Art. 231. — 353. Cette servitude connue sous le nom de "droit de passage, en cas d'enclave" (a), est, plus encore que la précédente, fondée sur un grand intérêt économique.
Si un fonds n'avait pas d'accès à la voie publique, il ne pourrait être, ni habité par les personnes, ni exploité en culture ou autrement; ce serait une propriété perdue pour tout le monde. Il faut donc faire fléchir l'intérêt des voisins devant l'intérêt général, en même temps que devant l'intérêt particulier du propriétaire enclavé.
Il ne faudrait pas, cependant, considérer cette servitude comme dérivant de la situation naturel le des lieux; car, si elle est devenue nécessaire, ce n'est que par l'i mprévoyance des propriétaires antérieurs, dans des opérations de partage ou de cession. Aussi, les législations qui, comme celle de France, admettent des servitudes natwrelles, n'y font-elles pas rentrer celle qui va nous occuper: elle figure, comme ici, parmi les servitudes légales; la loi, en effet, intervient pour corriger la faute de l'homme.
Par cela même que la cause de la servitude n'est pas purement naturelle, le passage ne pourra être obtenu que moyennant une indemnité, sur laquelle revient l'article 234 et sauf une exception portée par l'article 236.
354. La loi tranche, au 28 alinéa, une question qui pourrait faire difficulté et qui reste indécise dans le Code français, à savoir, si un fonds peut être considéré comme enclavé quand il n'a de communication qu'avec un cours d'eau, même public; sans doute, dans le langage du droit, un fleuve, une rivière, un canal public, sont des voies publiques et ces "voies mobiles" communiquent, de distances en distances, à des voies terrestres; mais, on ne peut méconnaître qu'elles sont d'un accès souvent difficile et même quelquefois dangereux; un fonds de quelque importance qui n'aurait pas d'autre communication avec le dehors, serait, presque toujours, difficile à exploiter et d'une habitation très-incominode. Cela est encore plus évident, si le fonds ne communique qu'avec la mer qui n'est pas accessible à toute heure, par le mouvement du flux et du reflux, et qui souvent est bouleversée pendant plusieurs jours.
Toutefois, il peut y avoir tant de variétés dans les dispositions locales que la loi a laissé un pouvoir d'appréciation aux tribunaux: ils pourront, sans encourir la cassation, déclarer, suivant les circonstances, qu'un fonds contigu à un cours d'eau est enclavé ou ne l'est pas.
La solution est la même et devait encore plus être laissée à l'appréciation des tribunaux, lorsque le fonds prétendu enclavé est supérieur ou inférieur à la voie publique: il est clair que, dans biens des cas, une communication qui n'aurait lieu que par de hauts escaliers serait bien défavorable à l'exploitation d'un fonds; mais il ne faudra considérer l'inégalité des niveaux comme constituant une enclave que si elle est "notable" et en outre, il faudra tenir compte de la nature et du mode d'exploitation des propriétés: une maison d'habitation ne serait pas enclavée par la même différence de niveaux qu'une manufacture ou un fonds mis en culture.
Au surplus, comme le passage sur les fonds voisins sera toujours plus ou moins onéreux pour celui qui le requiert, il n'y a guère à craindre qu'il le réclame sans nécessité, lorsqu'il a déjà une communication avec un cours d'eau, avec la mer, ou avec une voie publique se trouvant en contre-bas ou en contre-haut de sa propriété.
355. La loi n'a pas cru devoir s'occuper du cas où les communications directes d'un fonds avec la voie publique se trouveraient momentanément interrompues par quelque accident, comme un éboulenient, une inondation, ou des travaux publics. En pareil cas, si les communications ne pouvaient se faire qu'à travers des fonds voisins, les propriétaires de ces fonds devraient s'y prêter, et sans indemnité. C'est à la police locale qu'il appartiendrait de résoudre les difficultés nées de ces circonstances.
Il peut enfin se produire une enclave véritable et permanente par la suppression d'une voie publique, ou par son déplacement, au moyen d'un redressement ou autre opération de voirie. Dans ce cas, si l'administration n'a pu fournir aux fonds précédemment riverains de la voie publique une communication avec la nouvelle voie, celle-ci sera demandée aux fonds voisins; généralemént, ce sera l'administration qui fera la demande et fera reconnaître et exécuter la servitude légale.
Dans tous les cas, l'indemnité sera à la charge de l'administration.
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(a) Enclave, vient du latin in, "dans, sous," et clavis, clef: le fonds enclavé -est, en quelque sorte, sous clef.