Art. 121. — 166. La loi commence ce Chapitre comme les précédents, par une définition du Droit dont il va être traité.
Le fait seul, par la loi, d'avoir placé le droit résultant du bail dans cette lre Partie du Livre IIe, prouve que le Projet japonais le classe parmi les droits réel,s* mais l'article 2 l'avait déjà annoncée comme tel.
En France, et dans les autres pays qui ont suivi surtout la législation romaine, le droit du preneur est considéré comme un simple droit personnel, comme un droit de créance contre le bailleur et qui n'affecte pas la chose louée; c'est, au moins, l'opinion générale. Mais il y a des divergences d'opinion et les textes ne sont pas sans laisser des doutes à cet égard. La loi française, notamment, a donné au preneur d'immeuble un des avantages du droit réel, le plus considérable: elle a rendu son droit opposable aux sous-acquéreurs, quoiqu'il n'ait pas traité avec ceux-ci (voy. c. civ, art. 174S) et, par une conséquence naturelle, elle a soumis à la publicité par la transcription les baux d'une longue durée, ceux de plus de 18 ans (Loi du 23 mars 1855, art 2). Plusieurs auteurs en ont conclu que le Code civil français avait, à cet égard, transformé l'ancienne nature du droit du preneur en un droit réel.
Cette opinion, difficile à admettre en France, avec les précédents historiques, n'a rien de contraire à la raison; elle est même favorable aux intérêts économiques du pays. Il eût fallu seulement que la loi s'en expliquât.
Le Projet japonais, en fortifiant le droit du preneur, en lui donnant, par le caractère réel, une plus grande stabilité encore que celle qu'il a en France et ailleurs, favorisera l'agriculture, dans le louage des terres, et le commerce autant que l'industrie, dans le louage des bâtiments.
On indiquera, chemin faisant, les dispositions du Projet qui sont les conséquences de la réalité du droit.
On va reprendre maintenant la définition donnée par ce premier article.
167. D'abord, la loi ne s'occupe ici que du louage des choses corporelles.
Il existe deux louages de choses incorporelles, le louage d'ouvrage ou d'industrie et le louage de services. Ces deux sortes de louage peuvent avoir et ont certainement des points de ressemblance avec le louage des choses corporelles: mais une grande différence les sépare: il est clair que le louage d'ouvrage et le louage de services ne peuvent donner au preneur un droit réel, un droit sur la chose louée; ce ne peut être qu'un droit contre la personne de celui qui a promis son travail industriel ou ses services. La loi traitera de cette autre espèce de louage, parmi ceux des contrats qui ne produisent que des droits personnels (Livre lIre, art. 956 et s.).
Mais si la chose est corporelle, l'usage loué de cette chose est réel, sans distinguer si elle est mobilière ou immobilière; seulement, les droits réels mobiliers étant rarement opposables aux tiers, la question de la nature du droit du preneur perd une grande partie de son intérêt pour les meubles.
Le preneur d'une chose corporelle a un droit trèsvoisin du droit d'usufruit: il peut, de même que l'usufruitier, user et jouir de la chose d'autrui, et son droit a, sauf quelques particularités, la même étendue et les mêmes limites que l'usufruit; aussi, doit on compléter les dispositions du présent Chapitre par celles du précédent. La loi, elle-même, s'y réfère plus d'une fois (voy. art. 133, 155, 156) et ces renvois ne sont pas limitatifs: nous aurons occasion d'en ajouter d'autres.
Plusieurs différences cependant séparent le droit du preneur de celui de l'usufruitier. D'abord, quant à la durée; le droit de l'usufruitier est, en général, viager: il a pour durée la vie de l'usufruitier; le droit du preneur n'a pas ce caractère aléatoire: il est ordinairement établi pour une durée fixée.
Le droit de l'usufruitier est généralement établi à titre gratuit (par donation ou par testament); le droit du preneur est toujours établi à titre onéreux, c'est-àdire moyennant un sacrifice de sa part.
Lors même que l'usufruit est établi à titre onéreux,il y a encore une différence: l'usufruit établi à titre onéreux, le sera moyennant un prix de vente une fois payé, ou moyennant une chose fournie en échange; le droit du preneur sera acquis et conservé moyennant une prestation périodique, en argent ou en produits.
Il y a une autre différence entre les deux droits, quant à la manière même dont ils s'établissent: l'usufruit est quelquefois établi par la loi; le droit de bail ne l'est jamais que par contrat.
Enfin la prescription peut être invoquée comme présomption d'acquisition légitime d'un usufruit (v. art. 47 3e al. et n° 77 bis); elle ne recevra pas cette application en matière de bail (v. n° 171).
La Section suivante (art. 124) mettra ces différences en évidence.
Voici enfin la différence la plus considérable entre les deux droits: le constituant d'un usufruit n'est, en général, tenu d'aucune obligation personnelle envers l'usufruitier; ce n'est qu'au cas, assez rare, de vente de l'usufruit, qu'il aurait l'obligation de tout vendeur, de garantir l'acheteur contre l'éviction (a). Au contraire, le bailleur est toujours obligé envers le preneur, à le garantir, non seulement de l'éviction, mais encore de tout autre trouble, provenant même d'un cas fortuit ou d'une force majeure. En d'autres termes, il doit lui garantir une jouissance continue, laquelle est considérée comme la cause de l'obligation du preneur de payer une redevance périodique.
Sans doute, les parties peuvent, par la convention, restreindre ou supprimer cette garantie; mais, à défaut de convention, elle est due au preneur; c'est pourquoi on dit qu'elle n'est pas essentielle, mais naturelle au contrat.
Dans la constitution d'usufruit à titre gratuit, la garantie de la jouissance contre les cas fortuits ou la force majeure n'aurait lieu que si elle avait été stipulée: on dirait alors qu'elle est accidentelle à l'usufruit.
Nous signalerons encore quelques différences: ce qui a été dit de la jouissance de l'usufruitier à l'égard de l'indemnité d'expropriation ou d'incendie, ne s'appliquerait pas au preneur; au cas d'expropriation, le preneur recevra une indemnité spéciale; l'assurance ne profitera au preneur que s'il a lui-même assuré son droit de bail; il en est de même des obligations de l'usufruitier relatives aux réparations d'entretien, aux impôts, aux procès: elles n'incombent pas au preneur.
On trouvera, en Appendice à ce Chapitre, des règles particulières sur des baux d'un caractère spécial, l'Em- phytêose et la Superficie.
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(a) Eoiction, du latin e ou ex, hors, et vincere, victus, vaincre, vaincu: l'acheteur évincé est vaincu et mis dehors.