Art. 1171. — N° 331. Si l'on compare l'énumération des priviléges spéciaux sur les immeubles, donnée par notre article, avec celle du Code français (v. art. 2103), on voit qu'il y en a le même nombre des deux côtés, cinq. Cependant, il n'y a pas similitude complète quant au fond: le privilége des prêteurs de deniers qui figure deux fois dans le Code français (ib, 2° et 5°) n'est compté qu'une fois dans le Projet japonais; il y reçoit pourtant une application plus étendue que dans son modèle, comme on le verra plus loin; c'est alors qu'on fera remarquer, en réfutant un reproche fait au Code français, que ce privilége ne fait pas toujours double emploi aveu la subrogation conventionnelle des prêteurs de deniers au privilége dont ils ont désintéressé le titulaire.
Le cinquième privilége présenté par notre article, la séparation des patrimoines, est également emprunté au Code français: s'il ne figure pas dans l'énumération de l'article 2103, il se trouve mentionné dans l'article 2111, au sujet de la publicité à donner aux priviléges.
Nous aurons à nous expliquer bientôt sur la nature de ce droit tout particulier, auquel on a contesté le nom et le caractère d'un privilége.
331 bis. Le Code italien auquel nous faisons volontiers des emprunts pour le Projet japonais, parce qu'il a également pris le Code français pour modèle, en l'améliorant quelquefois, ne nous a pas paru devoir être imité ici.
D'abord, il ne reconnaît pas de privilége au vendeur d'immeuble, ni aux copartageants: il leur accorde seulement une hypothèque légale; ensuite, il omet entièrement les architectes et entrepreneurs, auxquels il n'accorde ni privilége, ni hypothèque légale, sans doute parce que la constatation de la plus-value est difficile; mais ce ne sont jamais les difficultés à vaincre qui doivent arrêter le législateur dans la poursuite du juste et de l'utile.
Le Code italien admet pourtant trois priviléges spéciaux sur les immeubles (art. 1961 et 1962); mais les deux derniers, garantissant les impôts, appartiennent au droit administratif et, comme tels, sont renvoyés par le Projet japonais aux lois fiscales et administratives (v. art. 11.t 1); le premier nous paraît devoir être écarté pour un autre motif.
Il s'agit d'un privilége pour les frais de poursuite en expropriation et de procédure d'ordre et de collocation; " ce privilége porte sur les immeubles expropriés et prime toute autre créance " (art. 1961). Mais, avant de porter sur l'immeuble exproprié, le privilége, dans la loi italienne comme dans les autres, doit porter sur le prix d'adjudication qui est mobilier; or, il est bien difficile de supposer que l'adjudicataire qui doit donner, d'après le Code de Procédure, des garanties de sa solvabilité, ne paye pas au moins les frais d'expropriation et d'adjudication qui sont à sa charge (comp. c. civ. it., art. 2049; c. civ. fr., art. 2138 et proj. jap., art. 1259, 6' al.); c'est le seul cas où l'immeuble se trouverait grevé, dans ses mains, du privilége desdits frais.
Quant aux frais d'ordre et de contribution, ils ne peuvent porter que sur les sommes allouées aux créanciers colloqués, et on peut s'étonner que le Code italien les déclare privilégiés sur l'immeuble exproprié, car cette créance est née lorsque l'immeuble était déjà sorti des mains du débiteur.
Le Projet s'en tient, donc au privilége général des frais de justice tel qu'il est déterminé à l'article 1143, avec les distinctions d'après lesquelles il est opposable tantôt à tous les créanciers et tantôt à quelques-uns seulement.
532. Le présent article nous indique déjà la nature de chaque créance privilégiée et l'objet, l'immeuble, sur lequel porte le privilége; ensuite, chaque privilége sera repris, sous un n° distinct, pour les détails d'application.
Mais auparavant, nous devons dire un mot de la cause légitime ou justificative de chacun. C'est au surplus, celle que nous avons déjà reconnue pour plusieurs des priviléges spéciaux sur les meubles: à savoir, la mise d'une valeur par le créancier dans le patrimoine du débiteur, sous la condition d'une contre-valeur à recevoir, laquelle n'a pas été reçue, en sorte qu'il serait injuste que les autres créanciers pussent se faire payer sur cette valeur, concurremment avec celui qui l'a fournie.
Pour le privilége du vendeur d'immeuble, du coéchangiste ou même du donateur avec charges, cette cause est évidente.
Pour le copartageant, on pourrait être un instant arrêté par l'objection que le partage n'est pas translatif mais seulement déclaratif de propriété; c'est en traitant spécialement de ce privilége que nous verrons que l'objection est plus spécieuse que fondée.
Pour le privilége des architectes, ingénieurs et entrepreneurs, s'ils n'ont pas mis dans le patrimoine du débiteur un objet entièrement nouveau, ils ont toujours créé une valeur nouvelle, ils ont donné une plus-value à ce qui était déjà dans le patrimoine du débiteur; la cause de la préférence est donc toujours la même.
Pour le privilége des prêteurs de deniers, la cause est la même que pour les trois premiers créanciers dont ils ont pris la place.
Reste le privilége des créanciers et légataires qui demandent la séparation des patrimoines. Ici la similitude de la cause n'est pas aussi frappante: les séparatistes n'ont pas mis une valeur dans le patrimoine du débiteur, mais ils avaient sur les biens de la succession un droit de gage que l'héritier ne doit pas amoindrir en confondant ses biens et ses dettes avec les biens et les dettes du défunt.
Quant à l'objet sur lequel porte chaque privilége, c'est naturellement, dans les deux premiers cas, la chose mise dans le patrimoine, par aliénation ou par partage; dans le troisième cas, c'est la plus-value seule, séparée de la chose considérée dans son état primitif; dans le cas des prêteurs de deniers, ce sont, comme dit le texte " les mêmes immeubles" que pour les créanciers par eux désintéresses enfin, pour les créanciers et légataires demandant la séparation des patrimoines, ce sont les immeubles de la succession, formant leur gage antérieurement au décès de leur débiteur.