Art. 197. — 288. La précarité est quelquefois qualifiée de vice de la possession et mise, comme telle, sur la même ligne que la violence et la clandestinité. Cette assimilation, qui remonte aux Romains, est fondée sur ce que la précarité met obstacle à la prescription et même un obstacle plus considérable, car elle est, généralement, une qualité absolue et non pas relative comme les deux autres. Mais il vaut mieux éviter de dire que la précarité est un vice de la possession, puisqu'elle ne Contient en elle-même ni faute, ni dissimulation.
Le texte la présente comme une variété de la possession naturelle: en effet, le possesseur ne prétend pas avoir pour lui la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce; mais, de plus, il détient la chose ou exerce le droit pour une autre personne, soit en vertu d'un mandat ou d'une gestion d'affaires spontanée, soit en vertu d'un dépôt, d'un prêt à usage, d'une constitution de: dot. ou d'un autre contrat l'obligeant à conserver la chose avec soin et à la restituer à l'autre contractant.
Il faut considérer également comme possesseurs précaires ceux qui détiennent à titre de gage, d'an- tichrèse, d'usufruit, de servitude ou de louage.
Cependant, ces personnes ont un droit réel qu'elles exercent en leur nom, pour leur compte, et non pour le compte et dans l'intérêt d'autrui.
Quand on dit que ce sont des possesseurs 'précaires-, c'est par rapport au droit de propriété qu'on l'entend. En effet, quoique ces possesseurs détiennent la chose et puissent abusivement faire des actes de propriétaire, ces actes ne les conduiront pas à la prescription acquisi- tive de la propriété; mais, pour ce qui est du droit même que leur confère leur titre, ils ne sont pas possesseurs précaires, ils possèdent pour eux-inêmes; bien plus, ils seront, le plus souvent, titulaires légitimes du droit qu'ils possèdent; car, dans ce cas, il n'y a pas de raison particulière de supposer qu'ils ont traité avec quelqu'un qui n'avait pas qualité pour céder le droit dont il s'agit.
On a dit, dans l'Exposé (n° 255), que, pour trouver dés possesseurs précaires à l'égard de l'usufruit et des autres droits réels formant des démembrements de la propriété, il faudrait supposer des possesseurs exerçant ces droits au nom et pour le compte d'autrui, comme un tuteur, un mari, un administrateur.
289. La précarité, à la différence de la violence et de la clandestinité, est, comme on l'a dit plus haut, une qualité absolue et non pas relative de la possession, au moins en général (comp. n° 290); en conséquence, le possesseur précaire ne pourra se prévaloir de sa possession, non-seulement à l'encontre de celui au nom et pour le compte duquel il possède, mais même à l'encontre de personne autre; la raison en est que le possessèur précaire n'a qu'une possession naturelle: il lui manque, pour avoir la possession civile, l'intention d'avoir à lui ou pour lui (pro sua) la chose qu'il détient ou le droit qu'il exerce.
La précarité cesse, en principe, comme les vicès de la possession, par la survenance de la qualité qui manquait à la possession: par exemple, quand le possesseur, par changement d'intention, commence à posséder pour lui-même.
Mais le principe reçoit exception et devient d'une application plus difficile lorsque le possesseur précaire détenait la chose en vertu d'un titre qui constituait formellement sa précarité, comme un dépôt, un prêt, un louage. En pareil cas, il ne peut pas dépendre de la volonté ou de la seule intention du possesseur de transformer sa possession au mépris d'un titre auquel le titulaire légitime du droit a participé et sur lequel il a fondé sa sécurité (v. ci-dessus, Exposé, n° 255): il faut alors l'un ou l'autre des deux actes formels prévus par notre article, pour que la possession, de précaire qu'elle était, devienne civile.
Ces deux actes sont exigés aussi par le Code français (art. 2238) qui lui-même les a empruntés à l'ancienne législation romaine.
Ils ne demandent que peu d'explications.
290. 1° Si le possesseur précaire prétend exercer à l'avenir, en son nom et pour son compte, le droit dont il s'agit, il signifiera à celui pour le compte duquel il possédait en vertu d'un titre, que, désormais, il se considère comme titulaire du droit. La signification sera dite judiciaire, quand elle aura le caractère d'une demande en justice, et extrajudiciaire, quand elle ne constituera pas une demande en justice, mais, au moins, sera faite en bonne et due forme, par un officier public, suivant les règles de la procédure extrajudiciaire.
Dans cette signification, le possesseur donnera naturellement ses motifs; s'il ne les donne pas ou s'ils ne sont pas trouvés suffisants par son adversaire, ce dernier les contestera et le procès s'engagera; de toute manière, la précarité cesse, au moins jusqu'à la décision finale, et elle cesse vis-à-vis de tout le monde.
Toutefois, si la signification dont il s'agit avait dû être faite à plusieurs intéressés et n'avait été faite qu'à un seul, la précarité ne cesserait qu'à l'égard de celui-là et c'est pourquoi nous avons dit (n° 286) que le vice dont il sagit n'est absolu que en général: voilà un cas où il est relatif.
Bien que cette disposition du Projet paraisse empruntée au Code français, elle en diffère cependant, si on rapproche les deux textes: le Code français (loco cit.) exige que la " contradiction " soit signifiée au vrai propriétaire, tandis que le Projet japonais veut que la signification soit faite " à celui pour le compte duquel la possession précaire avait lieu."
Il n'est pas douteux que la pensée de la loi française a été la même: les rédacteurs se sont placés dans l'hypothèse la plus fréquente, celle où le possesseur précaire avait un titre émané du vrai propriétaire. Mais il pourrait arriver qu'une chose ait été déposée, prêtée ou louée par un autre que le vrai propriétaire: la possession résultant d'un pareil acte serait d'abord précaire vis-à-vis de tout le monde; mais si le possesseur voulait transformer sa possession naturelle en possession civile, ce n'est pas au véritable propriétaire qu'il devrait signifier la contradiction, lors même qu'il le connaîtrait, mais à celui qui lui a fait le dépôt, le prêt ou le louage, parce que c'est avec celui-là qu'il a contracté; et, en pareil cas, il aura les avantages attachés à la possession, non-seulement vis-à-vis de celui avec lequel il avait traité, ce qui n'a pas grand intérêt, mais surtout, vis-à-vis du vrai propriétaire.
291. 2° Le possesseur précaire commence à posséder civilement et pour lui-même, quand son titre est interverti, changé en un autre titre qui l'autorise à posséder désormais pour lui-même (pro suc)..Ici encore, le Projet s'écarte un peu du Code français qui ne suppose le nouveau titre émané que d'un tiers: on ajoute ici "le contractant." Ainsi quelqu'un détenait, comme dépositaire ou emprunteur, une chose qui lui avait été confiée par un autre que le propriétaire: il n'aurait pu la prescrire, ni contre le déposant, ni contre le vrai propriétaire; mais, plus tard, il fait avec le déposant un contrat d'achat ou d'échange qui l'autorise à posséder désormais la chose comme sienne: il la prescrira.
Le cas où le possesseur traite avec un tiers donnerait le même résultat; il sera peut-être de bonne foi, peut- être de mauvaise foi; cela influera sur le temps requis pour la prescription, mais la mauvaise foi n'empêchera pas celle-ci.
La loi n'a pas à prévoir une interversion du titre provenant du véritable propriétaire, parce qu'alors le possesseur deviendrait lui-même propriétaire et il ne serait plus question de la simple possession.