Art. 198, 199 et 200.— 292. Ces trois articles se ra pportent à la preuve des qualités de la possession.
C'est un principe général que celui qui invoque un droit doit prouver que ce droit lui appartient, et, si le droit est soumis à des conditions particulières, l'existence de ces conditions doit elle-même être prouvée.
Mais, quelquefois, la preuve directe serait difficile, et si, en même temps, il existe des vraisemblances, des probabilités, fondées sur les faits ordinaires de la vie, alors, la loi présume, suppose, l'existence de tout ou partie des conditions dont la preuve se trouve ainsi fournie; mais la preuve contraire est permise, en général, et elle peut se faire par tous les moyens ordinaires de preuve.
Ainsi la condition essentielle de la possession civile ou légale est que le possesseur exerce pour lui-même le droit dont il s'agit; or, comme il est bien plus fréquent qu'une personne possède pour elle-même que pour autrui, la loi présume cette condition remplie par le possesseur.
Mais le contraire aussi est possible; c'est donc à celui qui conteste la possession civile à prouver directement que la possession est précaire. Cette preuve se fera, soit par le titre même en vertu duquel la possession a été prise, par exemple, si c'est un dépôt, un prêt, un louage, soit par les circonstances du fait, desquelles il résulte que le possesseur a reconnu le droit d'autrui; ces circonstances elles-mêmes se prouveront par témoins ou par des écrits publics ou privés.
Rappelons que la preuve de la précarité résultant du titre serait détruite si le possesseur se trouvait dans l'un des deux cas prévus à l'article précédent.
293. L'article 199 contient deux dispositions différentes, au sujet de deux qualités très-importantes de la possession ci vile.
D'après la première, qui n'est qu'implicite, le juste titre ne se présume pas: il doit être prouvé. On pourrait dire, cependant, qu'ici encore la généralité des cas paraîtrait motiver une présomption légale favorable au possesseur; en effet, l'usurpation, la prise de possession sans titre, sont rares; mais, d'un autre côté, le juste titre, s'il existe, doit être si facile à prouver par les moyens ordinaires que la faveur d'une présomption n'a plus la même raison d'être.
Au contraire, une fois le juste titre prouvé directement, la bonne foi est présumée par la loi, et cela devait être, non-seulement parce que l'honnêteté est plus fréquente que la fraude, mais encore parce que la bonne foi serait difficile à prouver directement: elle consiste, en effet, dans l'ignorance des droits du véritable titulaire; elle a un caractère plutôt négatif que positif, et la preuve d'une négation est toujours difficile; tandis que, si la possession est de mauvaise foi, l'adversaire du possesseur le pourra facilement prouver.
294. Voici encore deux solutions différentes pour deux autres qualités de la possession.
La loi ne pouvait évidemment présumer la violence qui est un délit; en outre, il serait difficile au possesseur de prouver qu'il n'a pas commis de violence à l'origine, et qu'il ne s'est pas maintenu en possession par une violence continue: ce sont encore là des négations fort difficiles à prouver. En même temps, il sera très-facile à l'adversaire du possesseur de prouver directement, par témoins, qu'il a commis des actes de violence.
Au contraire, la publicité est un fait positif et continu, dont la preuve directe par le possesseur est d'autant plus facile qu'il a dû. avoir pour témoins tout le monde, au moins toutes les personnes de la localité; il n'y a donc aucune raison de présumer la publicité.
294 bis. La durée de la possession n'en change pas la nature, mais elle en augmente les effets, en général. Il est vrai que le premier avantage de la possession, à savoir, la présomption d'existence du droit exercé, est indépendant de la durée de la possession; mais la prescription des immeu bles est su bordonnée à une longue possession; l'acquisition des fruits civils qui a lieu jour par jour, sans acte de perception (art. 206), augmente avec la durée de la possession; enfin, l'exercice de deux des actions possessoires est subordonné à une possession annale (art. 215); il y a donc pour le possesseur un grand intérêt à établir la durée de sa possession, et par contre, chez le vrai propriétaire, un grand intérêt à la contester.
La loi, ici encore, établit une présomption légale en faveur du possesseur: s'il prouve qu'il a possédé à deux époq ues différentes, plus ou moins éloignées, il est présumé avoir possédé dans l'intervalle, sauf toujours la preuve contraire, par tous les moyens possibles.
Généralement, l'une de ces époques est celle du procès entre le possesseur et le vrai propriétaire (action en revendication ou action possessoire), l'autre époque est celle qui, par son éloiguement, suffirait pour assurer au possesseur le bénéfice de la prescription ou au moins de l'action possessoire. Quand le possesseur a prouvé directement sa possession à ces deux époques extrêmes, il est dispensé de prouver qu'il a possédé dans l'intervalle (e): outre qu'il lui serait bien difficile de prouver directement qu'il a possédé sans discontinuité, la vraisem blance de fait en ce sens est pour lui: c'est, ici encore, un cas où la loi statue pour ce qui arrive le plus souvent (de eo quod plerumque fit).
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(e) On dit, en forme d'axiome: probatis extremis, média præsumuntur, les deux extrêmes étant prouvés, l'intervalle est présumé."