Art. 11. — 20. Ici, il s'agit de choses qui, par leur nature, ne sont ni meubles ni immeubles, étant incorporelles; mais ce caractère peut leur être imprimé par la loi, au moyen d'une sorte de fiction qui ne nuit à aucun intérêt et qui, au contraire, répond à un besoin de simplicité dans la classification des choses (sup. note 2).
Les présentes Dispositions générales présentant une division des Droits ou Biens, autant et plus encore que des Choses, il fallait faire rentrer les droits dans les Lieux mobiliers ou immobiliers.
Le procédé le plus simple était de s'attacher à la nature physique des objets sur lesquels le droit s'exerce directement ou à l'acquisition desquels il tend; dès lors, on pouvait, sans s'écarter de la raison, donner aux droits la même nature figurée ou fictive. C'est le procédé qu'a suivi le Projet japonais.
La loi française a ici manqué de logique au fond, et de précision dans son langage. Lorsqu'il s'agit de droits portant sur des immeubles, elle leur donne la qualification " d'immeubles par l'objet auquel ils s'appliquent;" lorsqu'il s'agit de droits portant sur des meubles ou tendant à les acquérir (droits personnels) elle les nomme " meubles par la détermination de la loi." Or, la même formule devait leur être commune, et la seconde était incontestablement la meilleure.
Assurément, la nature physique et corporelle des choses qui sont l'objet du droit a ici une importance capitale, déterminante; mais elle ne suffirait pas, sans l'intervention de la loi qui crée ou, au moins, ratifie la fiction que suggère la raison.
Les droits réels portant sur les immeubles corporels et les droits personnels ou de créance tendant à les acquérir sont donc immobiliers " par la détermination de la loi." Telle est la disposition des deux premiers alinéas de l'article 11.
Le 3e alinéa suppose qu'un propriétaire ou possesseur de sol a stipulé qu'il lui serait construit un bâtiment, et il déclare que la créance est immobilière " si les matériaux doivent être fournis par le constructeur" (5). Dans ce cas, le constructeur est vraiment débiteur d'un immeuble qu'il prestera par trois opérations successives: la fourniture des matériaux, la main-d'œuvre qui les met en état d'être employés et la construction même ou édification.
Mais si les matériaux, qui sont l'élément principal du bâtiment, doivent être fournis par le stipulant, la créance n'est que mobilière, parce que le constructeur n'a plus qu'une double obligation de faire: préparer les matériaux et édifier; et quand il aura exécuté ces deux obligations il n'aura pas mis un immeuble dans le patrimoine du créancier: il n'aura fait qu'une transformation des matériaux.
21. Le 4e alinéa présente une intervention encore plus puissante de la loi, en ce sens que les objets sur lesquels porte ou auxquels tend le droit sont meubles, et cependant le droit est immeuble.
L'application de cet alinéa ne paraît pas encore exister aii Japon; mais elle parait désirée et attendre seulement que la loi l'ait déclarée possible.
En France, et dans d'autres pays d'Europe suivant à peu près les mêmes principes, il arrive quelquefois que, pour donner plus de stabilité à certaines fortunes, on imprime le caractère d'immeubles, avec les garanties qui s'y rattachent, à des valeurs mobilières qui les composent.
Le Code civil (art. 896) admettait, sous le 1er Empire, l'institution des majorats ou fortunes créées, soit avec des biens de l'Etat, en récompense de services publics, soit avec des biens privés, avec autorisation du Gouvernement; ces majorats étaient, comme l'indique leur nom, transmissibles à l'aîné seul des enfants du titulaire, de mâle en mâle.
L'usage était de les constituer plutôt en immeubles qu'en meubles, et ces immeubles étaient inaliénables par les détenteurs successifs du bien. Mais, lorsque le majorat ne pouvait être constitué en immeubles corporels, ou lorsque les immeubles ne donnaient que des revenus insuffisants, on pouvait y attacher une dotation en rentes sur l'Etat ou en actions de la Banque de France, auxquelles on donnait le caractère immobilier, avec l'inaliénabilité (Décret du 1er mars 1808).
Les majorats ont été interdits pour l'avenir, par une loi du 12 mai 1835; ils ont encore été réduits par une loi du 7 mai 1849; mais ils ne sont pas tous éteints.
Au Japon, il ne serait pas déraisonnable de les admettre dans certaines familles princières, " pour conserver l'éclat du nom et du rang," suivant l'expression autrefois consacrée. Ces institutions ont cependant des inconvénients économiques aujourd'hui reconnus; mais ce qui serait inadmissible, à tous les points de vue, dans les pays démocratiques, peut, dans des limites modérées, être en harmonie avec les institutions monarchiques (6).
Il y a encore une autre situation analogue qui pourra se produire au Japon.
La conservation de la dot des femmes mariées a préoccupé le législateur de tous les pays et en tout temps. En France, lorsque les époux sont mariés sous le régime matrimonial appelé régime dotal, les immeubles de la femme sont inaliénables. Lorsqu'elle n'a pas d'immeubles, elle peut se constituer en dot des rentes sur l'Etat ou des valeurs considérées par la loi comme analogues et elles sont inaliénables également. Elles ne sont pas immobilisées à tous égards, mais l'analogie est bien grande.
Rien n'empêchera, au Japon, d'adopter quelques- unes de ces règles, lorsqu'on rédigera le Contrat de mariage. Cependant nous ne le proposerons pas, à cause des inconvénients économiques graves de l'ina- liénabilité (7).
Ce que la loi devait faire ici, pour ne pas entraver l'avenir, c'était d'admettre le principe de l'immobilisation possible des rentes sur l'Etat ou d'autres créances mobilières.
On pourrait croire que dans le cas où la volonté des particuliers est nécessaire pour immobiliser les rentes ou autres créances, on rencontre alors des immeubles par destination ou volonté de l'homme; mais, comme cette volonté ne suffit pas, comme elle doit être limitée aux cas prévus par la loi et en conformité à ses conditions, il est mieux de rapporter l'immobilisation à la disposition de la loi et l'on évite en même temps des distinctions trop multipliées.
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(5). Cet alinéa a été ajouté sur les observations de la Commission.
(6) Depuis la seconde rédaction de ce Projet en (1882), beaucoup de majorats ont été autorises dans des familles de l'ancienne et de la nouvelle noblesse; ils sont constitués en biens privés de ces familles par leur chef.
(7) Le Projet du Contrat de mariage n'admet pas l'ina- liénabilité des biens dotaux.