Art. 30. — 43. Généralement, tous les biens d'un débiteur sont le gage de ses créanciers: s'il ne remplit pas ses obligations, ceux-ci peuvent, après avoir obtenu un jugement, saisir et faire vendre ses biens, pour être payés sur le prix (voy. c. civ. fr., art. 2092 et 2093; Proj., art. 1001).
Mais, par exception, certains biens échappent à cette action des créanciers; on y retrouve, nécessairement, les choses hors du commerce et les choses inaliénables, puisque la saisie mènerait à l'aliénation et que celle-ci est interdite; mais il y a des choses qui sont dans le commerce, dont l'aliénation volontaire est permise, et dont l'aliénation forcée sur saisie est interdite (voy. c. pr. civ. fr., art. 581, 582, 592 et 593).
44. En France, le cas le plus saillant d'insaisissabilité est celui des rentes sur l'Etat, ce qui doit s'étendre aux obligations temporaires du Trésor public.
On est étonné, au premier abord, que l'Etat couvre ainsi de sa protection les débiteurs qui manquent à leurs engagements, alors qu'ils sont inscrits au Grand livre de la dette publique pour des sommes peut-être considérables.
Ce privilége des rentes a eu pour origine le besoin d'encourager les particuliers à prêter leurs fonds à l'Etat; mais il ne pourrait plus se motiver de la même manière, aujourd'hui, ni en France, ni au Japon: les Etats ont, à présent, plus de respect du droit et des principes qu'autrefois et c'est dans la bonne administration de leurs finances qu'ils cherchent et trouvent le crédit dont ils ont besoin.
Quoique cette question soit beaucoup d'ordre administratif et financier, elle n'appartient pas moins au droit civil, par l'intérêt légitime des créanciers; on doit donc s'y arrêter un instant.
45. L'insaisissabilité des rentes sur l'Etat peut être maintenue, aujourd'hui encore, par de puissantes raisons pratiques tirées des nécessités de la comptabilité publique.
Si les rentes étaient saisissables, les créanciers d'un rentier insolvable, pourraient faire des saisies-arrêts, pour s'opposer à ce que le payement des arrérages ait lieu entre ses mains et aussi pour empêcher qu'il puisse aliéner ses titres; ces saisies, pour être efficaces, devraient être faites à l'administration centrale, au ministère des finances même: sans cela, le débiteur pourrait toujours s'y soustraire facilement, en touchant les arrérages ou en aliénant son titre dans un département autre que celui où il y a une saisie-opposition.
Si les saisies étaient faites à l'administration centrale, celle -ci devrait en donner immédiatement avis à tous les bureaux de département, afin qu'aucun payement d'arrérages ou aucun transfert-cession ne puisse avoir lieu au préjudice des saisissants; il faudrait, de même, donner avis des main-levées d'opposition; le tout entraînerait des lenteurs et des dépenses considérables. Enfin, des erreurs de numéros des titres ou de noms des titulaires seraient inévitables dans les transmissions de ces avis, eu égard à la masse considérable de ces saisies, et la responsabilité de l'Etat serait fréquemment encourue envers les parties saisissantes. Or, cette responsabilité retomberait toujours, directement ou indirectement, sur les contribuables.
Il faut donc accepter l'insaisissabilité des rentes sur l'Etat comme une nécessité pratique: si elle est un mal, au point de vue du par droit privé, elle tend à éviter un autre mal, plus grand encore, parce qu'il serait public (15).
On trouve, du reste, quelque chose d'analogue et qui est fondé sur des raisons semblables, quoiqu'à un moindre degré, au sujet des lettres de change, lesquelles ne sont susceptibles d'opposition que dans des cas très limités (voy. c. com. fr., art. 149).
46. La loi s'arrête ici dans la nomenclature des divisions des choses qui influent sur les dispositions de la loi, c'est-à-dire qui motivent des règles particulières à leur égard. Ce ne sont pas cependant les seules; mais celles qu'on a négligées ici ont une influence moins générale sur le droit.
On se bornera à en signaler quatre, et à indiquer sommairement leur intérêt en droit français, ne pouvant le faire encore d'après le Projet japonais:
1° Choses perdues ou volées, ou non;
2° Choses liquides et certaines, ou non;
3° Choses excédant une valeur déterminée, ou non;
4° Choses susceptibles de dépérissement, ou non.
47. - I. Indépendamment des épaves maritimes, fluviales ou terrestres, lesquelles sont des choses perdues, et dont il sera parlé sous l'article 604, il y a encore une assez importante dérogation au droit commun, au sujet des autres choses perdues: elles ne sont pas susceptibles de la prescription dite " instantanée " établie dans la loi française par la règle célèbre "en fait de meubles, la possession vaut titre " (v. art. 2279) et dans le Projet (art. 1482 et s.).
Les choses volées sont dans le même cas.
Les unes et les autres ne peuvent être prescrites, par le possesseur de bonne foi, qu'après un certain temps depuis la perte ou le vol: trois ans, en droit français (ibid.), un an dans le Projet japonais (art. 1483 lis).
Ce n'est pas ici le lieu de justifier cette double dérogation à la règle: il faudrait d'abord justifier la règle elle-même, ce qui sortirait du cadre de ces Dispositions préliminaires.
48. —II. Les choses liquides et certaines sont des valeurs, généralement dues, dont on connaît exactement la nature et le montant, ainsi que le temps et le lieu où elles doivent être fournies. Le principal intérêt de cette distinction est au sujet de la compensation (v. c. fr., art. 1291; Proj., art. 542 et 545); de même, les saisies-exécations ne peuvent avoir lieu que '« pour des choses liquides et. certaines " (voy. c. pr. civ. fr., art. 551).
49. -III. En France, la loi n'est pas favorable à la preuve testimoniale, non par défiance de la sincérité des témoins, comme on le croit trop généralement, mais par le désir de prévenir les procès téméraires dans lesquels se lanceraient les personnes toujours portées à s'exagérer, la bonté de leur cause: les demandeurs et les défendeurs compteraient sur des témoignages favorables à leur action ou à leur exception; mais, devant le juge, ces témoignages manqueraient souvent de la précision et de la fermeté nécessaires pour donner à celui-ci la conviction en faveur du plaideur qui les aurait produits et l'on aurait ainsi fait un procès nuisible aux parties, en ipême temps qu'à l'intérêt général (v. T. V, nos 186 et s)
La loi française veut donc que l'on rédige un acte "-de- toutes choses excédant la valeur de 150 francs " (art. 1341), et voici comment son but est atteint: si la - partie intéressée, demanderesse ou défenderesse, possède la preuve écrite de son droit ou de son exception, elle n'aura pas à craindre une contestation en justice qui n'aboutirait à rien d'utile pour son adversaire; si elle n'a pas de titre écrit, elle ne pourra elle-même réussir: dans les deux cas, le procès est évité.
Le chiffre de 150 francs, est, considere comme assez important pour que les parties prennent la peine de rédiger un écrit: au-dessous de ce chiffre, elles en sont dispensées, à cause de la célérité que demandent les petites affaires, plus multipliées que les grandes (16).
L'importance des sommes ou valeurs réclamées a en- '001'8 une grande influence sur la compétence des tribunaux, au point de vue de l'appel: les tribunaux de paix jugent sans appel les demandes de cent francs et au- dessous; les tribunaux de première instance, celles de quinze cents francs et au-dessous (Lois des 11 avril et 23 mai 1838) (17).
50. -IV. La loi a quelques dispositions spéciales sur les choses susceptibles de dépérissement, ce qu'il faut entendre dans le sens d'un prompt dépérissement (car tout dépérit par le seul effet du temps); telles sont la plupart des denrées alimentaires.
On peut voir, à ce sujet, les dispositions des articles 603 et 796 du Code français et des articles 58 et 799 du Projet.
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(15) Nous avions admis dans le Projet l'insaisissabilité des rentes sur l'Etat; mais la loi des finances en permet la saisie.
(16) Le Projet limite l'emploi de la preuve testimoniale à 50 yen, 200 francs environ (v. art. 1396).
(17) La nouvelle Loi organique des Cours et Tribunaux (10 février d,3 la 23° année de Meiji, 1890) détermine aussi la compétence des tribunaux de divers degrés suivant l'importance du litige.