Art. 72. — 104. Les deux premières dispositions de cet article, étant la négation d'un droit pour l'usufruitier, ne sembleraient pas devoir figurer dans cette Section; elles ne lui imposent pas non plus des obligations qui appartiendraient à la Section suivante; elles pourraient donc prendre place dans la Section ive, au sujet de l'extinction de l'usufruit; mais il n'est pas hors de propos, en traitant des droits de l'usufruitier, d'indiquer aussi ceux qui pourraient sembler lui appartenir, à la fin de l'usufruit, et que la loi lui dénie.
D'ailleurs, le dernier alinéa reconnaît à l'usufruitier un droit assez considérable pour motiver la place de cet article.
Ces trois dispositions sont d'ailleurs assez faciles à itistifier.
La première est la conséquence et. la contre-partie, déjà annoncée, de l'article 52., 2e alinéa: l'usufruitier ayant pu trouver, au moment de son entrée en jouissance, une récolte plus ou moins près de la maturité et la prenant sans payer les frais de culture, doit, aux mêmes conditions, laisser la récolte pendante au moment où l'usufruit finit.
Assurément, la justice rigoureuse pourrait demander la solution inverse, dans les deux cas; mais il est admis depuis les Romains, par raison d'utilité pratique et de simplicité, que, pour éviter deux comptes détaillés, difficiles et souvent sujets à contestation, on laissera ici le hasard jouer le rôle d'arbitre. En effet, la nature viagère du droit d'usufruit lui donne déjà un caractère aléatoire très prononcé (d), qu'on peut augmenter encore sans grand inconvénient: il peut finir aussi bien après la récolte qu'avant; souvent même, à son début, il est soumis également à des chances bonnes ou mau- vaises; c'est ce qui arrive quand il est constitué par testament: le testateur peut mourir peu de temps avant la récolte ou peu de temps après qu'elle a été faite.
Au surplus, les parties peuvent toujours, par convention, modifier cette disposition de la loi, et il serait même très naturel qu'au cas de constitution de l'usufruit par une vente, le vendeur fît entrer en ligne de compte, dans la fixation du prix, la récolte pendante dont il aurait fait les frais, et qu'en sens inverse, l'acheteur stipulât qu'au cas de cessation de l'usufruit avant la récolte, une fraction déterminée en serait laissée à ses héritiers.
La disposition du second alinéa refuse à l'usufruitier le droit de se faire indemniser des améliorations qu'il aurait faites à la chose, parce qu'il est présumé les avoir faites pour lui-même et en avoir joui plus ou moins longtemps. Il y aurait d'ailleurs, là encore, des sujets de contestations que la loi veut éviter.
Cette disposition s'appliquera aux embellissements et aux améliorations des habitations, à l'amendement des terres, aux défrichements et terrassements, qui sont incorporés, en quelque sorte, aux choses usufructuaires.
Mais pour les améliorations qui sont plutôt ajoutées qu'incorporées aux choses et qui pourraient en être séparées sans détérioration, il n'y avait pas même motif d'en faire profiter le propriétaire: le Projet tranche formellement, dans le Se alinéa, une question fort débattue, en France, sur l'article 599, en permettant à l'usufruitier d'enlever ces additions, notamment les constructions, à charge de remettre les lieux dans l'état primitif.
105. La difficulté est venue en France du rapprochement de cet article 599 avec l'article 555 qui prévoit des constructions et plantations faites par un simple possesseur du fonds d'autrui.
Disons d'abord un mot de la situation réglée par l'article 555 précité du Code français, en attendant que nous la trouvions à sa place dans le Projet, à la matière de l'accession (v. art. 603)
La loi suppose qu'un propriétaire a été privé pendant un certain temps de la possession de son fonds et qu'un tiers-possesseur y a construit ou planté.
Deux hypothèses sont ensuite examinées: le posses- geur était de bonne foi ou il était de mauvaise foi.
1er cas. Le possesseur était de bonne foi: il ne peut êtie contraint à démolir les constructions ou à supprimer les plantations: le propriétaire est tenu de les acquérir, en remboursant, à son choix, soit ce qu'elles ont coûté, en matériaux et main-d'œuvre, soit la valeur dont le fonds s'en, trouve augmenté, la 'plus-value, Naturellement, le propriétaire remboursera la moins élevée des deux valeurs; mais cela est juste: s'il rembourse le coût des dépenses, le possesseur ne peut se plaindre, puis.qu'il est indemne; s'il rembourse la plus-value actuelle, il ne s'enrichit pas au préjudice du possesseur.
2e cas. Le possesseur était de mauvaise foi: le propriétaire peut le contraindre à supprimer ses constructions, ouvrages ou plantations, sans indemnité, il peut même en obtenir une du possesseur, si les choses ne peuvent être entièrement remises dans l'état primitif; c'est là la double peine de la mauvaise foi et elle est légitime. Mais, voici où la loi française pr~te sérieuse- ment à la critiqué: si le propriétaire désire conserver les ouvrages, parce qu'ils pourront lui être utiles, la loi l'oblige alors à payer au possesseur ce qu'îl.'I ont coûté, lors même que la plus-value du fonds y serait,.in-,. férieure; de cette façon, le possesseur de mauvaise foi pourrait se trouver mieux traité que celui de.bonné foi.
Pour échapper à ce résultat, quelques auteurs disent que le propriétaire pourra amener le possesseur de mauvaise foi à faire un sacrifice, sous la menace d'être contraint de démolir; mais ce moyen ne réussirait pas avec un possesseur qui connaîtrait positivement le besoin que le propriétaire a de ces bâtiments et qui, en outre, serait d'une position assez aisée pour n'avoir pas à craindre la perte résultant de la démolition. Nous aimerions mieux autoriser le propriétaire à traiter le possesseur de mauvaise foi comme s'il le croyait de bonne foi,- et celui-ci ne serait pas autorisé à se prévaloir de sa mauvaise fol, d'après le principe que " nul n'est admis à se prévaloir de sa turpitude " (dd).
Lorsque la même situation se présente pour un usufruitier qui a construit ou planté sur le fonds usu- fructuaire, deux systèmes principaux, en France, sont en présence.
Dans l'un, on prétend assimiler l'usufruitier au constructeur de mauvaise foi, car il sait, évidemment, que la propriété ne lui appartient pas: on dit que la loi, en n'accordant à l'usufruitier aucllne indemnité pour les améliorations qu'il a faite? ne suppose pas que ce soient des constructions, et alors on lui permet au moins de les enlever, et, si le propriétaire désire les conserver, on dit qu'il doit les payer, dans la mesure prescrite à l'article 555, lei cas.
Dans l'autre système, on considère l'article 599 comme absolu dans son refus d'indemnité et comme limitatif dans le droit d'enlever certains objets, lesquels -ne comprendraient que les " ornements " énoncés audit article.:
Cette solution ne fait trouver la loi ni logique ni équitable.
106. Le Projet japonais s'est séparé entièrement de tous ces systèmes:
L'article 72, Se alinéa, permet formellement à l'usufruitier d'enlever ses constructions et plantations. Bien qu'il ait su nécessairement qu'il construisait ou plantait sur un terrain qui ne lui appartenait pas, il est clair aussi qu'il n'a pas entendu faire un don au nu-propriétaire. Il n'est pas juste d'ailleurs, de le traiter comme un possesseur de mauvaise foi, car, s'il sait que la chose est à autrui, il a un titre légitime à la posséder.
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(d) Sur le mot aléatoire, voy. n° 70, note h.
Il y a des contrats dits "aléatoires," parce qu'ils dépendent du hasard (voy. art. 322 et 806 à 809).
(dd) Nemo auditur iurpiludinem suam allegan-s.