N° 80. La matière de l'expropriation pour cause d'utilité publique a déjà dû trouver place au Chapitre de la Propriété (Livre II°, Chap. 1er); elle constitue, en effet, la première dérogation, et en même temps la plus grave, au droit de propriété.
Mais c'est une matière trop spéciale pour pouvoir être traitée, avec ses détails, dans le Code civil. Il suffit de poser en principe la prédominance de l'intérêt public sur l'intérêt privé; mais l'exercice des droits de l'Etat nécessite un certain nombre de mesures administratives qui ne peuvent être organisées que par des lois spéciales; en outre, ces lois sont sujettes à des variations fréquentes, tandis que la fixité doit être un des caractères d'un Code civil.
En France, depuis le Code civil senlement, l'expropriation pour cause d'utilité publique a été l'objet de sept lois principales différentes, sans compter un grand nombre d'ordonnances royales et de décrets impériaux réglant des détails d'exécution (a). On ne peut guère espérer arriver, de prime abord, au Japon, à une législation définitive sur cette matière.
La création de grandes lignes de chemins de fer, traversant le pays dans sa longueur, nécessitera un grand nombre d'expropriations. Jusqu'ici, on a pu faire face aux besoins avec une législation encore trèsincomplète et en laissant à l'administration une assez grande liberté d'action et de décision; mais il faut s'attendre à voir se multiplier les difficultés et croître les exigences des propriétaires, en même temps que les résistances de l'administration: la loi seule peut déterminer la manière de faire droit à ce qu'ont de légitime ces prétentions contraires.
Le Code civil doit donc se borner à proclamer le droit de l'Etat d'exproprier les particuliers pour cause d'utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité, et déjà l'article 32 a renvoyé aux lois spéciales pour le mode de règlement de cette indemnité.
81. Ici, on mentionne, à la suite de l'Etat, des départements et des communes, les concessionnaires de leurs droits, parce qu'il pourra arriver souvent que l'Etat ne procède pas lui-même aux travaux d'utilité publique, mais en fasse la concession à des compagnies qui feront procéder à l'expropriation comme représentant l'Etat ou comme concessionnaires de ses droits.
Le texte suppose implicitement qu'il pourrait y avoir cession amiable par les particuliers. Dans ce cas, il serait dressé un contrat entre l'administration et le propriétaire; cet acte serait considéré comme authentique, étant sans doute dressé par un officier public, civil ou administratif, et il produirait la translation immédiate de la propriété, conformément à l'article 351 du présent Code.
Il pourra arriver fréquemment, au Japon comme en France, que le propriétaire ne fasse pas d'objection à l'expropriation même, ce qui est le plus sage et le plus naturel, si les formalités légales ont été remplies, mais qu'il conteste le montant de l'indemnité offerte: dans ce cas, la cession sera toujours valable comme aliénation volontaire: il ne restera plus qu'à fixer l'indemnité, soit administrativement, soit judiciairement, suivant le mode qui sera fixé par la loi. On sait qu'en France, c'est un jury de douze citoyens qui fixe l'in. demnité.
On pourrait s'étonner qu'une cession à titre onéreux, qu'une vente, en réalité, soit valable avant la fixation du prix; mais les principes généraux permettent de vendre, en laissant la fixation ultérieure du prix à l'arbitrage d'un tiers (voy. ci-dessous, Chap. xii, Sect. 1", § 1er); or, c'est ce qui se passe dans le cas qui nous occupe: l'arbitre, c'est le jury ou toute autre autorité chargée de fixer l'indemnité.
Rappelons à ce sujet que le payement de l'indemnité n'est pas et ne peut pas être préalable à l'expropriation, c'est-à-dire au changement de propriétaire: il est préalable seulement à la prise de possession par l'Etat, comme l'exprime formellement l'article 32.
82. Soit que l'expropriation résulte d'une cession amiable ou d'un acte de l'autorité judiciaire ou administrative, et lorsqu'elle a un immeuble pour objet, la cession doit être portée à la connaissance de ceux qu'elle peut intéresser, par la voie de la transcription (art. 368-5°). Une fois la transcription faite, aucune cession nouvelle de la propriété, aucune constitution d'hypothèque ou d'autre droit réel, faite par l'ancien propriétaire, ne serait opposable à l'Etat ou à ceux qui sont subrogés à ses droits pour l'exécution des travaux.
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(a) Lois des 16 sept. 1807, 10 mars 1810, 30 mars 1831, 7 juillet 1833, 3 mai 1841, Sénatus-consulte du 25 déc. 1852, Loi du 27 juillet 1870.