Art. 138. — 186. Bien que le bailleur soit garant, d'une manière générale, de la jouissance du preneur, la loi a dû apporter quelque tempérament à la règle, quand la privation de jouissance provient d'une force majeure extraordinaire et grave, telle que les faits déterminés par cet article.
La loi a pris une sorte de moyen terme entre deux solutions extrêmes dont l'une aurait mis la perte exclusivement à la charge du preneur et l'autre à la charge du bailleur.
Si la perte est inférieure à un tiers des profits annuels (ce qui comprend le bénéfice de l'habitation autant que les produits du sol), elle restera à la charge du preneur.
Si elle est d'un tiers ou davantage, elle retombera sur le bailleur qui subira une diminution du prix du bail, proportionnellement à cette perte.
Cette indemnité, au profit du preneur, n'aurait pas lieu, si le prix du bail consistait en une quote-part des fruits du fonds, parce que la perte, si minime qu'elle fût, retomberait sur le bailleur, en proportion de ses droits. Dans le même cas, la perte des fruits survenue après qu'ils sont séparés du sol est à la charge du preneur, à moins que le bailleur ne fût en demeure de recevoir sa part.
La loi prévoit ensuite que le trouble apporté ainsi à la jouissance, par une fcrce majeure, a duré trois années consécutives; alors le preneur, bien qu'il ait été indemnisé chaque année au moyen d'une diminution du prix de bail, se trouvant privé d'une partie des bénéfices ou avantages espérés, peut faire résilier le bail pour l'avenir.
On pourrait s'étonner qu'il ait le droit de résiliation quand il a été indemnisé pour trois pertes successives d'un tiers, et qu'il n'ait pas le même droit, quand il nVpas eu d'indemnité, à raison de ce que les pertes étaient inférieures à un tiers. Mais, du moment que la perte est assez minime pour ne pas donner lieu à indemnité (et aux yeux de la loi, moins d'un tiers est une perte minime), la conséquence nécessaire est qu'il y a encore moins lieu à résiliation.
187. La loi, en accordant une indemnité au preneur pour la perte de récolte, si elle provient d'un des événements graves et exceptionnels qu'elle détermine, procède par voie d'exemple et d'énonciation et n'est pas limitative; mais il est évident aussi qu'elle a entendu refuser une indemnité au preneur, lorsque la diminution de récolte provient des accidents météorologiques ordinaires, tels que grêle, gelées, pluies, sécheresse; en cela, le Projet s'écarte du Code français (art. 1769 et 1770) et du Code italien (art. 1618 et 1619): on a considéré, en effet, que la culture du sol présente toujours des risques de pertes et des chances de gains qui, si elles ne se compensent pas toujours, ont pu être prises en considération par les parties dans la fixation du prix; on sait aussi que les années où la récolte est peu abondante ne sont pas toujours les plus mauvaises pour les cultivateurs, parce que les produits se vendent d'autant plus cher qu'ils sont moins abondants, surtout si la rareté est à peu près générale. De cette façon, le Projet écarte un grand nombre de difficultés qui s'élèvent sur les deux Codes précités.
188. Enfin, la loi suppose que des bâtiments ont été incendiés ou détruits par force majeure, et ces bâtiments représentaient le tiers de la jouissance annuelle; alors, il n'est pas nécessaire que la privation de jouissance ait duré trois ans; comme il dépend du bailleur de les relever plus ou moins promptement, la loi permet la résiliation au profit du preneur, si la reconstruction n'a pas eu lieu dans l'année.
Cette disposition est faite pour une destruction " totale ou partielle " des bâtiments; il faut observer toutefois que si la destruction totale constituait la perte de la chose louée, le bail cesserait de plein droit (v. art. 157).