Art. 237. — 363. C'est cette servitude que le Code français fait dériver "de la situation des lieux," et que, pour cela, on nomme servitude naturelle; étant observé d'ailleurs qu'il ne s'agit, comme le dit ici le texte, que des eaux pluviales ou des eaux de sources, et non des eaux ménagères ou industrielles, dites aussi eaux artificielles.
On a déjà justifié la qualification de légale qui est donnée ici à la servitude.
L'eau suit si impérieusement la déclivité des terrains qu'il n'y a pas de force humaine qui puisse la retenir: le plus faible ruisseau, s'il est contenu plus ou moins long-temps, devient un torrent dévastateur.
La loi respecte et consacre la puissance de la nature et ce serait en vain qu'elle prétendrait dispenser les fonds inférieurs de l'obligation de recevoir les eaux naturelles des fonds plus élevés: la loi ne peut décréter que les rivières remonteront à leur source. Mais, l'obligation légale n'existe plus si la déclivité a été produite par des travaux exécutés sur le fonds supérieur.
Toutefois, le Projet japonais introduit, à cet égard, une sage innovation: il est souvent très-difficile de savoir si la disposition respective des lieux a toujours été la même; dans les villes et autres localités où la population est agglomérée, les terrains ont presque toujours subi des modifications plus ou moins considérables: les terrains bas ont été comblés et relevés, les pentes ont été modifiées; mais le souvenir en est perdu, ou l'origine en est difficile à prouver. Si les propriétaires des fonds inférieurs étaient admis à refuser de recevoir les eaux après un temps immémorial, en prouvant qu'il y a eu des travaux, de main d'homme, il en résulterait un dommage énorme pour les fonds supérieurs, et même, le plus souvent, il serait impossible de remettre les choses dans l'état primitif.
La loi va plus loin, elle assimile les travaux remontant à plus de 30 ans à ceux qui ont une ancienneté immémoriale.
364. Au surplus, on a cru inutile d'insérer dans le Projet deux dispositions qui se trouvent dans le Code français (art. 640) et dans le Code italien (art. 536), à savoir, que "le propriétaire du fonds inférieur ne peut point élever de digue qui empêche l'écoulement," et que, réciproquement, le propriétaire du fonds supérieur ne peut rien faire qui aggrave cet écoulement."
Ces dispositions sont évidemment surabondantes: si le propriétaire inférieur pouvait élever une digue contre les eaux, c'est qu'il ne serait pas tenu de les recevoir; si le propriétaire supérieur pouvait aggraver l'écoulement, on ne pourrait plus dire que celui-ci est naturel, qu'il a lieu "sans que la main de l'homme y ait contribué."
Ainsi, le propriétaire supérieur ne pourrait pas réunir ses eaux en un ou plusieurs ruisseaux qui, en faisant une irruption plus ou moins violente chez le voisin, pourraient lui causer dommage. Assurément, il pourrait diriger les eaux à son gré dans l'intérieur de son fonds; mais, il devrait, pour la sortie, leur rendre l'écoulement naturel déterminé par le terrain.
365. Un cas plus délicat est celui de savoir si le fonds inférieur serait tenu de recevoir les eaux d'un puits jaillissant creusé par le propriétaire supérieur, ou d'une source qui aurait été amenée par lui à la surface du sol. Il y aurait là, évidemment, un travail de l'homme, lequel semblerait exclure l'idée de servitude légale; d'un autre côté, l'eau étant amenée à la surface du sol, la pente peut la conduire naturellement chez le voisin, Faudrait-il obliger le propriétaire supérieur à supprimer le puits jaillissant ou la source ? Il y a des cas où ce serait impossible et où il n'y aurait d'autre remède que celui d'une indemnité au propriétaire inférieur. On pourrait dire qu'il y a là des eaux enclavées requérant un passage, comme les personnes, dans le cas de l'article 231.
Même question pour les eaux de source amenées d'une propriété voisine e-t que le cédant ne voudrait pas reprendre.
La question devra, le plus souvent, être résolue par les tribunaux, au moyen d'une indemnité: on assimilera les eaux jaillissantes ou provenant de travaux de l'homme aux eaux amenées pour l'irrigation et qui se trouveraient excéder les besoins du fonds qui les a obtenues. On verra, plus loin, que l'excédant des eaux d'irrigation peut être évacué sur les fonds inférieurs, moyennant indemnité.
On a quelquefois vu, en France, des voisins malveillants ou peu intelligents, alléguer que des monticules élevés sur le fonds supérieur aggravaient la servitude, comme donnant au fonds une plus grande surface recevant l'eau pluviale: l'idée était aussi fausse que s'ils eussent fait le même reproche à des toits inclinés: il est clair qu'il ne tombe pas plus d'eau pluviale sur un plan incliné que sur un plan horizontal. Ce qui peut induire en cette erreur les esprits peu ouverts, c'est qu'en effet, s'il s'agit de couvrir de gazon un monticule, il en faudra une plus grande quantité que sur une surface plane; de même, il tient plus de tuiles ou de feuilles métalliques sur un toit très-incliné que sur un toit presque horizontal.
La prétention qu'il en est de même pour l'eau pluviale égayerait certainement un tribunal, si elle était portée jusque devant lui.
366. Le propriétaire inférieur peut, de son coté, recueillir les eaux à l'entrée de son fonds, soit pour les diriger au lieu où elles sont le moins dommageables, soit pour s'en servir.
La loi n'a pas cru devoir exprimer que le propriétaire inférieur doit recevoir avec les eaux, les terres, sables ou pierres qui seraient entraînées par les eaux: mais, l'obligation est la même, si c'est toujours l'œuvre de la nature. Dans les pays de montagnes, les eaux entraînent souvent des masses énormes de terres et de graviers: les fonds inférieurs se trouvent ensablés et dévastés, les récoltes sont perdues, et il faut souvent plusieurs années pour reconstituer les cultures: c'est aux propriétaires des fonds inférieurs à faire chez eux des ouvrages qui retiennent les terres en laissant passer les eaux.
Une question inverse pourrait se présenter, à savoir: si le propriétaire supérieur aurait le droit de reprendre les terres, sables ou pierres que les eaux ont entraînés.
Il paraît difficile de lui refuser ce droit, pourvu qu'il ne cause pas de nouveaux dégâts et qu'il n'ait pas attendu que le propriétaire inférieur ait rétabli ses cultures sur les terres descendues chez lui, autrement, il pourrait être déclaré non recevable par l'effet d'un abandon volontaire desdits matériaux.