Art. 286. — 482. La loi arrive ici aux Servitudes proprement dites, à celles qui, à la différence des servitudes dites légale, ne sont pins le droit commun de la propriété, mais sont établies, exceptionnellement, par l'accord exprès ou tacite des propriétaires, pour l'amélioration économique d'un fonds.
On a déjà expliqué, sous l'article 227 (n° 342), que leur nom de foncières ne vient pas de ce qu'elles portent sur des fonds, mais de ce qu'elles appartiennent, figu- rativement, à des fonds dont elles deviennent des accessoires et, en quelque sorte, des qualités actives, comme disaient les jurisconsultes romains.
De même, lorsqu'on les qualifie de servitudes réelles, ce n'est pas pour dire qu'elles sont des droits réels, ce (plÎ est incontestable d'ailleurs, c'est pour exprimer que le droit appartient a une chose et qu'on ne peut avoir un droit de servitude sans avoir d'abord sur un fonds la propriété ou un de ses démembrements.
Le premier alinéa pose en principe la pleine liberté des propriétaires voisins pour établir entre leurs fonds ces rapports qui, vraisemblablement, apporteront plus d'avantages au fonds dominant qu'ils n'en enlèveront au fonds servant; d'ailleurs, leur intérêt est leur meilleur guide et si le fonds servant devait souffrir plus que le fonds dominant profiter, il est naturel de croire que les conditions plus onéreuses de l'arrangement en détourneraient l'un ou l'autre des voisins.
433. Parmi les servitudes du fait de l'homme, il y en a qui sont la contre-partie des servitudes légales et qui ont justement pour but de lever des entraves que la loi a cru devoir mettre à la liberté des voisins, mais que ceux-ci peuvent, d'un commun accord, juger inutiles, ou même nuisibles à leurs intérêts particuliers.
Ainsi, on peut, par convention:
1° Donner à l'un des voisins le droit d'envoyer chez l'autre, en dehors des conditions imposées par la loi, des eaux pluviales ou de source, ou même des eaux ménagères ou industrielles;
2° Affranchir un des voisins de la nécessité de payer une indemnité pour le passage d'un aqueduc, dans les cas où la loi ne l'autorise qu'à charge d'indemnité;
3° Affranchir un des voisins des distances légales à observer pour les puits, citernes ou caniveaux, pour les vues et pour les plantations d'arbres;
4° Supprimer, pour l'un des voisins l'obligation de contribuer aux frais du bornage ou de la clôture, dans les cas où la loi permet d'exiger celle-ci, ou même supprimer l'obligation de céder la mitoyenneté.
434. Mais il ne faudrait pas croire que les voisins pussent, par convention, s'affranchir de toutes les servitudes légales: le principe de la liberté des conventions reçoit ici une exception générale qui est de n'établir aucune servitude " contraire à l'ordre public." Or, quand la servitude légale est fondée sur un principe d'ordre public et sur un intérêt général de premier ordre (car il y a toujours un intérêt général dans la cause des servitudes légales), les parties ne peuvent s'en affranchir par une convention dont l'imprévoyance pourrait, plus tard, causer des troubles sérieux.
Ainsi on ne pourrait, par convention:
1° Supprimer le droit d'accès sur la propriété voisine pour la réparation des bâtiments, ni le droit de passage en cas d'enclave; car, dans le premier cas, on aurait ôté presque toute valeur au bâtiment qui viendrait à avoir besoin de réparations, et, dans le second, sa valeur tout entière au fonds enclavé;
2° Affranchir le voisin inférieur de l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement du fonds supérieur;
3° Affranchir le voisin supérieur ou inférieur de l'obligation de livrer passage, par aqueduc, aux eaux ménagères, industrielles ou agricoles, dans les cas où la, loi l'y soumet;
4° Affranchir les voisins de l'obligation de subir respectivement le bornage ou la clôture.
Toutefois, comme les conventions doivent recevoir tout l'effet possible, en tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public, on pourrait leur donner ici quelque effet quant à l'indemnité, an moins dans les trois derniers cas: ainsi, au 2e cas, celui qui aurait stipulé son affranchissement des eaux naturelles devrait recevoir une indemnité, si le propriétaire supérieur, pour échapper à l'inondation, était forcé de se prévaloir de la servitude légale; de même, au 8e cas, une indemnité spéciale et supplémentaire 'serait due par le voisin qui requerrait le passage d'un aqueduc après y avoir renoncé; au 4e cas, le bornage et la clôture, toujours possibles, seraient aux frais exclusifs de la partie qui les requerrait, après avoir pris un engagement contraire. On pourrait même, au 1er cas, mais par exception, donner effet à la convention qui tendrait à affranchir un fonds du droit d'accès du voisin, c'est lorsque la convention serait intervenue avant la construction en faveur de laquelle le droit d'accès est plus tard réclamé: cette convention, en effet, tendait indirectement à obliger le voisin à réserver le tour d'échelle (v. n° 350 et 419 bis): le constructeur) pour n'avoir pas tenu compte de cette indication, pourrait être tenu d'une indemnité plus forte que si elle était fixée par la seule application de l'article 230; il pourrait même, au cours de sa construction, être arrêté par la dénonciation de nouvel œuvre.
435. On a, plus haut, présenté comme valable la convention par laquelle un voisin renoncerait à user du droit que lui donne la loi d'acquérir la mitoyenneté d'un mur. La question n'est pas sans difficulté et peut-être quelques personnes hésiteraient-elles à admettre notre solution, à cause de l'intérêt économique qu'il y a à ne pas faire deux murs entre deux bâtiments; mais nous ne voyons pas là cet intérêt public " de premier ordre" qui nous semble la raison de prohiber certaines conventions contraires aux servitudes légales: une pareille convention sera trop peu fréquente et la propriété qui sera privée du droit de mitoyenneté ne sera pas assez dépréciée pour qu'il y ait lieu de déroger au principe général et essentiel de la liberté des conventions. Ce qui doit lever tous les doutes c'est que le propriétaire pourrait toujours se soustraire à l'obligation de céder la mitoyenneté en bâtissant en retraite de plus d'un pied de la ligne séparative (v. art. 277 bis).
Les cas qui précèdent paraissent êtue les seuls où 1ft servitude du fait de l'homme ne serait pas valablement établie, comme contraire à l'ordre public; car on ne conçoit guère quelle autre faculté illégale on pourrait stipuler sur le fonds d'autrui; en tout cas, l'acte serait défendu, non comme exercice illégal d'une servitude, mais comme acte interdit à toute personne.
436. Le second alinéa demande plus d'attention. Il rappelle, en paraissant y déroger, l'article G86 du Code français qui défend d'établir des charges " imposées à la personne ou en faveur de la personne."
Il est reconnu que cette double prohibition a été introduite dans la loi pour abolir tout vestige du système féodal, dans lequel les seigneurs avaient le droit d'exiger de leurs vassaux des prestations de travaux et de services personnels pour leurs terres et quelquefois pour leur personne. C'est dans le même ordre d'idées qu'a été écrit l'article 638 dudit Code, portant que " la servitude n'établit aucune prééminence d'un fonds sur l'autre."
Mais, quoique les mêmes abus ne paraissent pas avoir existé au Japon, au moins avec la même gravité, et qu'il n'y ait pas à en craindre un retour, il n'y a pas moins quelque utilité à régler des stipulations analogues, surtout pour ce qu'elles ont de valable.
La loi ne les prohibe pas, mais elle leur assigne leur véritable caractère.
Ainsi, l'ordre public ne s'oppose nullement à ce que deux voisins conviennent que l'un d'eux fera certains travaux sur le fonds de l'autre, soit par lui-même, soit par des hommes de journée payés par lui: par exemple, qu'il plantera le riz et le récoltera, qu'il réparera les bâtiments, qu'il curera les étangs, le tout avec ou sans rétribution, suivant les accords; mais cette convention ne vaudrait que comme promesse de services gratuits ou onéreux: le texte dit qu'elle donnerait une créance ou ”un droit personnel" et ne constituerait pas une servitude.
La conséquence en est fort importante: les services ne seraient pas dus par tout propriétaire qui succèderait sur le fonds au promettant, ils ne seraient dus que par le promettant lui-même, qu'il ait ou non gardé le fonds; ils ne seraient même pas dus par ses héritiers, car la promesse de service est personnelle, dans le sens le plus étroit du mot, elle ne passe même pas aux héritiers passivement; de même, l'obligation serait éteinte par la mort du stipulant et ne profiterait pas à ses héritiers; car les conventions de services, même faites à titre onéreux, sont généralement faites en considération des personnes, respectivement (voy. art. 331 et 358, 958 et 960).
Si le fonds sur lequel les travaux devaient être faits, venait à être aliéné, le changement de propriétaire devrait être, en principe et par le même motif, considéré comme mettant fin au contrat, à moins que le cédant n'ait expressément transféré sa créance de services en même temps que le fonds.
437. En sens inverse, si l'on suppose une stipulation donnant à un propriétaire le droit de se promener sur le fonds voisin, d'y chasser, d'y pêcher, de s'y baigner, il n'y aura là aucune charge pour la personne du propriétaire voisin; mais on n'y trouvera pas non plus un avantage pour tout propriétaire du fonds prétendu dominant, par conséquent, point de plus-value donnée au fonds lui-même; en effet, tous les propriétaires ne sont pas chasseurs ou pêcheurs: l 'âge, la santé, les occupations, pourraient rendre inutiles les facultés dont il s'agit; on ne se trouve donc pas dans les conditions qui font le mérite économique des servitudes: il n'y aura pas servitude foncière.
Mais une pareille stipulation n'a rien de contraire à l'ordre public et elle ne sera pas nulle; elle donnera même un droit réel, c'est-à-dire un droit affectant la propriété de la chose et la démembrant: ce sera, suivant qu'il sera établi à titre gratuit ou à titre onéreux et d'après les autres circonstances du fait, soit un droit d'usage spécial, soit un droit de bail, avec un objet plus limité que d'ordinaire; ce pourrait être aussi le droit personnel né d'un prêt à usage (1).
Quant à sa durée, elle sera, au maximum, celle de la vie du stipulant, et même elle sera moindre, si un délai avait été stipulé et qu'il se trouvât écoulé avant la mort du stipulant.
438. Il ne fallait pas cependant enlever le caractère de servitude foncière à toute charge établie entre voisins, par cela seul qu'elle imposerait à l'un d'eux quelque prestation de travail, personnel ou procuré, ou qu'elle aurait pour résultat un avantage au profit de la personne de l'autre ou des personnes de sa famille ou de sa maison.
Ainsi, dans le cas d'un droit de passage accordé à l'un des voisins sur le fonds de l'autre, on peut convenir que le chemin sera entretenu par ce dernier et, dans le cas d'un droit d'aqueduc, que le propriétaire du fonds servant entretiendra la construction et fera le curage, soit périodiquement, soit quand il sera nécessaire; dans ces deux cas et autres analogues, on ne devrait pas hésiter à reconnaître une servitude foncière: les travaux à exécuter par le propriétaire du fonds servant ne sont qu'une charge accessoire qui ne peut changer la nature de la charge principale; il ne restera plus qu'à la concilier avec le principe déjà énoncé que "la servitude n'oblige pas à faire mais seulement à souffrir y on donnera la conciliation en son lieu (voy. art. 305).
439. Ainsi encore, et en sens inverse, il est très fréquent que les mêmes servitudes de passage et d'aqueduc procurent au propriétaire ou aux siens des avantages personnels, comme la facilité ou la brièveté de la communication avec la voie publique, ou comme l'usage d'une eau plus abondante ou plus salubre pour les usages personnels et domestiques. Mais, ce qu'il y a de profit personnel est encore secondaire et accessoire; l'effet principal du droit de passage ou du droit d'aqueduc est toujours l'amélioration économique du fonds dominant; car tout propriétaire du fonds sera sensible à l'abréviation des distances ou à la qualité et il, la quantité de l'eau.
C'est pour répondre à cette distinction entre ce qui est accessoire et ce qui est principal que le texte ne refuse le caractère de servitudes foncières qu'aux charges qui ont "principalement" pour effet un travail personnel pour l'un des voisins ou un profit personnel pour l'autre.
440. On a dit (n° 345) que la perpétuité n'est pas de l'essence des servitudes foncières, cependant elle est de leur nature, et quand une servitude aura été établie pour un temps un peu court, il sera nécessaire d'examiner si, dans l'intention des parties, elle n'a pas été établie en faveur du propriétaire actuel, comme il est expliqué plus haut, plutôt qu'en faveur de son fonds; la question dépendra de l'ensemble des circonstances: spécialement, de la nature du service à tirer de la chose et des relations de parenté ou d'amitié des parties.
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(1) Cette dernière hypothèse est ajoutée dans cette nouvelle édition.