Art. 124. — 169. Cette disposition de la loi, n'indiquant qu'un mode de constitution ou d'établissement du droit de bail, n'est pas limitative, ce qui serait arbitraire: ce n'est qu'une énonciation du seul mode raisonnable d'établir ce droit. En fait, on n'en comprendrait guère d'autre que le contrat auquel le droit donne son nom: le contrat de bail ou de louage (a).
C'est une des différences signalées plus haut entre le droit de bail et le droit d'usufruit, lequel peut s'établir par les mêmes modes que ceux qui transfèrent la propriété, à l'exception de l'hérédité.
Il ne faudrait pas croire, en effet, que, parce qu'un droit est réel et peut être considéré comme un démembrement de la propriété, il s'établisse nécessairement comme celle-ci.
Quand on s'occupera de l'hypothèque, droit réel aussi, servant de garantie d'une obligation, on verra que, à part les cas où elle est établie par la loi, il n'y a qu'une seule convention qui puisse rétablir, la convention même d'hypothèqur, sans qu'elle ait d'autre nom (aa).
Voyons cependant si, outre la convention de louage, le droit de bail pourrait s'établir par la loi, par testament ou par prescription.
170. Et d'abord par la loi. Rien n'empêcherait, à la rigueur, que le législateur accordât un droit de bail à certains parents ou au conjoint du propriétaire, dans des circonstances particulières et bien déterminées; 'mais, comme le droit de bail est corrélatif à l'obligation de payer une somme annuelle (sans quoi, ce serait un droit d'usage ou d'habitation), il serait déraisonnable que la loi imposât aux deux parties un prix fixé par experts, lequel pourrait ne convenir ni à l'une ni à l'autre.
Non seulement aucune loi ne paraît, nulle part ni en aucun temps, avoir établi un pareil droit; mais personne n'a peut-être encore songé à signaler cette négation, tant elle est naturelle.
Il en est autrement d'un droit de bail légué par testament. Il y en a peu d'exemples; mais il en existe.
Le Projet a cru devoir indiquer comment il faudrait procéder, si quelqu'un, en mourant, avait légué un droit de bail à un parent ou à un ami.
Dans ce cas, l'héritier sera obligé par le testament à "passer un contrat de louage." Jusque là, il n'est pas encore bailleur et il n'a aucun des droits du bailleur; quand il aura passé le contrat, " aux clauses et conditions portées au testament," il aura les obligations assez étendues qu'on verra à la Section suivante; il aura aussi les droits déterminés à la Section 111e.
Si le testament ne portait pas les conditions du bail, notamment le prix à payer périodiquement par le preneur, il serait difficile de donner effet au testament, car l'héritier pourrait toujours exiger et le preneur offrir un prix auquel l'autre partie ne pourrait consentir et la loi ne permet pas de le faire fixer par experts.
La loi généralise ensuite cette disposition, en l'appliquant à toute promesse de bail. Cette promesse serait obligatoire, si elle contenait, en même temps, l'indication du prix de bail. Une fois que le stipulant aurait déclaré l'accepter, il aurait le droit d'exiger un contrat de louage en bonne forme.
Un cas qui pourra se présenter assez souvent dans la pratique, au Japon comme en France, c'est celui où un associé a promis d'apporter à la société, pour sa mise, la jouissance d'un de ses biens, à titre de bail; on comprendrait, à la rigueur, que l'acte de société déterminât les droits et devoirs respectifs du bailleur et de la société considérée comme preneur; mais il serait préférable de dresser un acte séparé conférant à la société le droit de bail. Un des avantages de cet acte séparé serait la plus grande facilité de donner au bail la publicité que la loi exigera bientôt pour que les droits réels soient opposables aux tiers (v. art. 368) (b).
Il faut. remàrquer, sur ce cas d'un apport social consistant dans un droit de bail, que le bailleur n'aurait pas à recevoir de loyers comme dans un bail ordinaire: autrement, il ne ferait aucun apport utile à la société.
Les articles 1851 et 1867 du Code civil français font allusion au cas où un associé a promis de mettre en société la jouissance d'un de ses biens. Le Projet, dans ce cas, lui impose les obligations d'un bailleur (v. art. 771, 2e al.).
171. On pourrait se de nander, enfin, si le droit de bail peut s'acquérir par prescription, comme le droit de propriété et le droit d'usufruit (bb).
Il ne faut pas hésiter à répondre négativement.
D'abord, il faut bien déterminer quelle serait l'hypothèse où la question pourrait se présenter
Ce ne serait pas le cas où quelqu'un se serait mis, sans titre en possession d'un fonds appartenant. à autrui et l'aurait conservé pendant 30 ans, à titre de preneur. Il est clair qu'un individu, faisant ainsi un acte d'usurpation, prendrait plutôt la qualité de propriétaire que celle de locataire ou fermier: du moment qu'il agirait avec mauvaise foi, il là pousserait jusqu'au bout; d'ailleurs, il ne payerait pas de loyers ou fermages.
Mais, supposons qu'une personne ait pris à loyer ou à ferme une maison ou une terre, traitant avec un autre que le vrai propriétaire, alors qu'elle ignorait ce défaut de qualité essentielle chez lui; admettons même qu'elle ne l'ignorât pas, ce qui la constituerait en état de mauvaise foi; supposons aussi qu'elle ait pris possession de la chose louée; il semble, au premier abord, que dans ce cas, le locataire étant possesseur, de bonne ou de mauvaise foi, du droit réel de bail, l'acquerra par quinze ans, dans le premier cas, et par trente ans dans le second, comme il acquerrait un droit d'usufruit (v. art. 1476 et 1477). Mais il n'en est rien.
Le bail, une fois constitué, produit, pour le preneur, le droit d'exiger du bailleur qu'il lui procure une jouissance continue de la chose. Or, un pareil droit, qui est personnel, ne peut s'établir par prescription: les créances n'ont que cinq causes parmi lesquelles ne figure pas et ne peut figurer la prescription.
En effet, la prescription dite acquisitive d'un droit en suppose la possession ou l'exercice; or, on ne possède guère, à proprement parler, un droit de créance, lequel ne met pas le créancier en rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne du débiteur, et encore, ce rapport a-t-il rarement la continuité nécessaire à la prescription.
On verra cependant, à l'article 193, que les droits personnels sont susceptibles de possession comme les droits réels (v. aussi art. 478, 1351, 1390), mais que cette possession ne conduit pas à la prescription, au moins en général, et que, si la prescription a lieu, elle ne fait pas naître une créance, mais fait seulement acquérir une créance déjà née, comme on va le remarquer, ci-après, pour le bail même.
Il y a encore un autre effet du bail qui ne pourrait résulter de la prescription: le preneur se soumet à l'obligation de fournir au bailleur des prestations périodiques, ce qui le sépare profondément de l'usufruitier qui, lors même que son droit n'est pas établi gratuitement, ne fournit la contre-valeur qu'une seule fois. Or, il n'est pas possible que la prescription, qui, dans une de ses applications, est dite libératoire ou extinctive d'obligations, en devienne, en sens inverse, productive pour celui qui prescrit.
Tous ces résultats se trouveraient donc contraires à la nature de la prescription.
Remarquons encore que la création, par la prescription, des droits et obligations du preneur, rencontre un autre obstacle dans l'impossibilité de déterminer la personne contre laquelle il aurait ces droits et envers laquelle il serait obligé.
Serait-ce envers le bailleur, avec lequel il avait fait le contrat irrégulier à l'origine, ou envers le vrai propriétaire, contre lequel il aurait acquis le droit réel de bail ? Ce ne pourrait être envers le bailleur, car il ne peut devoir à celui-ci de loyers pour la jouissance d'une chose qui est désormais reconnue appartenir à autrui; il ne peut davantage lui demander la garantie de la jouissance continue d'une pareille chose.
Ce ne pourrait davantage être vis-à-vis du vrai propriétaire; car ce n'est pas avec celui-ci qu'il a eu, pendant le temps de la prescription, les rapports de débiteur à créancier.
Concluons donc que l'établissement du bail par la prescription répugne à toute raison, aussi n'a-t-il jamais été soutenu par aucun jurisconsulte, et, par cela même, aucun, que nous sachions, n'en a jusqu'ici combattu la possibilité.
172. Mais la prescription, qui serait impuissante à créer un droit de bail, pourrait faire acquérir à une personne un bail déjà créé pour une autre.
Supposons, par exemple, que le propriétaire ayant loué sa chose, un tiers achète ce droit de bail d'un autre que du véritable preneur; alors il y aura acquisition du droit de bail, comme droit réel, par la prescription ordinaire des droits réels immobiliers, et celui qui aura ainsi prescrit, en même temps qu'il aura le droit de jouir de la chose louée, aura les obligations dn preneur vis-à-vis du propriétaire.
Si la question n'a pas été agitée et résolue en France, c'est peut-être parce que le bail n'y est pas considéré comme droit réel; mais, il y faut admettre la même solution pour un droit personnel de bail ou pour toute créance ainsi reçue d'un créancier apparent.
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(a) Dans la suite on emploiera de préférence le mot "bail" pour le droit du preneur et celui de "louage" pour le contrat qui le confère.
(aa) Il existe aussi, dans plusieurs législations, notamment en France, une hypothèque dite judiciaire, parce qu'elle garantit l'exécution des jugements; mais comme elle n'est pas mentionnée dans les jugements, comme elle est virtuellement attachée à ceux-ci par la loi, elle n'est qu'une variété de l'hypothèque légale.
Quant au point de savoir si on pourrait léguer un droit d'hypothèque, il sera, résolu affirmativement au sujet de l'hypothèque testamentaire(v. art. 1218).
(b) Les sociétés sont soumises aussi, par le Code de Commerce, à une certaine publicité de leurs statuts et de leurs autres éléments; mais ce n'est pas par le même mode, ni par la même voie que pour le bail.
(bb) C'est par abréviation que l'on parle ici le langage usuel, au lieu de présenter, la. prescription comme une présomption d'acquisition: on ne prend cette précaution que dans les textes (v. art. 45 et 47).