216. L'action en réintégrande appartient au possesseur qui a été dépossédé, par voies de fait, par menaces ou par ruse, de tout ou partie d'un immeuble, d'une universalité de meubles ou d'un meuble particulier, pourvû que sa possession ne fût pas elle-même entachée d'un des mêmes vices, à l'égard du défendeur.
Elle ne peut être exercée contre ceux qui ont succédé à titre particulier à la possession usurpée que s'ils ont participé aux actes illicites constituant l'usurpation.
Elle appartient tant au possesseur précaire qu'au possesseur civil et à celui dont la possession ne serait pas encore annale.
Ce qui caractérise le cas où il y a lieu à la réinté-grande, ce n'est pas seulement la dépossession totale ou partielle, car, en pareil cas, la dépossession étant un trouble, et le plus considérable possible, l'action en complainte serait également recevable; c'est le moyen employé pour la dépossession, à savoir, la violence, la menace ou la surprise; le caractère délictueux de ces faits motive une action possessoire particulière et ces particularités sont mises en relief par le présent article.
La loi française est restée muette sur les applications de l'action en réintégrande, aussi y a-t-il, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, un désaccord complet sur ses conditions. On proposé ici d'adopter les solutions de la cour de cassation française, laquelle paraît avoir le mieux compris le but de cette action.
Le 1er alinéa nous dit que l'action en réintégrande suppose une dépossession, totale ou partielle, opérée au moyen des trois actes délictueux déjà signalés. Il nous dit encore que l'action appartient au possesseur des trois sortes de biens déjà énoncées à l'article 213: immeubles, universalité de meubles, meubles particuliers.
Au sujet de ces derniers objets, il y a encore moins à hésiter que pour l'action eu complainte; l'objection tirée de la maxime “en fait de meubles, la possession vaut titre” est encore moins admissible, puisque la réintégrande est donnée an possesseur précaire (3e alinéa), lequel ne peut jamais invoquer cette maxime.
Enfin le 1er alinéa exige que le demandeur on réintégrande n'ait pas lui-même obtenu la possession par un des moyens qu'il impute au défendeur; autrement, il n'y aurait pas de raison pour qu'il lui fût préféré. C'est le cas d'appliquer un axiome célèbre: “dans deux situations semblables, on préfère celle du possesseur actuel ” (in pari causa melior est possidentis). Mais, pour que les faits délictueux du demandeur le privent de l'action en réintégrande, il faut qu'ils aient été commis contre le défendeur; autrement, celui-ci n'aurait pas le droit de les opposer au demandeur: ce sont des vices relatifs, non absolus, comme on l'a déjà vu sous l'article 196.
Le 2e alinéa établit encore une différence profonde entre l'action en réintégrande et les deux premières actions possessoires. On a vu, plus haut, que ces deux actions sont vraiment réelles, en ce qu'elles se donnent contre tout possesseur, lors même qu'il ne serait pas l'auteur même du trouble ou des travaux contestés: il suffit qu'il ait succédé à la possession et qu'il n'ait pas fait cesser le trouble ou les travaux; la réparation seule, l'indemnité du dommage, est demandée à l'auteur direct du trouble. Dans la réintégrande, au contraire, l'action toute entière, aussi bien pour la restitution que pour l'indemnité, a un caractère personnel; comme telle, elle peut bien être exercée contre les successeurs universels, parcequ'ils continuent la personne de leur auteur et succèdent à leurs obligations civiles, même nées de faits délictueux; mais, elle ne s'exercerait pas contre un successeur à titre particulier, comme tel, (acheteur, donataire), puisqu'il ne succède pas à la personne; toutefois s'il était lui-même complice des actes d'usurpation, il serait sujet à l'action pour ses faits personnels.
Le 3e alinéa est celui où le projet adopte les deux théories de la cour de cassation française: 1° l'action en réintégrande appartient au possesseur précaire, aussi bien qu'au possesseur civil; 2° elle n'exige pas, même pour les immeubles, une possession annale. C'est l'application d'un axiôme, célèbre aussi, et d'une évidente équité: spoliatus antè omnia restituendus, “le spolié doit être, avant tout, rétabli dans sa situation première.”