Art. 312. — 485. L'indivisibilité des servitudes signalée par l'article 288 produit ici un effet très saillant: l'exercice de la servitude par un des copropriétaires indivis du fonds dominant préserve les autres de la perte par le non-usage. Il n'en serait plus de même, si le fonds dominant avait été partagé entre les copropriétaires: il y aurait alors plusieurs fonds dominants et l'un pourrait conserver son droit pendant que les autres perdraient le leur.
Le non-usage a plus d'analogie avec la prescription dite libératoire des obligations qu'avec la prescription dite acquisitive des droits réels, quoique les Romains et, après eux, les modernes l'aient quelquefois qualifié " usu- capion de la liberté du fonds." Ce qui le rapproche de la prescription libératoire, c'est qu'il n'est pas nécessaire que le propriétaire du fond servant fasse aucun acte de possession contraire à la servitude, avec les caractères de la possession requise pour la prescription acquisitive; ce serait forcer les mots que de dire que pendant le non-usage, le propriétaire du fonds servant possède sa liberté: la possession exige l'intention d'avoir à soi la chose possédée et le fait de se comporter, par des actes d'usage, comme si l'on avait réellement le droit qu'on exerce; or, on ne rencontre pas nécessairement, on rencontrera même rarement chez le propriétaire du fonds servant ces deux conditions de la possession utile pour prescrire: le fait et l'intention.
Le cas où il serait plus plausible de dire qu'il y a " usucapion de la liberté du fonds " serait celui où la servitude était négative, consistait, par exemple, dans une prohibition de bâtir, et où le propriétaire du fonds servant a bâti; cependant, il pourrait arriver qu'il eût cessé de posséder ses bâtiments, par absence ou autre cause, et, malgré cela, l'extinction de la servitude par non-usage n'aurait pas moins lieu. Il faut donc reconnaître qu'en réalité le fonds servant est libéré par la seule négligence du propriétaire du fonds dominant, par sa renonciation tacite; comme, dans le cas d'une obligation purement personnelle, le débiteur est libéré par la seule négligence du créancier, laquelle fait présumer, soit un abandon par et simple de son droit, soit une transaction ou un arrangement dont la preuve est perdue.
Le 2e alinéa établit donc, comme principe général, l'assimilation qui précède entre le non-usage et la prescription libératoire; il en laisse les conséquences à déduire à la sagacité des magistrats: notamment, le non- usage serait interrompu, comme la prescription, par l'acte récognitif dont parle l'article 299 (v. art. 1391).
Le Projet aurait pu, comme le Code français (art. 710) et le Code italien (art. 668), ajouter que " si, parmi les " copropriétaires du fonds dominant, il se trouve une " personne contre laquelle la prescription n'ait pu courir, " comme un mineur, il aura conservé le droit des autres," ce qui est encore un effet de l'indivisibilité des servitudes; mais la question de savoir si, au Japon, la prescription courra, ou non, contre les mineurs ne devait pas être tranchée ni même préjugée ici: si le système qui suspend la prescription à l'égard des mineurs et des interdits est admis ultérieurement, le présent article, restant dans la généralité des principes, n'y fera pas obstacle (2).