrifices imposés aux propriétaires fonciers dans l'intérêt général et économique: la loi considère toujours que les sacrifices imposés aux uns sont moindres que les avantages procurés aux autres, en sorte que la production totale des fonds se trouve augmentée, pour le plus grand bien du pays.
Cependant, la loi française, même dans le nouveau Projet, est allée moins loin que la loi italienne, dans le sens de l'utilité générale, et le Projet japonais va aussi loin que cette dernière: la loi française ne permet le passage des eaux que pour l'irrigation des terres; la loi italienne le permet même pour les usages industriels et les nécessités de la vie. Si l'industrie mérite des encouragements au même titre que l'agriculture, l'hygiène des personnes et des animaux est encore plus digne de faveur que ces deux moyens de production.
Une autre différence entre le droit français et le Projet japonais et que, en France, le passage des eaux n'est pas un droit absolu pour celui qui le requiert: les tribunaux peuvent l'accorder ou le refuser, suivant que l'utilité en sera plus ou moins considérable; tandis que le Projet japonais, imitant encore en cela le Code italien, accorde le passage chaque fois qu'il est requis;(m) la seule condition à observer, sans même que la loi s'en soit exprimée, c'est que le requérant n'ait pas de passage plus facile pour ses eaux à travers ses propres fonds.
Le motif qui fait dispenser de recourir aux tribunaux pour l'obtention du droit (sauf le règlement de son exercice et de l'indemnité), c'est qu'il ne rentre pas dans le rôle ordinaire et normal de ceux-ci d'accorder des droits ou des facultés; ils sont seulement chargés de les reconnaître et de les faire respecter', dans le système français, les tribunaux seront obligés de faire des visites de lieux, ou de faire procéder à dos vérifications, à des expertises lentes et coûteuses, lesquelles sont évitées dans le système italien.
Il y a d'ailleurs une garantie contre les demandes abusives de tels passages pour les eaux, c'est que le requérant est tenu 1° d'une indemnité envers le propriétaire du fonds servant, 2° des frais d'établissement et d'entretien dos ouvrages nécessaires à la conduite des eaux. Or, il n'y a guère à craindre que celui qui n'aurait pas un besoin réel d'amener des eaux ou qui aurait la facilité de les amener par ses propres fonds, en réclame le passage par les fonds d'autrui.
L'indemnité due aux propriétaires des fonds traversés sera réglée par les tribunaux, eu égard au préjudice causé d'une façon permanente par le passage et temporaire par les travaux préalables.
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(m) La loi française dit: “pourra obtenir,” le Code italien dit; “est tenu”; le Projet japonais dit: “peut exiger.”
251. La disposition qui précède s'applique aux prises d'eau concédées par l'administration, quelle que soit leur durée, et à celles faites par les particuliers, soit pour la vie du concessionnaire, soit pour un temps fixe, s'il doit durer encore dix ans au moins, au moment où le passage est réclamé.
La loi française ne s'est pas suffisamment expliquée sur le point de savoir si ce droit d'aqueduc s'applique aux prises d'eau concédées par l'administration: elle se borne à parler des eaux “dont on a le droit de disposer”; mais, l'interprétation doctrinale et judiciaire n'a pas hésité à y faire rentrer les concessions administratives sur les divers cours d'eau.
La loi française n'a pas prévu non plus le cas où le droit du réclamant serait temporaire quant aux eaux, ce qui permet de croire quelle n'a autorisé le droit d'aqueduc que pour un droit illimité; autrement, il faudrait que la loi eût fixé un minimum de durée afin d'éviter des prétentions abusives ou vexatoires entre voisins; elle ne l'a pas fait.
Le Code italien admet que le droit d'aqueduc soit réclamé temporairement (art. 598); il fait varier l'indemnité avec la durée, suivant qu'elle doit excéder, ou non, neuf années (art. 604); mais, ce délai n'est pas un minimum, ce qui est peut-être un tort.
Le Projet japonais croit faire sagement en ne permettant pas d'exiger le passage pour un délai de moins de 10 ans. Pour un délai moindre, il n'y aura que la ressource des conventions particulières: on pourra avoir “ une servitude établie par le fait de l'homme. ” Toutefois, si la concession de l'eau est viagère, bien qu'elle puisse durer moins de 10. ans après la demande, comme elle peut aussi durer davantage, l'aqueduc pourra être exigé.
252. Pareillement, les propriétaires des fonds inférieurs sont tenus de fournir le passage, soit jusqu'à la voie publique, soit jusqu'à un égoût ou un cours d'eau public, pour l'écoulement des eaux provenant du drainage ou de l'asséchement des terres submergées, et pour l'évacuation des eaux surabondantes, après leur usage agricole, industriel ou domestique.
Si les eaux pour lesquelles le passage est réclamé sont altérées par les usages domestiques ou industriels, le passage ne pourra être exigé que souterrainement.
La sortie des eaux est encore plus nécessaire peut-être que leur entrée sur un fonds; car leur surabondance peut causer plus de dommages que leur insuffisance.
La disposition du présent article doit être rapprochée des articles 237 à 239, auxquels elle apporte une grande extension, sans les contredire.
Dans ces premiers articles, il s'agit de l'obligation, pour les propriétaires des fonds inférieurs, de recevoir les eaux qui découlent naturellement des fonds supérieurs. et cette servitude doit être subie sans indemnité. Ici, il y aura travail de l'homme pour les évacuer; peut-être même y aura-t-il eu un premier travail sur des fonds supérieurs pour les amener; enfin, il y aura eu usage de l'eau et un usage qui les aura le plus souvent altérées, même quand il n'y aura eu qu'usage agricole, lequel corrompt ordinairement les eaux, notamment, par l'effet de la stagnation dans les rizières.
Ici, le législateur se retrouve, comme dans les cas qui précèdent, en face du problème qui consiste à concilier le respect dû à la propriété, à son indépendance, avec l'intérêt économique qui demande l'évacuation des eaux nuisibles à la production et encore plus de celles qui pourraient compromettre la santé publique. Le droit d'aqueduc peut donc être exigé à travers les fonds inférieurs, pour conduire à la voie publique, ou à toute autre issue publique, les eaux qui, même après avoir été amenées pour l'utilité, deviendraient un embarras ou un danger.
Sous ce rapport, aussi, le Projet japonais va plus loin que les deux législations étrangères qui lui servent de guide en cette difficile matière: il autorise l'évacuation des eaux ménagères. La loi française qui ne donne le droit d'amener les eaux que pour l'irrigation, non pour l'industrie, ni pour les usages domestiques, ne pouvait pas songer à permettre, à travers les fonds d'autrui, l'évacuation d'eaux industrielles ou ménagères; elle a cru aller assez loin dans cette voie en permettant, en outre, l'évacuation des eaux provenant du drainage et de l'asséchement des étangs et marécages. Mais, le Code italien, qui permet d'amener les eaux par voie d'aqueduc, pour les usages et besoins domestiques, aurait dû, ce semble, permettre l'évacuation des mêmes eaux. On ne peut objecter leur altération presque constante; car, les eaux industrielles sont, le plus souvent, dans le même cas. D'ailleurs, il suffisait de prescrire certaines précautions pour les eaux altérées, comme on le fait ici, au 2e alinéa.
On remarquera, à ce sujet, que l'altération des eaux agraires n'est jamais considérée comme assez nuisible pour exiger un passage souterrain: en effet, dès qu'elles reprennent un cours à ciel ouvert, elles se purifient promptement.
Enfin, ce qui sépare profondément cette nouvelle servitude de celle relative aux eaux naturelles, c'est l'indemnité due aux propriétaires des fonds servants: c'est là le respect du droit de propriété.
Il n'est pas nécessaire d'entrer dans des développements sur le drainage, opération très-usitée en Europe et en Amérique, et connue au Japon (?), au moyen de laquelle on diminue la trop grande humidité des terres. Le drainage sera probablement toujours moins usité au Japon qu'en Europe, parceque les terres trop humides y peuvent presque toujours être consacrées à la culture du riz, laquelle demande même dos irrigations. Cette observation s'applique aux terres qui sont plus qu'humides, qui sont submergées. Cependant l'eau stagnante pourrait être trop profonde, même pour des rizières, et alors il y aurait lieu de les diminuer: ce ne serait pas encore l'asséchement; mais, le droit d'aqueduc serait tout aussi utile et il est aussi légitimement accordé par la loi.
Il y aura lieu, plus tard, de faire une loi spéciale sur le dessèchement dos marais, lacs, étangs, comme en France et dans les autres pays étrangers: il y a là une intervention nécessaire des autorités administratives; les propriétaires intéressés peuvent se constituer en syndicat pour les travaux, pour la contribution aux dépenses et pour le partage du profit après le desséchement.
Plusieurs lois en France (notamment, du 16 septembre 1807 et du 21 Juin 1865) se trouvent refondues dans le Projet de Code rural et seront remplacées par lui.
253. Le passage sera pris, autant que possible, dans les lieux les moins dommageables aux fonds servants.
Dans aucun cas, il ne pourra être exigé à travers les bâtiments, ni les cours ou jardins attenant aux habitations.
Cette disposition, dans son 1er alinéa, rappelle celle de l'article 233, au cas d'enclave: il y a identité de motifs.
Le 2e alinéa n'a pas besoin de justification: l'habitation demande plus de respect que le sol arable.
254. Dans tous les cas, l'établissement et l'entretien des travaux nécessaires au passage des eaux seront exécutés aux frais du propriétaire dans l'intérêt duquel ils sont faits.
Voilà encore une disposition dont l'équité est trop évidente pour avoir besoin de justification; il s'en trouve déjà une semblable dans les articles 241 et 242.
Les Romains ont formulé, en matière de servitudes, une maxime générale dont l'application se présente ici et se retrouvera à la section suivante, c'est que “ la nature des servitudes n'oblige pas [celui qui les subit] à faire [quelque chose], mais seulement à souffrir [à tolérer, à endurer]. ” C'est là un principe de droit positif qui, une fois admis, circule comme une monnaie courante et ne se discute plus; mais encore faut-il le faire dériver d'un autre principe, plus élevé, parcequ'il est d'équité et de raison, à savoir, que la loi peut bien diminuer quelque chose des avantages qu'un propriétaire peut tirer de sa chose, pour augmenter beaucoup les avantages d'une autre propriété et, de cette façon, accroître la richesse générale du pays; mais, elle manquerait le but, en le dépassant, si elle imposait au propriétaire du fonds servant des sacrifices à prendre sur ses autres biens, comme ici le prix des travaux; dans ce cas, la richesse générale ne serait pas augmentée: les bénéfices de l'un seraient tout au pluségaux aux sacrifices de l'autre et l'on ne trouverait plus qu'un déplacement injuste de la richesse.
Dans le cas des servitudes qui nous occupent, il serait d'autant moins possible de faire supporter les frais des travaux au propriétaire du fonds servant qu'il a déjà droit à une indemnité pour le trouble et la diminution de jouissance que lui cause le passage des eaux. Si la loi mettait les travaux à sa charge, il faudrait, de toute nécessité, augmenter l'indemnité en proportion.
255. Le propriétaire du fonds servant peut exiger que le passage des eaux, soit pour l'arrivée, soit pour la sortie, se fasse, en tout ou en partie, dans les canaux déjà existant sur son fonds, si leurs dimensions le permettent et si les eaux qui y passent déjà ne sont pas de nature à nuire à celles destinées au fonds dominant.
Réciproquement, il peut demander à se servir, pour le passage de ses eaux, des ouvrages faits sur son fonds par le propriétaire du fonds dominant.
Dans l'un et l'autre cas, celui qui use des ouvrages faits par l'autre contribue aux dépenses d'établissement et d'entretien, proportionnellement à son intérêt.
Les deux premières dispositions de cet article rentrent dans le système économique qui gouverne toute cette matière.
C'est un principe économique qu'il faut chercher à obtenir le plus d'avantages possibles avec le moins de travaux, c'est-à-dire avec les moindres dépenses.
Or, lorsqu' il s'agit d'amener des eaux pour l'irrigation ou l'industrie, ou d'évacuer des eaux surabondantes, si l'on peut utiliser les mêmes canaux en faveur de plusieurs fonds, c'est un bien général en même temps que particulier. Dût-on même faire les canaux plus larges ou plus profonds, ce serait encore moins coûteux que de faire deux ou plusieurs canaux.
On ne réfutera pas ici l'idée ridicule de ceux qui prétendent, au contraire, que plus il y a de travail à faire, plus il y a de profits répandus dans le pays, par les ventes de matériaux et par les salaires donnés à la main-d'œuvre. Autant vaudrait dire que c'est un grand bien pour le pays d'être périodiquement dévasté par les incendies, les typhons et les tremblements de terre, parceque ces désastres font vendre des bois et donnent du travail aux charpentiers. C'est ne voir qu'un côté des choses; celui qu'on ne voit pas, c'est que, si le désastre n'avait pas eu lieu, les capitaux ainsi employés auraient reçu un autre emploi; car, les capitalistes intelligents n'ont pas pour habitude de conserver l'argent oisif; il y aurait eu des constructions nouvelles, des ventes de matériaux et des salaires gagnés et payés; la richesse générale se fût trouvée augmentée et, par suite, le bien-être; tandis que, s'il n'y a que des réparations de désastres, le pays a moins de capitaux amassés et n'a pas plus de constructions qu'auparavant.(n)
Pour revenir au texte, on remarquera que la réunion, dans un même canal, des eaux de deux propriétaires ne demande pas les mêmes précautions pour la sortie que pour l'entrée: pour la sortie, il importe peu que les eaux soient aussi pures les unes que les autres, puisque leur emploi est terminé; il en est autrement pour l'entrée: il ne faut pas que les unes gâtent les autres.
On pourrait enfin se demander si cette sorte d'association dos eaux et des intérêts des propriétaires modifie, en plus ou en moins, l'indemnité due au fonds servant. Il faut reconnaître que l'indemnité reste la même, soit que le propriétaire de ce fonds prête ses canaux au fonds dominant, soit qu'il emprunte ceux de ce dernier; car, dans les deux cas, le fonds servant est toujours déprécié par une perte partielle de liberté du propriétaire. Le seul effet de cette communication des eaux dans un même canal est que chacun supportera une part proportionnelle des dépenses dudit canal.
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(n) Cette digression économique rattachée au commentaire de la loi y trouvera plus autorité pour combattre une erreur populaire aussi commune au Japon qu'en Europe.
256. Si un propriétaire ayant le droit d'user d'une eau courante, conformément au 1er alinéa de l'article 243, a besoin d'élever les eaux par un barrage, il peut l'appuyer sur la rive opposée, moyennant une indemnité.
Si le propriétaire qui n'a pas fait le barrage a le droit d'user des mêmes eaux, il peut utiliser ledit barrage à son profit, en participant à la dépense, comme il est dit à l'article précédent.
Cet article pourrait, sans grand inconvénient, être placé après l'article 243, car, il se rattache aux eaux courantes. Mais, il est encore mieux placé ici, à cause de son 2e alinéa.
L'usage des eaux courantes, par les riverains, nécessite presque toujours que les eaux soient élevées, car, elles se trouvent le plus souvent en contre-bas du sol riverain; pour que le contraire eût lieu, il faudrait supposer que les eaux coulent entre des digues ou chaussées, ce qui est assez rare et suppose des travaux antérieurs très-considérables et d'un entretien coûteux. Les eaux devront donc, en général, être élevées par un barrage, lequel sera nécessairement appuyé aux deux rives.
Le préjudice causé au riverain sur le fonds duquel le barrage est appuyé n'est jamais bien considérable, parceque les piles de bois ou de pierre s'enfoncent assez peu dans la rive; néanmoins, il y a, comme dans tout droit exercé sur le fonds d'autrui, une diminution de liberté par conséquent, il y aura indemnité.
Le droit accordé au même riverain d'utiliser ledit barrage à son profit se justifie, comme celui d'user des canaux, en vertu du précédent article, et c'est une suffisante raison de ne pas reporter celui-ci après l'article 243; autrement, il faudrait y transporter aussi la justification économique de l'article précédent et elle y serait bien moins motivée.
On remarquera que cet article ne se réfère qu'aux eaux courantes qui ne sont ni navigables ni flottables; c'est, en effet, pour celles-là seules qu'il est permis d'établir des barrages; dans les autres rivières, la navigation serait empêchée, à moins que le barrage ne fût mobile, en système d'écluse. De pareils travaux ne sont permis que très-exceptionnellement par l'administration supérieure et lorsque le barrage permet d'alimenter un grand nombre d'usines sur les deux rives.
Cette matière appartient au droit administratif et non au droit civil.
§ III. DU BORNAGE.
257. Tous propriétaires voisins peuvent se contraindre respectivement à la délimitation de leurs propriétés contiguës, au moyen de pierres ou poteaux-bornes portant un signe indicatif approprié, d'après l'usage des lieux.
Le but du Bornage ou Abornement est de prévenir les difficultés et contestations qui naîtraient infailliblement du voisinage, si la contenance et les limites de chaque propriété n'étaient pas exactement déterminées; l'intérêt général et l'intérêt même des propriétaires y trouvent donc satisfaction.
Le bornage est une de ces charges établies par la loi que l'on a signalées au commencement de ce chapitre (p. 190 à 192) comme étant improprement qualifiées du nom de Servitudes.
La réciprocité même de cette charge fait qu'il est difficile d'y voir un fonds servant et un fonds dominant, puisque chacun des deux fonds a cette double qualité et que le bornage est établi pour l'avantage des deux propriétaires.
Mais, on a vu aussi qu'il n'y a guère d'intérêt à s'arrêter à cette difficulté purement théorique et que la loi y perdrait en simplicité.
Il est certain que le bornage est une des charges légales de la propriété foncière dont il forme le droit commun; sous ce rapport, le projet a suffisamment proclamé le principe, en écrivant le 4e alinéa de l'article 35.
Mais, il faut reconnaître: 1° que c'est improprement aussi que la charge du Bornage est appelé obligation entre voisins: elle ne correspond pas à une créance ou droit personnel, mais à un droit réel, attribut de la propriété(o), 2° que la circonstance que le droit est réciproque et que les deux fonds se trouvent en même temps servants et dominants n'est pas une objection sérieuse à la dénomination do servitude, lors même qu'on la déclarerait double; il y a là un effet résultant de la nature des choses: car, depuis les Romains, il est d'usage de dire que l'action en bornage a une nature mixte ou double, en ce sens que chacun des voisins est tout à la fois demandeur et défendeur.
La matière du bornage est une de celles qui ont été le plus négligées dans les lois étrangères: le code français ne lui consacre qu'un court article (art. 646) et le code italien se borne à le reproduire (art. 441).
On s'est efforcé, dans le projet japonais, de combler les lacunes qui pourraient embarrasser la jurisprudence nouvelle.
Le présent article pose le principe du droit de demander le bornage; les deux articles qui le suivent y apportent des exceptions et des limites.
La loi ne détermine pas d'une façon rigoureuse la nature des signes qui serviront à reconnaître les borneslimites: les parties pourront, suivant l'usage des lieux, y inscrire leurs noms, elles pourront y mettre l'indication de la contenance, de façon seulement à ce que ces pierres ou poteaux révèlent au premier aspect leur caractère; car, il y a dans le Code pénal une punition pour ceux qui déplacent les limites des propriétés et il faut prévenir le danger avant de le réprimer.
Bien que la loi prescrive l'emploi du bois ou de la pierre comme devant être la matière des bornes, les parties pourront toujours, d'un commun accord, y substituer une autre matière, comme des charbons, des tuiles ou autres matières résistant à l'action du temps et de l'humidité du sol; elles pourront aussi y substituer des plantations d'arbres. Mais, la disposition de la loi devra être observée, lorsque les parties recourront à la justice.
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(o) C'est à tort que le code français a rangé dans les obligations nées du quasi-contrat “ les engagements entre propriétaires voisins.” Il leur avait déjà lui-même reconnu la nature de droits réels, en les plaçant dans les Servitudes.
258. L'action en bornage n'a pas lieu pour les bâtiments, ni pour les terrains enclos de murs en maçonnerie ou en charpente (hei, nérib-hei, yaraï).
Elle n'a pas lieu non plus pour les terrains séparés l'un de l'autre par un chemin ou un cours d'eau publics.
La loi affranchit ici du bornage trois sortes de fonds:
1° Los bâtiments: ils se présentent, en effet, dans des conditions de fixité qui rendent le bornage inutile. Si donc un des propriétaires prétendait que l'autre a usurpé sur le terrain qui ne lui appartient pas, il ne pourrait qu'agir en réintégrande ou en revendication de la portion de sol qu'il prétend usurpée. Il se présenterait ensuite une question d'accession et d'indemnité à régler; car, les constructions suivent le sol, même celles faites par un autre que le propriétaire (voy. Livre III). Si les bâtiments étaient séparés par un terrain libre servant de cour ou de chemin d'accès et dont chacun des voisins eût une partie, il y aurait lieu à en demander le bornage.
2° Les terrains enclos de la manière indiquée au texte ne sont pas non plus sujets au bornage. Il peut arriver, cependant, que l'un des voisins soutienne que l'enclos de l'autre empiète sur son fonds; mais, la question ne pourra être vidée que par une action en revendication. Pour que la clôture ait ainsi pour effet d'exclure le bornage, la loi veut que la clôture ait un caractère stable et définitif et elle ne considère comme tels que les murs en maçonnerie (pierre, brique, tuiles), dits nérib-hei ou en charpentes arc-boutées, dits hei. La loi considère que si l'un des voisins a laissé l'autre établir de pareilles clôtures sans protestation, c'est qu'il en a reconnu la légalité. Si, pourtant, ce voisin croit découvrir qu'il y a eu usurpation, il lui reste deux actions: l'action en réintégrande, si la clôture et la possession qui en résulte pour celui qui l'a faite ne remontent pas à plus d'un an (voy. art. 217), et l'action en revendration, lorsque la première n'est plus recevable.
3° Les terrains séparés par un chemin public ou par un cours d'eau également public ne.présentent pas non plus l'incertitude de limites qui motive l'action en bornage. Bien entendu le bornage reste exigible, si la séparation est un chemin ou un cours d'eau privé.
259. L'action en bornage est imprescriptible, tant que les fonds contigus n'ont pas été délimités, soit à l'amiable, soit judiciairement.
Néanmoins, si l'un des voisins se prévaut de la prescription acquisitive ou seulement d'une possession annale de tout ou partie du terrain à l'égard duquel le bornage est réclamé, le demandeur devra préalablement agir en réintégrande ou en revendication.
Bien que tous les droits, tant réels que personnels, se perdent, en général, par la. prescription, c'est-à-dire quand celui auquel ils appartiennent a laissé s'écouler un certain temps sans les exercer, il eu est cependant que le temps n'éteint pas et celui qui nous occupe est du nombre.
On en peut donner une première raison, qui est la plus frappante et la plus simple, c'est que la prescription n'a pas lieu pour les droits qui sont d'intérêt public autant que d'intérêt privé', et Ton a vu plus haut que le but du bornage est de prévenir les contestations et les procès.
On peut encore donner cette raison que lorsqu'un droit est accessoire d'un autre il ne se prescrit qu'avec le droit principal; or, le droit au bornage est l'accessoire du droit de propriété; donc, tant que la propriété n'est pas perdue elle-même par la prescription, le droit au bornage subsiste.
On peut dire encore que le droit au bornage naît du défaut de limites et qu'il renaît pour ainsi dire chaque jour, tant que les fonds contigus ne sont pas délimités. C'est exactement la même théorie que pour la demande en partage entre co-propriétaires indivis (art. 40): elle est imprescriptible tant que dure l'indivision.
Enfin, on peut encore fonder l'imprescriptibilité de l'action en bornage sur le principe que “ le défaut d'exercice des actes de pure faculté ne peut fonder ni possession ni prescription ” (voy. c. civ. fr. art. 2232).
Mais, l'action en bornage ne serait plus recevable si l'un des voisins invoquait la prescription acquisitive de tout ou partie du fonds de son adversaire, ou seulement une possession civile ayant déjà un an de durée, soit pour tout le fonds, soit pour une portion déterminée. Ici, il n'y aura pas à distinguer la nature dos clôtures qui ont pu modifier les limites primitives: quelle que soit leur faible consistance, elles peuvent suffire à déterminer la portion possédée, si, d'ailleurs, il y a eu d'autres actes constituant la possession, conformément au chapitre précédent.
Si, dans ce cas, le bornage était demandé d'après les titres de propriété, le possesseur serait privé du bénéfice de sa possession; or, il ne peut l'être que par une action en réintégrande, s'il est prouvé que la possession n'avait pas encore un an de durée et, dans le cas contraire, par l'action en revendication, si la prescription acquisitive n'était pas accomplie. C'est donc par l'une ou l'autre de ces deux actions que le demandeur en bornage devra procéder préalablement: s'il y triomphe, le bornage sera exécuté d'après les contenances et les limites résultant tant dos titres que du jugement; s'il succombe, les bornes seront placées de façon à consacrer en possession ou la prescription du défendeur.
Cette combinaison de l'action en bornage avec l'action possessoire et la revendication est complètement passée sous silence par les lois étrangères et elle pourrait créer de grands embarras aux tribunaux si elle n'était pas réglée au Japon.
260. Hors les cas qui précèdent, si les limites sont incertaines ou contestées, le bornage se fait d'après la contenance et les limites portées aux titres de propriété ou, à défaut de titres, d'après les autres preuves ou documents qui peuvent les suppléer.
S'il y a contestation sur le droit de propriété, il est statué préalablement à cet égard par le tribunal compétent.
Lorsque les limites ne résultent pas de la prescription acquisitive ou de la possession annale, on doit les rechercher dans les titres de propriété, et s'ils sont perdus ou détruits, on les supplée par témoins ou par les autres preuves admises en droit civil ordinaire.
Mais, ici, comme dans le cas de prescription prévu à l'article précèdent, il peut y avoir contestation sur les contenances déclarées aux titres ou sur la validité des titres eux-mêmes; le débat ne portera plus alors sur les limites seulement, mais, sur le droit même de propriété, et comme, vraisemblablement, le juge du bornage sera un juge inférieur (le juge de paix), il ne lui appartiendra pas de statuer incidemment sur le droit de propriété; il devra donc surseoir à statuer sur le bornage, jusqu' à ce que le droit de propriété ait été reconnu et déclaré par le tribunal civil. C'est une situation analogue à celle du concours de l'action possessoire avec l'action pétitoire (v. art. 219).
261. Dans le cas où ce qui manque à l'un des voisins ne serait pas possédé par l'autre, il y a lieu de mettre en cause les arrière-voisins jusqu'aux limites non contestées; il est alors procédé, contradictoirement avec tous, au bornage commun.
S'il se trouve, sur la totalité des fonds, un excédant ou une insuffisance de contenance, le profit ou la perte se répartissent entre tous les fonds, proportionnellement à leur étendue.
Il arrive fréquemment que l'action en bornage ne s'arrête pas aux deux voisins entre lesquels elle a commencé; les autres voisins peuvent y être appelés de proche en proche, en s'arrêtant cependant à ceux qui se trouvent compris dans un même ilôt, c'est-à-dire, sans franchir les voies ou cours d'eau publics, ni les enclos ou bâtiments faisant obstacle au bornage, d'après l'article 258. Ceux que la loi appelle ici, d'après l'usage, arrière-voisins sont en même temps voisins immédiats pour les fonds qui leur sont contigus. A cause de ces derniers, ils ne peuvent se refuser à entrer en cause pour le bornage.
Les fonds seront tous mesures ou arpentés par un expert choisi par les parties ou désigné par le tribunal et il arrivera souvent que la contenance totale de tout le périmètre en question donnera plus ou donnera moins que le total des contenances portées à tous les titres.
Quand il est impossible de découvrir à l'égard de quels fonds spécialement l'erreur originaire a été commise, il est naturel et juste de procéder à une répartition proportionnelle entre tous les fonds soumis au bornage. La proportion est préférable à l'égalité; car s'il s'agissait d'un retranchement à opérer, rien ne serait plus choquant que d'ôter autant à un champ exigu qu' à un immense domaine.
Ces opérations seront donc quelquefois délicates, surtout lorsque les mesures primitives remonteront à une époque où les opérations d'arpentage étaient faites négligemment.
262. Le retranchement à opérer en vertu de l'article précédent se fera par voie d'indemnité à fournir, lorsque, pour l'opérer en nature, il serait nécessaire d'entamer des bâtiments ou des enclos tels qu'ils sont prévus à l'article 258.
Cette disposition était nécessaire pour ne pas créer une nouvelle difficulté aux tribunaux: l'article 258 ne soumet pas au bornage les bâtiments ou certains enclos; mais, si un domaine contient, avec des terrains ouverts, un enclos et des bâtiments, il pourrait arriver que la réduction dût porter sur le côté bâti ou enclos; dans ce cas, pour répondre à l'esprit de l'article 258, le retranchement sera remplacé par une indemnité en argent.
263. Si le bornage est fait à l'amiable entre toutes les parties intéressées, il en est dressé acte en telle forme qu'elles jugent à propos et ledit acte vaut titre définitif pour et contre elles, quant à la contenance et aux limites respectives de leurs fonds.
A défaut d'accord mutuel, il est rendu un jugement déterminant lesdites contenances et limites, avec plan annexé; les bornes y sont indiquées avec la mention de leur distance, tant entre elles que par rapport à des points fixes de la localité.
Il est toujours désirable que les parties s'accordent pour le bornage; la loi leur laisse alors le soin de rédiger l'acte qui constatera l'opération: leur intérêt est de le faire clairement.
S'il faut recourir à la justice, le bornage sera déterminé par un jugement, précédé ordinairement d'un arpentage et d'un rapport par un géomètre-expert. La loi exige aussi qu'il soit annexé au jugement un plan figuratif des parcelles, présentant l'indication des bornes qui seront nécessairement placées à tous les angles.
Pour dispenser de faire le plan à une échelle de réduction géométriquement exacte, il suffira que les distances entre les bornes soient notées, lors même que la proportion exacte de ces distances ne serait pas observée sur le plan; on notera aussi la distance des principales bornes par rapport à quelque point fixe qu'il ne dépend pas des parties de déplacer; de cette façon, en cas de contestation ultérieure ou de déplacement des bornes, il sera facile de retrouver leur place véritable, sans nouvel arpentage.
264. Le coût et la pose des pierres ou poteaux-bornes sont, par portions égales, à la charge des voisins auxquels ils servent de limite.
Les frais d'arpentage et ceux d'actes ou de procédure sont supportés par tous les intéressés, proportionnellement à l'étendue de leurs fonds.
Toutefois, les frais de procédure spécialement relatifs à une contestation jugée mal fondée sont à la charge de la partie perdante.
Le Projet corrige ici les Codes français et italien qui, tous deux, mettent les frais de bornage à la charge commune des voisins, sans distinction, ce qui serait une injustice si la jurisprudence n'y remédiait par une sage interprétation de l'esprit de la loi.
Il est naturel que la dépense des bornes, assez minime d'ailleurs, soit supportée également par les deux voisins auxquels elles scrutent de limite, parceque chacun y trouve le même avantage, qu'elle que soit l'étendue de son fonds. Mais, il est évident que l'arpentage d'un domaine plus ou moins considérable coûtera beaucoup plus que celui d'un champ exigu et la charge doit, en être proportionnelle. En fait, le géomètre-expert se fera payer directement, par chaque propriétaire, le travail qu'il a fait pour lui, et, s'il a été commis par le juge, il présentera un compte séparé pour chaque fonds; ce sera le moyen le plus simple d'observer la proportionalité des frais d'arpentage. Pour les autres frais, ceux d'actes et de procédure, la proportion devra être établie par le tribunal, ce qui sera facile.
L'exception portée par le 3e alinéa recevra son application dans plusieurs cas qui sont supposés plus haut: un des voisins a contesté le sens ou la portée d'un titre de propriété, ou bien il s'est prétendu possesseur annal d'une portion du terrain à borner, ou. enfin, il a élevé une prétention à la propriété ou contesté celle de son voisin; celui qui aura succombé dans l'un ou l'autre de ces cas, supportera seul les frais de cette partie de la procédure. C'est l'application du droit commun des procès.
265. La compétence et les autres formes de l'action en bornage sont réglées par le Code de procédure civile.
Il est désirable que les procès ou actions en bornage, ne touchant pas au fond du droit de propriété, soient jugés promptement et avec peu de frais.
Le premier avantage sera obtenu si la loi donne la compétence au juge le plus rapproché des justiciables, c'est-à-dire au juge de paix. Le second avantage sera la conséquence toute naturelle du premier: devant les juges inférieurs, les formes sont toujours plus simples et les frais moins élevés.
En France, les actions en bornage sont jugées par les juges de paix (c. pr. civ., art. 3 et 38; loi du 25 mai 1838, art. 6, 2e al.).
§ IV. DE LA CLÔTURE.
266. Tout propriétaire peut clore son fonds à la hauteur et avec les matériaux qu'il juge à propos.
Toutefois, si le fonds est soumis à une servitude légale ou du fait de l'homme autorisant l'entrée ou le passage du voisin, la faculté d'exercer la servitude doit être ménagée.
La faculté de se clore est. pour le propriétaire, une conséquence naturelle du droit de propriété. Si la loi s'en explique, c'est surtout à cause de l'exception portée au second alinéa.
Le Code français, en proclamant le droit de se clore (art. 647) n'y a apporté qu'une exception, celle relative au passage en cas d'enclave; mais cette exception n'est pas la seule; il est clair que celui qui a abtenu un passage sur le fonds d'autrui, bien qu'il ne soit pas enclavé, ou qui a le droit d'y aller puiser de l'eau, d'y prendre du sable ou d'autres objets utiles, a nécessairement le droit d'accès sur le fonds servant; il pourra y avoir une porte, mais, il devra en avoir une clef ou en obtenir l'ouverture à première demande, le tout pendant le jour et sans troubler le propriétaire du fonds servant.
Une autre raison justifie encore ici la proclamation du droit de clôture: on aurait pu douter que le voisin pût, par des clôtures très-élevées, gêner la vue du proprietaire voisin; dans certains lieux, la vue à distance peut avoir un grand charme et même donner une plus-value à une habitation, comme la vue de la mer, du Fusiyama ou même de la voie publique, et il pourrait arriver que l'un des voisins, par malice ou vengeance, élevât une clôture pour masquer la vue de l'autre. Assurément, il y aurait là un mauvais sentiment; mais, comme la clôture peut avoir un autre motif, par exemple, celui d'arrêter des regards indiscrets, la loi préfère proclamer le droit absolu à la clôture, sans qu'il y ait lieu d'en rechercher les motifs.
267. Dans les villes de plus de 10,000 habitants, tout propriétaire peut contraindre son voisin à contribuer à la clôture des fonds contigus.
La clôture pourra également être exigée dans les autres communes, villages ou hameaux, pour les terrains formant cours ou jardins situés entre les bâtiments d'habitation ou d'exploitation agricole ou industrielle.
Si la clôture a été faite et terminée par l'un des voisins, sans qu'il ait mis l'autre en demeure d'y contribuer, il ne pourra exiger la participation de celui-ci à la dépense.
La clôture des héritages contigus est, comme et plus encore que le bornage, un moyen de prévenir les contestations entre voisins.
Si les terrains ne sont pas clos, il naît souvent des querelles entré les voisins, par suite des troubles ou dommages causés par les enfants, par les domestiques, ou par les amimaux; ces querelles s'enveniment en se répétant et il n'est pas rare que des violences en soient la conséquence.
La loi fait donc sagement d'autoriser le plus sage ou le plus défiant des voisins à demander la clôture. Mais, une fois la clôture faite et terminée, même par un seul des voisins, le danger est conjuré et il n'y a plus lieu d'exiger la participation à la dépense.
La loi distingue les villes ayant une certaine population d'avec les villes, communes ou hamaux moins peuplés. Dans le premier cas, il y a plus d'aisance, en général, la charge sera moins lourde; ensuite, les habitants sont plus rapprochés, les terrains à clore sont moins étendus; ces circonstances motivent une plus grande exigence de la part de la loi.
Dans les campagnes, la clôture n'est obligatoire que pour les terrains généralement peu vastes qui, attenant aux habitations, les séparent les unes des autres.
La loi, même dans ces dernières localités, assimile, aux habitations, les bâtiments servant à des usages agricoles ou industriels. En effet, le danger de querelles est le même que pour les habitations: les domestiques, les ouvriers, les animaux do basse-cour se trouveront souvent en contrat et il en peut résulter, entre les maîtres, des conflits qu'il faut toujours éviter.
268. La clôture pourra être exigée en planches et charpentes dans les villes désignées au premier alinéa de l'article précédent, et seulement en bambous juxtaposés dans les autres lieux.
La hauteur sera de sept pieds en tous lieux. Elle se calculera à partir de la superficie du sol le plus élevé, et sera assise sur le fonds inférieur.
La loi n'a pas voulu exiger une clôture trop coûteuse, en maçonnerie, par exemple; mais, il a paru convenable d'exiger une clôture plus forte et plus durable dans les villes plus populeuses; dans les autres, les bambous suffiront; mais, pour qu'il n'y ait pas d'abus, dans une prétention ou dans une autre, quant à l'ouverture des mailles, la loi demande que les bambous soit juxtaposés, c'est-à-dire rapprochés sans intervalle. Il en résultera deux avantages: un obstacle aux regards indiscrets et une plus grande solidité dans les poteaux de soutien.
La loi a dû fixer également la hauteur. Ici, il n'y a plus de distinction entre les villes et les campagnes.
L'inégalité des fonds aurait pu créer une autre difficulté, la loi la prévient, en exigeant que la hauteur se calcule d'après le sol le plus élevé.
Enfin, il était bon d'exiger que la clôture fût placée sur le fonds inférieur, autrement, elle eût été sujette à une dégradation continue, sa solidité eût été moindre et la charge des propriétaires s'en fût trouvée augmentée.
269. L'entretien et la réparation se feront à frais communs et pour moitié par chacun.
Néanmoins, si l'un des voisins croit dans son intérêt de faire une clôture en matériaux autres ou à une plus grande hauteur que ce qui est prescrit ci-dessus il en aura toujours la faculté, en payant seul la différence du prix de construction; dans ce cas, l'entretien et la réparation seront à sa charge exclusive.
La loi, en n'exigeant qu'une clôture simple et peu coûteuse, pour ne pas trop charger la propriété foncière, ne pouvait pas refuser à un propriétaire de faire une clôture plus forte, plus élégante ou plus haute. Mais, il est naturel aussi qu'il n'en résulte aucune charge supplémentaire pour le voisin plus modeste dans ses goûts ou dans ses moyens.
Il était naturel aussi que l'entretien et la réparation fussent exclusivement à la charge de celui qui a fait la clôture de luxe. Il serait impossible d'ailleurs de savoir si une clôture on planches ou en bambous qui n'existe pas aurait besoin de réparation, lorsqu'un mur en aura besoin. La seule difficulté pourrait naître de l'épaisseur d'un mur toujours bien plus considérable que celle d'une clôture en bois. Dans ce cas, l'excédant de largeur devra être pris sur le fonds du constructeur, et si, à cause de la différence de niveau des terrains, il fallait la prendre sur le fonds inférieur, il y aurait lieu à indemnité ou à faire la séparation sur le sol supérieur, au moyen de fondations a aussi profondes que le sol inférieur.
§ V. DE LA MITOYENNETÉ.
270. Lorsqu'une clôture, de quelque nature qu'elle soit, a été faite à frais communs et sur la ligne séparative des fonds, soit en vertu de l'obligation déterminée au paragraphe précédent, soit volontairement et d'un commun accord, elle appartient par indivis, avec le sol qui la supporte, à chacun des voisins et est dite mitoyenne.(p)
Il en est de même des murs en pierre ou en maçonnerie séparant les bâtiments respectifs des voisins, des fossés creusés ou des haies, vives ou sèches, plantées à frais communs sur la ligne divisoire des terrains contigus.
Cette matière se trouvant réglée avec assez de soin et assez complètement dans le Code français (art. 653 et suiv.) on a peu à s'en écarter ici; cependant, on s'est efforcé d'y mettre encore plus de précision et d'y introduire quelques améliorations.
Ainsi d'abord, le Code français omet de donner à la mitoyenneté sa véritable base qui est la contribution réelle de chacun des voisins à la construction, c'est-à-dire, à la fourniture du sol sur lequel la clôture ou séparation est assise, à l'achat des matériaux et au payement de la main-d'œuvre. Le présent article s'en explique clairement, et il a soin de généraliser la disposition, en y faisant rentrer la clôture forcée, avec ses limites de lieu et de matières, et la clôture volontaire avec ses variétés indéfinies.
Le présent texte nous apprend encore ce que c'est que la mitoyenneté, sans pourtant nous donner cette simple définition dogmatique: la mitoyenneté est une co-propriété indivise; ce qui empêchera de soutenir au Japon, comme on l'a essayé en France, que le mur mitoyen appartient aux voisins par moitiés divises, c'est-à-dire à chacun de son côté, jusqu'au centre du mur. Enfin, le texte ne néglige pas de dire que le sol appartient autant indivisément aux deux voisins que le mur lui-même.
L'indivision que nous rencontrons ici a une nature propre déjà annoncée à l'article 40: nul ne peut la faire cesser par un partage forcé; on ne peut s'y soustraire qu'en renonçant au droit lui-même ce qui alors donne la propriété entière au voisin (v. art. 274).
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(p) Mitoyen, c'est-à-dire ce qui est, à la fois, mien et tien.
271. Toute clôture ou séparation de terrains ou de bâtiments, de quelque nature et en quelque lieu qu'elle soit, est présumée mitoyenne, comme ayant été faite à frais communs et sur la ligne divisoire, s'il n'y a preuve du contraire en faveur d'un seul des voisins, soit par titre, soit par prescription de trente ans, ou par un des signes matériels, désignés ci-après, auxquels la loi attache la présomption de non-mitoyenneté.
Lorsque le Code français (art. 653) base la mitoyenneté sur une présomption, il ne fait pas assez sentir quel est le fondement de cette présomption. Le présent texte s'en explique formellement: il y a présomption que chacun des voisins a fait les sacrifices de sol et de travaux qui sont la véritable base du droit de co-propriété.
La présomption toutefois n'est pas invincible et ne devait pas l'être, parcequ'il est possible et fréquent même que la séparation ait été construite par un seul des voisins.
Le texte indique trois moyens de combattre la présomption légale; le Code français n'en indique que deux: il omet la prescription; sans doute, en France, on ne nierait pas que si l'un des voisins a eu, pendant trente ans, une possession exclusive du mur de séparation, cette prescription équivaille à un titre; mais la loi a le devoir de faire une énumération exacte et complète, lorsqu'elle n'adopte pas une formule générale ou qu'elle ne procède pas par simple énonciation d'exemples.
La possession annale ne suffirait pas ici à démentir la présomption de la loi, parceque la passession annale n'est elle-même qu'une présomption (v. art. suiv.).
272. A défaut de titre ou de prescription établissant la propriété exclusive d'un des voisins, les signes de non-mitoyenneté, à l'égard des terrains, sont:
1° Pour les clôtures en planches ou en bambous, la circonstance que les poteaux de soutènement sont exclusivement d'un seul côté;
2° Pour les murs en pierre, en briques ou en maçonnerie, l'existence sur un seul côté, soit d'un plan incliné pour l'écoulement de l'eau pluviale, soit de saillies, ouvertures, enfoncements, ouvrages ou ornements quelconques;
3° Pour les fossés, le rejet de la terre d'un seul côté;
4° Pour les haies vives ou sèches la circonstance qu'un seul des fonds est clos de tous côtés.
Dans ces quatre cas, la propriété exclusive est présumée appartenir à celui des voisins du côté duquel sont les ouvrages particuliers ou qui est seul entièrement clos.
La loi n'a pas besoin de reprendre l'idée que le titre et la prescription trentenaire peuvent combattre la prescription de mitoyenneté: les titres sont la preuve normale du droit de propriété exclusive, et la prescription trentenaire, quoique constituant elle-même une présomption de droit, est une présomption absolue et invincible.
Mais, s'il s'agit de combattre une présomption simple par une autre présomption n'ayant pas un autre caractère, il faut que la loi s'en explique avec soin. Si la présomption résultant d'une possession annale n'est pas suffisante ici pour détruire la présomption de mitoyenneté, c'est parceque la nature de la chose possédée se prête si facilement à des actes de possession plus ou moins légitimes qu'il y aurait toujours une grande incertitude sur l'existence ou le caractère de ces actes. Il y aurait danger aussi à donner à ces actes une importance sérieuse, ce serait obliger les voisins à une surveillance, à une défiance continuelles, qui dégénéreraient facilement en querelles, en rixes ou en procès, suivant le caractère des personnes. Au contraire, les présomptions que la loi admet ici comme preuves contraires de la présomption de mitoyenneté ont un caractère précis, indiscutable et permanent.
Il n'est pas nécessaire de reprendre ici en détail, chacun des quatre cas réglés par la loi. Il suffira d'une observation sur chacun.
1er al. Les poteaux de soutènement étant une gêne pour le propriétaire, il est clair que s'ils se trouvent d'un seul côté, c'est que de ce côté seul aussi est le droit de propriété.
2e al. Nul ne pouvant envoyer les eaux pluviales de ses bâtiments sur le fonds voisin (art. 239), la circonstance que les eaux du mur tombent sur un seul fonds a le même sens que la situation des poteaux ci-dessus. De même, on verra plus loin que si le mur est mitoyen, aucun des voisins n'y peut pratiquer d'ouverture ou d'enfoncement; si donc de pareilles dispositions existent dans un mur de séparation, c'est qu'il n'est pas mitoyen.
3e al. Nul ne pouvant, en vertu des principes élémentaires de la propriété, empiéter, usurper sur le fonds voisin, de quelque façon que ce soit, si ce n'est en vertu d'un droit de servitude, il est naturel d'en conclure que si la terre tirée du fossé est toute entière déposée sur un seul fonds, c'est que le fossé a été pris exclusivement sur ce fonds.
4e al. Quant aux haies, il était difficile d'y chercher un signe matériel qui indiquât par qui et sur quel terrain elles ont été plantées. La loi en trouve, non plus dans la haie même, mais, dans la circonstance qu'un des fonds est seul enclos de tous côtés: il n'est pas vraisemblable que le propriétaire qui n'est pas clos de tous côtés ait consenti à faire d'un seul côté le sa crifice d'une portion de son sol et la dépense de la haie.
Le dernier alinéa de l'article tire la conséquence de la présomption en désignant quel est celui des voisins qui est présumé propriétaire exclusif. Il se trouve expliqué par les quatre observations ci-dessus.
273. S'il s'agit d'un mur, soit en pierre ou en maçonnerie, soit en charpente séparant deux bâtiments d'inégale hauteur, la présomption de mitoyenneté cesse pour la partie dont le mur le plus élevé excède l'autre bâtiment.
La présomption n'a lieu pour aucune partie, si le mur ne soutient qu'un seul bâtiment.
Le fondement do la présomption de mitoyenneté établie par l'article 671 est l'utilité que chacun des voisins tire do la séparation du fonds, laquelle autorise à supposer que chacun a contribué à son établissement. Mais, dans le cas prévu ici, lorsqu'il n'y a qu'un bâtiment ou même lorsqu'il y en a deux et que l'un excède l'autre en hauteur, il n'y a aucune raison de croire que le mur ait été fait à frais communs, soit pour un seul, soit pour cet excédant; on pourrait même ajouter que ce mur n'est plus une séparation, puisque, d'un côté, il n'est contigu qu'au vide.
Mais, s'il n'y a plus ici de preuve de la mitoyenneté par présomption, il y a toujours droit de la prouver par titre. Le titre jouera donc un rôle inverse de celui qu'il jouait précédemment: au lieu de servir à démentir une présomption, il la suppléera; au lieu d'établir la propriété exclusive d'un seul, il établira la co-propriété indivise.
Il n'est pas question ici de la preuve par prescription de 30 ans: on ne concevrait guère, en fait, la possession par le voisin d'un mur ou d'une partie de mur qui no soutient pas un bâtiment à lui appartenant.
274. S'il se rencontre, tout à la fois, dans une même clôture ou autre ouvrage séparatif de deux fonds, des signes de mitoyenneté et de non mitoyenneté, les tribunaux apprécieront, d'après les circonstances, si la propriété est commune aux deux voisins ou exclusive pour un seul.
On se retrouve ici dans un cas qui est assez fréquent en matière litigieuse: à savoir, lorsqu'il est fourni des preuves des deux droits opposés; ce qui est fréquent pour les preuves testimoniales n'est pas rare pour les présomptions de fait. Ici, les présomptions sont légales, il est vrai, mais, elles reposent sur des faits matériels assez variés pour n'être pas toujours concordants.
Le juge fera donc ici comme dans les autres cas de preuves contradictoires: il appréciera, dans sa raison, de quel côté paraît être la vérité.
275. L'entretien et la réparation de la séparation mitoyenne sont à la charge des co-propriétaires, par égale portion, à moins que les dégradations ne proviennent du fait d'un seul.
Toutefois, s'il ne s'agit pas des clôtures obligatoires d'après l'article 266, chacun peut se soustraire à la charge de l'entretien, en renonçant au droit de mitoyenneté, sauf à payer les réparations nécessitées par son fait.
Il y a ici l'application d'un principe fondamental des servitudes, déjà énoncé sous l'article 254, à savoir que “les servitudes n'obligent pas à faire mais, à souffrir”. Ici, l'obligation d'entretien est corrélative, moins au profit que le fonds tire de la clôture ou de la séparation qu'à la propriété même des matériaux qui la composent et du sol qui la supporte.
En renonçant à la co-propriété, l'un des voisins conservera souvent le bénéfice de la séparation, car, elle ne sera pas sans doute supprimée par l'autre voisin; mais, il perdra le droit d'appui, s'il s'agit d'un mur, et les autres avantages énumérés sous l'article suivant; enfin, il perdra la propriété du sol indivis qui porte la clôture.
Cette faculté d'abandon cesse dans les cas où la clôture est obligatoire. Cela est d'une nécessité évidente; ear, en abandonnant la clôture, le voisin n'aurait pas moins un fonds contigu à l'autre, et, dans les cas où la clôture est obligatoire, on pourrait toujours la lui demander.
276. Dans le cas de mitoyenneté, chacun des voisins peut user de la séparation mitoyenne, suivant sa nature et sa destination, de façon toutefois à ne pas en compromettre la solidité.
Chacun peut appuyer un bâtiment au mur mitoyen, en y enfonçant des poutres jusqu'aux trois-quarts de son épaisseur, en y adossant une cheminée ou en y faisant passer des tuyaux pour la fumée, l'eau ou le gaz, ou pour les autres usages industriels ou domestiques, si la nature et l'épaisseur du mur le permettent; mais, il ne peut y pratiquer d'ouvertures, ni même de simples enfoncements pour l'usage des appartements.
Tout co-propriétaire peut aussi surélever le mur mitoyen, si la solidité du mur le permet, ou en faisant à ses frais les travaux de confortation; dans ce cas, la partie surélevée n'est pas mitoyenne.
S'il s'agit d'un fossé mitoyen, chacun des voisins peut y conduire les eaux pluviales, industrielles ou ménagères, si le fossé a une pente suffisante pour éviter une stagnation nuisible.
S'il s'agit d'une haie vive, chacun profite pour moitié de la taille et peut demander l'abattage des arbres à haute tige qui s'y trouveraient.
La loi pose, au premier alinéa, un principe qu'elle applique dans les alinéas suivants.
On pourrait contester l'utilité de ces déductions légales d'un principe posé: c'est, en général, une tâche laissée à la jurisprudence; mais, outre qu'il y a de pareilles déductions, en cette matière même, dans le Code français fart. 657, à 659,662 et 675) et dans le Code italien (art. 551 à 554,557,558 et 583), on peut remarquer encore que les quatre alinéas qui développent notre article n'ont pas seulement le caractère de conséquences du principe, ils contiennent aussi des dispositions que les tribunaux n'auraient pas qualité pour suppléer; elles doivent être formellement écrites.
Au contraire, la loi ne croit pas nécessaire de dire, comme le Code italien, que “les voisins no peuvent appuyer contre le mur mitoyen des amas de terre ou fumier qui pourraient le dégrader par la poussée ou par l'humidité”: c'est làjune conséquence pure et simple du 1er alinéa.
Au surplus, les quatre alinéas dont il s'agit sont assez précis dans leurs détails pour n'avoir besoin d'aucun développement.
277. Si un mur de séparation, en pierres, en briques ou en maçonnerie, a été construit par un seul des voisins, l'autre peut toujours en acquérir la mitoyenneté, en tout ou partie, en payant la moitié de la valeur du terrain, des matériaux et de la main-d'œuvre, au prix qu'ils valent alors.
Il en est de même pour l'exhaussement du mur opéré conformément au 3e alinéa de l'article précédent.
Celui qui a ainsi acquis la mitoyenneté d'un mur peut en user comme il est dit à l'article précédent; mais, il ne peut faire fermer les ouvertures qui s'y trouvent, si elles ont été établies comme servitudes de vue par le fait de l'homme.
La présente disposition n'est pas applicable aux Kura ou Do-zoo (godown).
La loi applique encore ici un principe économique déjà rencontré plusieurs fois, à savoir qu'il vaut mieux diminuer dans une certaine mesure 1 indépendance des propriétaires que de faire des constructions inutiles.
Le propriétaire qui a construit seul un mur ou qui l'a acquis avec le fonds, lorsqu'il est do construction antérieure à son acquisition, n'éprouvera aucun préjudice sérieux en se trouvant obligé d'en céder la co-propriété au voisin. Le seul inconvénient qui pourra en résulter pour lui, c'est qu'il n'aura plus sur ce mur des droits aussi étendus que s'il en était propriétaire exclusif; notamment, il ne pourra plus le changer ou le détruire; mais, ce sont là des droits dont on use peu à l'égard des séparations en maçonnerie. Il sera d'ailleurs équitablement indemnisé. Au contraire, l'avantage sera très-considérable pour le voisin et, par suite, pour la propriété foncière qui sera allégée d'une dépense inutile.
Ce droit d'acquérir la mitoyenneté est consacré par les deux Codes étrangers constamment cités ici (c. fr., art. 660—661; c. ital., art. 555—556).
On remarquera, d'ailleurs, trois limites apportées à ce droit d'exiger la cession de la mitoyenneté:
1° Il n'a lieu que pour les murs en pierre, briques ou maçonnerie; il n'a pas lieu pour les séparations en charpente, méme pour celles qui forment les parois d'une maison: on a craint que les maisons ne fussent exposées à un plus grand danger d'incendie par leur réunion trop intime au moyen d'un mur commun; les propriétaires répugneraient à une connexion forcée; il suffit qu'ils aient la faculté de l'établir d'un commun accord, ce que la loi ne veut et ne doit pas empêcher.
2° La cession forcée n'a pas lieu non plus, et pour le même motif, à l'égard des Kura on Do-zoo (godown, remises): ces bâtiments destinés à remiser les objets précieux à l'abri do l'incendie doivent pouvoir rester isolés les uns des autres, si les propriétaires le préfèrent.
3° La cession forcée n'a pas lieu non plus pour les clôtures en bois, pour les fossés, ni pour les haies: il n'y a pas assez d'utilité pour diminuer la liberté des propriétaires; d'ailleurs, ces séparations sont toujours plus ou moins provisoires: si elles devenaient forcément mitoyennes, aucun des propriétaires ne pourrait plus les enlever pour placer un bâtiment sur la limite même.
Enfin, la loi s'exprime formellement sur le droit de fermer les. ouvertures pratiquées dans le mur avant qu'il fût devenu mitoyen; mais, ce droit lui-même Cesse si les ouvertures sont établies avec le caractère de “servitude du fait de l'homme,” comme on le verra plus loin.
A l'égard de l'indemnité due au cédant, le Projet paraît s'écarter un peu des deux Codes étrangers, en n'exigeant pas le payement de ce qu' a coûté le mur lors de la construction, mais seulement la moitié de ce qu'il vaut lors de la demande. Il n'est pas certain, d'ailleurs, que les Codes étrangers, aient absolument voulu qu'on se reportât à la valeur primitive des matériaux et de la main-d'œuvre, taudis que pour le terrain. le prix doit certainement être le prix actuel. Ce dernier peut être augmenté, tandis que la construction elle-même a souvent perdu de sa valeur avec le temps. La solution du Projet est, au moins, plus nette et il est facile de reconnaître qu'elle est juste.
§ VI. DES VUES ET DES JOURS DE TOLÉRANCE SUR LA PROPRIÉTÉ D'AUTRUI.
278. Les bâtiments ne pourront avoir de vues droites ou directes sur la propriété d'autrui, au moyen de fenêtres d'aspect, balcons ou vérandas (engawa), s'il n'y a une distance d'au moins trois pieds de la ligne séparative des deux fonds.
Est considérée comme vue droite celle qui s'obtient d'une ouverture parallèle à la ligne séparative ou qui ne s'écarte de la parallèle que d'un angle de 45 degrés (1/8e du cercle).
Les autres vues, dites obliques ou par côté, obtenues par un angle de 46 à 90 degrés, pourront être établies à un pied de la ligne séparative.
La distance se calcule, dans les deux cas, entre la ligne séparative et la partie la plus avancée des ouvrages donnant la vue.
Il y a là une nouvelle restriction à la liberté des propriétaires, toujours dans l'intérêt des bons rapports entre voisins et pour éviter les vexations et les troubles. Le propriétaire peut construire sur la limite de son fonds et, par conséquent, son bâtiment peut être en contact immédiat avec le fonds voisin; celui-ci ne pourrait pas se plaindre de perdre ainsi la vue à distance, les rayons du soleil et l'air libre; mais, le propriétaire ne peut avoir sur la limite même des vues directes ou fenêtres d'aspect qui pourraient favoriser une curiosité indiscrète et seraient un moyen de jeter des corps durs ou répandre des liquides sur le fonds voisin. La loi veut même, pour que de pareilles ouvertures soient permises, que la distance soit de trois pieds; cette distance n'exclut pas tout danger de ce genre, mais, elle n'aurait pu être augmentée sans devenir une cause de dépréciation des bâtiments; car, souvent, le côté où il s'agit d'ouvrir ces vues sera le plus favorable pour le soleil.
En Franco, la loi exige un mètre et neuf dixièmes, ou six pieds (art. 678), et, en Italie, un mètre et demi, ou quatre pieds et demi (art. 587).
Au Japon, où cette restriction aux droits du propriétaire n'est pas formellement établie, même par l'usage, bien qu'elle soit souvent observée par un accord tacite des voisins, on a cru devoir adopter une distance encore moindre: trois pieds.
Pour les vues obliques ou par côté, dont le préjudice est moindre et pour lesquelles la loi française demande deux pieds de distance et la loi italienne un pied et demi, le Projet n'exige qu'un pied.
Il restait à déterminer légalement la différence entre la vue droite et la vue oblique.
Géométriquement, on doit dire qu'une vue droite est celle qui tombe perpendiculairement sur la ligne séparative des deux fonds (ce qui suppose que le plan du bâtiment d'où part la vue est lui-même parallèle à cette ligne), et une vue oblique, celle qui ne rencontre la ligne séparative qu'en faisant un angle plus ou moins obtus avec elle, un angle de plus de 90 degrés ou quart du cercle (ce qui suppose que le plan du bâtiment forme, au contraire, un angle aigu, un angle de moins de 90 degrés avec la ligne séparative); que si le plan du bâtiment est lui-même perpendiculaire à la ligne séparative (c'est-à-dire forme avec lui un angle de 90 degrés), la vue qui s'en échappe marche parallèlement à la ligne séparative et ne la rencontrera jamais elle porte alors sur le terrain qui peut être attenant au bâtiment; on peut dire alors qu'il n'y a aucune vue sur le fonds latéral.
En droit, à cause du but que la loi poursuit dans cette restriction aux facultés du propriétaire, on a dû s'écarter un peu des règles et des dénominations de la géométrie: ainsi, on appelle vue droite non seulement celle qui tombe perpendiculairement sur le fonds voisin, mais encore celle qui partant du bord de l'ouverture le plus rapproché de la ligne séparative rencontre cette ligne avant d'avoir parcouru la distance légale assignée aux vues perpendiculaires; on effet, dans ce cas le danger d'indiscrétions que la loi a voulu écarter est le même que dans les vues géométriquement droites. En même temps, on a considéré que les vues géométriquement parallèles à la ligne séparative pouvaient facilement devenir des vues obliques ou par côté, si la personne qui regarde s incline a gauche ou à droite; de là encore une restriction a la liberté de pratiquer les ouvertures, mais, moindre que la précédente.
Le projet japonais, considérant que les règles géométriques ne peuvent être suivies absolument en cette matière, a cherché à s'en écarter le moins possible, tout en adoptant un système simple de mesurage, et le résultat se trouve encore favorable à la liberté des bâtiments:
Lorsque le plan du bâtiment s'écartera de la ligne séparative d'un angle de plus de 45 degrés, la vue qui s'en échappera sera considérée comme oblique et la distance requise ne sera plus que d'un pied.
Si le bâtiment fait un angle obtus (ouvert de plus de 90 degrés) avec la ligne séparative, la vue sera libre, car elle ne peut plus rencontrer cette ligne, même avec effort.
Les deux figures ci-après rendront faciles à saisir les explications qui précèdent.
Fig. 1.
Figure 1re. Soit une ligne séparative L S et un bâtiment parallèle B B'; si la distance entre eux est de trois pieds, le bâtiment pourra avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, en f, dans toute sa longueur.
Si le bâtiment avait été construit à moins de trois pieds de la ligne séparative, il ne pourrait plus y avoir aucune fenêtre d'aspect, mais, seulement des jours de tolérance, comme il est dit à l'article suivant.
FIG. 2.
Figure 2e. Soit toujours une ligne séparative L S et un bâtiment qu'on suppose, successivement, touchant la ligne séparative dans toute sa longueur, B B', ou s'en écartant à l'une de ses extrémités, BC, BD, BE, BF, BG.
Si le bâtiment est en B B', il ne peut y avoir aucune fenêtre d'aspect; s'il est en B C ou B D, les fenêtres d'aspect seront placées en f, de façon à ce que la vue partant de l'angle interne de la fenêtre ne rencontre pas la ligne LS avant d'avoir franchi une distance de trois pieds. Or, on remarquera que plus l'angle d'écartement est ouvert, plus la fenêtre peut se trouver rapprochée de l'angle B; c'est une loi géométrique des distances.
A partir de l'angle de 45 degrés B D, jusqu' à 90 degrés, quand le bâtiment forme l'angle B E ou B F, la fenêtre peut être placée à un pied du point B; c'est, la vue oblique. Si le bâtiment formait un angle obtus, B G, avec la ligne L S, les fenêtres pourraient être encore plus rapprochées du point B; il pourrait n'y avoir que l'intervalle de la poutre de soutènement, parceque la vue, loin de se rapprocher de la ligne séparative en se prolongeant, s'en écarterait davantage.
Le 3e alinéa, sur la manière de calculer les distances, ne présente pas de difficultés.
279. Si la distance prescrite à l'article précédent ne peut être observée sans inconvénients, les ouvertures devront être masquées par un auvent, sans toutefois que ledit auvent puisse avancer au-dessus de la ligne séparative.
En cas d'impossibilité d'établir un auvent, il ne pourra être pratiqué que des jours dits de tolérance, dont la partie inférieure sera à six pieds au moins au-dessus du plancher, avec chassis grillagé, en fer ou en bois, dont les mailles auront un pouce d'écartement au plus.
Le propriétaire voisin pourra même, dans ce cas, exiger un auvent, s'il consent à ce que ledit auvent excède la ligne séparative d'un pied au moins.
Le cas prévu au premier alinéa se présentera, soit lorsque l'exiguïté des terrains ne permettra pas d'observer les distances prescrites, soit lorsque le bâtiment aura été construit et les ouvertures pratiquées avant la publication de là présente loi, ce qui ne sera pas un obstacle à son application susdits bâtiments, car, les propriétaires no pourront arguer d'un droit acquis à l'ancien état do choses, s'il est reconnu contraire à l'intérêt général.
Quand les fenêtres seront masquées par un auvent, elles ne pourront plus être qualifiées fenêtres d'aspect(q), puisque la vue est obstruée; cependant, ce ne sont pas non plus des jours de tolérance ou de souffrance, puisque le voisin n'y met aucune complaisance et n'en éprouve aucun trouble.
Les jours sont, au contraire, de tolérance, dans le cas du second alinéa, puisqu'ils ne sont pas masques ou obstrués. La loi prend, dans ce cas, deux précautions dans l'intérêt du voisin: 1° la hauteur des ouvertures qui ne permet pas de voir chez le voisin, sans quelque gêne, 2° l'application d'un chassis grillagé, dont les mailles, en fil de fer ou en bois, seront assez rapprochées pour-empêcher que les enfants ou les domestiques puissent jeter des objets nuisibles chez le voisin.
Le Projet n'exige pas une troisième condition qui se trouve dans le Code français (art. 676) et dans le Code italien (art. 584) à savoir que le chassis soit à verre dormant, ce qui veut dire qu'il y ait un vitrage non susceptible de s'ouvrir. Cette condition a paru exagérée avec celle d'un grillage, et la circulation de l'air est trop nécessaire à l'hygiène pour en priver les habitants des maisons.
La dernière disposition est également sage: comme c'est par respect pour les droits du voisin que la loi ne permet pas de placer les auvents en saillie sur la ligne séparative, celui-ci doit pouvoir renoncer à son droit, s'il préfère supporter l'avance de l'auvent au danger des regards indiscrets à travers le grillage; mais, il ne fallait pas non plus qu'il exigeât un auvent très-peu large et obstruant trop la lumière; de là, le minimum d'un pied d'écartement.
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(q) Aspect, du latin: aspicere, aspectus, voir, vue de face.
280. Les restrictions apportées par les deux articles précédents à la liberté des vues ou jours cessent lorsque la partie du fonds voisin faisant face aux constructions est elle-même une construction sans ouvertures.
Du moment que l'obstacle à la vue vient de la nature de la construction voisine, il n'y a plus de motif sérieux d'exiger une distance ou de nouveaux obstacles à la vue de la part de la construction opposée.
Mais, si le premier constructeur pratiquait plus tard des ouvertures à la distance légale, il aurait le droit de faire obstruer, chez le voisin, celles qui ne remplissent pas les conditions ci-dessus prescrites.
La loi n'a pas cru devoir ajouter un autre cas où les distances cessent d'être exigibles, à savoir, le cas où les deux fonds sont séparés par un chemin public: un chemin public aura toujours plus de trois pieds.
§ VII. DES DISTANCES REQUISES POUR CERTAINS OUVRAGES.
281. Le propriétaire qui veut creuser dans son fonds, soit un puits ou une citerne, soit une fosse pour recevoir des eaux ménagères ou des matières stercorales(r), doit laisser une distance d'au moins six pieds de la ligne séparative; sans préjudice des travaux nécessaires pour empêcher l'éboulement des terres ou les infiltrations.
La distance sera réduite à trois pieds, s'il s'agit d'une cave sèche et couverte.
S'il ne s'agit que d'une rigole, d'un caniveau ou d'un simple fossé, destinés au passage des eaux, la distance devra être égale à la moitié au moins de leur profondeur, sans qu'elle doive néanmoins excéder six pieds; le fossé devra, en outre, être taillé en talus du côté de la ligne séparative ou soutenu par un revêtement en pierre ou en bois.
Il s'agit encore ici d'une de ces charges réciproques entre voisins qui, tout en restreignant un peu leur liberté comme propriétaires, les préservent de se causer des dommages mutuels qui diminueraient davantage la valeur des fonds et troubleraient les rapports de bon voisinage. La première disposition concerne les puits et citernes.
Les puits sont des cavités circulaires creusées jusqu'à l'eau vive; le danger qu'ils présentent n'est pas celui des infiltrations, car l'eau y reste à son niveau naturel, c'est le danger des éboulements qui pourraient faire fléchir le sol voisin; généralement, les puits sont revêtus d'un tube en bois, à moins qu'ils ne soient creusés dans un sol très-dur; c'est pourquoi la loi n'exige qu'une distance assez faible de la ligne séparative.
Les citernes sont des cavités plus ou moins considérables destinées à recueillir les eaux pluviales ou de source dans les lieux où les nappes d'eau souterraine manquent ou sont à une trop grande profondeur. Les citernes présentent plus de danger d'infiltration que les puits, à cause de la hauteur de l'eau qui peut monter jusqu'au niveau du sol, et aussi plus de danger d'éboulement, à cause de leurs plus grandes dimensions; la loi, cependant, n'exige pas une plus grande distance, parce-que l'étendue des terrains ne pourrait pas toujours la permettre; mais on y suppléera par la solidité de la construction. En France, l'usage des citernes est très-répandu dans les contrées où le sol est aride et les pluise rares; on construit les citernes en forme circulaire, avec revêtement et voûte en pierre; l'eau s'y conserve fraîche et pure n'étant pas en contact avec l'air extérieur. Au Japon, l'abondance des eaux ne paraît pas rendre aussi nécessaire ce mode de leur conservation; mais la loi fait sagement de le mentionner, à tout événement.
La deuxième disposition du 1er alinéa concerne des cavités destinées à recevoir des liquides impurs, soit pour qu'ils s'absorbent lentement, comme les eaux ménagères que la disposition des lieux ne permet pas de conduire à la voie publique, soit pour les employer ultérieurement à l'engraissement des terres. Ici, les infiltrations seraient plus nuisibles au voisin; mais il y sera paré au moyen d'un revêtement convenablement enduit.
Pour les caves sèches, la distance est réduite de moitié, puisqu'il n'y a pas à craindre d'infiltrations.
Le 3e alinéa concerne de menues excavations, à ciel ouvert, dont la profondeur peut varier à l'infini; la loi pare au danger de l'infiltration, par la distance qui est proportionnelle à la profondeur (la moitié), et au danger de l'éboulement, par le talus ou le revêtement. S'il y avait contestation sur l'inclinaison du talus, les tribunaux pourraient exiger qu'il ne formât pas un angle inférieur à 45 degrés, ce qui est la pente naturelle des terres rejetées d'un fossé. Bien entendu, la distance doit se calculer à partir du bord supérieur du fossé.
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(r) Du latin stercus, “fumier”; ce qui comprendra, au Japon, l'engrais animal, même humain. Le Code français dit “fosse d'aisance” (art. 674), le Code italien ajoute: “latrines, cloaque”.
282. Il n'est pas permis de planter ou d'avoir à une distance moindre de six pieds de la ligne séparative des arbres ayant plus de trois kens de hauteur.
Les arbres ayant moins de trois kens et plus d'un ken de hauteur devront être à la distance de trois pieds.
Les autres arbres, arbustes ou arbrisseaux pourront joindre immédiatement la ligne séparative.
Dans tous les cas, le voisin pourra requérir le propriétaire desdits arbres d'élaguer les branches qui dépasseraient la ligne séparative; il pourra lui-même couper les racines qui pénétreraient dans son fonds.
La trop grande proximité des arbres cause aux voisins une autre nature de dommage que les excavations: c'est la privation d'air et de lumière, laquelle nuit aux habitations autant qu'à la culture. La loi, ici encore, peut, sans scrupules, restreindre la liberté des propriétaires; car, dans les villes, les arbres sont plutôt pour l'agrément que pour l'utilité et, dans les campagnes, l'espace permet d'observer aisément les distances prescrites.
Il est naturel que la distance légale soit déterminée d'après la hauteur des arbres; bien entendu, il s'agit ici de la hauteur effectivement obtenue par les arbres et non de celle à laquelle ils peuvent atteindre d'après leur nature.
Les hauteurs et distances adoptées ici ne sont pas tout à fait celles de la loi française (art. 671), même avec la modification projetée dans le Code rural, ni celles du Code italien (art. 579): le Projet japonais est un peu plus libéral pour les propriétaires.
283. Les dispositions des deux articles précédents ne sont pas obligatoires s'il existe des usages locaux différents, anciens et non contestés, lesquels seront observés.
Elles sont d'ailleurs applicables, lors même que la séparation des deux fonds serait mitoyenne; en outre, s'il se trouve dans une haie mitoyenne des arbres à haute tige, chacun des voisins peut en exiger la suppression.
La loi, désirant seulement pourvoir à la sécurité et aux bons rapports des voisins, se contentera des usages qui y auront pourvu autrement: ces usages, en effet, nés des besoins locaux, sont généralement sages, modérés et suffisants dans leurs exigences. La loi veut seulement qu'ils soient “anciens et non contestés.” S'ils étaient trop nouveaux, s'ils n'avaient pas la consécration du temps, ils ne pourraient remplacer la loi; de même, s'ils n'étaient pas généralement reconnus.
La loi française et la loi italienne, en toute cette matière des servitudes, se réfèrent aussi aux usages locaux; mais, elles mettent sur la même ligne que les usages les “règlements locaux. ” On ne le propose pas au Japon, parceque les règlements administratifs anciens n'ont pas toujours été faits avec le soin qu'on y apporte aujourd'hui et il y aurait quelque danger à les consacrer ici d'une façon générale. D'ailleurs, si ces règlements ont répondu sagement aux besoins locaux, ils ont été consacrés par l'usage et c'est comme “usages locaux” qu'ils seront observés.
Le 2e alinéa ne présente pas de difficulté: la circonstance que chacun des voisins est co-propriétaire de la séparation (mur, clôture ou haie) ne justifierait pas le défaut des précautions prescrites ci-dessus, car le copropriétaire ne doit pas, par son fait, compromettre la sécurité de la chose commune en outre, lorsqu'il y a danger d'infiltrations ou d'éboulement, le dommage pourrait dépasser la séparation mitoyenne. Il va sans dire que, sur ce point des distances à observer, comme sur toutes les autres restrictions à la liberté des propriétaires, on pourra toujours y déroger par des conventions particulières, lesquelles constitueront alors des servitudes du fait de l'homme, opérant en sens inverse des servitudes légales, ainsi qu'on va les rencontrer à la section suivante.
284. Les conditions requises, dans l'intérêt du voisinage, pour l'exercice des industries dangereuses, insalubres ou incommodes, sont déterminées par les lois administratives.
Les progrès de l'industrie, tout en améliorant les conditions de la vie sociale, entraînent aussi des dangers pour la vie ou la santé des hommes, non seulement des personnes directement employées à ces industries, mais encore de celles qui se trouvent dans le voisinage des établissements industriels.
Dans les pays où l'industrie est très-développée, les règlements sur les manufactures et ateliers dangereux, insalubres ou seulement incommodes sont très-nombreux et augmentent chaque jour avec les nouvelles découvertes. Ce n'est pas à la loi civile qu'il appartient de faire ces règlements, parceque l'intérêt général y est bien plus en jeu que l'intérêt privé. D'ailleurs, la loi civile doit avoir, de sa nature, une certaine fixité qui serait tout a fait mauvaise en une matière aussi variable et aussi progressive que l'industrie et ses procédés.
Il en doit être de même au Japon.
DISPOSITION COMMUNE AUX SEPT PARAGRAPHES PRÉCÉDENTS.
285. Les charges et conditions imposées aux propriétaires par la présente Section sont applicables, activement et passivement, à l'Etat, aux départements et aux communes, pour leurs biens privés ou patrimoniaux.
Elles ne s'appliquent pas, passivement, aux biens du domaine public, mais elles leur profitent.
On a vu, aux articles 23, 24 et 25, que le domaine de 1 Etat, des departements et des communes se divise en domaine public et domaine privé.
Pour leur domaine privé, ces “personnes morales” sont et doivent être traitées par la loi comme des particuliers et soumises aux mêmes obligations, comme aussi appelées aux mêmes droits et avantages; c'est ce que le texte qualifie d'application active et passive.
Mais, pour ce qui concerne les biens du domaine public, l'intérêt général doit primer l'intérêt privé. Ce principe, sans être formellement proclamé par les Codes étrangers, a été souvent reconnu par les jurisconsultes et appliqué par les tribunaux.
On propose d'adopter le même principe au Japon et de le proclamer.
Ainsi, les établissements publics pourront avoir des vues et des plantations d'arbres, sans observer les distances légales; les murs et clôtures ne seront pas présumés mitoyens; on ne pourra exercer le droit d'aqueduc à travers les fonds du domaine public, etc.; ils se trouvent donc affranchis des charges légales établies par les sept paragraphes qui composent cette Section.
Mais, ces fonds auront, activement, les bénéfices de la loi: l'administration pourra requérir lo bornage, la clôture. le passage des eaux, l'observation des distances. Il n'y a pas, d'ailleurs, à craindre de sa part, les abus et vexations qui peuvent se rencontrer entre voisins particuliers.
SECTION II. DES SERVITUDES ÉTABLIES PAR LE FAIT DE L'HOMME.
§ 1er. DE LA NATURE DES SERVITUDES ET DE LEURS DIVERSES ESPÈCES.
286. Les propriétaires voisins peuvent établir toutes espèces de servitudes foncières, au profit et à la charge de leurs fonds, respectivement, pourvû qu'elles ne soient pas contraires à l'ordre public.
Ne sont pas considérées comme servitudes foncières les charges qui exigent, principalement, le travail individuel d'un propriétaire ou de quelque personne placée sur son fonds, ni celles qui profitent, principalement, à la personne d'un propriétaire ou à ceux qu'il se substitue: les premières peuvent valoir comme droits personnels à des services, les secondes, comme droits réels d'usage ou de bail.
La loi arrive ici aux servitudes proprement dites, à celles qui, à la différence des servitudes dites légales, ne sont plus le droit commun de la propriété, mais sont établies, exceptionnellement, par l'accord exprès ou tacite des propriétaires, pour l'améiioration économique d'un fonds.
On a déjà expliqué, sous l'article 227, que leur nom de foncières ne vient pas de ce qu'elles portent sur des fonds, mais de ce qu'elles appartiennent, figurativement, à des fonds, dont elles deviennent des accessoires et, en quelque sorte, des qualités actives, comme disaient les jurisconsultes romains(a).
De même, lorsqu'on les qualifie de servitudes réelles, ce n'est pas pour dire qu'elles sont des droits réels, ce qui est incontestable d'ailleurs, c'est pour exprimer que le droit appartient à une chose et qu'on ne peut avoir un droit de servitude sans avoir d'abord un fonds.
Le premier alinéa pose en principe la pleine liberté des propriétaires voisins pour établir entre leurs fonds ces rapports qui vraisemblablement apporteront plus d'avantages au fonds dominant qu'ils n'en enlèveront au fonds servant; d'ailleurs, leur intérêt est leur meilleur guide et si fonds servant devait souffrir plus que le fonds dominant profiter, il est naturel de croire que les conditions plus onéreuses de l'arrangement en détourneraient les parties.
Parmi les servitudes du fait de l'homme, il yen a qui sont la contre-partie des servitudes légales et qui ont justement pour but de lever des entraves que la loi a cru devoir mettre à la liberté des voisins, mais que ceux-ci peuvent, d'un commun accord, juger inutiles ou même nuisibles à leurs intérêts particuliers.
Ainsi, on peut, par convention:
1° Donner à l'un des voisins le droit d'envoyer chez l'autre des eaux ménagères ou industrielles ou des eaux pluviales, en dehors des conditions imposées par la loi;
2° En sens inverse, affranchir un des voisins de la nécessité de souffrir le passage d'un aqueduc dans les cas où la loi l'y oblige;
3° Affranchir un des voisins des distances légales à observer pour les puits, citernes ou caniveaux, pour les vues et pour les plantations d'arbres;
4° Supprimer, pour l'un des voisins ou pour tous deux, l'obligation de contribuer à la clôture dans les cas où la loi permet de l'exiger, ou l'obligation de céder la mitoyenneté.
Mais il ne faudrait pas croire que les voisins pussent, par convention, s'affranchir de toutes les servitudes légales: le principe de la liberté des voisins reçoit une exception générale qui est de n'établir aucune servitude “contraire à l'ordre publie.” Or, quand la servitude légale est fondée sur un principe d'ordre public et de premier ordre (car il y a toujours un intérêt général dans la cause des servitudes légales), les parties ne peuvent s'en affranchir par une convention dont l'imprévoyance pourrait plus tard causer des troubles sérieux.
Ainsi on ne pourrait, par convention:
1° Supprimer le droit d'accès sur la propriété voisine pour la réparation des bâtiments, ni le droit de passage en cas d'enclave; car, dans ces deux cas, on aurait ôté presque toute valeur au bâtiment qui viendrait à avoir besoin de réparation et au fonds enclavé. La convention pourrait toutefois avoir quelque effet; ce serait de douner lieu d augmenter l'indemnité, pour le trouble causé au voisin duquel on requerrait l'accès ou le passage;
2° Affranchir le voisin inférieur de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du fonds supérieur; ici, la convention aurait seulement pour effet de soumettre celui qui aurait stipulé cet avantage à une indemnité, dans le cas où, pour échapper à l'inondation, il serait forcé de se prévaloir de la servitude légale;
3° Affranchir les voisins de l'obligation de subir le bornage ou la clôture; la convention n'aurait qu'un effet, celui de mettre tous les frais à la charge de celui qui voudrait faire procéder à l'une ou à l'autre opération.
Les cas qui précèdent paraissent être les seuls où la, servitude ne serait pas valablement établie, comme contraire à l'ordre public; car on ne conçoit guère quelle autre faculté illégale on pourrait stipuler sur le fonds d'autrui; en tout cas, l'acte serait défendu, non comme exercice illégal d'une servitude, mais comme acte défendu à toute personne.
Le second alinéa demande plus d'attention. Il rappelle la disposition de l'article 686 du Code français qui défend d'établir des charges “imposées à la personne ou en faveur de la personne.” Il est reconnu que cette double prohibition a été introduite dans la loi pour abolir tout vestige du système féodal, dans lequel les seigneurs féodaux avaient le droit d'exiger de leurs vassaux des prestations de travaux et de services personnels pour leurs terres et quelquefois pour leur personne. C'est dans le même ordre d'idées qu'a été écrit l'article 638 portant que “la servitude n'établit aucune prééminence d'un fonds sur l'autre."
Mais, quoique les mêmes abus ne paraissent pas avoir existé au Japon et que, par conséquent, il n'y ait pas à en prévenir le retour, il n'y a pas moins lieu de régler des stipulations analogues.
La loi ne les prohibe pas, mais elle leur assigne leur véritable caractère.
Ainsi, l'ordre public ne s'oppose nullement à ce que deux voisins conviennent que l'un d'eux fera certains travaux sur le fonds de l'autre, soit par lui-même, soit par des hommes de journée payés par lui, par exemple qu'il plantera le riz et le récoltera, qu'il réparera les bâtiments, qu'il curera les étangs, le tout avec ou sans rétribution, suivant les accords; mais cette convention ne vaudrait que comme promesse de services gratuits ou onéreux; le texte dit qu'elle donnerait une créance ou un droit personnel et ne constituerait pas une servitude. La conséquence est fort importante: les services ne seraient pas dus par tout propriétaire qui succéderait sur le fonds au promettant, ils ne seraient dus que par le promettant lui-même, qu'il ait ou non gardé le fonds; ils ne seraient même pas dus par ses héritiers, car la promesse de services est personnelle, dans le sens le plus étroit du mot, elle ne passe même pas aux héritiers passivement; de même l'obligation serait éteinte par la mort du stipulant et ne profiterait pas à ses héritiers; quant à l'aliénation du fonds sur lequel les travaux devaient être faits, elle devrait être, en principe, considérée comme mettant fin au contrat, à moins que le cédant n'ait expressément transféré sa créance de services en même temps que le fonds.
En sens inverse, si l'on- suppose une stipulation donnant à un propriétaire le droit de se promener sur le fonds voisin, d'y chasser, d'y pêcher, de s'y baigner, il n'y aura là aucune charge pour la personne du propriétaire voisin, mais on n'y trouvera pas non plus un avantage pour tout propriétaire du fonds prétendu dominant, par conséquent, point de plus value donnée au fonds lui-même; en effet, tous les propriétaires ne sont pas chasseurs ou pêcheurs, l'âge, la santé, les occupations pourraient rendre inutiles les facultés dont il s'agit; on ne se trouve donc pas dans les conditions qui font le mérite économique dos servitudes: il n'y aura pas servitude foncière.
Mais une pareille stipulation n'a rien de contraire à l'ordre public et elle ne sera pas nulle; elle donnera même un droit réel, c'est-à-dire un droit affectant la propriété de la chose et la démembrant: ce sera, suivant qu'il sera établi à titre gratuit ou à titre onéreux et d'après les autres circonstances du fait, soit un droit d'usage spécial, soit un droit de bail, avec un objet plus limité que d'ordinaire. Quant à sa durée, elle sera, au maximum, celle de la vie du stipulant, et même elle sera moindre, si un délai avait été stipulé et qu'il se trouvât écoulé avant la mort du stipulant.
Il ne fallait pas cependant enlever le caractère de servitude foncière à toute charge établie entre voisins, par cela seul qu'elle imposerait à l'un d'eux quelque prestation de travail personnel ou procuré, ou qu'elle aurait pour résultat un avantage au profit de la personne de l'autre ou des personnes de sa famille ou de sa maison.
Ainsi, dans le cas d'un droit de passage accordé à l'un des voisins sur le fonds de l'autre, on peut convenir que le chemin sera entretenu par ce dernier et, dans le cas d'un droit aqueduc, que le propriétaire du fonds servant entretiendra la construction et fera le curage, soit périodiquement, soit quand il sera nécessaire; dans ces deux cas et autres analogues, on ne devrait pas hésiter à reconnaître une servitude foncière: les travaux à exécuter par le propriétaire du fonds servant ne sont qu'une charge accessoire qui ne peut changer la nature de la charge principale; il ne restera plus qu'à la concilier avec le principe déjà énoncé que “la servitude n'oblige pas à faire mais seulement à souffrir:” on donnera la conciliation en son lieu (V. art. 305).
Ainsi encore, et en sens inverse, il est très-fréquent que les mêmes servitudes de passage et d'aqueduc procurent au propriétaire ou aux siens des avantages personnels, comme la facilité ou la brièveté de la communication avec la voie publique, ou comme l'usage d'une eau plus abondante ou plus salubre pour les usages personnels et domestiques. Mais, ce qu'il y a de profit personnel est encore secondaire et accessoire; l'effet principal du droit de passage ou du droit d'aqueduc est toujours l'amérioration économique du fonds dominant.
C'est pour répondre à cette distinction entre ce qui est accessoire et ce qui est principal que le texte ne refuse le caractère de servitudes foncières qu'aux charges qui ont principalement pour effet un travail personnel pour l'un des voisins ou un profit personnel pour l'autre.
On a dit, p. 189, que la perpétuité n'est pas de l'essence des servitudes foncières, cependant elle est de leur nature, et quand une servitude aura été établie pour un temps un peu court, il sera nécessaire d'examiner si, dans l'intention des parties, elle n'a pas été établie en faveur du propriétaire actuel plutôt qu'en faveur de son fonds; la question dépendra de l'ensemble des circonstances: spécialement, de la nature du service à tirer de la chose et des relations de parenté ou d'amitié des parties.
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(a) On les appelle souvent aussi prédiales, avec le même sens, dn latin: prœdium, “fonds.”
287. Les servitudes foncières restent attachées accessoirement aux fonds, tant activement que passivement, en quelques mains qu'ils passent.
Elles sont indivisibles, en ce sens que si les fonds appartiennent à plusieurs par indivis, l'un d'eux ne peut, pour sa part, priver le fonds dominant de la servitude, ni en affranchir le fonds servant.
De même, en cas de partage ou de cession partielle des fonds, elles affectent indivisiblement chaque partie du fonds servant ou profitent à chaque partie du fonds dominant; sauf le cas où elles ne pourraient s'exercer utilement que sur une partie du fonds servant ou ne procureraient d'avantage qu'à une partie du fonds dominant.
Le premier alinéa consacre le principe développé à l'article précédent, à savoir, que le droit de servitude foncière est doublement réel, en ce sens que, non seulement il porte sur une chose et reste opposable à tous ceux qui la détiendront, mais encore qu'il appartient à une chose et profite à tous ceux auxquels cette chose appartiendra successivement.(b)
Le 2e alinéa reconnaît, en principe, aux servitudes le caractère d'indivisibilité déjà signalé par l'article 19; mais le 3e alinéa y apporte des exceptions qui, en fait, se rencontreront plus souvent que la règle.
Les auteurs ont presque toujours exagéré le principe et trop négligé les exceptions.
Il est certain, comme l'explique le 2e alinéa, (que s'il y a plusieurs propriétaires de l'un des fonds, du fonds dominant par exemple, et que ces co-propriétaires soient en état d'indivision, l'un d'entre eux ne peut, sans le concours des autres, renoncer à la servitude active et en priver le fonds dominant: il ne peut le faire pour le tout, parce qu'il n'a pas qualité pour diminuer le droit de ses co-propriétaires (v. art. 38 et 39); il ne le peut, non plus, pour sa part indivise, pour une moitié, un tiers ou un quart, parce que la nature des avantages que procure une servitude foncière ne permet pas d'en concevoir des fractions: la vue, le passage des personnes ou des eaux, la prohibition de bâtir ou de planter sur des points déterminés, ne comportent pas de parties.
Réciproquement, si l'indivision existe entre co-propriétaires du fonds servant, la convention que ferait l'und'eux avec le propriétaire du fonds dominant pour l'extinction de la servitude ne profiterait pas aux autres, s'il n'était pas autorisé à stipuler pour eux, et elle ne. lui profiterait pas à lui-même pour sa part indivise du fonds, car la servitude ne pourra toujours être exercée qu'intégralement ou indivisiblement, pour le motif donné plus haut.
Le 3e alinéa nous dit que l'indivisibilité des servitudes pourra même persister après le partage du fonds dominant ou du fonds servant. Par exemple le fonds A, appartenant à plusieurs, avait, sur le fonds B, le droit de passage ou d'aqueduc ou le droit d'empêcher certaines constructions ou plantations; il est partagé entre les co-propriétaires, chacun aura, pour le lot de terrain qui lui est échu, le droit intégral de vue, de passage, d'aqueduc, etc. Même solution, si, au lieu d'un partage du fonds dominant, il en était cédé une partie à un tiers: celui-ci jouirait intégralement de la servitude.
Réciproquement, si le fonds servant était partagé ou cédé partiellement, chaque lot se trouverait soumis à la servitude, au moins, en principe, et en tant que ce résultat serait nécessaire à la plénitude du droit du fonds dominant.
Mais c'est ici que se rencontrent le plus souvent les exceptions réservées par le 3e alinéa et auxquelles il faut s'arrêter un instant. Elles se rencontreront aussi, quoique peut-être plus rarement dans le cas de division du fonds dominant.
Soit un fonds servant grevé d'un droit de passage ou d'aqueduc, dans une direction déterminée. Bien qu'on puisse dire que le fonds tout entier est grevé, en ce sens qu'il s'en trouve amoindri dans sa valeur, par la diminution de liberté du propriétaire, cependant, en fait, le passage des personnes ou des eaux ne s'exerce pas sur toutes les parties du fonds, lequel est traversé dans un sens ou dans un autre, peut-être sur une faible étendue. Si, dans la division du fonds, la partie consacrée au passage se trouve contenue toute entière dans un lot, les autres se trouveront à l'avenir, affranchis entièrement de la servitude.
De même, s'il existe une servitude défendant de construire ou de planter, ce ne sera généralement que sur une partie du fonds faisant face aux bâtiments du voisin auxquels on a voulu conserver la vue de la mer, de la campagne ou du Fusiyama; lorsque le fonds servant sera divisé, cette portion de terrain qui doit rester libre de bâtiments ou de plantations ne se trouvera pas dans tous les lots: il y en aura toujours quelques uns qui seront affranchis de la servitude.
Si nous supposons le fonds dominant divisé en plusieurs lots, le même résultat pourra se produire; moins souvent, peut-être, pour le passage ou l'aqueduc, lesquels pourront quelquefois rester nécessaires à tous les lots, mais presque toujours pour la défense de planter ou de bâtir, qui no profitera plus qu'au lot où se trouvent les bâtiments dont on a voulu conserver la vue à distance (le prospect).
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(b) C'est par inadvertance que les servitudes foncières ont été énoncées dans l'article 2, comme droits réels principaux; l'article 15 leur reconnaît formellement le caractère d'accessoire des fonds. Les Servitudes ne devront figurer dans l'article 2 qu'au n° 5, après la Possession qui est un droit principal et c'est aussi la place qui leur est assignée dans l'ordre des Chapitres.
288. Les servitudes actives ne peuvent être cédées, louées ni hypothéquées séparément du fonds dominant; elles ne peuvent non plus être grevées d'une autre servitude.
Ce n'est pas seulement à raison de leur caractère accessoire que les servitudes ne peuvent être cédées, louées ni hypothéquées séparément du fonds, et peuvent l'être seulement avec lui. En effet, il y a d'autres accessoires des fonds qui pourraient en être ainsi détachés et cédés ou loués séparément, comme les objets mobiliers attachés aux fonds pour leur exploitation ou leur agrément, lesquels pourraient aussi être donnés en gage et livrés au créancier, comme meubles, mais non hypothéqués (voir Livre IV).
La raison de cette prohibition n'est pas non plus que le droit de servitude a pu être constitué en vue de la personne du voisin et que la cession du droit on changerait indûment le titulaire; on a vu, en effet, que la servitude doit être établie en faveur du fonds et non on faveur du propriétaire, et, d'ailleurs, le constituant est toujours exposé à un changement de titulaire avec le changement de propriétaire du fonds dominant lui-même.
La véritable raison de la présente prohibition, c'est que la servitude foncière, outre les limites qui peuvent avoir été mises à son exercice par l'acte constitutif, en reçoit encore d'autres dans les besoins même du fonds dominant: celui qui aurait lo droit de prendre sur le fonds d'autrui do l'eau, du sable, des pierres, des bois, en une quantité déterminée, pour les besoins agricoles, industriels ou domestiques de son fonds, n'épuisera pas toujours son droit, car la quantité stipulée peut, à certaines époques, excéder les besoins du fonds. Si donc, il était permis de céder, soit le droit même, tout entier, aux matières stipulées, soit ce qui en excède les besoins du fonds dominant, la condition du fonds servant se trouverait aggravée. Cette raison s'applique autant à l'hypothèque qu'au bail ou à la cession; car l'hypothèque mène généralement à la vente du bien pour satisfaire le créancier.
La seconde disposition est encore commandée par le même principe; ainsi le propriétaire d'un fonds auquel appartient un droit de passage sur le fonds voisin ne pourrait en permettre l'usage à un autre voisin, même en s'abstenant lui-même d'en user.
On a vu, cependant, à l'article 59, que l'usufruit, qui est une servitude personnelle, peut être grevé d'un autre usufruit. Cela s'explique par la cessibilité du droit lui-même d'usufruit; car il est susceptible d'être cédé loué et hopothéqué (art. 71) et cette faculté, reconnue à l'usufruitier, de changer le bénéficiaire de son droit, se justifie elle-même par la considération qu'il a tout l'usage et tous les fruits de la chose, ce qui ôte tout intérêt au nu-propriétaire à s'opposer à une cession. Par la raison inverse, l'usager, dont les droits sont limités à ses besoins personnels, ne peut céder son droit (art. 116). Toutes ces dispositions sont donc en complète harmonie.
Cette défense do constituer une servitude sur une autre remonte au droit romain: les jurisconsultes l'y ont souvent proclamée comme un axiome, sans prendre la peine de la justifier.(c)
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(c) Servitus servitutis esse, non potest: “il ne peut y avoir une servitude sur une servitude."
289. Le propriétaire du fonds dominant peut exercer les actions CONFESSOIRES, tant possessoires que pétitoires, au sujet des servitudes qu'il soutient lui appartenir;
Réciproquement, le propriétaire du fonds prétendu servant peut exercer les actions NÉGATOIRES, tant possessoires que pétitoires, pour faire cesser l'exercice des servitudes qu'il conteste.
Dans l'un et l'autre cas, seront observées les règles et distinctions établies au Chapitre de la Possession.
Les droits, actions et obligations de l'usufruitier et du preneur à bail, au sujet des servitudes, sont établis aux articles 69, 70 et 96, 144 et 151.
Le caractère particulier des servitudes qui a motivé la prohibition de les aliéner séparément du fonds dominant ne commandait pas une. prohibition analogue pour l'exercice des actions judiciaires par lesquelles on les réclame ou on les conteste: chacun des deux propriétaires pourra donc plaider pour ou contre la servitude, sans être tenu de prouver son droit de propriété, lorsqu'il ne sera pas en question.
Il serait, en effet, bien inutile toujours, et dangereux souvent, de réunir, dans le procès, deux questions qui ne sont pas nécessairement connexes (liées). Tel est au moins la règle.
Mais, si la propriété ou la possession du fonds même était contestée au demandeur, le droit d'invoquer la servitude ou do la denier serait contesté aussi, par cela même, et les deux questions devraient être réunies, avec la priorité donnée à celle de propriété ou de possession du fonds, comme question préalable ou préjudicielle.(d)
Hors ce cas, qui sera rare sans doute, la question de la servitude se présentera seule et sera jugée de même.
Déjà, l'article 37, 2e al. nous a dit que le propriétaire peut exercer l'action négatoire pour contester que son fonds soit assujetti à un autre par une servitude. Le même article no nous a pas dit qu'il eût l'action onfessoire pour faire reconnaître une servitude au profit de son fonds. Ce n'est pas une omission, dans cet article où l'on n'avait à parler que des actions qui garantissent la propriété; or, celui qui conteste que son fonds soit asservi ne fait autre chose, on réalité, qu'affirmer son droit de propriété plein, entier, normal; celui qui, au contraire, soutient que son fonds est dominant à l'égard d'un autre, invoque un droit distinct de la propriété, un droit qui l'augmente d'une façon anormale; il ne dit pas seulement qu'il est plein propriétaire, mais, de plus, qu'il a un démembrement de la propriété d'autrui. C'était donc dans le présent Chapitre que ce droit d'action devait lui être reconnu.
Les noms, un peu nouveaux, au Japon, d'action CONFESSOIRE opposée à l'action NÉGATOIRE, avec subdivision, pour chacune, en action possessoire et action pétitoire, ont déjà été rencontrés plus haut (art.70) et expliqués assez longuement, au sujet de l'usufruit.(e)
On se bornera donc a on rappeler brièvement les caractères.
Dans l'action CONFESSOIRE, le demandeur soutient, affirme son droit de servitude sur le fonds d'autrui; dans l'action NÉGATOIRE, lé demandeur conteste, nie que son fonds doive une servitude au fonds d'autrui. Il faut bien avoir soin, d'ailleurs, d'éviter ici une confusion à laquelle on est exposé par la nature du sujet et par les habitudes du langage. Ainsi, on a déjà dit qu'il y a des servitudes qui assujetissent le fonds servant à ne pas planter, à ne pas bâtir dans un lieu déterminé. Or, lorsque le propriétaire du fonds dominant soutient que celui du fonds servant ne peut bâtir, il n'intente pas une action NÉGATOIRE, mais une action CONFESSOIRE; c'est, en réalité, comme s'il soutenait qu'il a le droit d'empêcher le voisin de bâtir; c'est bien “affirmer son propre droit sur le fonds d'autrui,” conformément à la définition donnée plus haut.
En sens inverse, si le demandeur soutient qu'il a le droit de faire boucher chez le voisin des fenêtres d'aspect ouvertes à moins de trois pieds de la ligne séparative, en vertu d'une prétendue servitude qu'il conteste, son action est négatoire, parceque la négation ne doit pas être cherchée dans les mots, mais dans la prétention; et, en effet, le demandeur “nie que le voisin ait sur son fonds un droit de vue ou de prospect”, ce qui est bien conforme aussi à la définition de l'action négatoire.
Rappelons maintenant ce qui distingue, dans chacune de ces deux actions, le caractère possessoire et le caractère pétitoire.
Quand le demandeur se trouve, en fait, dans la situation qu'il prétend avoir aussi en droit, il peut se borner à demander le maintien du fait, de l'état actuel (du statu quo), sans soulever la question du droit, la question du fond.
Ainsi celui qui prétend avoir un droit de passage ou de vue, était en possession de ce droit, c'est-à-dire l'exerçait en fait depuis un certain temps, lorsque le voisin fait brusquement fermer le passage ou obstruer la vue; dans ce cas, le prétendant à la servitude pourra se borner à agir en réintégrante; il agira en complainte, s'il est seulement troublé dans l'exercice de son droit, enfin, il agira en dénonciation de nouvel œuvre, si le voisin commence des travaux qui peuvent bientôt constituer un trouble ou une dépossession. L'avantage d'agir ainsi au possessoire plutôt qu'au pétitoire, c'est que le demandeur, pour triompher, n'aura qu'à prouver l'exercice actuel de la servitude par lui prétendue, tandis que, s'il agissait au pétitoire, il lui faudrait prouver son droit au fond, c'est-à-dire produire un acte constitutif de la servitude. C'est alors le voisin qui pourra renverser les rôles et intenter, à son tour, une action négatoire à laquelle le premier sera défendeur avec tous les avantages attachés à cette qualité, et l'action négatoire ne pourra pas être possessoire, par exemple, en réintégrande, car la possession a déjà été jugée en faveur du premier demandeur, l'action négatoire sera alors pétitoire, c'est-à-dire tendra à faire juger, au fond, que le voisin n'a pas de servitude de vue ou de passage.
Ceci explique en même temps que l'action négatoire peut avoir elle-même le caractère possessoire, lorsque c'est elle qui est intentée la première. Ainsi, un propriétaire voit son voisin construire, sur la ligne séparative, un bâtiment avec des ouvertures d'aspect, il peut faire la dénonciation de nouvel œuvre; si le bâtiment est terminé, il intentera l'action en réintégrande pour faire supprimer les ouvertures; s'il s'agit d'un passage déjà exercé par intervalles, il intentera l'action en complainte; comme son voisin no possédait pas encore la servitude, il possédait lui-même la liberté de son fonds, il conserve ou recouvre la possession de cette liberté, un instant troublée ou usurpée, et il sera désormais défendeur à l'action confessoire-pétitoire, si le voisin se croit fondé à agir au fond.
Le renvoi fait par le 2e alinéa au Chapitre de la Possession a trait, surtout, aux caractères que doit avoir la possession des servitudes pour être garantie par des actions, notamment, dêtre paisible, publique, non précaire (art. 193, 196 et 197) et quelquefois annale (art. 215); il a trait aussi au délai dans lequel les actions possessoires doivent être intentées (art. 217) et à la défense de cumuler le possessoire et le pétitoire (art. 218).
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(d) Les questions préjudicielles sont celles qui doivent être jugées avant le jugement du fonds (prœ judicium), c'est-à-dire avant la question principale; elles peuvent avoir plus d'importance que celle-ci; mais elles ont toujours un caractère incident dans la procédure.
(e) Il eût été plus méthodique, peut-être, d'en réserver l'explication au lieu où l'on est arrivé ici, en se bornant à renvoyer de l'Usufruit aux Servitudes; mais on a eu scrupule de laisser en suspens une théorie aussi importante que celle des actions. Il sera facile, d'ailleurs, de faire cette transposition dans le Projet révisé et définitif.
290. Les dispositions des trois articles précédents sont applicables aux servitudes établies par la loi.
Ce n'est pas sans une intention particulière que l'on a placé ici cette disposition qui ne se trouve pas dans les lois étrangères et que les jurisconsultes ou les tribunaux n'osent pas toujours y suppléer: elle consacre d'une façon formelle le caractère de servitudes déjà attribué par la Section précédente aux charges, limites et conditions restrictives auxquelles est soumis le droit de propriété.
Ainsi les servitudes légales, comme celles établies par le fait de l'homme, sont attachées aux immeubles activement et passivement, elles sont donc doublement réelles ou foncières, par leur objet et leur sujet; elles sont indivisibles, également au point de vue actif et au point de vue passif; elles ne peuvent être cédées, louées ni hypothéquées séparément du fonds dominant, ni grevées d'autres servitudes; enfin elles sont garanties par les mêmes actions: CONFESSOIRE, pour faire reconnaître la servitude, négatoire, pour la contester; en sous-distinguant: l'action possessoire, pour faire respecter ou rétablir le fait actuel de la possession et l'action pétitoire pour faire juger le fond du droit, cest-à-dire si les tonds voisins sont, ou non, dans la situation respective d'où naît la servitude légale.(f)
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(f) Cette théorie des actions relatives aux servitudes paraîtra peut-être difficile et compliquée: mais la difficulté ne cesserait pas parce que la loi garderait le silence: le législateur aggraverait la tâche déjà difficile des nouveaux magistrats, s'il ne remplissait pas lui-même la sienne.
Le Projet japonais aura ici une précision que ne présente aucune législation étrangère.
291. Les servitudes sont:
1° continues ou discontinues,
2° apparentes ou non apparentes,
3° positives ou négatives.
Les unes et les autres s'établissent, s'exercent et s'éteignent conformément aux trois paragraphes ci-après.
Les dispositions précédentes correspondent à la première partie de l'intitulé du présent paragraphe, à la nature des servitudes; la loi arrive maintenant à leurs diverses espèces. En réalité, on pourrait dire que les précédents articles se rapportent à leur nature commune, et ceux qui vont suivre, à leur nature particulière. En effet, par cela même que la liberté des parties est très-grande, presque absolue, pour l'établissement des servitudes, comme les avantages que chacune d'elles peut procurer sont très-variés, il faut s'attendre à ne pas leur trouver à toutes les mêmes caractères particuliers; les différences qu'elles présenteront exerceront moine une grande influence sur leur établissement, sur le mode de leur exercice et sur leur extinction, ainsi qu'on le verra aux paragraphes suivants.
Les trois divisions des servitudes ici présentées peuvent être considérées comme résultant de la nature des choses, aussi les trouve-t-on dans toutes les législations modernes et ne doit-on pas hésiter à les reconnaître au Japon; on ne pourrait varier que sur les conséquences légales à attacher à leurs différences.
La loi se borne ici à présenter les trois divisions réunies, en indiquant que leurs conséquences sont considérables; pour éviter de dogmatiser, la loi n'ajoute pas ce qu'on verra suffisamment plus loin, à savoir, que chacune des divisions peut se combiner avec les deux autres; ainsi, une servitude continue est, nécessairement, soit apparente, soit non apparente; elle est, en même temps, soit positive, soit négative; il en est de même de la servitude discontinue: elle a,en même temps, l'un des caractères de chacune des deux autres divisions. Par cela même, encore, les deux autres divisions se combinent entre elles et avec la première. On en verra la preuve dans les exemples donnés sous les articles suivants.
Le Projet ne mentionne pas une autre division des servitudes, en urbaines et rurales qu'on trouve dans le Code français (art. 687) et qu'il n'y avait aucune utilité à conserver; d'abord, parce qu'elle est théoriquement inexacte dans ce Code, ensuite parce, que, même en la rectifiant, elle serait sans intérêt pratique.
Les Romains, n'ayant pas législativement reconnu ni consacre la division des servitudes en continues et discontinues, au moins dans les termes, en avaient consacré l'idée et reconnu le caractère dans une division capitale, en servitudes de fonds urbaines et de fonds ruraux. Los mots eux-mêmes étaient mal choisis, car ils éveillaient une fausse idée de situation des lieux, une idée de ville et de campagne.(g) En réalité, les servitudes urbaines (ou de fonds urbaines) était relatives aux bâtiments, et les servitudes rurales relatives aux terrains, quelle que fût d'ailleurs leur situation, et c'est, sans doute, parce que les bâtiments sont plus fréquents à la ville qu'à la campagne et les lorrains plus fréquents à la campagne qu'à la ville, que ces expressions avaient été adoptées.
Reste à savoir quand la servitude avait l'un ou l'autre caractère.
Si les deux fonds, dominant et servant, étaient doux bâtiments, la servitude, sans aucun doute, était urbaine; de môme, si c'étaient deux terrains non bâtis, la servitude était rurale. Mais que décidait-on si l'un des fonds était bâti et l'autre non? Etait-ce le fonds dominant ou le fonds servant qui imprimait à la servitude son caractère et lui donnait son nom suivant qu'il était bâti ou non bâti? Ce n'était ni l'un ni l'autre, en cette qualité de fonds dominant ou de fonds servant; c'était le fonds dont la nature de bâtiment ou do terrain était nécessaire à l'exercice de la servitude. Ainsi, la servitude de vue était urbaine, parce qu'un bâtiment est nécessaire à la vue; la servitude de ne pas élever plus haut un bâtiment était urbaine également, ainsi que celle de pas bâtir du tout. Cependant, le bâtiment, qui était le fonds dominant, dans le premier cas, était le fonds servant dans le second cas. De même, la servitude de passage ou de puisage d'eau était toujours rurale, sans distinguer si elle était établie au profit d'une maison ou d'un champ, parce que ces deux avantages ne peuvent se tirer des maisons, mais seulement du sol.(h)
L'erreur du Code français a été de faire dépendre de la nature du fonds dominant le caractère de la servitude et de dire que la servitude est urbaine quand elle est établie en faveur d'un bâtiment et rurale quand elle est en faveur d'un fonds de terre.
Quant à l'utilité de cette division elle est nulle: chez les Romains, elle tenait lieu de la division en servitudes continues et. discontinues qui n'existait pas; aujourd'hui, même en rectifiant la définition, elle ferait double emploi avec cette dernière division; aussi ne voit pas que le Code français en reparle davantage.
Le Code italien n'a pas non plus reproduit la division des servitudes en urbaines et rurales.
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(g) Urbaine vient dp urbs, ville; rurale, de rus, campagne.
(h) On donne ici l'opinion la plus généralement admise; cependant les textes latins laissent des doutes; l'un d'eux, notamment, dit que “parmi les servitudes, les unes consistent dans le sol, les autres dans un bâtiment”; celui-là est favorable à l'opinion émise plus haut; un autre y est contraire, lorsqu'il dit que “les servitudes urbaines sont celles qui sont attachées aux édifices”.
292. Les servitudes sont continues lorsqu'elles procurent au fonds dominant une utilité permanente ou grèvent sans interruption le fonds servant, par la seule disposition des lieux et sans qu'il soit besoin de la coopération de l'homme.
Elles sont discontinues, lorsque, pour être utiles au fonds dominant, elles ont besoins du fait actuel de l'homme.
Cette division est d'une importance considérable; le Projet japonais, sans s'écarter de la définition qu'en donne le Code français (art. 088), s'est efforcé d'être plus précis encore; mais il a supprimé les exemples, qui appartiennent plutôt à un commentaire doctrinal.
Les principales servitudes continues sont: les vues droites ou obliques, sur la propriété d'autrui, à une distance moindre que celle qui constitue la servitude légale; les plantations et excavations, également plus rapprochées que ne le permet le droit commun; l'égoût des toits au delà de ligne séparative; l'aqueduc à travers le fonds d'autrui, pour amener de l'eau ou pour en évacuer. Sont encore continues, les prohibitions de bâtir ou de planter, contrairement à la liberté légale des propriétaires.
Dans ces divers cas, il est évident qu'une fois les lieux disposés pour la servitude, celle-ci s'exerce d'elle-même, activement et passivement, sans le fait actuel de l'homme, c'est-à-dire, non-seulement sans que le propriétaire du fonds servant ait à accomplir quelque acte, puisque “la servitude n'oblige pas à faire, mais à souffrir”, mais même sans que le propriétaire du fonds dominant, ou quelqu'un pour lui. ait besoin d'accomplir un fait actif d'usage.
Quelques auteurs ont pourtant hésité à admettre comme continues les servitudes dégoût, des toits ou d'aqueduc, sons le prétexte que la pluie et les eaux naturelles ou artificielles présentent des intermittences; mais c'est un doute mal fondé: l'avantage du fonds dominant et l'assujettisement du fonds servant sont permanents dès que, par la disposition dos lieux, l'égoût de la pluie ou l'écoulement des eaux peuvent se produire aussi souvent que la nature le permettra.(i)
Au contraire, il y a discontinuité do la servitude, lorsque la disposition des lieux, une fois appropriée, ne suffit pas à son exercice, mais qu'il faut encore un fait actif du propriétaire du fonds dominant, comme dans la servitude de passage sur le fonds d'autrui, dans celle qui permet d'y puiser ou d'y faire puiser de l'eau portative (non conduite), d'y faire paître des animaux (pacage), d'y prendre ou d'y faire prendre des matériaux, tels que lois, pierres, sables, etc. Or, l'homme, d'après sa nature, ne peut accomplir, d'une façon continue, aucun acte volontaire.
On pourrait rencontrer ici un scrupule (un doute) pareil au précédent, à l'égard du pacage: si la servitude permettait de laisser les animaux placés sur le fonds dominant, passer et paître en liberté sur le fonds servant, non clos d'ailleurs, il semblerait qu'aucun fait de l'homme n'étant ici nécessaire, la servitude serait continue: mais ce serait encore une illusion: il y aurait toujours le fait, par le propriétaire du fonds dominant, d'avoir des animaux sur son fonds, fait qui n'est pas permanent de sa nature, qui peut cesser, puis recommencer, qui peut donc être et sera souvent intermittent.
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(i) Le Code italien (art. 619) classe parmi les servitudes continues, “ les prises d'eau, au moyen d'un canal ou orifice, lors même que l'écoulement ne serait permis que par intervalles fixes ou par tours de jours ou d'heure.”
Cette disposition, que le législateur est toujours le maître d'adopter, n'est pas conforme aux principes: il faut nécessairement un fait de l'homme pour ouvrir ou fermer l'orifice ou la bouche d'eau: la servitude n'est donc pas continue de sa nature: c'est à peine si on pourrait lui reconnaître ce caractère dans le cas, sans doute sans exemple, où l'ouverture et la fermeture de l'orifice se feraient automatiquement, par le moyen d'une machine; car il faudrait toujours qu'elle fût chauffée, si elle était à vapeur, ou remontée, si elle était purement mécanique. Il y aurait toujours là “un fait de l'homme” pour l'exercice de la servitude.
293. Les servitudes sont apparentes, lorsqu'elles se révèlent par des ouvrages extérieurs ou par des signes visibles.
Elles sont non apparentes, dans le cas contraire.
Cet article ne diffère de l'article 689 du Code français que par la suppression des exemples qui s'y trouvent et par une plus grande concision.
On peut remarquer, en outre, que tandis que le Code français a employé l'expression d'ourrages dans le 1er alinéa et celle de signes extérieurs dans le 2e, sans qu'on puisse voir une intention particulière dans cotte place différente, on a réuni ici les deux caractères distinctifs de la servitude apparente; ils ne sont pas d'ailleurs identiques: un ouvrage est un travail de l'homme destiné à faciliter l'exercice de la servitude; un signe n'est pas toujours un ouvrage: si par exemple, pour le passage des personnes, on a laissé, depuis la limite du fonds dominant, un espace libre de plantations et de cultures, alors qu'il en existe de chaque côté, il n'y a là aucun ouvrage de l'homme, mais il y a un signe visible du droit de passage, surtout si le chemin, étant fréquenté, est battu et n'est pas envahi par les herbes; de môme, si des eaux sortant d'un fonds, ou y entrant, se sont creusé un lit naturel.
Comme exemples de servitudes apparentes, on peut citer encore: une fenêtre d'aspect ou des plantations, plus rapprochées que la distance prescrite par la loi, des toits avançant au delà de la ligne séparative, un aqueduc non souterrain.
Comme servitudes non apparentes, il y a: l'aqueduc souterrain, les droits de puisage, de pacage, de prise de matériaux sur le fonds d'autrui et toutes les servitudes consistant dans des prohibitions ou restrictions à la liberté légale dos propriétaires, ou servitudes négatives; objet de l'article suivant.
294. Les servitudes sont positives:
1° Lorsqu'elles autorisent le propriétaire d'un fonds à tirer quelque avantage du fonds d'autrui;
2° Lorsqu'elles l'autorisent à faire sur son propre fonds quelque ouvrage que la loi interdit, en général, dans l'intérêt des voisins.
Elles sont négatives:
1° Lorsque le propriétaire d'un fonds peut interdire au voisin de faire, sur son fonds propre, un des actes permis, en général, aux propriétaires;
2° Lorsqu'un propriétaire peut s'abstenir de faire ou de souffrir sur son propre fonds un des actes que le droit commun ordonne d'y accomplir ou d'y permettre dans l'intérêt des voisins.
Cette division des servitudes n'est pas annoncée dans le Code français, mais elle se trouve indiquée incidemment, sans sa dénomination propre, et sous celles de prohibition, comme exemple do servitudes non apparentes. Le Code italien la consacre plus formellement (art. 631).
Elle mérite cependant une grande attention, comme on l'a déjà pu pressentir, au sujet dos actions confessoires et négatoires (v. art. 289) et comme l'étendue du présent texte le fait immédiatement reconnaître.
Une servitude est positive (ou affirmative) quand son effet immédiat et direct est d'étendre pour le propriétaire du fonds dominant le droit d'agir que la loi lui donne normalement, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds voisin. Elle est négative (ou prohibitive), lorsqu'elle donne au propriétaire du fonds dominant le droit de défendre au voisin des actes que le droit commun permet à chacun d'accomplir, soit sur son propre fonds, soit sur le fonds contigu.
Comme exemples de servitudes positives, on peut citer, dans l'ordre du texte:
1° Sur le fonds voisin: l'aqueduc, l'égoût des toits, le passage, le puisage, le pacage, la prise de matériaux;
2° Sur le fonds dominant lui-même: les fenêtres d'aspect ou obliques, les plantations ou excavations à des distances moindres que celles que la loi prescrit.
Comme servitudes négatives, on trouve:
1° Les prohibitions de bâtir, de planter, d'ouvrir des vues droites ou obliques, de pratiquer des excavations, soit d'une manière absolue, soit à moins d'observer une distance ou des conditions autres que celles prescrites par le droit commun;
2° Les prohibitions d'écouler les eaux naturelles ou artificielles, dans les cas où il y a, au contraire, servitude légale d'aqueduc ou d'écoulement des eaux; de même l'affranchissement de la contribution au bornage ou à la clôture, ou celui de céder la mitoyenneté.
On a dit plus haut que ces divisions des servitudes, tirées de leur nature envisagée à des points de vue différents, peuvent se combiner ensemble.
Ainsi, une servitude peut être continue et apparente, comme la servitude de vue et d'aqueduc avec un canal extérieur; elle peut être continue et non apparente, comme celle d'aqueduc avec canal souterrain et comme toutes les servitudes négatives ou prohibitives.
La servitude peut etre discontinue et non apparente, comme le droit de prendre sur le fonds voisin de l'eau ou des matériaux.
Il est évident aussi que les servitudes positives sont les unes apparentes et les autres non apparentes; tandis que les servitudes négatives sont toujours non apparentes.
§ II. DE L'ÉTABLISSEMENT DES SERVITUDES.
295. Toutes les servitudes peuvent être établies par convention entre les propriétaires ou par testament.
Dans l'un et l'autre cas seront observées les règles ordinaires des aliénations de droits réels immobiliers, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, pour leur validité, tant entre les parties qu'à l'égard des tiers.
Cet article, au lieu de dire que toutes les servitudes peuvent s'établir par titre, selon l'expression un peu vague du Code français (art. 690 et 691) et du Code italien (art. 629 et 630), préfère indiquer directement de quels titres il s'agit; or, en cette matière, il n'y en a et. il ne peut y en avoir que deux: la convention et le testament.
Ce mode d'établissement est commun à toutes les servitudes, continues et discontinues, apparentes et non apparentes, positives et négatives, et, lors même que la raison en comprendrait un plus grand nombre d'espèces, on comprendrait aussi que toutes s'établissent encore par titre; car il s'agit ici des servitudes “établies par le fait de l'homme”; or, le titre n'est autre chose que la volonté de l'homme, dans sa manifestation la plus directe.
La loi n'a d'ailleurs, à entrer ici dans aucun détail sur la forme et les conditions de validité des conventions et du testament, lesquels n'ont pas lieu d'être modifiées par cet objet particulier: les servitudes sont des droits réels, des démembrements de la propriété, elles se constitueront donc par convention ou testament, comme les autres droits réels et comme se transfère la propriété; mais elles sont des droits immobiliers, la capacité du constituant est plus limitée que s'il s'agissait de droits mobiliers; enfin, certaines mesures de publicité sont requises pour mettre les tiers à l'abri de surprises s'ils acquéraient le fonds servant sans savoir qu'il est grevé de servitudes.
C'est dans la IIe partie du présent Livre que l'on trouvera les règles qui concernent la capacité des contractants et dans le Livre III, les moyens de publicité des aliénations d'immeubles prescrits dans l'intérêt des tiers.
296. Les servitudes continues et apparentes peuvent être acquises par la prescription, au moyen d'une possession de la nature et de la durée requises pour l'acquisition de la propriété immobilière.
La prescription acquisitive est toujours un “fait de l'homme,” mais elle ne constitue pas un titre; tout au plus, pourrait-on dire qu'elle en fait présumer l'existence antérieure, c'est-à-dire quelle en constitue la preuve, par présomption légale (v. p. 106).
Il est naturel que la prescription acquisitive soit admise en matière de servitudes, comme en matière d'usufruit et de propriété; mais la loi ne l'admet que pour les servitudes qui présentent le double caractère de continuité et d'apparence. En effet, la prescription a pour base et pour justification la possession, c'est-à-dire l'exercice prolongé du droit prétendu comme appartenant au possesseur; or, la loi exige pour la prescription de la propriété que la possession soit continue et publique; elle ne fait ici qu'appuyer davantage sur ces deux conditions: sans doute, quand il s'agit de la possession de l'usufruit ou de la propriété, la continuité est compatible avec des intermittences dans les actes: l'usufruitier, ou celui qui possède comme un propriétaire, ne peut à tout moment, labourer, semer, planter, récolter, ni même se promener sur le fonds ou occuper les bâtiments; il suffira que l'ensemble de ses actes présente la régularité de ceux d'un véritable usufruitier ou d'un véritable propriétaire; quant à la publicité, elle sera suffisante quand les actes pourront être vus ou connus au dehors, de sorte que celui contre lequel la prescription court puisse en être informé et y mettre obstacle, s'il le juge à propos.
En matière de servitudes, la loi est plus exigeante: la continuité doit être absolue, l'exercice doit être de tous les instants, et comme, ainsi qu'on l'a déjà observé (p. 317), l'homme ne peut accomplir aucun acte sans repos ni intermittences, il n'y a que les servitudes “ s'exerçant sans le fait de l'homme” qui aient une continuité suffisante pour s'acquérir par prescription; dans les autres cas, s'il s'agissait d'un passage, par exemple, il pourrait n'avoir lieu qu'à des intervalles plus ou moins éloignés et le propriétaire du fonds prétendu servant ne manquerait pas d'alléguer qu'il n'a laissé exercer le passage qu'à titre précaire ou de simple tolérance.
De même, la loi aggrave la condition de publicité, en exigeant que l'exercice continu de la servitude se révèle par des ouvrages ou signes extérieurs qui, parlant constamment aux yeux du propriétaire dont le fonds est grevé, le provoqueront à mettre obstacle à la servitude, si elle est illégalement exercée, ou feront présumer son acquiescement, s'il garde le silence pendant le temps de la prescription.
La loi renvoie, sans détails, aux autres conditions générales requises pour que la possession conduise à la prescription acquisitive, ce qui équivaut à dire que la possession ne doit être ni précaire, ni violente; cela fait allusion aussi à l'influence du juste titre ou de l'absence de titre, à la bonne foi ou à la mauvaise foi (v. p. 97 à 101,120 et suiv.).
Il y avait à trancher ici une question souvent débattue en France, à savoir, si la prescription acquisitive des servitudes exigerait une possession uniforme de 30 ans, comme paraissent l'exiger, absolument et sans distinction, le Code français (art. 690) et le Code italien (art. 629), ou si, d'après le droit commun de la prescription immobilière, le délai ne serait pas réduit à 10 ans, lorsque le possesseur aurait juste titre et bonne foi. En admettant que les deux lois précitées aient entendu s'écarter ici du droit commun, en exigeant toujours 30 ans de possession, ce qui n'est pas certain, les raisons de cette exception-ne sont ni assez solides, ni assez démontrées pour obliger à s'écarter du droit commun. Le Projet s'y réfère donc pour la durée de la possession autant que pour ses autres conditions.
297. Les servitudes continues et apparentes sont considérées comme tacitement établies par la destination du propriétaire, lorsque deux fonds, actuellement séparés, ayant primitivement appartenu à un seul propriétaire, celui-ci avait établi ou laissé subsister entre eux une disposition des lieux constitutive de cette sorte de servitude, et que, lors de la séparation des fonds, il n'a été rien fait ni stipulé qui modifie cet état de choses.
Ce cas particulier de constitution tacite de la servitude porte en Europe le nom assez heureux (medzorachi) de destination du père de famille (v. C. fr., art. 692 à 694; C. ital., art. 632); si on ne le conserve pas dans le texte japonais, c'est que l'expression n'y aurait pas la même valeur(j); d'ailleurs l'intérêt n'est pas ici dans les mots, mais dans l'idée, c'est-à-dire dans l'intention tacite, révélée par les circonstances du fait.
Mais on se trouve ici en présence d'une bien grosse difficulté à laquelle donne lieu la rédaction obscure de l'article 694 du Code français rapproché de l'article 692.
D'après l'article 692, l'établissement de la servitude par destination du père de famille n'aurait lieu que si l'état respectif des lieux, disposés convenablement par le propriétaire unique, devait être constitutif “d'une servitude tout à la fois continue et apparente”; tandis que l'article 694 paraît se contenter du second caractère, "d'un signe apparent de servitude.” Pour concilier ces deux articles, il n'existe pas moins de cinq systèmes qui ont chacun en leur faveur des auteurs recommandables et des décisions judiciaires.
Le Code italien ne présente pas la même difficulté: il est formel pour n'admettre la destination du père de famille que pour les servitudes “continues et apparentes' (art. 629) et il n'a pas reproduit la disposition équivoque de l'article 694 du Code français.
Le Projet japonais ne pouvait négliger de se prononcer et il exige également la continuité et l'apparence pour que la servitude soit tacitement établie par la destination du propriétaire, rapprochée de la circonstance que rien n'a été changé lors de la séparation des fonds.
Un exemple fera bien comprendre la situation. Un propriétaire à bâti sur un terrain lui appartenant; il a mis les ouvertures à son gré, parce que le terrain lui appartenait tout autour, à une distance suffisante pour n'être pas sujet aux réclamations des voisins; à ce mo ment, on ne peut pas dire qu'il jouisse d'une servitude de vue droite ou directe; car “on ne peut avoir un droit de servitude sur sa propre chose”; c'est un axiôme de droit (nemini res sua servit). Plus tard, il vend, soit le bâtiment, soit le terrain contigu au bâtiment, et les ouvertures ne sont pas supprimées au moment du contrat et rien non plus n'y est stipulé pour la suppression ultérieure des vues. Dans ce cas, l'origine de la disposition des lieux rapprochée de i'inaction et du silence des parties, prouve l'intention évidente quoique tacite des parties de maintenir l'état de choses préexistant, lequel devientu ne servitude véritable pour l'avenir. Il serait donc exact de dire qu'ici la servitude est “établie par une convention tacite” et le Code français n'est pas éloigné de cette idée, lorsqu'il dit: “la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes” (art. 692).
Dans l'exemple ci-dessus, on a supposé que le fonds sur lequel ont été faits les travaux était unique et a été ensuite divisé; on pourrait supposer aussi que, primitivement, il y avait deux fonds distincts, un terrain et un bâtiment, qu'ils ont été ensuite réunis dans les mêmes mains et que les ouvertures ont été alors pratiquées dans le bâtiment; on peut supposer que les ouvertures étaient déjà pratiquées dans le bâtiment avant la réunion des fonds et qu'elles auraient pu être supprimées comme illégalement pratiquées, mais que le propriétaire, désormais unique, des deux fonds, n'ayant plus d'intérêt à leur suppression les a laissées subsister; c'est comme s'il les avait établies lui-même. Enfin, on pourrait encore supposer qu'avant la réunion des deux fonds dans les mêmes mains, la vue sur la propriété voisine était valablement établie comme servitude; la réunion des fonds a opéré l'extinction de la servitude par confusion (comme on le verra au § IV); plus tard, quand les fonds ont été de nouveau séparés, la servitude a repris naissance par la double circonstance que la disposition des lieux n'a pas été changée et que le contrat n'a pas déclaré qu'elle serait supprimée.(k)
On a supposé aussi, dans l'exemple précité, que le propriétaire des deux fonds a aliéné l'un et gardé l'autre, sans distinguer d'ailleurs, s'il a vendu celui qui va se trouver le fonds dominant, ou celui qui sera le fonds servant; on, peut supposer aussi qu'il les aliène tous deux à des acquéreurs différents, ou même qu'à sa mort, les fonds sont attribués divisément à ses différents héritiers. Toutes ces hypothèses rentrent dans la destination du propriétaire.
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(j) Déjà, en matière d'usufruit, on a dû remplacer l'expression:“jouir en bon père de famille,” par celle de “jouir en bon adminis trateur” (v. art. 46).
(k) Certains auteurs croient que c'est là l'hypothèse prévue par l'article 694, et que dans ce cas, il suffirait que la servitude fût apparente, sans être continue, comme un passage avec porte ou chemin tracé. C'est là un des cinq systèmes de conciliation proposés.
298. Les servitudes discontinues et les servitudes non apparentes ne peuvent être établies que par l'un des deux titres prévus à l'article 295.
La prescription et la destination du propriétaire ayant été limitées aux servitudes continues et apparentes, il ne reste plus que le titre qui soit applicable à celles qui ne réunissent pas ces deux caractères.
Cet article pourrait, à la rigueur, être considéré comme une conséquence assez évidente des deux articles précédents pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'insérer dans le texte. Toutefois, plusieurs raisons ont fait préférer son insertion.
D'abord, on avait le double précédent des Codes français et italien qui, n'ayant pas de motif plus impérieux de s'expliquer sur ce point, n'ont pas craint de le faire (C. fr., art., 691; C. ital., art. 630). Ensuite, il paraît bon que chaque classe de servitudes ait ici sa part directe et déterminée dans les moyens d'établissement. Enfin, cet article sert de transition à l'article suivant qui nous ramène au titre.
299. Le propriétaire du fonds prétendu dominant sera dispensé de représenter un titre originaire constitutif de la servitude ou d'en prouver directement l'acquisition par prescription ou par destination du père de famille, s'il peut produire un acte émanant du propriétaire du fonds servant ou de l'un de ses prédécesseurs et portant reconnaissance de la servitude, comme constituée antérieurement par l'un des trois modes ci-dessus énoncés.
Cet article présente une assez large extension de la disposition de l'article 695 du Code français, reproduit lui-même par l'article 634 du Code italien.
Ces deux Codes paraissent restreindre l'admission du titre récognitif destiné à suppléer le titre originaire ou primordial, au cas où la servitude ne s'établit que par titre, ce qui est limiter ce bénéfice aux servitudes discontinues ou non apparentes. Le Code italien est formel en ce sens. Quant au Code français, il a bien dit que “la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes” (art. 692),. et sa rédaction équivoque de l'article 694 ferait croire quelle vaut titre également pour les servitudes simplement apparentes; d'où l'on semblerait autorisé à conclure que ce titre fictif peut être suppléé aussi par un titre récognitif; mais cette extension est difficile, en face des termes mêmes de l'article 695 qui n'admet le titre récognitif “que pour les servitudes qui ne peuvent s'acquérir par proscription”, ce qui est arriver, par une autre voie, à limiter le bénéfice de l'acte récognitif aux servitudes discontinues et non apparentes. Or, ce résultat de la loi, prise à la lettre, est tout à fait déraisonnable; car, on arriverait à dire que si la servitude continue et apparente avait été établie, en fait, par un titre, au lieu de l'être par prescription ou par destination du père do famille, ce titre primordial ne pourrait être remplacé par un titre récognitif; il est permis de croire que la loi n'a pas entendu exclure le titre récognitif dans ce cas. Quoiqu'il en soit, le Projet japonais est plus large que les deux Codes européens précités: il ne distingue pas si la servitude a été, en fait, établie par titre (ce qui est le cas de toutes les servitudes péut être d'après l'art. 295), ni si, en droit, elle ne pouvait l'être que par ce seul moyen; dans tous les cas, il permet de remplacer la preuve directe d'une constitution de la servitude par un titre récognitif ou “portant reconnaissance de la constitution antérieure par l'un des modes légaux.” Le seul cas où le titre récognitif serait sans valeur, est celui où il reconnaîtrait un modo antérieur do constitution inapplicable au genre de servitude dont il s'agirait: par exemple, s'il reconnaissait qu'il y a eu prescription, pour une servitude qui ne serait pas continue et apparente, ou même destination du propriétaire, pour une servitude qui n'aurait pas ces deux mêmes caractères.
L'utilité de l'acte récognitif est facile à saisir dans chacun des trois cas de constitution de la servitude.
Dans le cas d'un titre primordial, il peut être obscur et les parties veulent prévenir un procès entre leurs héritiers respectivement, en le rédigeant mieux; ou il a été perdu et elles veulent le remplacer. Dans le cas de la prescription, elles veulent constater, sans recourir à un jugement, qu'elle a été régulièrement acquise.
Enfin, dans le cas de la destination du propriétaire, elles veulent constater que les circonstances particulières qui la constituent ont réellement existé.
Lorsque le Projet sera arrivé aux Preuves (Livre V), on retrouvera le titre récognitif dans ses autres applications. Le Code français, dans l'article 695 précité, s'il a trop limité l'emploi de l'acte récognitif en matière de servitudes, a cru, au moins, devoir l'affranchir de certaines conditions de forme qu'il lui impose dans les autres cas, par l'article 1337.
300. Le droit de servitude légalement acquis emporte les droits et facultés accessoires nécessaires à son exercice, d'après sa nature.
Au surplus, si la servitude a été établie par titre, les règles générales sur l'interprétation des conventions ou des testaments seront observées; si elle a été acquise par la prescription, son étendue se mesure sur celle de la possession effective; si la servitude résulte de la destination du propriétaire, son étendue se détermine d'après l'intention présumée du constituant.
La distinction des droits principaux et des droits accessoires est déjà connue par l'article 15, et l'on a vu. plus haut, à plusieurs reprises, que les servitudes sont des droits accessoires de, la propriété du fonds dominant; mais elles présentent cette singularité que si elles sont accessoires, d'un côté, elles sont, d'un autre côté, des droits principaux et elles ont, à leur tour, comme corollaires, des droits accessoires qui n'existent et ne subsistent que par elles et pour elles. Ainsi, le droit de puiser de. l'eau chez autrui entraine virtuelle ment le droit de passage pour prendre l'eau;(l) il en est de même des autres servitudes qui permettent de prendre des matériaux sur le fonds d'autrui. Mais, bien entendu, le passage sera limité, quant au temps et quant au lieu, à ce qui est nécessaire pour l'exercice de la servitude. Ainsi encore, le droit de faire des charrois de matériaux ou de récoltes à travers le fonds d'autrui emporte celui de faire accompagner les chevaux et voitures par un conducteur et celui de ramener les voitures vides (à vide). Mais les personnes ne pourraient passer seules, si ce n'est au retour d'un charroi effectué.
Dans la pratique, il pourra y avoir une certaine tolérance, surtout si les voisins sont en bonnes relations; mais la loi statue toujours pour le cas où il n'y a pas accord des parties.
Indépendamment des droits et facultés accessoirement attachés aux servitudes, il pourra se présenter des difficultés sur l'étendue que doit avoir la servitude. La loi se borne à poser les règles générales qui devront guider les tribunaux. Le texte suppose successivement les trois modes d'établissement des servitudes.
1° Au cas de constitution par titre, c'est-à-dire par convention ou par testament, on appliquera les règles ordinaires d'interprétation en ces matières: elles se trouveront dans le Code à leur place naturelle. Il suffit de dire ici que les tribunaux doivent, dans l'interprétation des conventions, rechercher la commune intention des parties, plutôt que de s'attacher au sens littéral des termes employés; dans l'interprétation des testaments, ils doivent rechercher l'intention probable du testateur et s'attacher encore moins aux termes mêmes du testament, puisqu'ils n'ont pas été adoptés après discussion ou contradiction du légataire.
S'il reste des doutes aux juges, ils doivent adopter le sens le moins défavorable au fonds servant; car la liberté respective des fonds est le droit commun et l'assujettissement de l'un vis-à-vis de l'autre est l'exception.
2° Au cas d'acquisition par la prescription, l'étendue de la servitude sera, dit le texte, “mesurée sur la possession effective.”
La loi consacre par ces mots un principe traditionnel en matière de prescription, à savoir que “autant il y a eu possession, autant il y a prescription” (tantum prœscriptum quantum possessum). Ainsi, celui qui a possédé, pendant le temps voulu pour prescrire, une ou deux ouvertures donnant des vues droites, à une distance moindre que la distance légale, ne pourra, plus tard, une fois son droit acquis à une ou deux fenêtres d'aspect, en ouvrir une troisième; parce qu'il n'en a pas possédé trois; de même, si les fenêtres d'aspect ont été possédées à deux pieds de la ligne séparative, elles ne pourront, eh cas de reconstruction du bâtiment, être placées à une distance plus rapprochée; enfin, tout en gardant le même nombre d'ouverture et la même distance, leur position correspondant an front du fonds voisin ne pour rait être changée, par exemple, portée plus à gauche ou plus à droite: dans ces divers cas, la prescription n'a donné que les avantages même qui ont été possédés, que les droits qui ont d'abord été exercés en fait.
3° Au cas de destination du propriétaire (ou du père de famille), c'est dans l'intention probable du propriétaire qui a établi la situation des lieux que l'on recherchera l'étendue que doit avoir la servitude après la séparation. Or, cette intention se verra dans l'exercice même que l'ancien propriétaire a pratiqué, en fait, pendant que les deux fonds étaient réunis dans ses mains; elles se verra aussi dans le but qu'il paraissait vouloir atteindre et dans les circonstances où il se trouvait. Ainsi, le propriétaire a établi un aqueduc conduisant l'eau d'une partie de son fonds sur l'autre, pour les usages domestiques ou pour l'irrigation; après la séparation des fonds, le propriétaire du fonds dominant ne pourrait employer l'eau pour une industrie. Ce qui a été dit, ci-dessus, pour les vues droites acquises par prescription, s'appliquerait aussi aux mêmes vues établies par la destination du propriétaire.
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(l) Le Code français a donné cet exemple dans l'article 696, ce qui n'est pas d'un bon système législatif. L'article 696 n'est d'ailleurs pas à sa place: il devrait figurer en tête de la Section III”. relative aux “Droits résultant des servitudes.”
301. Dans le cas d'une servitude de passage, de prise d'eau, continue ou discontinue, de pacage ou autre, permettant de tirer des substances du fonds d'autrui, si le titre constitutif ou une convention postérieure ne détermine pas les quantités qui pourront être prises, ni le temps, le lieu ou le mode d'exercice de la servitude, chacune des parties pourra toujours demander au tribunal de les fixer contradictoirement avec l'autre.
Dans ce règlement, le tribunal tiendra compte des besoins respectifs des deux fonds et s'éclairera des résultats de l'exercice antérieur de la servitude.
L'imprévoyance des parties contractantes, et encore plus celle des testateurs, laissera bien souvent dos points à régler pour l'exercice de la servitude. On aura, par exemple, établi une servitude de passage, sans dire s'il s'appliquerait seulement aux personnes ou s'il s'étendrait même aux chevaux, aux voitures et aux matériaux:(m) le tribunal prendra en considération la nature des deux fonds, principalement celle du fonds dominant, et l'étendue de la servitude, son mode d'exercice seront plus larges pour un fonds exploité en culture ou en manufacture que pour une habitation d'agrément.
Pour le puisage discontinu, la quantité d'eau à prendre sera plus ou moins considérable, suivant les mêmes distinctions; quant au temps, il sera presque toujours limité au jour, sauf les cas urgents et imprévus où l'eau pourrait être nécessaire la nuit, notamment s'il y avait danger d'incendie. S'il s'agit de pacage, et que le propriétaire du fonds dominant n'ait eu qu'une ou deux vaches, une chèvre ou deux, pour le lait et le beurre nécessaires à sa famille, ou un ou deux bœufs pour le transport, le tribunal ne permettra pas, à lui ou à son successeur, de faire paître un troupeau, s'il était devenu éleveur de bétail. Pour la prise de matériaux (argile, sable, pierres, bois), la question de quantité sera la plus importante; il faudra également la régler d'après la condition du fonds dominant au moment de la constitution de la servitude; ainsi, le fonds dominant était, à cette époque, la résidence d'un haut personnage, la prise de matériaux avait été évidemment stipulée pour le service du fonds, avec cette destination, ce qui pouvait donner droit à du sable pour les allées du parc, à des pierres pour la réparation ou la réfection des murs et à du bois pour le soutien des arbres, tout au plus pour le chauffage des personnes, et vraisemblablement non pour la réfection des bâtiments; mais, si le fonds est vendu et passe dans les mains d'un potier ou d'un fabricant de briques, celui-ci ne pourra prendre l'argile et le sable pour son industrie, ni le bois pour ses fours.
Au contraire, le fonds servant pourrait profiter du changement de destination du fonds dominant: si ce fonds passait des mains d'un potier ou d'un briquetier dans celle d'un rentier ou d'un fonctionnaire:celui-ci ne pourrait continuer à prendre la même quantité de matériaux: car, ce ne pourrait être que pour les aliéner et la servitude ne donne pas ce droit (v. art. 288).
Le dernier alinéa complète ces idées, qui sont encore des règles d'interprétation, en disant: 1" que le tribunal tiendra compte des besoins respectifs des deux fonds; ce qui veut dire surtout, après ce qui précède, que lors même que les droits et besoins du fonds dominant seraient considérables, il ne faudrait pas refuser au fonds servant le droit de subvenir aux siens propres; 2° que l'exercice de la servitude avant le règlement aura pu révéler des abus auxquels il faut mettre fin, ou, au contraire, aura donné aux parties une satisfaction convenable qu'il y a lieu de consacrer ou de ne modifier que légèrement.
Cette sage disposition ne se trouve pas dans les Codes français et italien.
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(m) Le droit romain, très-complet sur la matière des servitudes, avait trois noms différents pour désigner les variétés du passage suite fonds d'autrui: iter, donnant le droit de passer à pied et à cheval; actus, donnant, en outre, le droit de faire passer des voitures et des animaux rustiques; via, ajoutant le droit de faire passer des matériaux.
La largeur du chemin était réglée pour chacun de ces droits.
302. Le propriétaire du fonds assujetti à une prise d'eau n'est responsable du manque d'eau que si elle résulte de son fait.
En cas d'insuffisance de l'eau pour les besoins des deux fonds, la priorité appartient aux usages personnels et domestiques, ensuite, aux besoins agricoles avant les besoins industriels; le tout, proportionnellement à l'importance des fonds.
S'il y a plusieurs fonds dominants, ils concourront à l'usage de l'eau pour les besoins domestiques; à l'égard des besoins agricoles et industriels, la préférence appartiendra à celui des fonds dont le droit est antérieur en date.
Si la prise d'eau était accordée à un voisin par l'effet d'un louage, le manque d'eau, même indépendant du fait du bailleur, engagerait sa responsabilité, en ce sens qu'ayant contracté personnellement l'obligation d'en fournir la jouissance, il n'aurait pas droit au prix de location pendant le temps où l'eau manquerait; mais le droit de servitude n'est pas le même que le droit résultant du bail, et lors même que la servitude aurait été constituée par vente, c'est-à-dire par un contrat qui obligé à la garantie de l'existence de la chose vendue, au moment où la vente a eu lieu, il n'en résulterait pas une garantie de sa durée indéfinie, Enfin, même si le vendeur s'était engagé à garantir la durée de l'eau pondant un temps plus ou moins long, le droit à la garantie pourrait bien passer, activement, à tout cessionnaire du fonds dominant, mais il ne passerait pas, passivement, à la charge du cessionnaire du fonds servant; l'obligation de garantie serait personnelle au vendeur et à ses héritiers.
Au contraire, quand la prise d'eau est constituée à l'état de servitude, si la privation de l'eau résulte de travaux faits par le propriétaire du fonds servant, il en est toujours responsable, sans distinguer s'il est, ou non, vendeur de la prise d'eau ou héritier du vendeur: sa responsabilité résulte de son fait personnel.
Un cas pourrait faire doute: l'eau sur laquelle la servitude a été concédée n'était pas une eau naturelle, mais elle résultait, elle-même, d'une concession faite au fonds servant, moyennant une somme à payer annuellement, comme sont, par exemple, les concessions d'eau faites par les municipalités sur leurs réservoirs; le propriétaire du fonds servant, a cessé de payer l'annuité et l'eau lui a été retirée; par suite, le fonds dominant en a été privé' également. Dans ce cas, la responsabilité du manque d'eau est-elle encourue par le propriétaire du fonds servant ? Il faut décider négativement, en principe; car “les servitudes n'obligent pas à faire mais seulement à souffrir;" pour qu'il en fût autrement, il faudrait que le constituant de la servitude se fût engagé formellement à continuer le payement de l'annuité et ce serait là une obligation personnelle n'obligeant que lui et ses héritiers et non une charge réelle imposée à tout propriétaire du fonds servant.
Les deux derniers alinéas prévoient le cas où l'eau, sans manquer entièrement, serait insuffisante pour le fonds dominant et le fonds servant réunis; la loi prévoit même le cas de deux fonds dominants.
Dans le cas où le débat n'intéresse que le fonds dominant et le fonds servant, on ne pouvait songer à donner la préférence à un fonds sur l'autre: il serait bien difficile, en raison, de justifier une pareille solution. Il a paru plus juste de distinguer entre les usages auxquels l'eau est nécessaire. En première ligne, la loi place les usages personnels et domestiques; on a déjà fait remarquer, au sujet de l'article 241, que l'eau étant, pour une certaine mesure, nécessaire à la vie et. à la santé de l'homme, la loi doit lui en assurer l'usage, quand elle le peut. Les usages agricoles viennent ensuite, parce qu'ils favorisent la production des denrées alimentaires ou autres de première nécessité; les usages industriels viennent en dernier lieu, parce que, lors même que les usines ou manufactures cesseraient de fonctionner pendant un certain temps, le dommage général qui en résulterait serait minime, comparativement à la privation de récoltes faute d'irrigation.
Le Code français est tout à fait muet sur ces difficultés; aussi, dans les localités où l'eau est rare à certaines époques, y a-t-il souvent des contestations, des querelles et quelquefois des rixes, au sujet de l'usage des eaux privées et même publiques. Le Code italien paraît s'être préoccupé davantage de ces questions; il en a même prévues d'autres, mais qui ne semblent pas devoir se présenter au Japon; il a malheureusement fait une certaine confusion entre les concessions d'eau par bail et celles constituant des servitudes foncières (v. art. 649 à 652), de sorte que ses solutions n'ont pas paru pouvoir être, en général, adoptées dans le Projet japonais; une seule l'a été, c'est celle donnée par le 3e alinéa du présent article, à savoir, la préférence accordée entre plusieurs fondsdominants, à celui dont le titre est antérieur en date.
L'hypothèse la plus fréquente de plusieurs fonds dominants est évidemment celle où un fonds dominant, d'abord unique, aura été ensuite divisé par un partage entre co-propriétaires ou co-héritiers; dans ce cas, ils n'auront droit, en totalité, qu'à la même quantité d'eau que celle qui était due primitivement au fonds unique; mais, le partage ayant la même date pour tous, ce ne sera donc pas le cas où la préférence appartiendra au fonds dont le titre est antérieur en date. Il faut supposer des ventes partielles et successives du fonds unique, ou une concession d'eau faite successivement à divers fonds voisins du fonds servant.
L'ordre des droits à l'usage de l'eau sera alors le suivant: d'abord, un droit égal ou proportionnel à l'eau nécessaire aux usages domestiques, sans distinction de la date des titres; ensuite, le droit exclusif et successif à l'usage agricole, suivant les dates; enfin, s'il y a lieu, le droit à l'usage industriel, suivant les mêmes dates.
On pourra trouver ces détails minutieux et compliqués, mais la réponse a déjà été donnée ailleurs: mieux vaut que le législateur prenne la peine de résoudre des difficultés possibles et probables que d'en laisser le soin et la responsabilité aux tribunaux.
303. Celui auquel appartient une servitude ne peut changer le mode, le temps ni le lieu de son exercice régulièrement fixés, sans le consentement du propriétaire du fonds servant, à moins que celui-ci n'en doive éprouver aucun dommage.
De son côté, si le propriétaire du fonds servant a un intérêt légitime à un pareil changement, sans que le propriétaire du fonds dominant en épreuve aucun dommage, il peut le demander et l'obtenir.
En général, les conventions particulières ne peuvent être changées que de l'accord commun des parties: de même les décisions des tribunaux forment pour ceux entre lesquels elles sont intervenues un lien qu'on assimile, avec quelque raison, à une convention et qu'on appelle souvent quasi-contrat judiciaire. La loi permet cependant ici que la volonté d'une des parties change quelque chose à la situation établie, pourvu que l'autre partie n'en éprouve pas un préjudice appréciable. Le motif de cette dérogation au droit commun est toujours le désir, par la loi, d'éviter les animosités entre voisins; or, il est probable que si l'un des voisins pouvait, par simple mauvais vouloir et dans intérêt légitime, s'opposer à la modification demandée dans l'exercice de la servitude, il en résulterait des rancunes, peut-être des haines qu'il est nécessaire de prévenir.
Au surplus, comme le dit la loi, il ne s'agit que de modifier “le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude,” non son étendue; ainsi, l'une des parties ne pourrait obtenir, par sa seule volonté, l'augmentation ou la diminution de la quantité d'eau ou d'autres substances à prendre sur le fonds servant, ni du nombre de fenêtres d'aspect acquises sur ce fonds; en pareil cas, d'ailleurs, lors-même que la faculté de demander le changement serait ouverte, elle serait impossible à obtenir, parce qu'il serait toujours facile, à celui qui résisterait au changement, d'établir qu'il en éprouverait un préjudice.
304. Si l'établissement de la servitude nécessite certains ouvrages ou travaux sur l'un des deux fonds, ils seront à la charge du propriétaire du fonds dominant, à moins qu'il n'ait été stipulé dans l'acte constitutif qu'ils seront à la charge du constituant.
Il est naturel que les travaux nécessaires à l'établissement de la servitude soient à la charge de celui qui profite de celle-ci: la loi a déjà appliqué ce principe aux servitudes légales relatives au droit d'aqueduc (v. art. 254 et 256). Les parties peuvent, du reste, y déroger par des conventions particulières et mettre ces travaux à la charge du propriétaire du fonds servant: mais il faut remarquer que celui-ci n'en serait pas tenu en celte qualité et à titre de servitude, à la différence de la convention prévue à l'article suivant, au sujet des travaux d'entretien: il serait tenu, comme constituant, personnellement, et sans qu'on ait à voir ici une dérogation à la règle que “ les servitudes obligent à souffrir et non à faire. ” Il s'agit ici, en effet, do travaux à exécuter une seule fois; ils pourraient être accomplis par le constituant après les premiers accords au sujet de la servitude et avant la convention définitive, cas auquel on n'hésiterait pas à dire que le propriétaire du fonds servant ne les a pas accomplis en cette qualité; or, ces travaux ne changent pas de nature par le moment auquel ils sont exécutés.
Au contraire, pour les travaux d'entretien qui ont un caractère périodique ou continu, il est clair qu'ils ne poliraient être accomplis avant la constitution de la servitude et que s'ils ont été imposés au constituant c'est en sa qualité de propriétaire du fonds servant; aussi va-t-on rencontrer ci-après un tempérament à cette charge réelle contraire au principe qui veut que “la servitude n'oblige pas à faire.”
305. L'entretien et la réparation des ouvrages ou travaux relatifs à l'exercice de la servitude sont également à la charge du propriétaire du fonds dominant, à moins que les réparations ne soient devenues nécessaires par la faute du propriétaire du fonds servant.
On peut aussi convenir que l'entretien et la réparation servant à la charge du propriétaire du fonds servant, même sans qu'il y ait faute de sa part; mais, dans ce cas, celui-ci pourra toujours s'affranchir de ladite charge en abandonnant au propriétaire du fonds dominant la partie du fonds sur laquelle porte la servitude.
Le 1er alinéa se justifie comme la disposition de, l'article précédent: c'est le propriétaire du fonds dominant qui a le bénéfice de la servitude; il use d'un droit qui lui appartient, il est donc naturel que les frais résultant de l'exercice de son droit soient à sa charge; il n'est pas moins naturel que si certaines réparations sont nécessitées par la faute du propriétaire du fonds servant, celui-ci les supporte.
Le 2e alinéa permet de déroger au principe, souvent cité et rappelé plus haut, que “ la servitude n'oblige pas à faire, mais seulement à souffrir.” L'exception se justifie déjà par la considération que cette charge est un simple accessoire de la servitude. De plus, et par respect pour le principe, la loi permet au propriétaire de s'affranchir de cette charge en abandonnant son droit de propriété sur la portion du fonds grevée de la servitude.
Deux remarques sont à faire sur cet abandon. En premier lieu, ce n'est pas un abandon par et simple qui devra être fait, lequel permettrait à l'Etat de s'emparer de la partie abandonnée, comme “immeuble vacant et sans maître” (art. 21 et 23): l'abandon devra être fait “au propriétaire du fonds dominant;” ce sera, en réalité, une cession et elle sera plutôt onéreuse que gratuite. En second lieu, l'abandon ne devra pas nécessairement porter sur tout le fonds assujetti, mais seulement sur “la portion du fonds sur laquelle porte la servitude. " Le Projet tranche ainsi une question encore débattue en France, sur l'article 699, et il la tranche dans le sens le plus favorable au fonds servant, contrairement à l'opinion la plus répondue. Ainsi, s'il s'agissait d'un droit de passage et que l'entretien du chemin eût été imposé au fonds servant, il suffirait d'abandonner le chemin; de même s'il s'agissait d'un aqueduc: en pareil cas, il serait trop dur et sans raison d'exiger l'abandon du fonds tout entier. On objectera peut-être que cet abandon, en déchargeant le propriétaire du fonds servant de l'obligation d'entretenir le chemin ou l'aqueduc, ne lui cause aucun préjudice et ne procure au fonds dominant aucune compensation sérieuse; mais c'est une erreur: le fonds dominant n'aura plus le chemin ou l'aqueduc à titre de servitude, mais à titre de propriété, le droit de passage, pour les personnes ou pour l'eau, ne sera plus soumis aux conditions plus ou moins gênantes de la servitude; il ne sera plus exposé à se perdre par le non-usage dont il sera question plus loin; enfin, le chemin pourrait être transformé en aqueduc ou l'aqueduc en chemin; le terrain pourrait même être affecté à un autre usage, autant que sa largeur le permettrait. Il y a donc compensation entre les avantages gagnés et ceux qui sont perdus.
Au surplus, il y aura quelquefois lieu à l'abandon entier du fonds assujetti, c'est lorsque l'assujettissement frappera lui-même le fonds tout entier. On ne peut guère citer le cas du droit de vue, ou de prospect qui pourtant assujettit le fonds servant en entier, ou tout au moins pour la partie commandée par la vue, parce que, dans ce cas, il ne peut être raisonnablement question de la stipulation d'entretien du bâtiment dominant à la charge du fonds servant; mais on aurait le cas de la charge d'entretenir une digue destinée à préserver le fonds inférieur du débordement des eaux supérieures, ou celui de la charge d'entretenir le mur de soutènement d'une haute terrasse du fonds supérieur. Dans le premier cas. l'abandon de la digue elle même placée sur le fonds assujetti n'aurait aucune utilité pour le fonds dominant, et dans le second cas, le mur à entretenir appartenant, en général, au fonds dominant et supérieur, l'abandon n'aurait pas lieu de lui être fait: il faudrait bien alors abandonner le fonds assujetti tout entier.
306. Le propriétaire du fonds servant ne perd pas le droit d'exercer toutes les facultés légales inhérentes à la propriété, en tant qu'il n'en résulte aucun obstacle à la servitude ni aucune diminution de son utilité.
Il peut même utiliser les ouvrages établis sur son fonds pour l'exercice de la servitude, en contribuant aux dépenses d'établissement ou d'entretien, proportionnellement à l'utilité respective qu'il en tire et à l'aggravation de frais qui en peut résulter.
La disposition du 1" alinéa est un principe très-important dont l'application peut être infiniment variée. Il suffit d'en donner quelques exemples. Ainsi, le propriétaire dont le fonds est assujetti à un droit do passage n'est pas moins en droit de se clore et même d'exiger la contribution du fonds dominant à la clôture commune, conformément aux articles 266 et 267, pourvu qu'il laisse une porte de communication convenable entre les deux fonds. De même, celui qui est soumis au droit de puisage ou de pacage ne perd pas pour lui-même le droit de se servir de son eau ou de faire paître ses animaux sur son fonds: pourvû qu'il n'épuise pas ou no réduise pas abusivement l'eau ou les pâturages. De même encore, celui qui est assujetti à un droit de vue ne perd pas le droit de planter des arbres à haute tige à la distance légale de six pieds fart. 282), quoique la vue doive par la être bornée, car le droit de vue est moins le droit de voir à distance et librement sur le fonds d'autrui (prospect)(n) que celui d'avoir l'air et la. lumière plus libres que ne le permettent les jours de tolérance.
Au contraire, le droit de vue interdirait au fonds servant d'établir une construction, même sans ouvertures, sur la ligne séparative: car, si le bâtiment du fonds dominant était lui-même sur cotte ligne, il y aurait obstruction complète de la vue, et s'il était moins éloigné que de trois pieds de la ligne séparative, le bâtiment du fonds servant, placé sur cette ligne même, diminuerait considérablement le bénéfice de la servitude. Dans le premier cas, le bâtiment du fonds servant ne devrait être placé qu'à trois pieds de la ligne séparative et, dans le second, à trois pieds du bâtiment du fonds dominant.
Le 2” alinéa rappelle une disposition analogue établie pour les servitudes légales (v. art. 255 et 256): il y a même motif d'utiliser pour les deux fonds les dépenses primitivement faites pour un seul; la conséquence en sera une économie pour les deux propriétaires, résultat que la loi doit toujours favoriser.
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(n) La servitude de prospect où de vue à distance doit être considérée, en général, comme entraînant celle de ne pas bâtir ou planter; autrement, elle ne différerait pas de la servitude de vue.
§ IV. DE L'EXTINCTION DES SERVITUDES.
307. Les servitudes s'éteignent:
1° par l'expiration du laps de temps pour lequel elles ont été constituées,
2° par la révocation, la résolution ou la rescision du titre constitutif ou des droits du constituant,
3° par l'expropriation pour cause d'utilité publique,
4° par la renonciation,
5° par la confusion,
6° par le non-usage pendant trente ans,
7° par la prescription acquisitive de la liberté du fonds servant au profit d'un tiers-acquéreur.
Des sept modes d'extinction des servitudes ici énumérés, les quatre derniers étant l'objet de développements dans les articles ci-après, les trois premiers seuls réclament ici quelques explications.
1er mode. On a déjà fait remarquer (p. 189 et 299) que la perpétuité n'est pas essentielle aux servitudes; sans doute, quand aucune limite de temps ne leur est assignée et quand elles n'ont pas une destination particulière que le temps ou les circonstances peuvent rendre inutile, elles seront perpétuelles dans l'intention des parties; niais le contraire peut arriver: l'article 251 en a donné déjà une application pour la servitude légale d'aqueduc, et les servitudes résultant du fait de l'homme en peuvent donner beaucoup d'autres exemples.
2e mode, C'est au sujet des droits personnels et des moyens d'acquérir les droit, tant réels que personnels, (que la loi déterminera le caractère spécial do chacun de ces trois modes d'extinction des droits, connus sous les noms de révocation, résolution et rescision. Il suffit, de donner ici. comme exemples: de la révocation, le cas d'un acte fuit en fraude des créanciers: de la résolution, le cas d'inexécution des obligations mises à la charge d'une des parties: de la rescision, le cas d'incapacité de contracter. Leur caractère commun est la destruction ou annulation de ce qui a été fait: elle est ordinairement prononcée en justice, sauf quelques cas où elle a lieu de plein droit: elle rétroagit, de sorte (que l'acte détruit est censé n'avoir jamais existé.
L'annulation peut porter, ici. soit sur. le titre même constitutif de la servitude, soit sur les droits que celui qui l'a constituée prétendait avoir sur le fonds servant: or, il est de principe qu'on ne peut conférer sur une chose plus de droits qu'on n'en a soi-même.(o)
3e mode. L'article 285 nous a déjà dit que les servitudes légales ne peuvent grever les biens du domaine public: il en est de même, et à plus forte raison, des servitudes du fait de l'homme: il serait contraire à la nature et à la destination de ces biens d'être soumis à un droit exclusif, même minime, de la part d'un particulier. t 'est par application de ce principe que si un fonds servant est exproprié pour cause d'utilité publique ou générale, il se trouve par cela même affranchi de la servitude; seulement, le propriétaire du fonds dominant recevra une indemnité, comme toute autre personne ayant un droit réel sur la chose expropriée (v. art. 32).
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(o) Il y a, à cet égard, deux axiomes souvent cités dans leur forme latine: resoluto jure dantis, resolvitur jus accipientis, “le droit de celui qui a donné étant résolu (détruit), le droit de celui qui a reçu est également résolu; " nemo dat guod non ipse habet," personne ne peut donner ce qu'il n'a pas lui-même."
308. La renonciation à la servitude doit être expresse; toutefois, si les ouvrages exécutés sur le fonds servant pour l'exercice d'une servitude continue ont été détruits ou mis hors d'usage, du consentement exprès du propriétaire du fonds dominant et sans réserves pour l'avenir, la servitude est réputée éteinte par renonciation.
La renonciation n'est valable que si le renonçant a la capacité d'aliéner ses droits immobiliers.
Quoique la loi soit plus favorable à l'extinction des servitudes qu'à leur établissement, elle ne veut pas cependant que le titulaire d'une servitude régulièrement établie soit facilement considéré comme y ayant renoncé: ici, comme pour l'usufruit (v. art. 99. 3") la loi n'admet, en principe, que la renonciation expresse et formelle, celle qui ne peut pas laisser do doutes sur l'intention du renonçant. Le cas particulier prévu ensuite est moins une exception qu'une application de la règle, par une présomption légale de volonté chez le renonçant: s'il n'a pas expressément renoncé au droit de servitude, il a renonce ainsi aux ouvrages qui constituaient par eux-mêmes l'exercice de la servitude, puisque la loi la suppose continue et, comme telle, n'exigeant pas le fait actuel de l'homme.
Quant à la capacité requise pour la validité de la renonciation, il est clair qu'elle doit être celle d'aliéner des droits immobiliers, puisque les servitudes foncières ont ce caractère. On trouvera ce qui concerne la capacité au Livre 1er et les conséquences de l'incapacité dans la IIe partie du présent Livre.
309. La servitude est éteinte par confusion, lorsque le fonds dominant et le fonds servant sont réunis dans les mêmes mains; toutefois, si l'acte qui a opéré la réunion du fonds est judiciairement révoqué, résolu ou annulé, la servitude est considérée comme n'ayant jamais été éteinte.
S'il s'agit d'une servitude continue et apparente et que, la disposition des lieux étant restée la même, les fonds soient de nouveau séparés à une époque quelconque et par quelque cause que ce soit, la servitude renaît, conformément à l'article 297.
L'extinction de la servitude par confusion est la conséquence naturelle du principe déjà mentionné, sous les articles 227 et 297, à savoir qu'une personne ne peut avoir une "servitude sur sa propre chose:” c'est aussi l'effet d'un principe plus général, bien qu'on le suive moins rigoureusement aujourd'hui que chez les Romains, à savoir que "les droits s'éloignent quand la situation devient telle que si ces droits n'existaient pas ils ne pourraient commencer.”
Le 2e alinéa confirme cette règle, quoiqu'il paraisse y déroger: on a vu que la servitude continue et apparente peut être établie par le fait d'un seul propriétaire, lorsqu'ayant disposé diverses parties de son fonds de manière à améliorer l'une par l'autre, il sépare ensuite ces diverses parties par une aliénation: or. lorsque deux fonds sur lesquels une servitude continue et apparente était antérieurement établie se trouvent réunis dans la méme main, si les ouvrages établis ne sont pas détruits, les fonds restent dans une situation où la servitude de eott" nature pourrait commencer: l'extinction n'est donc pas définitive et elle se résout par la nouvelle séparation des fonds.
Il en sera de même dans les cas prévus à la fin du 1er alinéa, où l'acquisition qui a opéré la confusion est révoquée. résolue ou rescindée: il est clair qu'alors les choses sont remises dans l'état qui a précédé l'acquisition, et ici, sans distinguer si la servitude est continue ou discontinue et si les ouvrages ont été détruits ou non.
310. La servitude est éteinte par le non-usage, lorsque le propriétaire du fonds dominant a, volontairement, ou non, laissé écouler trente ans sans exercer la servitude.
Les trente ans se comptent à partir du dernier acte d'usage, s'il s'agit d'une servitude discontinue et à partir du moment où il est survenu un obstacle matériel au fonctionnement spontané de la servitude, si elle est continue.
Dans l'un et l'autre cas, si l'obstacle à l'usage de la servitude provient d'un accident arrivé sur le fonds servant, le propriétaire du fonds dominant peut se faire autoriser à rétablir, à ses frais, l'ancien état de choses; le rétablissement se fera aux frais du propriétaire du fonds servant, si l'obstacle provient de son fait.
Si les servitudes méritent quelque protection de la part de loi. c'est, comme on l'a dit au début de ce Chapitre et répété plusieurs fois, chemin faisant, parce-qu'elles procurent ordinairement plus d'avantages au fonds dominant qu'elles ne causent de préjudice au fonds servait: mais du moment que cette utilité cesse, du moment qu'elles ne sont plus exercées, il n'y a pas de raison suffisante de laisser subsister l'assujettissement d'un fonds envers l'autre: la liberté respective des fonds doit être rétablie; c'est ce que fait la loi. lorsqu' il y a trente ans de non-usage. On a déjà rencontré une semblable disposition au sujet de l'usufruit (art. 99-4° et 103).
La loi ne permet pas de distinguer si l'usage a été volontairement négligé ou s'il a été empêché par des circonstances majeures ou fortuites: le délai de trente ans est assez long pour que. dans ce dernier cas même. le titulaire de la servitude ait pu taire remettre les choses dans un état qui permette d'exercer la servitude, (in peut donc, sans exagération, voir dans le non-usage une renonciation tacite à la servitude. ce qui serait une exception à la règle posée par l'article 308: mais, du moment que ce mode d'extinction reçoit une autre qualification légale, il n'y a pas à insister sur son caractère de renonciation tacite.
Le 2e alinéa nous indique le point de départ du non-usage, suivant les diverses espèces do servitudes. Ainsi, s'il s'agit d'une servitude discontinue, comme celles de passage, de pacage ou de puisage, les trente ans commencent à courir depuis le dernier acte accompli en conformité à la servitude: s'il s'agit d'une servitude continue, comme elle s'exerce sans le fait de l'homme, il faut, pour concevoir le non-usage, “ qu'il ait été fait un acte contraire à la servitude, " comme disent le Code français (art. 707) et le Code italien (art. 667): telle serait la suppression d'une fenêtre d'aspect pour la servitude de vue, ou la destruction d'un conduit d'eau, pour colle d'aqueduc: le présent article est plus exact, lorsqu'il exige “qu'il soit survenu uu obstacle matériel au fonctionnement spontané de la servitude;” or, cet obstacle n'est pas toujours l'œuvre de l'homme, mais il peut provenir de quelque accident, comme le suppose le 3e alinéa; enfin s'il s'agit d'une servitude négative, nécessairement continue, le non-usage commencera du moment où le propriétaire du fonds servant aura contrevenu à la prohibition, en faisant l'acte que la servitude lui interdisait de. faire. Ce cas particulier est peut-être celui qu'ont en vue les deux Codes précités: il est compris lui-même dans la formule plus large du Projet.
Le 3e alinéa ne présente pas de difficulté: la distinction qu'il présente quant aux frais de rétablissement de l'ancien état de choses est d'une équité évidente.
Le Projet n'a pas cru devoir s'expliquer sur un point que cependant le Code italien a réglé (art. 669) et sur lequel il y a des doutes, en France: à savoir, s'il y a non-usage suffisant pour l'extinction d'une servitude continue, lorsque la destruction des ouvrages n'est pas complète, et qu'il en reste “des vestiges.” Rationnellement, si ces vestiges sont suffisants pour procurer un usage, même incomplet, de la servitude, celle-ci n'est pas éteinte; elle le sera dans le cas contraire; déjà l'article 308, ci-dessus, donne une "solution analogue au sujet de la destruction volontaire des ouvrages ou de leur “mise hors d'usage.”
311. Si le fonds dominant est indivis entre plusieurs, l'exercice de la servitude par un seul des co-propriétaires conserve le droit des autres.
Au surplus, les causes qui suspendent ou interrompent le cours de la prescription libératoire sont applicables au non-usage des servitudes.
L'indivisibilité des servitudes signalée, par l'article 287 produit ici un effet très-saillant: l'exercice de la servitude par un des co-propriétaires indivis du fonds dominant préserve les autres de la perte par le non-usage. Il n'en serait plus de même, si le fonds dominant avait été partage entre les co-propriétaires: il y aurait alors plusieurs fonds dominants et l'un pourrait conserver son droit pendant que les autres perdraient le leur.
Le non-usage a plus d'analogie avec la prescription libératoire des obligations qu'avec la prescription acquisitive des droits réels, quoique les Romains l'aient quelquefois qualifié, et, après eux. les modernes: "usucapion de la liberté du fonds:” ce qui le rapproche do la prescription libératoire, c'est qu'il n'est pas nécessaire que le propriétaire du fonds servant fasse aucun acte de possession contraire à la servitude, avec les caractères de la possession requise pour l'usucapion; ce serait forcer les, mots que de dire que pendant le non-usage, le propriétaire du fonds servant possède sa liberté: la possession exige l'intention d'avoir à soi la chose possédée et le fait de se comporter, par des actes d'usage, comme si l'on avait réellement le droit qu'on exerce; or, on ne rencontre pas nécessairement chez le propriétaire du fonds servant ces deux conditions de la possession utile pour prescrire: le fait et l'intention: le cas où il serait plus plausible de dire qu'il y a “usucapion de la liberté du fonds” serait celui où la servitude était négative, consistait, par exemple, dans une prohibition de bâtir, et où le propriétaire du fonds servant à bâti; cependant, il pourrait arriver qu'il eût cessé de posséder ses bâtiments, par absence ou autre cause, et malgré cela, l'extinction de la servitude par non-usage n'aurait pas moins lieu. Il faut donc reconnaître qu'en réalité le fonds servant est libéré par la seule négligence du propriétaire du fonds dominant, par sa renon dation tacite; comme, dans le cas d'une obligation purement personnelle, le débiteur est libéré par la seule négligence du créancier, laquelle fait présumer, soit un abandon par et simple de son droit, soit une transaction ou un arrangement dont la preuve est perdue.
Le 2e alinéa établit donc, comme principe général, l'assimilation qui précède entre le non-usage et la prescription libératoire; il en laisse les conséquences à déduire à la sagacité des magistrats: il aurait pu, comme le Code français (art. 710) et le Code italien (art. 668), ajouter que “si. parmi les co-propriétaires du fonds dominant, il se trouve une personne contre laquelle la prescription n'ait pu courir, comme un mineur, il aura conservé le droit des autres;” ce qui est encore un effet de l'indivisibilité des servitudes; mais la question de savoir si la prescription courra, ou non, contre les mineurs, au Japon, n'est pas encore tranchée, et il ne fallait pas la préjuger ici: si le système qui suspend la prescription à l'égard des mineurs et des interdits est admis ultérieurement, le présent article, restant dans la généralité des principes, n'y fera pas obstacle.
312. La servitude est éteinte par prescription, lorsque le fonds servant a été acquis et possédé par un tiers comme libre de la servitude et que celle-ci n'a pas été exercée pendant le temps requis pour la prescription des droits immobiliers.
Le cas prévu par cet article est véritablement celui de "l'asueapion de la liberté” du fonds servant: en même temps qu'il y a eu non-usage de la part du propriétaire du fonds dominant, il y a eu, par un tiers possession du fonds servant comme libre de la servitude. Le résultat sera que le délai de trente ans ne sera plus nécessaire: s'il y a. au protit du tiers-acquéreur, juste titre et bonne foi. ce qui est le cas le plus favorable pour la prescription (v. p. 99 à 101. 105 et 106, 123 à 126). le délai pourra n'être que de dix ans, si. d'ailleurs, on admet les mêmes délais qu'en France (v. art. 2265).
Il n'est pas nécessaire, pour l'application du présent article, que le tiers-acquéreur ait acquis le fonds lui-même par prescription, il suffit, et il arrivera plus souvent, sans doute, qu'il ait acquis le fonds servant par un titre régulier émané du vrai propriétaire; mais 1 faut supposer qu'il n'a pas acheté la liberté du fonds en traitant avec le titulaire de la servitude; il a reçu comme libre le fonds vendu et s'il a ignoré l'existence de la servitude, il s'en trouvera affranchi après dix ans de possession de cette liberté.
Tous les auteurs n'admettent pas cette solution en droit français et elle n'est même pas celle de la jurisprudence française; mais cela tient à l'absence d'un texte précis qui manque au Code français et. qu'il ne fallait pas négliger d'introduire dans le Projet. Il y aura de cette manière une parfaite harmonie quant au délai entre l'établissement et l'extinction des Servitudes par la prescription (v. art. 296).
313. L'étendue des avantages conférés par la servitude peut être diminuée quant au mode, quant au temps et quant au lieu de son exercice, par l'effet du non-usage ou de la prescription.
Cet article répond à l'article 708 du Code français qui n'est pas sans quelque obscurité.
Il pourrrait arriver que le propriétaire du fonds dominant, sans négliger entièrement l'usage de la servitude, ne l'eût pas exercée dans toute sa plénitude; en pareil cas, il ne l'aurait ni perdue ni conservée toute entière, elle se trouverait diminuée dans ses avantages, quant au mode, quant au temps et quant au lieu. Ainsi, quant au mode: celui qui avait le droit de passage à pied et avec voitures serait resté- trente ans sans faire passer de voitures; ou bien, ayant le droit d'ouvrir deux ou plusieurs vues droites, à moins de trois pieds de la ligne séparative, on n'en aurait ouvert qu'une seule; ayant le droit d'empêcher toute construction ou plantation dans une direction déterminée, on y aurait laissé élever un bâtiment ou des plantations plus ou moins élevées.
Quant au temps: pouvant puiser de l'eau à foute heure du jour et de la nuit, on serait resté trente ans sans en puiser pendant la nuit; de même pour le passage.
Quant an lion: pouvant envoyer dos animaux paître dans toutes les parties du fonds voisin, on n'aurait usé du droit que pour une portion déterminée; par exemple, le fonds servant ayant été partagé en plusieurs lots, on aurait négligé d'exercer le pâturage sur l'un des lots.
Dans ces divers cas, qu'il s'agît du non-usuge ou de la prescription, la perte serait la même.
La réciproque ne serait pas toujours vraie: si le propriétaire du fonds dominant avait changé le mode. le temps et le lieu de l'exercice de la servitude, il ne pourrait pas nécessairement se prévaloir du changement. s'il y trouvait avantage; il faudrait, pour cela, que la servitude fût continue et apparente c'est-à-dire susceptible de s'acquérir par la possession.
Parmi les sept modes d'extinction des Servitudes, on n'a pas rencontré, comme pour l'usufruit, l'abus de jouissance. En France, où cette cause d'extinction n'est pas non plus formellement énoncée dans la loi, quelques auteurs ont pensé qu'elle pouvait être suppléée. On n'a pas cru devoir adopter cette opinion et la consacrer dans le Projet; il n'y a d'ailleurs pas identité de motifs: l'usufruitier ayant la possession entière et exclusive de la chose soumise à son droit, se trouve, par cela même. en situation de la coin promet Ire plus gravement que le titulaire d'une servitude: par la même raison, sa possession et ses actes n'ont pas le contrôle continu du nu-propriétaire, lequel, au contraire, peut être exercé facilement et à chaque instant par le propriétaire du fonds servant. Il suffit donc de soumettre le titulaire au droit commun de la responsabilité de ses actes.
Au surplus, on pourrait, dans quelques cas, admettre la révocation pour abus de jouissance, d'après les principes généraux; ce serait dans le cas où, la servitude ayant été constituée à titre onéreux et synallagmatique, avec des charges et conditions protectrices des intérêts du fonds servant, le titulaire aurait manqué à remplir ces conditions: il y aurait lieu alors à la résolution pour inexécution dos conditions: mais ce cas d'extinction rentre dans celui plus général qui a été prévu et expliqué à l'article 307, 2e alinéa.