Art. 227. — 342. Le nom de servitudes, employé pour désigner certains démem brements de la propriété, remonte au droit romain (a); il exprime l'idée qu'une chose est affectée, d'une façon dépendante, à l'usage et au service d'un autre que le propriétaire de - cette chose. Le droit de propriété lui-même assujettit pleinement la chose au propriétaire; mais le nom même de propriété l'indiquant suffisamment, le nom de servitude ne s'emploie pour aucun des services que le propriétaire tire de sa propre chose (b).
Les servitudes dont il va être parlé sont appelées prédiales (de prædimn, fonds) ou foncières et, souvent, réelles, par opposition à t'usurruit, à l'usage et à l'habitation qu'on appelle quelquefois servitudes personnelles.
343. Ces noms demandent quelque attention, car ils pourraient causer de la confusion, et si on les conserve ici, c'est parce qu'ils sont consacrés, en Europe, par uu long usage.
La qualification de réelles n'a pas ici pour but de dire que les servitudes sont des droits réels; car l'usufruit, l'usage et l'habitation sont aussi des droits réels. La qualification de prédiales ou foncières n'est pas employée pour exprimer que ces servitudes portent toujours sur des fonds; car l'habitation porte toujours sur un bâtiment, et si l'usufruit et l'usage ne portent pas toujours sur un fonds, ils peuvent aussi porter et, en fait, ils portent, le plus souvent, sur cette nature de biens.
Ici, les qualifications de réelles ou foncières, appliquées aux servitudes, expriment l'idée qu'elles APPARTIENNENT A une chose, A un fonds, par opposition à l'usufruit, à l'usage et à l'habitation, qui appartiennent toujours à une personne déterminée et s'éteignent avec elle, sans se transmettre à son héritier, même au plus proche (c).
Il y a, au premier abord, quelque chose de bizarre à dire qu'un droit "appartient à une chose: les choses sont les objets du droit et n'en peuvent être les sujets; elles subissent un droit, mais ne peuvent l'exercer; leur rôle est toujours passif, jamais actif; et, en réalité, les servitudes foncières appartiennent au propriétaire du fonds en faveur duquel la servitude est établie; mais, comme ce propriétaire peut changer, par cession ou par héritage, et comme le droit de servitude n'en subit aucune atteinte et passe intact au nouveau propriétaire, en cette qualité, on est amené à dire, par figure de langage, que le droit de servitude appartient plutôt au fonds qu'à la personne du propriétaire. En outre, si l'on considère que les servitudes ont pour but l'amélioration des fonds, leur utilité, leur plus value, et non le seul agrément des personnes, il n'y a rien d'exagéré à dire que les servitudes foncières" appartiennent aux fonds," et même, en suivant jusqu'au bout la figure de langage, on appelle fonds dominant celui en faveur duquel la servitude est établie et fonds servant celui qui la subit, celui sur lequel elle s'exerce.
Ces observations préliminaires servent d'explication au 1er alinéa de notre article 227 qui donne la définition des servitudes foncières.
344. Il suffit maintenant d'en faire ressortir les deux caractères distinctifs.
1° La servitude doit avoir pour but de donner plus d'utilité au fonds dominant. Par utilité, on doit entendre tout ce qui en favorise l'usage, en facilite l'exploitation et, d'une manière générale, en augmente la valeur; ce qui comprend même certains agréments, lorsqu'étant de nature à convenir à toute peTsonne et non au seul propriétaire actuel, ils donneront plus de valeur au fonds.
On aura à revenir, plus loin, avec l'article 286, sur les distinctions à faire au sujet des agréments purement personnels qui ne pourraient être établis à titre de servitude foncière.
Le présent article exige que la servitude procure de l'utilité au fonds dominant; c'est le principe essentiel.
L'établissement des servitudes a un grand avantage économique. Généralement, le profit qu'elles procurent au fonds dominant est bien supérieur au préjudice qu'elles causent au fonds servant; cependant, s'il en était autrement, la servitude n'en serait pas moins valable, car les propriétaires auraient usé de leur liberté respective et, d ailleurs, il serait, sans doute, intervenu quelque compensation, en argent ou autrement.
2° Il est nécessaire que les deux fonds, servant et dominant, appartiennent à différents propriétaires: si le propriétaire de deux fonds tirait de l'un des avantages dans l'intérêt de l'autre, ce serait l'exercice du droit de propriété, il n'y aurait pas servi tu de (d); cet état de chose dépendrait uniquement de la volonté du propriétaire, quant à son étendue et qua.nt à sa durée; la loi n'aurait pas à s'en occuper. Ce principe a des conséquences variées que l'on rencontrera ultérieurement.
345. Généralement, les servitudes sont établies entre fonds contigus ou, tout au moins, voisins; mais, cette condition n'étant pas absolument nécessaire, en raison, la loi ne l'exige pas; ainsi, rien n'empêcherait qu'un droit de passage ou une prise d'eau fussent établis à la charge d'un fonds, au profit, d'un fonds éloigné, lorsque la communication entre les deux fonds ne pourrait se faire que par la voie publique, par un cours d'eau, ou par des fonds intermédiaires.
La loi n'exige pas non plus que les servitudes aient un caractère perpétuel, pour les fonds de terre, ni même, s'il s'agit de bâtiments, qu'elles soient aussi durables que ceux-ci; cette condition de perpétuité était exigée dans le droit romain, sans qu'on en ait donné une raison bien satisfaisante; elle a été abandonnée dans les législations modernes et il n'y a aucune raison de l'exiger au Japon.
346. Le 2e alinéa de notre premier article indique les ca/uses d'établissement des servitudes; il n'en reconnaît que deux: la loi et le fait ou la volonté de l'homme.
En cela, le Projet s'écarte du Code français qui admet, en outre, des servitudes naturelles ou résultant de la situation des lieux (art. 640 et suiv.). Mais, sous ce titre de servitudes naturelles, ce Code place à tort (et par inadvertance sans doute) des servitudes légales et des servitudes provenant du fait de l'homme; en réalité, il ne contient qu'une seule servitude qui paraisse due à la nature, avant d'être reconnue par la loi.
Ce ne serait pas, cependant, une raison pour négliger un droit qui viendrait de la nature avant d'être consacré par la loi; mais, si l'on veut examiner les choses de plus haut, on reconnaîtra que tous les droits sont naturels avant d'être consacrés par la loi, surtout dans les pays où la loi se garde d'être arbitraire et tyrannique; toutes les servitudes dites légales seraient donc, avant tout, naturelles; il est préférable de nommer légales toutes celles que la loi consacre. D'ailleurs, même dans les servitudes que la nature semble imposer davantage au législateur, il y a toujours lieu de régler l'exercice du droit, d'en déterminer l'étendue et les limites; or, si les intéressés n'y, pourvoient pas eux-mêmes, la loi seule le peut, si elle ne veut pas laisser aux tribunaux un trop grand pouvoir, lorsque les contestations se présenteront.
En n'admettant que deux causes d'établissement des servitudes, la loi et le fait de l'homme, le Projet japonais se trouve d'accord avec le nouveau Code civil italien (art. 532).
347. Ce n'est pas, cependant, sans avoir beaucoup hésité que les auteurs du Projet se sont décidés à reconnaître des servitudes légales, bien qu'on trouve cette idée dans la plupart des législations modernes.
Depuis long-temps, il est admis, en doctrine, que les dispositions classées sous le nom de servitudes légales ne sont pas de véritables servitudes, qu'elles constituent plutôt le droit commun de la propriété, tandis que les servitudes proprement dites ne peuvent être que des charges exceptionnelles.
En effet, parmi les servitudes dites légales, on trouve des limites à l'exercice du droit de propriété qui n'est pas et ne peut être absolu, des restrictions à la liberté du propriétaire, établies dans le but de l'empêcher de nuire à ses voisins: comme la défense d'envoyer ses eaux ménagères ou industrielles sur le fonds voisin, ou même d'y faire tomber l'égoût de ses toits, comme aussi celle de faire certains actes abusifs à l'égard du mur ou du fossé mitoyen. Or, il est difficile de considérer ces défenses comme des cc charges établies sur un fonds pour l'utilité d'un autre fonds; on ne peut non plus, dans ces cas, parler de fonds dominant ni de fonds servant; car., chacun des fonds a, tout à la fois, les deux qualités, vis-à-vis de l'autre.
D'autres dispositions légales ont davantage le caractère de charges comme celle de fournir au voisin enclavé un passage qui lui donne accès à la voie publique; comme aussi l'obligation, pour les voisins, de contribuer également aux frais du bornage de leurs propriétés contiguës et même de la clôture, en certains cas.
Mais, on peut dire que la première seule de ces charges est établie pour l'utilité de l'un des fonds, car, les deux dernières le sont dans l'intérêt réciproque des voisins.
348. Ces considérations, si sérieuses qu'elles soient, n'ont cependant pas suffi pour déterminer les auteurs du Projet à s'écarter de la classification ordinaire.
Plusieurs motifs s'y opposaient.
D'abord, il est toujours gênant de s'écarter des traditions universellement reçues; car, on prive la jurisprudence du bénéfice des travaux antérieurs.
Ensuite, il y a, entre voisins, des obligations légales qu'il est bien difficile de ne pas qualifier de servitudes; telle est celle de fournir le passage des personnes en cas d'enclave, celle de subir le passage des eaux pour rirrigation, ou leur écoulement pour le drainage (e), et plusieurs autres relatives aux eaux; sans compter les nombreuses charges imposées aux propriétaires, dans l'intérêt général, par les lois administratives.
Enfin, si l'on voulait suivre une classification théorique rigoureusement exacte, on serait amené, comme l'ont été certains auteurs français et allemands, à répartir, dans trois ou. quatre différentes places, des matières que tout le monde est accoutumé à chercher et à trouver sous la rubrique consacrée des Servitudes.
Ainsi, on aurait:
1° Des modifications au droit de propriété, comprenant la mitoyenneté, comme variété de la co-propriété;
2° Des restrictions au droit de propriété, comprenant des défenses relatives aux actes nuisibles entre voisins;
3° Des obligations entre voisins, comme celles relatives au bornage et à la clôture;
4° De véritables servitudes légales (car on ne peut les exclure entièrement), et, sous ce titre, on trouverait, outre les servitudes d'utilité publique, celles relatives au passage en cas d'enclave et à l'écoulement des eaux, tant naturelles qu'artificielles.
Il faut souvent, en matière de législation, sacrifier la théorie pure à l'utilité pratique. Il y a long-temps qu'un législateur romain, l'empereur Justinien, a proclamé que la simplicité est amie des lois." C'est une vérité encore aujourd'hui et au Japon comme partout ailleurs.
On aura donc, dans cette matière, deux Sections: l'une, pour les diverses modifications de la propriété nommées, improprement, servitudes légales, l'autre, pour les véritables servitudes, pour celles qui, créées par la volonté de l'homme, constituent un asservissement exceptionnel d'un fonds à un autre.
349. Les deux Sections ne pourront être subdivisées de la même manière; tandis que la seconde présentera nos subdivisions habituelles. (1° les diverses espèces du même droit, 2° les causes ou moyens d'établissement du droit, 3° les effets du droit, 4° les causes d'extinction du droit), la première ne présentera d'autre subdivision que celle tirée des cas particuliers constituant les diverses espèces de servitudes dites "légales." En effet, il ne peut être question de tirer une subdivision des causes, puisque ces servitudes ont toutes la même cause, à savoir, la loi; quant aux effets et à l'extinction de chacune de ces servitudes, ils varient, plus ou moins, avec-chaque espèce de servitude et ils constituent, justement, la matière principale de chaque paragraphe.
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(a) Servitude, vient du latin servire, "être asservi, assujetti, dépendant;" d'.où. ser vitus: dépendance."
(b) Les Romains exprimaient ainsi cette idée: nemini res sua servit, personne n'a un droit de servitude sur sa propre chose."
(c) Les expressions du droit Romain rendaient la même idée, non sans quelque équivoque aussi: servitutes prœdiorum, servitutes yyersonarum, "servitudes DE fonds, servitudes DE personnes." Le mot servitudes était alors pris activement, dans le sens de DROITS de servitude.
(d) Nemini res rua servit (voy. note b).
(e) Le drainage est le contraire de l'irrigation: il consiste à faire écouler les eaux surabondantes des terrains marécageux.