Art. 313. — 486. Cet article répond à l'article 708 du Code français qui n'est pas sans quelque obscurité.
Il pourrait arriver que le propriétaire du fonds dominant, sans négliger entièrement l'usage de la servitude, ne l'eût pas exercée dans toute sa plénitude: en pareil cas, il ne l'aurait ni perdue ni conservée tout entière, elle se trouverait diminuée dans ses avantages, quant au mode, quant au temps, quant au lieu.
Ainsi, quant au mode: celui qui avait le droit de passage à pied et avec voitures serait resté trente ans sans faire passer de voitures; ou bien, ayant le droit d'ouvrir deux ou plusieurs vues droites, à moins de trois pieds de la ligne. séparative, il n'en aurait ouvert qu'une seule; ayant le droit d'empêcher toute construction ou plantation dans une direction déterminée, il y aurait laissé établir un bâtiment ou des plantations plus ou moins élevées.
Quant au temps: pouvant puiser de l'eau à toute heure du jour et de la nuit, on serait resté trente ans sans en puiser pendant la nuit; de même pour le passage.
Quant au lieu: pouvant envoyer des animaux paître dans toute les parties du fonds voisin, on n'aurait usé du droit que pour une portion déterminée dudit fonds: par exemple, le fonds servant ayant été partagé en plusieurs lots, on aurait négligé d'exercer le pâturage sur l'un des lots.
Dans ces divers cas, qu'il s'agît du non-usage ou de la prescription, la perte serait la même, par application du principe déjà posé (n° 461): "autant on a possédé autant on a prescrit" (quantum possessum tantum prœscriptum).
La réciproque ne serait pas toujours vraie: si le propriétaire du fonds dominant avait changé le mode, le temps ou le lieu de l'exercice de la servitude, il ne pourrait pas nécessairement se prévaloir du changement, s'il y trouvait avantage; il faudrait, pour cela, que la servitude fût continue et apparente, c'eat-à-dire susceptible de prescription.
487. Parmi les modes d'extinction des servitudes, on n'a pas rencontré, comme pour l'usufruit, l'abus de jouissance.
En France, où cette cause d'extinction n'est pas non plus formellement énoncée dans la loi, quelques auteurs ont pensé qu'elle pouvait y être suppléée.
On n'a pas cru devoir adopter cette opinion et la consacrer dans le Projet; il n'y a pas d'ailleurs identité de motifs: l'usufruitier, ayant la possession entière et exclusive de la chose soumise à son droit, se trouve, par cela même, en situation de la compromettre plus gravement que le titulaire d'une servitude; par la même raison, sa possession et ses actes n'ont pas le contrôle continu du nu-propriétaire, lequel n'occupe, ni par lui- même ni par un représentant, aucune partie du fonds soumis à l'usufruit; au contraire, ce contrôle peut être exercé facilement et à chaque instant par le propriétaire du fonds servant. Il suffit donc de soumettre le titulaire de la servitude au droit commun de la responsabilité de ses actes.
Au surplus, on pourrait, dans quelque cas, admettre la révocation pour abus de jouissance, d'après les principes généraux; ce serait dans le cas où, la servitude ayant été constituée à titre onéreux et synallagmatique, avec des charges et conditions protectrices des intérêts du fonds servant, le titulaire aurait manqué à remplir ces conditions; il y aurait lieu alors à la résolution pour inexécution des conditions; mais ce cas d'extinction rentre dans celui, plus général, qui a été prévu et expliqué à l'article 307-2° et que l'on retrouvera, avec les développements nécessaires, au Tome suivant, dans la matière des Obligations.
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(2) Lorsque le Projet est arrivé aux causes qui suspendent la prescription, il a adopté pour la minorité une solution nouvelle: la prescription n'est suspendue que pendant la dernière année (v. art. 1467).