Art. 70. — 100. Les actions en justice portent, en général, une qualification qui correspond à leur objet, c'est-à-dire au droit qu'elles tendent à faire reconnaître et à faire valoir. C'est ainsi qu'il y a des actions réelles et des actions personnellei:l correspondant aux droits réels et aux droits personnels.
Toutes les actions que le présent article reconnaît à l'usufruitier sont des actions réelles, puisque son droit est réel: elles lui permettent de faire valoir son droit non seulement contre le nu-propriétaire, mais encore contre tout autre qui y mettra:t obstacle; cela n'exclut pas d'ailleurs une action personnelle qui compèterait à l'usufruitier, contre le nu-propriétaire exclusivement, en vertu du contrat ou du testament qui aurait constitué l'usufruit.
Les actions réelles reconnues ici comme appartenant à l'usufruitier ont les mêmes noms et le même objet que celles qui appartiennent au propriétaire d'après l'article 37, avec les seules différences qui résultent de la nature du droit. Ainsi, l'action péUtuire tend toujours à faire juger le fond dit droit (ici, que le demandeur a vraiment le droit d'usufruit); les actions possessoires tendent seulement à faire juger que le demandeur, en fait, possède ou a possédé récemment le droit d'usufruit, c'est-à-dire, l'exerce ou l'a exerce comme lui appartenant et doit y être maintenu ou rétabli: s'il le possède encore et est troublé par un tiers, c'est le cas de l'action en complainte; s'il a été dépossédé, soit par ruse, soit par violence, c'est le cas de l'action pn TéilttéJl'ande. Ces actions se retrouveront dans leur application générale au Chapitre de la Possession (art. 212 et suiv.).
Nous ne mentionnons pas ici deux autres actions possessoires qui ne sont que des variétés de celles-ci, pour des cas spéciaux: la dénonciation de nouvel œlllTe et la dénonciation de dommage imminent (v. art. 212, 214 et s). Le texte les accorde implicitement à l'usufruitier, en lui donnant "les actions possessoires," sans distinction.
101. Indépendamment des actions réelles relatives à son droit d'usufruit, l'usufruitier a aussi des actions relatives aux servitudes. Elles sont de deux espèces: l'une qui affirme, soutient, que le fonds voisin est grevé d'une servitude active au profit du fonds usuft uctuaire: c'est l'action confessoire (du latin confiteri, "avoucr, affirmer"); l'autre, qui conteste, qui nie, que ledit fonds usufructuaire soit grevé d'une servitude passive au profit du fonds voisin: c'est l'action négatoire (du latin negare, " nier ").
L'article 37 n'a mentionné que l'action nêgatoire comme appartenant au propriétaire, relativement aux servitudes; ce n'est pa^ qu'il y ait à douter que l'action confessoire lui appartienne aussi, s'il prétend avoir une servitude; mais on a considéré que l'action nég.;toire est, en réalité, une variété de la revendication qui est l'action principale du propriétaire: dans l'action néga- toire, le propriétaire revendique la liberté de son fonds, tandis que, dans l'action confessoire, il réclame un droit sur le fonds voisin. L'action confessoire appartient donc à la matière des servitudes et non à celle c1e la propriété et c'est en effet au Chapitre des Servitudes qu'elle a sa place principale (art. 288). Si le présent article la reconnaît à l'usufruitier, c'est pour que la théorie de l'Usufruit soit complète ici et qu'il n'y ait pas lieu d'y revenir sur chaque matière, notamment sur celle des servitudes.
Les deux actions ainsi données à l'usufruitier au sujet des servitudes, étant réelles toutes deux, peuvent être considérées aussi comme pétitoires ou possessoires, suivant que l'usufruitier y soulève la question DE DROIT ou dit fond, ou la question DE FAIT ou de possession.
Ces dernières peuvent être, aussi en complainte ou en rêintêgrande.
Ainsi, si l'usufruitier a déjà exercé une, servitude sur le fonds voisin et se trouve menacé ou troublé dans la possession de la servitude, il exercera seulement l'action POSSESSOIRE en complainte; s'il a été dépossédé de la servitude depuis moins d'un an, il exercera l'action POSSESSOIRE en rêintêgrande.
Si le temps dans lequel devait être exercé la -réintégrande est passé, il exercera l'action PÉTITOIRE OU en, revendication de la servitude active
Ces trois actions sont toutes CONFESSOIRES, car l'usufruitier y affirme son droit.
Si, au contraire, c'est le voisin qui exerce à tort une servitude sur le fonds usufructuaire, l'action NÉGATOIRE de l'usufruitier pourra être pêtitoire, s'il veut faire juger le fond de son droit contre le voisin, ou possessoire, s'il ne veut faire juger que le fait de sa possession; et, dans ce dernier cas, elle aura le caractère de complainte, si le voisin n'a encore fait que le troubler par des entreprises sur le fonds; elle aura le caractère de rêintêgmnde, si déjà le voisin est en pleine possession de sa prétendue servitude, spécialement par menaces ou surprise (v. art.,216), mais depuis moins d'un an.
On pourrait enfin supposer toutes les mêmes actions dirigées contre l'usufruitier, alors défendeur, par un tiers qui réclamerait l'usufruit (action confessoire) ou contesterait une servitude (action négatoire), soit ait fond et comme droit, soit en fait et comme possession. L'objet, les noms et les caractères en seraient les mêmes; les rôles seuls des parties y seraient changés. Si la loi n'en dit rien, c'est qu'elle ne traite ici que des droits de l'usufruitier; elle aura occasion d'y revenir au sujet de ses obligations.
Remarquons, avec le 8" alinéa, que lorsqu'il s'agit des servitudes actives ou passives, relatives au fonds usu- fructuaire, bien que l'usufruitier ait qualité pour plaider à ce- sujet, comme demandeur ou défendeur, il fera sagement d'appeler en cause le nu-propriétaire: autrement, il pourrait encourir une responsabilité grave, comme on le verra à la Section suivante (art. 99 et 101).
102. Cette théorie des actions étant assez compliquée, on en présente ici un tableau résumé.
L. -Actions de l'usufruitier relativement à son droit d'Usufruit:
A. Action pËTi'roiRË: revendication du droit d'usufruit contre le propriétaire ou contre un tiers (procès ait fond);
B. Action PossEssoiRp,: réclamation de la possession de l'usufruit (sans examen du. fond); subdivisée en:
a. Action en complainte, pour garder la possession troublée;
b. Action en rêhitêgr aride, pour recouvrer la possession perdue.
II. -Actions de l'usufruitier relativement aux Servitudes:
A. Action CONFESSOTR,E, pour réclamer une servitude active; subdivisée en:
a. Pétitoire, pour faire juger le fond du droit de servitude;
b. Possesoiire, pour faire reconnaître la possession de fait, l'exercice antérieur de la servitude (sans examen du fond); avec la même subdivision en:
a. Complainte, pour faire cesser le trouble;
b. Réintégrande, pour recouvrer la possession perdue.
B. Action NÉGATOIRE, pour contester une servitude passive; avec les mêmes divisions et subdivisions:
a. Pêtitoire, pour faire juger, au fond, qu'il n'y a pas de servitude passive;
b. Possessoire, pour faire juger qu'elle n'est pas possédée, exercée entait;
a. Complainte, si le voisin trouble l'usufruitier par des tentatives d'exercice;
b. Réintégrande, si le voisin a usurpé l'exercice de la servitude.