Art. 14. — 24. On a déjà dit que les droits, étant des choses incorporelles, ne sont, par leur nature, ni meubles ni immeubles; mais comme les droits ont toujours un objet direct ou immédiat et quelquefois un objet indirect ou subsidiaire, la nature de l'un ou de l'autre de ces objets déterminera la nature du droit, et comme cette influence de l'objèt sur le droit ne doit pas être incertaine et discutable, loi la détermine et la proclame.
Chacun des cinq alinéas ne demande que peu d'explications.
1° Le droit de propriété, l'usufruit, l'usage, donné ou loué, d'un meuble corporel, sont des droits mobiliers, comme la propriété, l'usufruit ou l'usage d'une maison ou d'un champ sont des droits immobiliers.
Le Projet japonais a exprimé ces deux idées, tandis que le Code civil français, on ne sait pourquoi, n'a exprimé que la seccnde, et encore l'a-t-il fait d'une façon équivoque (art. 526).
2° Les créances d'argent, de denrées ou de marchandises, tendent à procurer au créancier des objets mobiliers, elles ont donc la nature de leur objet. La loi ajoute que le droit ne serait pas moins mobilier, quoiqu'il fût garanti par un droit immobilier, comme une hypothèque; le droit de créance, en effet, tire sa nature de son objet principal et non de son objet accessoire (voy. C. it., art. 418).
3° C'est ici que l'on doit tenir compte, non plus de l'objet direct du droit, mais de son objet indirect et subsidiaire.
Ainsi, quelqu'un s'est engagé à faire le prêt à usage d'une chose; le créancier n'a pas, comme dans le cas du premier alinéa, un droit réel sur la chose, ni, comme dans le cas du deuxième, un droit tendant à l'acquérir: il n'a droit qu'à obtenir une prestation, la livraison de la chose; or, la livraison, considérée en elle- même, est an fait: elle ne peut être ni meuble, ni immeuble; cela est évident, s'il s'agit du droit d'exiger un travail manuel ou intellectuel, salarié ou non; c'est plus évident encore, si quelqu'un a promis de ne pas exercer temporairement un droit qui lui appartient, par exemple, un droit d'usufruit ou de louage (1): un fait ou une abstention ne sont pas des choses corporelles; par conséquent, ce ne sont pas des choses qu'on puisse dire mobilières ou immobilières. Si l'on suppose que le débiteur n'exécute pas sa promesse, le créancier peut se faire autoriser par le tribunal à faire exécuter par un tiers, aux frais du débiteur (v. art. 402): là encore, le droit se résout par un fait qui n'est ni mobilier ni immobilier. Mais si le créancier préfère renoncer à l'exécution effective et forcée, il peut demander et obtenir des dommages-intérêts; c'est là l'objet indirect et subsidiaire de son droit et c'est ce qui le rend mobilier.
La solution serait la même, si le débiteur s'était engagé à construire une maison avec les matériaux du créancier; tandis que la créance serait immobilière si le débiteur devait en même temps fournir les matériaux (v. art. 1] -3°).
4° On a déjà eu occasion de distinguer les sociétés en cours d'existence et les sociétés dissoutes ou en liquidation (v. art. 6 et n° 14): on a remarqué, à ce sujet, que les sociétés en cours d'existence sont, au moins en général, des personnes morales ou juridiques. Le Projet reconnaît même la personnalité des sociétés d'une façon beaucoup plus large que le Code français (art. 526) et que le Code italien (art. 418), car ceux-ci ne reconnaissent ce caractère, au moins explicitement, qu'aux " sociétés de finance, de commerce et d'industrie," ce qui laisse très discutable et très discutée la personnalité des sociétés civiles et agricoles: la question se représentera, pour le Projet, lorsqu'on arrivera à la matière même des sociétés civiles, et, s'il doit y avoir quelques limites et conditions à leur personnalité, c'est là qu'on les posera (v. art. 766).
Lorsque la société ayant le caractère de personne morale est dissoute, la situation est analogue à celle où une personne ordinaire est décédée.
Cette distinction influe profondément sur la nature du droit des associés aux deux époques: la loi règle ici le premier cas, et le second dans l'article suivant.
Si la société possède des immeubles pour son exploitation civile, commerciale ou agricole, c'est à elle, non aux associés, que le droit de propriété appartient, et l'on dira, comme d'un particulier, qu'elle a des meubles et des immeubles des diverses qualités déjà connues.
Cependant, les associés eux-mêmes ont un droit: ce droit tend à obtenir une partie des bénéfices de la société, en proportion de la mise ou des apports de chacun; mais ces bénéfices, une fois réalisés, donneront à chacun une somme d'argent; le droit est donc mobilier par son objet.
Si, au contraire, la société n'a pas été constituée à l'état de personne morale, le droit des associés est, même pendant sa durée, mobilier ou immobilier ou l'un et l'autre à la fois, suivant que l'actif se compose de meubles, ou d'immeubles ou des deux sortes de biens réunis: les associés sont alors copropriétaires indivis, comme dans les autres cas de communautés de biens.
5° Les droits désignés à l'article 4 tendent surtout à obtenir d'autrui des faits ou des abstentions; ils sont encore mobiliers, parce qu'ils se résolvent finalement en sommes d'argent ou en autres valeurs mobilières.
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(1) Nous disons: temporairement, parce que si la renonciation était pour toujours, il y aurait extinction du droit d'usufruit ou de louage et non obligation de s'abstenir, ce qui serait une autre situation.