Art. 6. — 14. Les Romains donnaient une assez grande importance à la division qui se trouve ici la première.
Le Code français lui en donne trop peu, car il n'en parle qu'au sujet de la vente des créances et de la vente d'un droit de succession ouverte (art. 1689 et suiv.).
Le Projet japonais donne le premier rang à cette division des choses, parce qu'elle est la plus large: elle est plus large que celle en meubles ou immeubles, car elle comprend des choses qui ne sont ni meubles ni immeubles: à savoir, l'universalité des biens d'une succession ouverte et d'une société en liquidation.
Rigoureusement, la division en meubles ou immeubles ne devrait comprendre que des choses corporelles et n'être qu'une subdivision de ces choses; car les droits, tant réels que personnels, ne peuvent être considérés comme meubles ou immeubles que par une fiction qui leur donne la même nature qu'aux objets matériels sur lesquels ils portent ou à l'acquisition desquels ils tendent.
Cette première division des choses en corporelles ou incorporelles a une grande importance en matière de possession et, par suite, de prescription; elle influe aussi sur la vente ou autre cession desdites choses; ces différences seront relevées en temps- et lieu.
Quant à la définition que donne la loi des choses corporelles ou incorporelles, elle n'a pas besoin de développement: les Romains disaient que " les choses corporelles sont celles qui peuvent se toucher et les choses incorporelles celles qui ne le peuvent; " mais c'était insuffisant, même en admettant que les yeux soient " une longue main," longa maints: les fluides pondérables, l'air, les gaz, sont des choses corporelles et, cependant, il est difficile de dire qu'ils puissent se toucher ni même se voir; mais ils tombent sous les sens, puisqu'ils peuvent se mesurer, se peser, se condenser: ils ont donc it?i corps.
Les exemples que donne la loi de choses corporelles et de choses incorporelles sont purement énonciatifs et non limitatifs.
On fera seulement quelques observations sur chacun.
Les Romains ne mentionnaient comme choses incorporelles que les droits (Iiii). Le 1" de notre article a d'abord le même sens évidemment. Mais sa relation avec l'article 5 permet de lui en donner encore un autre: il pourrait présenter les droits réels et les droits personnels 'principauxconsidérés comme objets de droits réels ou personnels accessoires, par exemple un droit d'usufruit ou de bail qui serait l'objet d'une hypothèque, une créance qui serait l'objet d'un droit de gage.
Pour les successions, la loi suppose qu'elles sont " ouvertes," c'est-à-dire que celui auquel les biens appartenaient est mort; c'est qu'en effet, si le propriétaire n'est pas mort, il n'y a pas encore de succession: il n'y a pas lieu de prendre sa place (i); aussi est-il défendu de faire des conventions sur une succession non ouverte: ce serait traiter sur une chose qui n'existe pas et faire, en outre, une spéculation malhonnête (voy. art. 342).
Pour les sociétés, la loi les suppose ici " dissoutes et en liquidation:" en effet, si la société existe encore, elle n'est pas une chose, mais une personne, une personne morale ou juridique. Au contraire, lorsque la société est dissoute et en liquidation, l'ensemble des droits qu'elle laisse constitue une universalité de biens qui a une grande analogie avec la succession d'un défunt. A la vérité, ces biens sont, les uns meubles, les autres immeubles et, par conséquent, corporels; mais une succession se compose, de même, de meubles et d'immeubles; cependant, comme elle a aussi un passif ou des dettes, il est admis, depuis les Romains, qu'elle est une unité abstraite, une chose incorporelle. Il n'en est pas autrement d'une société dissoute.
En ce qui concerne les communautés de biens, il faut supposer qu'avant d'être en liquidation elles avaient aussi le caractère de personnes juridiques: autrement, elles ne sont que des cas de copropriété ordinaire (voy. art. 38 et suiv), pouvant porter, tout à la fois, sur des meubles et des immeubles (voy. aussi art. 14 et 15).
En France, on reconnaît généralement le caractère de personne morale à la communauté entre époux. La loi japonaise n*est pas encore fixée sur ce point; mais l'article 6 aura toujours quelque utilité, car la personnalité de certaines communautés, de syndicats de propriétaires, pourra être admise.
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(hh) Incorporales res sunt quœ injure consisfunt, "les choses incorporelles sont celles qui consistent dans un droit."
(i) Succession vient du latin succedere, " marclier après quelqu'un, dans ses pas," c'est-à-dire, pendre sa place. Le mot succession a ainsi deux sens: c'est le fait de prendre la place d'un défunt (moyen d'acquérir); c'est aussi l'ensemble des biens de celui-ci.