Art. 203. — 298. Le Projet consacre ici une double règle qui remonte au droit romain et qui est admise encore aujourd'hui, en France et ailleurs. Dans les deux cas prévus au texte, la possession matérielle ne change pas de mains, en fait, et elle est considérée comme en ayant changé en droit.
Les deux cas sont l'inverse l'un de l'autre.
Au premier cas, un dépositaire, un emprunteur à usage, un locataire, par exemple, n'avait qu'une possession précaire, il détenait la chose pour le compte du propriétaire, ou, tout au moins, pour le compte de celui qui lui en avait fait le dépôt, le prêt ou le bail; ensuite, désirant acquérir la propriété de cette même chose, il passe un contrat d'achat avec celui qui la lui avait remise.
Dans une. législation formaliste, comme était la lér gislation romaine à ses origines, alors que la tradition matérielle était exigée pour la translation de la propriété, il eût été nécessaire que le dépositaire ou le locataire, devenu acheteur, restituât d'abord la chose à celui de qui il l'avait précédemment reçue à titre précaire, puis la reçût du même contractant, au nouveau titre de vente; mais on n'a pas tardé à admettre, par un besoin naturel de célérité et de simplicité (cele- ritatis causa, utilitatis caiisct), que cette double tradition serait censée faite par un changement d'intention: le possesseur précaire devenait possesseur civil par une tradition abrégée, de là l'expression consacrée de,. tradition de brève main " (a).
Au second cas, les faits sont inverses: un propriétaire vend sa chose, ou un possesseur vend la chose qu'il détient comme sienne; s'il en fait la tradition immédiate à l'acheteur, celui-ci aura la possession matérielle jointe à l'intention; mais si, pour une raison de convenance personnelle, le vendeur désire conserver l'usage temporaire de la chose, il peut l'obtenir; mais en reconnaissant que, désormais, il possède précairement, au nom et pour le compte de l'acheteur. Celui-ci possède par le fait d'autrui: il est censé avoir reçu d'abord la possession de la chose en vertu du contrat de vente et l'avoir aussitôt restituée à titre de prêt ou de louage.
Le dernier alinéa applique la même théorie à la prise de possession d'un droit par le changement d'intention chez celui qui l'exerçait pour lui-même et est autorisé à l'exercer pour son cessionnaire. Dans ce cas, il n'y a même pas besoin de recourir à la fiction d'une double tradition: le changement de volonté suffit à expliquer le changement du droit (1).
Quant à l'expression de " constitut possessoire," usitée en ce cas, elle est consacrée par un long usage pour indiquer cette opération purement intentionnelle: on aurait pu en trouver une plus explicite; mais elle a elle- même, pour ainsi dire, la possession de l'usage, il est bon de l'y maintenir, jusque dans la loi japonaise.
----------
(a) On pourrait admettre aussi l'application de la tradition de brève main dans le changement d'une possession précaire en une autre possession également précaire; par exemple, un déposant consent à ce que la chose déposée reste en prêt à usage ou en gage au dépositaire: il est censé avoir obtenu la restitution du dépôt et fait immédiatement une nouvelle tradition à titre de prêt ou de gage. ~.
(1) Cet alinéa manquait à l'ancien texte.
La Commission n'a accepté qu'avec quelque difficulté ces deux traditions fictives dans les deux premiers alinéas: il lui semblait, plus simple de rapporter au seul changement de volonté le changement du titre et du caractère de la possession, comme il suffit pour le 3e alinéa.. Nous avons cru devoir insister sur la consécration légale de la théorie romaine, parce qu'elle est, au fond, la vérité.