Art. 1053. — 141. Pour que deux ou plusieurs personnes puissent être qualifiées codébiteurs, soit solidaires, soit simplement conjoints, il ne suffit pas, évidemment, qu'elles aient un même créancier: il faut qu'il y ait encore unité de dette; cette unité n'a lieu que s'il y a, tout à la fois, identité d'objet dû et identité de cause de la dette: une seule de ces identités ne suffirait pas.
Ainsi deux personnes doivent 1000 ye?is au même créancier: en apparence, c'est le même objet; mais, en réalité, ce peuvent être deux sommes distinctes et seulement semblables par le chiffre; il ne suffirait même pas que chaque dette provînt d'un prêt; ce serait aussi, en apparence, la même cause; mais ce pourraient être aussi deux prêts, c'est-à-dire deux causes séparées, semblables seulement par leur nature.
Pour qu'il y ait unité de dette, il faut que ce soit le même contrat de prêt et les mêmes 1000 yens. Ce pourrait être aussi la même vente ou le même achat par plusieurs, appliqué au même objet: on aura alors des co-vendeurs ou des co-acheteurs; ils ne seront que conjoints en principe; mais ils seront solidaires, si le contrat le porte formellement.
Cette double identité, d'objet et de cause, est exigée par le 1er alinéa de notre article. Quant à l'identité de créancier,. la nécessité en est trop évidente pour qu'il ait été nécessaire de l'exprimer au texte.
142. Le même texte déclare aussi, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait identité d'acte, ni de temps, ni de lieu.
Au premier abord, on ne voit pas bien comment l'identité nécessaire de cause n'entraîne pas forcément celle d'acte, de temps et de lieu; cependant, on peut aisément reconnaître l'indépendance de ces éléments de l'obligation.
Il faut d'abord se fixer sur le sens du mot acte dans le cas qui nous occupe. On sait qu'en français, dans la langue du droit, il a au moins deux sens, aussi usités l'un que l'autre, ce qui souvent donne lieu à quelques difficultés. Tantôt, c'est le fait juridique qui crée un droit, comme une convention ou un testament; tantôt c'est l'écrit, l'instrument, qui constate, qui prouve ce fait juridique ou le droit qui en résulte.
Il ne peut être question ici du dernier sens, parce que la loi n'aurait pas besoin de dire que les actes probatoires ou instrumentaires peuvent être rédigés séparément, en ce qui concerne l'intervention et l'engagement solidaire des divers débiteurs: ce point ne pourrait être douteux.
Mais le premier sens comporte lui-même deux applications en notre matière: il y a l'acte juridique qui crée l'obligation même des divers débiteurs et l'acte qui les constitue co-débiteurs solidaires.
143. La première application se confond avec la cause de l'obligation, et puisque la cause doit être unique, l'acte juridique l'est nécessairement et par cela même.
Il pourrait cependant arriver qu'un prêt ou une vente, par exemple, destinés à être faits à deux emprunteurs ou à deux acheteurs, fussent d'abord faits à un seul, pour le tout, mais avec réserve du droit pour l'autre d'accéder plus tard au contrat, laquelle accession n'aurait lieu évidemment que par un acte postérieur et séparé; mais cette accession tardive se rattachant au premier acte et venant le compléter, suivant les prévisions des parties, il y a encore là l'unité nécessaire de cause et d'acte juridique.
La deuxième application du sens d'acte juridique est celle que notre article a en vue: lorsqu'il annonce qu'il peut y avoir diversité d'acte, il fait allusion à l'acte qui constitue les débiteurs en état de solidarité. Il est possible que l'obligation ait été contractée par plusieurs, simultanément, dans un seul contrat, sans stipulation de solidarité: cela les constituait débiteurs simplement conjoints; plus tard, ils se sont soumis à la solidarité envers le créancier, ensemble ou séparément; si c'est séparément, on est dans le cas prévu par notre article.
144. La diversité d'actes juridiques soumettant les codébiteurs à la solidarité implique naturellement la diversité de temps, et la diversité de lieu sera presque toujours liée aux deux premières, en ce qu'elle les aura rendues nécessaires: c'est quand les débiteurs ne demeureront pas au même lieu qu'il aura fallu faire des conventions séparées.
145. Les divers actes juridiques constituant successivement la solidarité entre plusieurs débiteurs seront forcément des actes conventionnels; on ne pourrait pas reconnaître le même caractère successif à divers codicilles testamentaires imposant la solidarité aux divers héritiers: lors même que les codicilles portent une date différente (ils doivent être datés, à peine de nullité), ils prennent toujours une seule date juridique, quant à leur effet: à savoir, le jour du décès de leur auteur.
Quant à la Loi, considérée comme cause ou source de la solidarité, lorsqu'elle l'établit entre plusieurs débiteurs, c'est à un moment qui est nécessairement unique: à savoir, celui où les codébiteurs se sont trouvés placés dans la situation à laquelle la loi attache la solidarité.
146. Cette hypothèse de plusieurs conventions successives plaçant les débiteurs dans le lien de la solidarité donne lieu à une question que nous devons examiner, en terminant sur ce point.
Faut-il que ces actes, nécessairement passés avec le créancier, le soient aussi avec tous les codébiteurs ?
Si l'on exigeait absolument cette seconde condition, un seul acte suffirait et on détruirait l'utilité de plusieurs actes séparés.
Mais quel serait l'effet de ces actes séparés où figurerait seul celui qui s'engagerait solidairement avec un autre ?
Supposons que Primus et Secundus sont déjà débiteurs conjoints, sans solidarité. Plus tard, Primus, soit pour être agréable au créancier, soit pour arrêter ses poursuites, se constitue débiteur solidaire de la dette; Secundus ne participe pas à cet acte. Plus tard encore, Secundus se constitue débiteur solidaire de la même dette.
Il est incontestable que, dans ce cas, la solidarité véritable a lieu, dès que le second acte est intervenu.
Mais qitid, avant qu'il soit intervenu ? Et quid, s'il n'intervient jamais ?
Dans ces deux cas, on ne peut dire qu'il y ait entre les deux codébiteurs ce mandat mutuel qui est le fondement de la solidarité. D'un autre côté, le premier acte où Primus s'est constitué débiteur solidaire ne peut être sans effet. On doit décider alors que Primus s'est constitué caution solidaire de la part de Secundus, ce qui n'exige pas sa participation (v. art. 1011), et on lui appliquera les articles 1020 et 1023, en tenant compte aussi de la distinction, plusieurs fois rencontrée au sujet du cautionnement, à savoir, si la caution s'est engagée sur le mandat du codébiteur ou à son insu.
147. On pressent déjà que la solidarité a quelques analogies avec le cautionnement, car chacun des débiteurs étant tenu de payer pour les autres en même temps que pour lui-même, ressemble beaucoup à une caution pour ce qu'il doit au-delà de sa part. On rencontrera, chemin faisant, des preuves de cette analogie, mais aussi des caractères propres à la solidarité, et on terminera par un parallèle entre les deux institutions (v. n° 177 bis.).
Le 2e alinéa de notre article a précisément pour but de prévenir une assimilation trop complète.
On a vu à l'article 1006 que la caution, n'étant qu'un débiteur accessoire, ne peut se soumettre à des conditions plus onéreuses que celles auxquelles est soumis le débiteur principal. Ici, il en est autrement: toutes les obligations sont principales; chacun des débiteurs peut, dès lors, être soumis à des modalités différentes de celles auxquelles se soumettent les autres. Ainsi, l'obligation de l'un peut être pure et simple, celle d'un autre, à terme, celle d'un troisième, sous condition; l'un peut devoir des intérêts et non l'autre; l'un peut se charger des cas fortuits, l'autre rester dans le droit commun. On ne comprendrait pas, en effet, pourquoi la liberté des conventions ne recevrait pas son application ordinaire.
Il est clair que le débiteur dont la position est la meilleure en jouira, non seulement vis-à-vis du créancier dont les droits seront restreints, mais encore visà-vis de ses codébiteurs, lorsqu'ils exerceront contre lui le recours en garantie dont il sera bientôt parlé.