Art. 1038. — N° 104. Il n'est pas rare qu'il y ait plusieurs cautions d'un même débiteur; déjà l'article 1023 l'a supposé, et il déclare que les poursuites doivent être divisées par le créancier entre les cautions, par portions viriles; dans le Projet, la division a même lieu de plein droit, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit formellement demandée par la caution poursuivie.
Mais cette disposition ne met pas un obstacle absolu à ce que l'une des cautions ait payé la totalité de la dette, ou une partie de la dette supérieure à sa portion virile. Plusieurs cas peuvent s'en présenter, dont trois sont prévus par ledit article 1023.
Le 1er cas est celui où il aurait été fixé des parts inégales, le 2e est celui où les cautions (ou co-fidéjusseurs) se sont engagées solidairement, soit entre elles, soit avec le débiteur; le 3° est celui où elles ont autrement renoncé à la division, soit purement et simplement, soit en s'engngeant indivisiblement.
Nous supposerons ici un 4e cas qui n'est pas d'ailleurs une exception à la division de plein droit, c'est celui où une caution, poursuivie ou non, a payé toute la dette, sans se prévaloir du bénéfice de division. C'est par allusion à ce cas que notre article suppose qu'une caution a payé toute la dette, Il volontairement ou non; " c'est alors seulement que le payement est volontaire.
Dans tous ces cas, il est naturel que celle des cautions qui a payé toute la dette ait un recours contre les autres: dans les trois premiers cas, parce qu'il ne doit pas dépendre du créancier de faire tomber la charge du cautionnement sur l'une des cautions; dans le quatrième, parce que la caution est présumée n'avoir consenti à faire pour les autres qu'une simple avance et non un sacrifice définitif.
La loi nous indique ici l'objet de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce et ses limites ou conditions.
105. L'objet du recours est la part de chaque eaution, ce qu'il faut entendre ici, naturellement, d'une part virile (pro numéro virorum), car les parts réelles des codébiteurs en général ne diffèrent des parts viriles que par l'inégalité d'intérêts dans la dette commune; or, les co-fidéjusseurs n'ont pas d'intérêt personnel dans la dette. Cependant, si les cautions s'étaient engagées pour des parts inégales, le recours ne s'effectuerait contre chacune que dans la mesure de la part à elle afférente.
106. Les voies de ce recours, les actions par lesquelles il s'exerce, sont de deux sortes: l'action de gestion d'affaires (ici il n'est pas question de mandat) et l'action du créancier transmise par subrogation.
Le Code français n'a pas mentionné la première de ces actions, sans doute parce que la caution qui a payé préférera user de l'action du créancier; mais si cette action était sur le point de s'éteindre par la prescription, au moment du payement fait au créancier (il y a de très courtes prescriptions, v. art. 1491 à 1500), ce payement ne l'interromprait pas, et pour peu que la caution, ignorant la date de l'échéance, tardât à exercer son recours, elle serait déchue de l'action du créancier; c'est alors qu'il serait utile à la caution d'exercer l'action de gestion d'affaires qui ne se prescrit qu'à partir du jour où le recours est né par le payement et dont la prescription est de trente ans.
Nous avons dit, incidemment, qu'il n'y avait pas lieu ici à l'action de mandat, tandis qu'elle est la plus fréquente pour le recours de la caution contre le débiteur principal; c'est qu'en effet, les co-fidéjusseurs ne se donnent pas un mandat mutuel, même quand ils interviennent en même temps et pour un même débiteur: le mandat suppose chez le mandant un intérêt à l'acte qu'il s'agit de faire; or, le débiteur a bien intérêt à être cautionné et les co-fidéjusseurs lui rendent conjointement un bon office; mais ceux-ci ne s'en rendent pas mutuellement; ils ne sont même gérants d'affaires les uns pour les autres que lorsqu'ils payent la dette commune, mais non lorsqu'ils s'engagent conjointement: pour qu'il en fût autrement, il faudrait que les cautions s'engageassent solidairement les unes avec les autres; on doit même, dans ce cas, admettre entre elles le mandat mutuel et tacite qui caractérise la solidarité: leur intérêt naît de leur association dans la garantie.
107. Lorsque la caution qui a payé exerce l'action du créancier contre ses co-fidéjusseurs, on pourrait croire qu'en vertu de la subrogation, elle peut poursuivre solidairement chacun d'eux (en retenant, bien entendu, une part à sa charge), au moins quand il y avait solidarité ou indivisibilité entre eux, ou quand ils avaient renoncé au bénéfice de division dans l'intérêt du créancier; mais ce serait un inutile circuit d'actions, car la caution qui rembourserait ainsi la totalité, moins une part, recourrait, à son tour, contre une autre pour le tout, moins deux parts, et ainsi de suite; autant vaut ne demander immédiatement à chacune que ce qu'elle doit supporter définitivement.
Le recours solidaire en vertu de la subrogation n'aurait pas d'ailleurs pour effet de préserver la caution qui l'exercerait des insolvabilités qui pourraient se rencontrer parmi les co-fidéjusseurs, car l'équité la plus évidente veut que, s'il y a des insolvables parmi eux, la perte se répartisse entre tous, " y compris celui qui a payé la dette," comme le dit l'article 1039, 2e alinéa, ci-après.
108. Le recours de la caution qui a payé, contre ses co-fidéjusseurs, est soumis par la loi aux Il mêmes conditions, limites et distinctions que son recours contre le débiteur principal." C'est dire que si la caution poursuivie avait négligé des moyens de défense qui auraient pu faire rejeter la demande du créancier, elle ne pourrait se faire rembourser par les autres cautions (art. 1032); de même, si, ayant payé, elle avait négligé d'en avertir ses co-fidéjusseurs, de sorte que ceux-ci ou l'un d'eux eussent payé une seconde fois (art. 1033).