Art. 549. — 617. Cet article et les deux suivants ont un caractère commun qui est celui d'une renonciation tacite à la compensation légale; les deux premiers présentent, en outre, une combinaison délicate de la compensation avec deux théories importantes déjà connues: la cession de créance et la saisie-arrêt; enfin, l'article 552 posera, pour les trois cas, un principe assez rigoureux, mais tempéré par une exception.
Il faut rappeler ici que la cession de créance n'est opposable au débiteur-cédé que si elle a été acceptée par lui ou lui a été au moins signifiée, par acte ayant date certaine dans les deux cas (voy. art. 367).
On trouve ici une grande différence d'effet entre les deux formalités: l'acceptation du cédé lui enlève le droit d'opposer la compensation, même pour des causes antérieures à son acceptation: la signification ne lui enlève ce bénéfice que pour les causes postérieures. Le motif de cette différence est facile à saisir: le cédé participe à la cession quand il l'accepte; l'acceptation est son œuvre; elle constitue, de sa part, une reconnaissance de la créance cédée, un engagement personnel et nouveau d'y faire droit au profit du cessionnaire. Cependant, ce n'est pas une novation par changement de créancier, parce que le cessionnaire exercera la créance primitive elle-même, avec tous ses avantages; c'est une simple reconnaissance de la dette, un nouveau titre, avec confirmation de la créance et renonciation du débiteur aux exceptions ou fins de non-recevoir qui pouvaient lui appartenir, ainsi que l'exprime formellement l'article 367, 23 alinéa; quant à l'intervention du cessionnaire, on ne peut pas la considérer comme étant l'effet d'un mandat du cédant à l'effet de recevoir, puisque c'est en son propre nom qu'il recevra le payement et, au besoin, le poursuivra (i): il faut dire, résolument, que s'il n'y a pas novation par changement de créancier, c'est parce qu'il n'y a point de novation sans intention de nover résultant clairement de l'acte (v. art. 514) et, ici, c'est l'intention contraire qui est évidente.
Le cessionnaire qui a obtenu l'acceptation ne pourrait donc être privé, plus tard, par l'effet de la compensation, d'un avantage sur lequel il a compté: la loi présume que le cédé qui pouvait renoncer expressément à la compensation acquise l'a fait tacitement; il ne serait même pas reçu, vis-à-vis du cessionnaire, à se faire relever contre son acceptation, pour cause d'erreur, par analogie d'un secours analogue que va lui accorder l'article 552: le cédé, en pareil cas, est toujours moins digne de protection que le cessionnaire qui a dû compter sur l'engagement pris envers lui par le premier.
Si le cédé avait des doutes sur son droit à la compensation ou à toute autre cause de libération, et entendait n'y pas renoncer, il lui suffirait de n'accepter que ” sous toutes réserves de ses droits: " la loi lui indique cette précaution.
Mais le cédé qui perd le bénéfice de la compensation acquise, ne cesse pas, pour cela, d'être créancier du cédant et il exercera contre celui-ci les droits d'un créancier ordinaire, pour tout ce dont il a perdu la compensation envers le cessionnaire, et cela, même avant de l'avoir effectivement payé; il pourra même, au cas prévu à l'article 552, exercer son aetion primitive, avec ses sûretés.
Au contraire, la signification est faite au cédé sans qu'il y participe autrement que pour la recevoir; il ne peut l'empêcher, elle ne peut donc lui nuire: aussi lui laisse-t-elle le bénéfice de la compensation acquise; la loi applique là le principe général que les conventions entre deux personnes ne peuvent nuire à un tiers, ne peuvent lui enlever des droits acquis (art. 365).
Mais, la signification avertit au moins le cédé de ne pas se créer des causes ultérieures de compensation avec son ancien créancier: elles ne seraient pas opposables au cessionnaire; si elles surviennent, elles ne pourront être exercées que comme créances ordinaires contre le cédant.
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(i) Les Romains avaient, à ce sujet, une théorie ingénieuse, aujourd'hui abandonnée: pour échapper à la novation par changement de créancier, ils disaient que le cessionnaire agissait comme mandataire du cédant, avec dispense de rendre compte des valeurs reçues; de là, son nom, assez singulier, de " procureur dans sa propre cause " (procurator in rem suam).