Art. 330 et 330 bis (7). -57. La loi arrive aux cas de défaut complet et de vices du consentement.
Elle ne parle pas, comme allant de soi, d'un premier cas où il n'y a pas de consentement; c'est celui où l'une des parties n'aurait pas donné son adhésion extérieure au projet de convention et où cependant l'autre partie prétendrait qu'elle a consenti: il n'y a là qu'un point de fait à vérifier.
La loi ne parle pas non plus du cas où il y aurait défaut complet de volonté ou de consentement, par absence totale d'intelligence de l'acte juridique chez l'une des parties, comme chez un enfant en bas âge, chez un fou, hors d'un intervalle lucide, ou chez une personne atteinte d'une fièvre délirante: il est évident que le consentement de ces personnes n'est pas vicié, mais manque entièrement. D'un autre côté, la loi ne pouvant déterminer avec la précision nécessaire les cas où se rencontrera ce défaut absolu de consentement, c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de le constater dans chaque affaire.
Mais le présent article croit devoir déclarer que certaines erreurs sont exclusives d'un consentement véritable, quoiqu'il soit apparent en la forme; cela est d'autant plus nécessaire que d'autres erreurs dont il est parlé ensuite ne produisent qu'un vice du consentement, (lequel rend le contrat simplement annulable), et que d'autres erreurs laissent même au consentement toute sa validité. En général, les lois abandonnent à la doctrine le soin de distinguer ces diverses sortes d'erreurs; mais ce système n'est pas sans danger; il ressemble d'ailleurs à une abdication du législateur, dans un ordre de difficultés qui n'est plus, comme le précédent, défait, mais de droit.
On trouve ici quatre erreurs dont la nature et la gravité sont telles qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu consentement de la part de celui qui les a commises.
58. A. Erreur sur la nature de la convention. Le contrat proposé par l'une des parties était une vente, l'autre partie a cru faire un échange; ou bien, l'une proposait un louage, l'autre a cru recevoir un prêt à usage (contrat gratuit); ainsi encore, l'une entendait avoir un débiteur solidaire, l'autre n'a voulu s'engager que comme caution. Sans doute, de pareilles erreurs ne seront pas fréquentes, mais elles ne sont pas invraisemblables, si l'on suppose que les pourparlers ont porté sur les deux conventions et que la réponse a été donnée par lettre, sans rédaction d'un acte en bonne forme. Dans tous les cas supposés, il est clair que chaque partie ayant eu en vue une convention différente, il n'y a pas eu même sentiment, consentement. Une réserve, toutefois, est à faire sur la dernière hypothèse: si le créancier qui a cru obtenir un engagement solidaire consentait, après coup, à recevoir comme caution la partie qui a entendu ne prendre que cette qualité, celle-ci ne pourrait se soustraire à son engagement
On a vu, au n° 28, que la promesse d'un contrat, même acceptée comme telle par celui auquel elle a été faite, n'est pas encore le contrat promis, mais qu'elle constitue seulement un contrat innommé. La loi nous avertit ici (2e al.) que si l'une des parties croyait que le contrat promis est déjà formé, lorsque l'autre croit avec raison le contraire, cette erreur ne suffirait pas pour empêcher la convention de se former; assurément, il n'y aura que contrat innommé, mais les effets sont si voisins de ceux du contrat nommé promis qu'il y aurait mauvaise foi de l'une des parties à se prétendre libre de tout engagement: il n'y a ici qu'une erreur de droit, et l'erreur de droit entraîne plus difficilement que l'erreur de fait la nullité absolue de la convention (voy. art. 332) (8).
59. B. Erreur sur l'objet de la convention. Les pourparlers préalables à la convention, par exemple à une vente, avaient porté sur plusieurs objets, successivement et disjonctivement; au dernier moment, l'acheteur a déclaré accepter, par correspondance toujours, et il entendait acheter un des objets propo es, quand le vendeur pensait qu'il s'agissait d'un autre; c'est là l'erreur dite " sur le corps même de la chose" (in ipso corpore ni), qu'il ne faut pas confondre avec l'erreur " sur les qualités de la chose" dont il sera parlé plus loin (art. 331). Ici encore il n'y a pas accord des volontés.
60. C. Erreur sur la cause et sur le motif de la convention. On réunit ici deux erreurs très différentes dans leur gravité, mais de natures très voisines.
L'erreur sur la cause semble, au premier abord, difficile à supposer. On a déjà dit que les contrats nommés ont toujours une cause qui est de leur essence et qui, par cela même qu'elle est reconnue par la loi, doit être toujours vraie, comme elle est toujours licite (g). On peut cependant citer des ventes nulles pour fausse cause; ce sont les ventes faites par un autre que le propriétaire ou "ventes de la chose d'autrui:" on a déjà dit (n° 44) qu'elles sont nulles par un vice de l' objet qui " n'est pas dans le commerce du vendeur;" elles sont aussi nulles faute de cause ou pour fausse cause, parce que l'acheteur avait pour but, en contractant, d'acquérir la propriété et que ce but est impossible à atteindre, en traitant avec un non-propriétaire; on pourrait même trouver un troisième principe de nullité de la vente de la chose d'autrui, ce serait l'erreur sur une qualité civile de la personne du vendeur (v. art. 330); mais cette explication ne suffirait pas toujours sans l'une des deux autres; car, lors même que l'acheteur saurait que le vendeur n'est pas propriétaire, la vente serait encore nulle.
L'erreur sur la cause est plus fréquente dans les contrats innommés auxquels la cause est donnée par les parties; d'où elle peut être erronée ou simulée, comme elle peut être illicite, ainsi qu'on l'a déjà remarqué (n° 45). Il ne s'agit ici que du cas où la cause est erronée, parce que c'est le seul cas où le consentement n'existe pas. Par exemple, dans la novation, l'une des parties, tenue de plusieurs obligations envers un même créancier, a entendu, en contractant l'obligation nouvelle, se libérer de l'une de ses obligations, alors que le créancier entendait la libérer d'une autre: il y a bien une cause à la novation, il aurait même pu y en avoir plusieurs, puisque le débiteur avait plusieurs dettes à éteindre; mais il n'y a pas eu accord sur la même cause, donc pas de consentement.
61. La loi tranche, dans le présent article, un point de doctrine fort important, en déclarant que l'erreur sur le motif n'entraîne jamais la nullité de la convention; la raison en est que cette erreur n'exclut ni ne vicie le consentement, et lors même qu'elle serait l'effet d'un dol de l'autre partie, il ne serait pas encore exact de dire, dans la théorie nouvelle du Projet, qu'il y a vice de consentement: il n'y aurait qu'un "dommage causé injustement," donnant lieu à réparation, comme 011 l'expliquera plus loin, au sujet du dol commis dans les conventions (v. art. 333).
Il est donc très important de bien distinguer le motif d'avec la cause.
On a vu, plus haut (n° 45), que la cause de la convention est la raison qui détermine, qui décide les parties à la faire; mais il faut l'entendre de la raison immédiatement et directement déterminante. Le motif est une raison médiate, indirecte, éloignée, qui nous porte à contracter: il est la cause première et, pour ainsi dire, la cause de la cause.
Dans le langage ordinaire, les mots cause et motif, appliqués aux actions des hommes, sont synonymes; mais dans le langage du droit, on a dû les distinguer et, tout en leur donnant le nom commun de raison d'agi'l', on les différencie par leur relation avec l'acte, laquelle est immédiate ou médiate, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée. On doit aussi remarquer (et ce point est très important) que, tandis qu'il n'y a, en général, qu'une seule cause de la convention, il y a toujours 'plusieurs motifs que l'on trouve en remontant du plus proche au plus éloigné.
62. Cela étant admis, on va prendre des exemples de motifs; on verra ensuite pourquoi l'erreur sur le motif n'est pas une cause de nullité comme l'erreur sur la cause.
Si, dans le contrat de vente d'immeuble, on cherche la cause de la convention, on trouve, pour le vendeur, le désir d'acquérir un prix ou la créance du prix, et, pour l'acheteur, le désir d'acquérir la propriété. Mais pourquoi le vendeur et l'acheteur veulent-ils ainsi, chacun, transformer une valeur de leur patrimoine en une autre? Ce sont des raisons toutes personnelles, de convenance ou d'intérêt, dans lesquelles, ni la loi, ni même l'autre partie, n'ont à s'immiscer: le vendeur veut peut-être, avec ce prix, faire le commerce ou s'intéresser dans une industrie, ou seulemeut, par un emploi de son argent en prêt à intérêts, s'assurer un revenu plus fixe et plus facile à percevoir que celui d'un immeuble; l'acheteur, de son côté, veut peut-être, par l'emploi d'un capital en achat d'immeuble, éviter les risques de perte que présentent souvent les prêts, ou fonder un établissement industriel ou commercial dans les locaux achetés, ou simplement fixer sa demeure dans un lieu plus favorable. Ce sont les motifs.
Dans la donation, la cause, chez le donateur, est le désir de faire du bien au donataire, son parent ou son ami. Mais est-ce parce que celui-ci est pauvre ? Est-ce parce que le donateur a reçu des services antérieurs de lui ou de son auteur ? Voilà divers motifs possibles, et, au delà, il y en a d'autres, puis d'autres encore; chaque partie seule peut les connaître, pour ce qui la concerne.
Dans ces divers cas, si l'on suppose qu'il y a eu, de la part de l'une d'elles, erreur sur le motif, elle ne pourra se soustraire aux conséquences de la convention: autrement, ce serait faire souffrir l'autre partie d'une faute à laquelle elle n'a pas participé; on excepte seulement le cas où ce serait elle qui, par son dol, aurait fait croire le contractant à de faux motifs, et alors, la réparation du dommage pourrait aller jusqu'à l'annulation du contrat, comme on le verra bientôt (v. art. 333).
63. D. Erreur sur la personne. La considération de la personne avec laquelle on contracte joue presque toujours un rôle plus ou moins considérable dans la convention. Quelquefois, elle en est la cause principale et déterminante, comme dans la donation, dans le prêt à usage, dans le dépôt, dans le mandat, dans le cautionnement, en un mot, dans tous les con. trats de bienfaisance ou gratuits. Dans ces cas, s'il y a erreur d'une partie sur l'identité de l'autre, la convention est nulle, autant faute de consentement que pour fausse cause.
La considération de la personne peut aussi être déterminante dans certains contrats onéreux, dans ceux où l'une des parties recherche surtout les qualités personnelles ou les talents professionnels de l'autre: par exemple, dans les contrats où il y a prestation de services, soit pour la personne du créancier, comme les services d'un domestique, soit pour l'exécution d'une œuvre artistique ou littéraire.
D'autres fois, la considération de la personne n'est qu'un des éléments de détermination de la volonté, se joignant à d'autres, comme dans la vente à terme, dans le louage, dans le prêt à intérêt, où la personnalité du débiteur est à considérer, à raison du danger d'insolvabilité; comme aussi dans le louage de services industriels, où les qualités et le talent individuels sont moins exclusivement recherchés par le stipulant.
Enfin, dans certains cas, la personne du contractant est indifférente, comme dans la vente au comptant, le prêt à intérêt, sur gage ou sur hypothèque, et, généralement, dans les contrats où le profit exclut toute idée de bienfaisance, en même temps qu'il n'y a aucun risque à courir.
Par la même raison, on ne tient pas compte non plus, dans les contrats à titre onéreux, au moins en général, de l'erreur du débiteur sur la personne du créancier, parce que celui-ci ne peut, à raison de sa personnalité, exiger plus que son dû, quoiqu'il puisse mettre plus ou moins de rigueur dans la poursuite.
64. Pour revenir à l'application du présent article, on peut remarquer que dans les cas où la considération de la personne a été déterminante de la convention, elle a joué le rôle de cause, de sorte que l'erreur sur la personne n'est alors qu'une variété de l'erreur sur la cause; c'est à ce titre qu'elle exclut le consentement.
Ainsi, en reprenant les exemples donnés plus haut, le donateur a entendu gratifier un de ses parents éloignés ou le fils d'un ami, ne les connaissant pas individuellement; par l'effet d'une erreur commune, peut-être par un dol, une autre personne a reçu la donation: la donation est nulle, faute de consentement du donateur et par fausse cause. La solution serait la même si l'erreur existait chez le donataire, à l'égard de la personne du donateur, duquel il ne consentirait pas à recevoir une donation, soit parce qu'il le croirait lui-même peu honorable, soit parce qu'il craindrait que ses biens n'eussent pas une source honnête.
Mêmes solutions pour le prêt à usage et par les mêmes raisons.
Dans le mandat et le dépôt, la considération de la personne est déterminante des deux côtés: le mandant ne chargerait pas de ses intérêts toute personne indistinctement; le mandataire n'accepterait pas la peine et la responsabilité du mandat pour une personne inconnue.
Dans le cautionnement, où trois personnes sont en jeu, le créancier, le débiteur principal et la caution, il faut distinguer qui s'est trompé et sur quelle personne l'erreur a porté. Si l'erreur est chez le créancier, soit qu'elle porte sur la personne du débiteur ou sur celle de la caution, il n'y a guère que l'intérêt de la solvabilité qui soit en jeu et cette erreur appartient à la seconde classe déjà indiquée plus haut et dont s'occupe la dernière disposition de notre article 330 bis. Si l'erreur est chez le débiteur et porte sur la personne du créancier, elle est indifférente: c'est l'erreur de la troisième classe; si elle porte sur la caution qui intervient pour lui, comme il peut désirer ne pas recevoir un service d'une personne qu'il ne connaît pas ou qu'il n'estime pas, il sera admis à présenter une autre caution, et le créancier ne pourra la refuser, si elle est aussi solvable que la précédente. Mais le cas le plus sérieux est celui où l'erreur viendrait de la caution et où elle se serait trompée sur la personne du débiteur qu'elle a cautionné: en pareil cas, la considération de la personne est déterminante, comme dans tout contrat de bienfaisance, et le cautionnement sera nul, faute de consentement et pour fausse cause.
En somme, dans les contrats à titre onéreux, les cas où la considération de la personne du débiteur est déterminante sont plus rares que ceux où elle n'est que secondaire. On ne peut guère citer que les louages de services qui supposent, soit une science ou un art sérieux, comme la construction d'un navire, celle d'un palais, ou la fabrication d'une machine compliquée, soit une probité absolue, comme un emploi de comptable. Dans tous ces cas, les tribunaux tiendront grand compte aussi des circonstances du fait, spécialement de la nature des services à rendre, pour reconnaître l'intention des parties.
64 bis. On a supposé jusqu'ici, sans s'en expliquer spécialement, que l'erreur portait sur l'identité de la personne, ce qui peut résulter d'une similitude de nom ou de quelque autre cause de confusion entre les individus.
Mais les deux alinéas de l'article 330 bis mettent sur la même ligne l'erreur sur les qualités légales ou juricliques de la personne: par exemple, sur la parenté, sur la profession, la fonction. Nous n'ajoutons pas l'erreur sur l'âge, l'état mental, l'état de mariage chez la femme, en un mot sur l'état civil, parce que l'état civil des personnes peut être connu par des moyens légaux, et que la partie qui est tombée dans l'erreur à ce sujet doit, en général, l'attribuer à sa faute, sauf le cas où il aurait été pratiqué un dol à son égard.
Au sujet des qualités de la personne, on fera, avec le 2e alinéa, la même distinction qu'au sujet de Videntité: à savoir, si la considération de ces qualités a été déterminante, ou si elle n'a été qu'une cause secondaire de la convention: au premier cas, la convention sera nulle; au second cas, elle ne sera qu'annulable.
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(7) L'artide 330, ayant été augmenté du 26 alinéa actuel, a été divisé: de cette façon ce qui concerne l'erreur sur la personne se trouve former un article spécial, comme Vobjet de la convention.
(8) Ce 2e alinéa a été ajouté à l'ancien texte, pour prévenir un doute: ou aurait pu l'ajouter au texte de l'article 332, mais il parait mieux placé ici pour la suite des idées.
(g) On a toutefois noté (n° 45, in fine) qu'un contrat même nommé a une cause illicite quand il est subordonné à une condition suspensive illicite, car la condition est une cause ajoutée par les parties.